Archives mensuelles : juin 2008

Un pays fait pour les marins-pêcheurs et les routiers

Nous sommes au début de 2007, à Caracas, Venezuela. Le camarade – Our Great Leader Chairman – Hugo Rafael Chávez Frías vient de prendre une décision historique : le prix de l’essence vendu aux particuliers va être augmenté. Non ! Si. Dans son émission à la télé qui s’appelle Aló, Presidente – un interminable onanisme en direct, à la Castro -, Chávez annonce qu’il a demandé à son ministre de l’énergie de préparer la grande mesure. Il faudra que la hausse ne touche pas les plus pauvres, et qu’elle ne crée pas d’inflation.

Rude tâche, mais quand le camarade-président commande, il faut obéir. Un rappel sur le pétrole du Venezuela. Quel que soit le mode de calcul retenu, ce dernier est l’un des plus riches États pétroliers de la planète. Dans les estimations basses et contestées de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), les réserves vénézueliennes ne dépasseraient pas 78 milliards de barils. Mais la question du pétrole extra-lourd situé dans la ceinture de l’Orénoque – la Faja del Orinoco – demeure ouverte. Pour Chávez, cette promesse autorise à parler de 315 milliards de barils de réserves, soit 20 % du total mondial. Bien plus que l’Arabie Saoudite. Dans tous les cas, un Eldorado.

Revenons aux péroraisons de Chávez, en janvier 2007. Il promet donc. À ce moment, l’essence vendue aux Vénézuéliens coûte 14,4 fois moins cher que dans la Colombie voisine. Et 16,6 fois moins qu’aux États-Unis. On imagine peut-être le flux de contrebande entre le Venezuela et la Colombie. Et les pertes pour le budget, y compris social, vénézuélien. Chávez promet donc de changer la situation, mais l’incantation se perdra dans les sables saturés de pétrole.

En juin 2008, l’essence vendue à Caracas vaut 4,3 bolivars pour un solide plein de 45 litres, soit un peu plus d’un euro (ici). C’est quatre fois moins qu’en Arabie Saoudite. Dix fois moins qu’une bouteille d’eau minérale. À peu près le prix d’un bon gros sandwich. Et cela coûte plus de dix milliards de dollars par an à l’État, seulement pour le super. Car il y a aussi le diesel, et le gaz naturel. Le pays du « socialisme bolivarien » devrait proposer l’asile politique aux marins-pêcheurs et aux routiers français.

Dans cette contrée où la voiture est, en fait, plus puissante que le Jefe, les automobilistes font bien entendu la loi. Selon une estimation, 20 % des habitants de Caracas occupent à eux seuls 80 % des voies publiques. C’est beau, le socialisme. Croyez-vous que les paysans pauvres de la province, ou les habitants des barrios de la capitale, soient invités à la fête ? Pensez-vous qu’on trouve de l’argent pour les transports publics ? Imaginez-vous qu’on parle aux Vénézuéliens de réchauffement climatique, et de cette nécessité absolument vitale de changer de modèle en quelques décennies au plus ?

Non, bien sûr que non. El Jefe est bien trop heureux de parader à la télévision publique, et de reprendre sur tous les tons l’obscène invite de son régime : Socialismo o Muerte. Je n’ai pas le temps de développer ce que signifie à mes yeux le tréfonds culturel et politique d’une partie de la gauche dite radicale d’Amérique latine, qui mêle avec force morbidité, culte du héros, machisme et abjecte soumission à l’autorité suprême. Du reste, vous n’êtes pas là pour lire mes propres divagations.

Où veux-je en venir ? Pas si loin que cela. Ce qui précède est une illustration parfaite de ce qu’est un paradigme. Cette expression désormais banale désigne un cadre de la pensée, une sorte de schéma global, explicatif, auquel on se réfère constamment sans seulement y penser. Nos sociétés sont par exemple encore dominées par le paradigme des Lumières et du progrès, malgré la crise actuelle. Et les marxismes, qui contestaient l’ordre social, n’étaient en réalité qu’une pointe avancée de ce progressisme-là. Défendant l’idée de révolution au nom même du paradigme.

Je ne fais aucun procès en écrivant ces mots. Je regarde. Et je vois bien que Chávez est l’héritier marginal, mais indiscutable, d’un mode de pensée qui nous empêche d’avancer. Il dirige le Venezuela depuis près de dix ans, tentant d’imposer des chimères à un peuple qui n’en veut pas, s’appuyant massivement sur une manne pétrolière qui finira, comme de juste, par s’épuiser. Et il n’aura pas préparé son peuple au choc qui vient. Car il est un homme du passé. Le paradigme écologique, qui sera fatalement, que cela plaise ou non, celui de l’avenir, reste un chantier. Je ne vois aucun travail intellectuel plus décisif que celui-là.

Mungo Park et le grand fleuve disparu (sur le Niger)

« Une semaine plus tard, l’explorateur remarque que si l’on a effectivement dépassé Tombouctou, on n’en continue pas moins de se diriger vers le nord, autant dire droit sur le désert. Toujours luxuriante en bordure du fleuve, la végétation commence néanmoins à s’éclaircir et, passé les arbres du bord, sur les collines arides, euphorbes, roses du désert et pycaranthes viennent par places. La chaleur est profonde, atterrante, dévorante. Il n’est aucun moyen de lui échapper. Sous la bâche, aussi épuisés que des rescapés d’Austerlitz au ventre farci de plomb, Martin et M’Keal jouent aux cartes, sommeillent, sirotent du fou à la gourde, et de temps à autre, laissent pendre la main dans l’eau tiède pour s’asperger la chemise et le visage. Ned Rise s’est installé un écran contre le soleil juste au-dessus de la barre. Accroupis sur les talons et vêtus d’un simple pagne, Amadi et ses hommes passent leurs journées à jouer aux osselets et à compter leurs cautis. Personne ne songerait à se baigner. Pas avec tous ces crocodiles, dont certains aussi longs que la moitié du bateau, alignés sur les berges comme des badauds au défilé ; ni avec ces hippopotames qui, pour montrer leur rancune, leur gaieté folâtre ou tout ce qu’on voudra, éclaboussent, mènent un bruit d’enfer et battent les flots jusqu’à ce qu’ils ne soient plus qu’écume bouillonnante ».

Je vous le demande sans ambages, qui est donc cet explorateur de la première phrase ?  Vous ne me semblez pas pressé de le savoir, mais je vais vous répondre. Il s’agit de Mungo Park. C’est un immense cinglé qui part visiter le royaume africain de Ségou tandis que le siècle – le dix-huitième de notre ère – expire. Il part alors qu’une jeune fille adorable, Ailie, n’attend que lui. Il part en lui disant textuellement : « Je m’en vais de par le monde et je reviendrai avec un nom. Tu m’attendras ? ».

Bougre ! Il est absent des années, car il est fait prisonnier par des Noirs féroces, puis des Arabes fourbes et malfaisants. Ou peut-être l’inverse. Il souffre tellement qu’on en rit aux larmes. Quel numéro ! Par extraordinaire, il rencontre sur place un guide plutôt improbable, Johnson. Un Noir authentique qu’un destin facétieux a changé en lettré d’exception, lecteur d’encyclopédies écrites en anglais. Bon, leurs aventures occupent des centaines de pages. Johnson est boulotté avant que de renaître. Park s’enfuit, est repris, tombe entre des mains de moins en moins recommandables, et finit par rentrer en Écosse, où il couche, car tout arrive à qui sait attendre, avec Ailie. Et se marie. Des enfants viennent, on ne se demande pas comment.

Mais Mungo repart en Afrique sur le fleuve Niger, car telle est son obsession, son feu intérieur, et qui sommes-nous pour le juger ? Là, les choses s’aggravent, si c’est possible. Car outre la rencontre fatale avec Ned Rise, qui a échappé de peu à l’échafaud, le pays se révèle hostile. C’est une litote. Les flèches volent et les coutelas ruissellent de sang. Dans l’extrait que je vous ai offert ci-dessus, Park et les autres se laissent dériver sur l’eau. La question qui les tient encore vivants – qui maintient en vie Park – est celle-ci : le Niger va-t-il, ou non, continuer de couler vers le nord ? Auquel cas, ils sont tous morts.

Bon, je ne vous raconte pas la fin du chef d’oeuvre de T.C Boyle, Water Music (Phébus). Ceux qui ne l’ont pas lu sont malheureux. Ceux qui l’ont lu encore plus, j’en ai peur. Il ne me reste plus qu’à vous dire pourquoi je pense à lui. La vérité, c’est que je songe régulièrement à Boyle et à Park, mais ce 26 juin 2008, j’ai une raison singulière. Je viens de lire une dépêche (ici) sur le sort actuel du fleuve qu’explora Park avec tant d’ardeur et de démence, voici deux siècles.

Je ne jurerais pas que la situation soit bonne. En deux mots, une table ronde aurait permis de réunir 960 millions d’euros pour, prenez avec moi votre respiration, « financer un programme quinquennal (2008-2012) d’un montant de 1,4 milliard d’euros, notamment la construction de barrages sur le fleuve et la Protection des ressources et des écosystèmes ». Je suis bien certain que ce n’est que bullshit, comme on dit dans nos campagnes les plus reculées.

Ce programme, financé par la Banque mondiale, la France, la Banque islamique de développement (BID), la Banque ouest-africaine de développement (BOAD), l’Union européenne, l’Unesco, l’Allemagne, le Canada, ne servira qu’à payer quelques obligés et à couler du béton. Le reste ? Mais le Niger est en fait en train de mourir ! Sous nos yeux indifférents. Cette immensité de 4 200 km de long permet à 110 millions d’humains de vivre tant bien que mal. Ils devraient être le double en 2025. Et comme aucun des vrais problèmes de l’Afrique n’est jamais abordé par ses élites, le Niger ira chaque année plus mal. Lisez, si le coeur vous en dit, ce papier du journal malien L’Essor (ici). Ce n’est pas drôle, mais tout de même hilarant, presque autant que Boyle.

Car on y voit ce que l’imaginaire français a pu laisser là-bas comme empreinte profonde. Le fleuve n’est plus une présence miraculeuse et sacrée, mais une sorte de monstre froid, bureaucratique, auquel les « citoyens » devraient payer un tribut obligatoire. Citation : « Mais le comportement des riverains du fleuve ne change pas d’un iota. Même les panneaux installés récemment sur la voie publique par le ministère de l’Environnement pour rappeler les obligations constitutionnelles vis-à-vis des fleuves et des cours d’eau n’arrivent pas à émouvoir nos compatriotes.
Ces panneaux rappellent aux citoyens le « respect obligatoire des normes de rejet dans les milieux récepteurs ». Ils indiquent aussi qu’il est indispensable d’effectuer un « traitement préalable des déchets Biomédicaux, industriels et artisanaux avant leur rejet ». Les panneaux préviennent que le non respect de ces dispositions expose à une peine d’emprisonnement allant de 11 jours à 3 mois et au paiement d’une amende de 20 000 à 120 000 Fcfa »
.

Tu parles, Charles ! Pour ne prendre qu’un exemple entre mille, Bamako, capitale du Mali, jette ses ordures au fleuve. Chaque jour, 2.000 mètres cubes d’ordures ménagères et 2.200 mètres cubes d’eaux usées (environ) tombent à l’eau. N’essayez pas d’imaginer. Et si vous le faites, opérez les multiplications nécessaires sur 4 200 km de long. D’autant que cette pollution n’est encore rien. L’érosion massive de l’amont ensable dramatiquement l’aval, pour cause de sécheresses à répétition. Je doute que vous connaissiez Djagarabé, situé dans la région de Mopti (600 km au nord de Bamako). La moitié de ce village a aujourd’hui disparu à cause de l’ensablement et une mosquée y a été engloutie, sous le sable.

Je pourrais continuer encore jusqu’à la fin des temps, et je serais encore à décrire ce que tout le monde sait par coeur. Une autre citation, qui ne servira qu’à payer la note de frais climatisée du voyageur officiel. Jan Egeland, représentant de l’ONU, en visite au Niger il y a quelques jours : « C’est vraiment triste de voir le Fleuve Niger sec, le Lac Tchad asséché, tout comme le Lac Faguibine au Mali. C’est un changement climatique terrible. Le monde entier et la communauté internationale doivent aider ces pays et les peuples vulnérables de leurs régions parce que c’est un désastre environnemental ». Il y a quatre ans, le même – ou ses nombreux semblables – lançait la pompeuse « Déclaration de Paris », sur le même sujet. Les convives, réunis dans notre capitale – ont-ils bien mangé, au moins ? -, espéraient alors réunir 32 millions de dollars seulement. Ils les auront eus, je n’en doute pas (ici).

Je n’écris pas pour étaler mon désespoir, même si j’ai l’air. Mais pour vous dire, les yeux presque dans les yeux, que l’histoire des hommes est tragique, ce que nous voulons tant ignorer. Je continue de croire en l’action, mais je ne marcherai plus jamais dans l’incantation et le faux-semblant. Les choix à faire, les combats à mener sont devant nous. Et ils demanderont de la force, de la sueur, des larmes, et d’autres choses bien moins avouables encore.

En attendant que vienne ce temps, allons, Mungo, au travail !

Extrait des carnets de l’explorateur. Bambakou, sur le Niger, le 19 août 1805.

« Enfin, enfin, après toutes ces épreuves et tribulations, nous y sommes arrivés ! et c’est avec des remerciements au Seigneur pour Sa protection et Son assistance que pour la deuxième fois, j’ai pu faire un plongeon dans le Niger…et que je peux encore avoir sous les yeux ses flots majestueux : quelle émotion me procurent les doux tourbillons de sa musique ! Ah ! comme son onde est glorieuse, quand elle se gonfle du précieux chargement de la mousson et que, noire de limon,elle apparaît aux regards, plus solennelle dans ses dimensions qu’aucune autre au monde – oui, même ici, en on cours supérieur ».

Le progrès. Oui, nous sommes en plein progrès.

L’industrie du mensonge vous salue bien

J’ai eu l’occasion, il y a quelques jours, de participer à un débat entre journalistes et photographes, à Paris. À l’invitation de l’association Ça presse, j’ai bredouillé quelques mots sur le sujet de la soirée, qui était la censure. Et je me suis retrouvé un peu seul pour évoquer l’incroyable abdication de la presse devant le poids de la publicité.

Je ne veux pas surtout pas vous perdre dans des détails. La question n’est pas de savoir, à mes yeux, quelle part de publicité est acceptable. Car un principe évident est en cause, et je m’étonne encore, malgré mon grand âge, qu’il soit à ce point négligé. La publicité n’est autre que l’industrie du mensonge. Ni plus ni moins. Elle est là pour manipuler et convaincre de l’intérêt qu’auraient les humains à détruire ce qui tient encore de guingois.

Je ne déteste pas la publicité, je la hais. Je ne rêve que de sa disparition totale et définitive, même s’il est préférable en ce domaine de se montrer patient. Et je dois constater que l’immense majorité des journalistes n’osent pas même rêver d’un pays dans lequel le mensonge industriel et l’information seraient séparés de manière étanche. En bref, je plaide pour l’interdiction de toute forme de pub dans quelque support d’information que ce soit.

Accepter la moindre exception, c’est au bout du compte, fatalement, avaler toute leur merde. À la petite cuiller peut-être, mais toute. Voyez l’exemple qui suit, tiré de mes lectures de journaux les plus récentes. Dans le numéro 2276 du Nouvel Observateur – du 19 au 25 juin -, je compte dix pages de pub couleur pour les bagnoles les plus lamentables du marché. Par exemple la Toyota Land Cruiser, dont on ne donne pas le prix – ce serait vulgaire, non ? -, mais (en tout petit) les émissions de gaz à effet de serre au kilomètre parcouru. Eh bien, amis du climat ! Ce carrosse balance dans l’air entre 236 et 243 grammes de CO2 par km. Abstrait ? Oui, abstrait. Sachez que la Commission européenne prépare une directive, d’ailleurs ridiculement pleutre, qui prévoit d’imposer une norme à 130 grammes en moyenne. La Toyota  en est au double !

Donc, dix pages de pub du même genre, qui font de la bagnole, si j’ose cette image baroque, la vache à lait indiscutable du grand journal de la gauche intellectuelle française. Les 4×4 et les Mercedes, qui précipitent le monde dans un chaos prévisible, permettent à ces grandes consciences universelles que sont MM. Jean Daniel et Jacques Julliard de nous livrer chaque semaine leurs états d’âme sur le Proche-Orient et le sort de Bertrand Delanoë. Aucune autre industrie que celle de l’automobile n’est plus décisive pour les comptes du Nouvel Obs. Mais chut !

Dans ce même numéro 2276, pages 50 et 51, deux larges bandeaux enserrent l’article d’ouverture sur notre inépuisable Sarko. Bandeau de gauche : « Les biocarburants sont-ils efficaces dans la lutte contre l’effet de serre ? ». Bandeau de droite : « Oui, le diester lutte contre le réchauffement climatique ». Là, tout de même, je ris. Amèrement, mais à gorge déployée. Car la propagande est souvent plus imaginative. Or en ce cas précis, rien d’autre qu’une affirmation, à prendre ou à laisser. Pas de preuves, pas de référence à une obscure étude. Rien. Et le Nouvel Obs empoche, lui qui n’a jamais rien écrit d’important sur un phénomène pourtant planétaire, qui ravage peuples et nature. Heureusement que l’hebdo est de gauche !

Dans Le Monde daté du 24 juin 2008, page 11, autre vaste publicité. Abengoa Bioenergy, The Global Ethanol Company, vous parle. Et vous éclaire, pardi, puisqu’une « information manipulée » prétend que « la production de bioéthanol risque d’aggraver la pauvreté et la faim dans le monde ». Par parenthèses, apprécier la forme verbale utilisée, qui renvoie à un futur improbable ce qui n’est pas un risque, mais déjà une réalité.

Et poursuivons. Cela ira vite, car le reste n’est que mensonge global. L’éthanol aiderait au développement des économies locales, et profiterait aux petits paysans. D’ailleurs, il existerait de considérables zones cultivables, à cultiver justement. Enfin, les biocarburants de deuxième génération achèveraient de transformer l’affaire en un conte de fées. En « remplaçant » ceux de la première génération, tirés de plantes alimentaires. Eh bien, j’ai la preuve absolue de la manipulation, ce qui n’est pas si fréquent. Reportez-vous à un article que j’ai écrit il y a seulement trois jours (ici), nommé opportunément : Oh ! les salauds. Un certain Robert Wooley, l’un des directeurs de la compagnie Abengoa, a révélé devant une commission du Congrès américain que les biocarburants de deuxième génération ont besoin, pour éventuellement émerger un jour, du développement massif de ceux de la première génération. Le jatropha, les arbres transgéniques à cellulose, les algues de la propagande n’existeront jamais que si on laisse les marchands cultiver du palmier à huile, du maïs ou du colza destinés à la bagnole.

C’est ce qu’on appelle un flagrant délit. En France, dans la publicité du Monde, une gentille farce. Et aux Amériques, la vérité. Les tartuffes du Monde – et de tout autre journal vivant des mêmes expédients – prétendront faire confiance au lecteur, capable de faire la différence, de lire, de comprendre, de « contextualiser ». Mais qui ignore que ces stratégies visent à saturer l’espace public de fausses indications, d’emplir les cerveaux rendus disponibles d’une petite musique qui retentira toujours au bon moment ? Qui oserait nier, au passage, que cet argent apporté par l’industrie des biocarburants est chaque jour plus nécessaire pour boucler les fins de mois ? Qui ne s’interrogerait sur l’absence, dans le journal de référence qu’est hélas Le Monde, du moindre article complet sur le lobby mondial en faveur des carburants végétaux ?

C’est affreux, c’est insupportable, c’est réellement une infamie. Des journalistes parisiens surpayés – du point de vue qui est le mien, TOUS les journalistes (*) sont surpayés – acceptent que leur revenu soit assuré par l’argent du crime. Du crime, je contresigne ce propos grave. Car derrière cette propagande, il y a des gens à terre, affamés, désespérés. Et leur vie vaut la nôtre. Évidemment.

Je ne rêve pas, malgré certaines apparences. La vérité de la presse est la vérité du monde qu’elle commente. Il y a eu, dans les années Trente du siècle passé, une presse vénale, qui acceptait des valises de billets des ambassades parisiennes les plus diverses. L’Italie de Mussolini – mais tant d’autres ! – achetait régulièrement la « ligne » de grands quotidiens à son endroit, surtout après les aventures militaires en Afrique. L’élan illusoire mais vif de la Résistance fit surgir des journaux tant soit peu différents, qui furent un à un avalés par la machine.

Nous sommes de nouveau au fond du trou. La publicité et l’industrie, notamment militaire, ont provisoirement gagné la partie, et commandent aux gazettes. Je n’oublierai jamais que le journal Le Monde – et ses équipes – a accepté sans broncher l’arrivée de Lagardère dans ce quotidien jadis vivant. Non. Jamais, même si je devais vivre 110 ans. Lagardère, présenté par un Colombani – que soutenait alors Edwy Plenel – comme un magnifique aristocrate, raffiné, esthète, libéral bien sûr, était aussi un marchand d’armes. Surtout, essentiellement un homme qui vendait de la mort partout où les biocarburants n’avaient pas encore passé leur lance-flammes.

Je sais bien qu’il vaut mieux être propre sur soi pour être écouté. Bien élevé. Calme et pondéré. Surtout ne jamais paraître un dangereux excité ! Damned, je m’ai encore trompé.

(*) Je mets de côté les nombreux précaires, qui font tourner les machines, et que tous les insiders oublient si facilement.

Sur ce qui se passe en Argentine (grave !)

Il ne fait aucun doute que le soja s’attaque au principe de la vie. Les informations sur le sujet sont si massives, tant et tant de fois recoupées, que la messe est dite. Dans le bassin amazonien, cette saloperie industrielle, souvent transgénique, est en train de changer la structure même des pays qu’elle a infestés. Je vous renvoie à la campagne menée en France par nombre d’associations, dont le Comité catholique contre la faim (CCFD), le réseau Cohérence et la Confédération paysanne (ici).

Le soja est une arme de destruction massive des écosystèmes et des paysans. Rien ne lui résiste, car un marché géant existe. L’Europe, d’abord, et ses consommateurs fous de viande. De quoi sont nourris nos bestiaux, sinon de soja débarqué à Lorient ou Brest ? L’Europe donc, et désormais aussi la Chine et l’Inde, dont les petits-bourgeois on ne peut plus provisoires veulent aussi goûter de la viande de boeuf avant l’extinction des feux. Savez-vous quelle part du soja produit en Argentine est exportée ? Pratiquement 100 %.

La production mondiale de soja a augmenté de 495 % de 1970 à 2005. De 44 millions de tonnes à 216 millions. On prévoit – pourquoi pas, puisque la folie règne ? – 303 millions de tonnes en 2020. Ces chiffres ne disent rien de la réalité, évidemment. Rien de l’expulsion des petits paysans. Rien de la fin de l’agriculture vivrière. Rien des millions d’hectares matraqués par les pesticides. Rien du recul de la forêt tropicale. Rien des profits des transnationales. Rien.

J’ai déjà eu l’occasion de parler du soja, du journal Le Monde et des activités de madame Tubiana, écologiste bien connue dans certains quartiers de la capitale française (ici et ). Vous retrouverez, si vous regardez, l’un des personnages clés du drame en cours, le gouverneur brésilien du Mato Grosso, Blairo Borges Maggi, par ailleurs « roi du soja ». Cela vaut le temps d’une lecture, je crois.

Mais si j’y reviens ce jour, c’est pour une autre raison qui me fait mal, simplement mal. En Argentine, pays martyr du soja industriel, des associations écologistes jouent un jeu écoeurant. Pardonnez-moi, je vais encore dire du mal du WWF et de Greenpeace. Le WWF a pris la lourde responsabilité de réunir dès mars 2005, à Foz do Iguaçu (Brésil) une table-ronde sur le soja prétendument « soutenable », avec des industriels et des banques.

D’autres rendez-vous du même genre ont suivi, dont le dernier, en Argentine cette fois, a eu lieu en avril 2008. Je ne crois pas dans la bonne foi de ce WWF-là (ici, en anglais). Non, on ne me fera pas avaler cette couleuvre. La logique qui pousse les transnationales à détruire, et les gouvernements à exporter, cette logique de mort est connue depuis des lustres, et ceux qui ne la combattent pas sont fatalement des collaborateurs du système. Tel est le choix qu’a fait en conscience le WWF d’Argentine.

Quand à l’association Greenpeace, bien plus critique pourtant, elle poursuit là-bas une politique scandaleuse, et vaine bien sûr. Dans le texte en espagnol que je vous invite à lire si vous connaissez un peu cette langue (ici), elle mendie auprès de la présidente de l’Argentine, Cristina Fernández de Kirchner. Greenpeace demande en effet à la dame, aussi favorable au soja que l’était le président précédent – son mari -, de prononcer une ou deux phrases au cours d’un sommet latino-américain (qui s’est tenu en mai). Lesquelles ? Des voeux pieux concernant les biocarburants, et donc le soja transgénique (ici, en espagnol). Ce serait tout de même mieux, écrivent ces étranges « écologistes », si les biocarburants cessaient d’affamer les gens et de dérégler le climat tout en détruisant les forêts. Eh oui ! ce serait mieux. Et ma tante en serait aussitôt changée en mon oncle.

Je préfère quant à moi lire la prose du Grupo de Reflexión Rural, créé en Argentine dans les années 90 (ici, en espagnol). Voilà des gens qui disent ce qui est, et qui agissent. Dans un de ses derniers communiqués, le GRR attaque bille en tête un certain Moisés Burachik. Ce monsieur Bucharik a été lobbyiste de grandes firmes de l’agrobusiness, et a joué un rôle clé dans la révolution des paysages agricoles argentins. Et alors ? Eh bien, il est devenu par la grâce des affaires le chef de la délégation argentine – officielle et publique – à la Cop-Mop 4. Si ce sigle vous semble mystérieux, tant pis pour vous. Le Cop-Mop 4 est un bastringue mondial auquel les peuples ne sont pas invités, soit le Protocole de Carthagène sur la prévention des risques biotechnologiques. Pigé ?

Le GRR, considérant le rôle passé et présent du personnage, et le fait que la présidente, auprès de qui pleurniche Greenpeace, est l’otage de l’agro-industrie, tranche comme j’aime : « Nous considérons cette personne comme incompétente pour représenter notre pays ». ¡Arriba y adelante!

Pour finir, je dois reconnaître que l’attitude de Greenpeace et du WWF m’atteint. Car nous avons besoin de forces, tout de suite. Mais pas de celles-là, oh non, pas de celles-là !

Oh ! les salauds

Connaissez-vous la cameline ? Si oui, bravo. Et sinon, quelques mots. C’est une plante peu exigeante, originaire des steppes asiatiques, mais bien acclimatée en Europe. Sa tige monte à un mètre, et on ne l’appelle pas le Petit lin pour rien, car elle produit une huile alimentaire de qualité, riche en Oméga 3. Chez nous, pour des raisons de rentabilité, qui n’ont pas de rapport comme on sait avec la santé, on ne la cultive plus, préférant le tournesol.

Bon, la suite. Le Congrès américain – attention, je ne suis pas spécialiste – fait défiler devant lui quantité de personnages dans le cadre de ce qui ressemble à nos commissions parlementaires. Il s’agit de séances officielles et enregistrées. L’une d’elles a entendu un monsieur Robert Wooley, l’un des directeurs de la compagnie d’éthanol Abengoa. L’éthanol est, je le rappelle, un biocarburant qu’on tire essentiellement du maïs, aux États-Unis du moins. Ce pays puritain autant que vertueux consacre plus de 30 % de sa production de maïs à la fabrication d’un carburant végétal, ce qui pourrait bientôt atteindre 100 millions de tonnes par an.

Et ce Wooley (ici,mais en anglais) ? Eh bien, il dit la vérité. Que j’ai dite il y a déjà bien longtemps, mais que personne ne veut entendre : les biocarburants de deuxième génération, s’ils voient jamais le jour sur un plan industriel, ne remplaceront pas ceux de la première génération, qui tuent les hommes, aggravent la crise climatique et prennent la place des forêts tropicales. Devant le Congrès, Wooley n’a pas finassé, et froidement déclaré que le passage à la deuxième génération impliquait fatalement de poursuivre l’extension de la première. Pour des raisons de profit, de savoir-faire et d’infrastructures. Et croyez-moi, on écoute là-bas ce genre de propos.

Un autre personnage – Scott Barnwell, patron de l’usine Blue Ridge d’Asheville, a ajouté une autre phrase admirable : « La seule limite au potentiel des biocarburants, c’est l’accès à de nouvelles matières premières ». J’aimerais croire qu’une humanité meilleure que la nôtre jugera un jour ces propos barbares alors que la famine déferle sur le monde. J’aimerais le croire, mais j’en doute. Ce qui est manifeste, c’est que la barbarie est là. Et que nous en sommes les contemporains.

Et la cameline ? Ces gens ont trouvé un nouveau truc. Cette plante, disent-ils, est une excellente matière première pour les biocarburants de deuxième génération. En somme, laissons-les détruire le monde, et souhaitons dignement la bienvenue à ce nouveau miracle, après les algues, l’herbe à éléphant, le jatropha et la cellulose des arbres transgéniques.