Archives mensuelles : mars 2010

Passer le Sahara dans un tamis (adage new age)

Je suis à peu près certain que la plupart d’entre vous en ont entendu parler. Une équipe américaine de la Sea Education Association (SEA) a découvert l’existence d’un continent fait de déchets, essentiellement plastiques, dans l’Atlantique (ici en français et là en anglais). Continent est certes un mot abusif pour parler d’une masse liquide, mais cela donne au moins une idée de la taille. Environ la surface de la France, de la Belgique et de la Grèce réunies. Notons avant d’oublier que l’on parle beaucoup ces derniers jours de cette dernière, mais pour des raisons plus intéressantes : comment diable ses habitants vont-ils faire pour continuer à acheter les merdes qui finiront dans l’Atlantique ?

Donc, une découverte. Faite de milliards de fragments de plastique industriel, sur dix mètres de profondeur, à moins de 1 000 km des côtes américaines. De l’autre côté, dans le Pacifique, on a trouvé dès 1997 le Trash Vortex (tourbillon d’ordures), autrement dénommé The Great Pacific Garbage Patch, pour Grande nappe de déchets du Pacifique. Je vous en avais parlé il y a deux ans (ici). Cette gentille monstruosité doit aujourd’hui dépasser la taille des États-Unis d’Amérique, qui atteignent tout de même 9 millions et 600 000 km2. Mais ce n’est qu’un début.

Autre nouvelle aussi réjouissante : la mousson d’Asie envoie dans la stratosphère l’extraordinaire pollution atmosphérique produite par les croissances chinoise et indienne. Vous avez dû entendre parler de ce miracle qui nous permet de vendre des turbines et d’acheter des ordinateurs. De vendre des centrales nucléaires et d’acheter des T-shirts. De vendre des locomotives et d’acheter des joujous. Bref, de continuer à vivre sans aucun but. Revenons à la mousson, qui est aussi une sorte de pompe surpuissante, capable de propulser l’air chargé de polluants de toutes sortes au-dessus des villes d’Asie, avant qu’il ne rencontre des courants porteurs et rapides, entre 32 et 40 km d’altitude (ici). Une fois bien installés dans ces couches de la haute atmosphère, ces masses colossales de molécules souvent redoutables circulent pendant des années au-dessus de nos têtes, mais finissent largement par retomber. Sur nous ? Pardi.

Si j’ai choisi le titre « Passer le Sahara dans un tamis », c’est grâce à Charles Moore, le navigateur qui a découvert le Trash Vortex du Pacifique en 1997. Lui ne se paie pas de mots. Il sait pertinemment qu’il est impossible de « nettoyer » les océans des épouvantables déjections que nous y rejetons chaque jour. Et sa formule me paraît pleine de bon sens : « Autant essayer de passer le Sahara au tamis ». On ne peut nettoyer, désolé. Mais on ne peut continuer bien longtemps. De même qu’on ne peut stopper les si magnifiques croissances asiatiques, même si elles s’effondreront fatalement, et bientôt probablement. Cette situation me rappelle le sort d’Antigone, cette pauvre fille d’Œdipe et de Jocaste. Quand Créon, le nouveau roi de Thèbes, lui interdit d’enterrer son frère Polynice, considéré comme un traître, elle se trouve prise dans un étau qui lui sera fatal.

D’un côté, elle doit obéir à son roi, car c’est la loi. De l’autre, elle ne peut pas abandonner la dépouille de son frère à la charogne, car elle l’aime. Que faire ? Oui, que faire dans un cas pareil ? Antigone décide finalement d’enterrer Polynice, mais Créon l’emmure vivante encore dans le tombeau des Labdacides. C’est un cas de double contrainte, bien étudié depuis par les psychologues et les psychiatres. Pour ce qui concerne la crise écologique, si manifeste, la société des hommes ne sait visiblement pas quoi faire. Il lui faudrait arrêter les frais, et tout de suite. Mais elle ne le peut pas. Je vous en préviens, les situations de double contrainte peuvent aisément conduire à la folie. Pour ma (toute petite) part, je suggère de commencer par la révolte.

PS : Amis lecteurs qui êtes en désaccord avec mes prises de position, par exemple au sujet des Verts et d’Europe Écologie, sachez que je vous comprends, en partie du moins. Mais de vous à moi, vous croyez qu’une telle stratégie, qui n’a rien donné de probant en quarante ans, est susceptible d’arrêter le nuage chinois et de réduire la taille des océans de merde plastique dont nous remplissons notre petite baignoire planétaire ?

Des fleurs pour Chantal Jouanno

Je me suis salement moqué de Chantal Jouanno le 22 janvier 2009 (ici). Je signalais notamment un film vidéo réalisé au moment de la campagne des présidentielles, où elle était follement ridicule. Elle le reste, je viens de le regarder à nouveau. Et, de nouveau, j’ai rigolé aux dépens de la secrétaire d’État à l’Écologie.

Mais je dois reconnaître aujourd’hui qu’elle a changé. La championne de karaté, propulsée hors des tatamis par Sa Seigneurie Sarkozy en personne, donne ce jeudi 25 mars 2010 un entretien au quotidien Libération. Elle se lâche. Elle y parle avec une sincérité que je n’attendais pas. Concernant la défunte taxe carbone, elle tire à boulets rouges contre le patronat, disant par exemple : « C’est clair, c’est le Medef qui a planté la taxe carbone. Au nom de la compétitivité. Est-ce que le Medef s’est ému des 2 milliards de bonus distribués aux banquiers ? ».

Faut-il le souligner ? Ce n’est pas dans la ligne. Borloo, l’increvable bonimenteur, a préféré hier accuser les socialistes d’avoir miné son beau projet. Non, elle n’est pas dans la ligne officielle, et j’ai envie de croire qu’elle n’est pas en mission commandée. J’ai envie de croire qu’elle parle d’elle-même, sans y avoir été incitée par Sarkozy pour tenter de calmer l’incendie. Ai-je tort ?

J’espère que non. Chantal Jouanno a des mots convaincants. Elle dit : « Si on attend que l’Europe prenne une décision, la taxe carbone sera reportée sine die. Cela pose un problème ontologique à la gauche comme à la droite. Nos élus et une partie de la société n’ont pas compris l’importance de l’écologie. On a vingt ans pour changer les mentalités ». Et elle ajoute : « Il faut essayer quelque chose. Il me reste la parole. Je me ferai peut-être exploser mais ce n’est pas grave. Je vais juste parler vrai. Je préfère aller au bout. Je ne suis pas là pour faire de la provoc, mais porter la parole que l’écologie n’est l’otage d’aucun clan ».

Pas de panique à bord ! je ne viens pas de brutalement tomber amoureux, et mon regard ne me semble pas, pour l’heure en tout cas, alangui. Je sais qui est cette dame. Je sais sa proximité avec Sarkozy. Autant dire que des années-lumière me séparent et me sépareront toujours d’elle. Il reste qu’à la différence d’une Kosciusko-Morizet, politicienne jusqu’au bout des ongles, passant de l’Écologie à l’Économie numérique avant d’aller peut-être à la Santé, il semble que Chantal Jouanno a pris conscience de quelque chose qui la transcende.

Un grand mot ? Oh oui ! Exagéré ? Peut-être bien, l’avenir le dira. Mais je dois rappeler, malgré mes emportements aussi nombreux qu’extrêmes, que je mise sur l’homme, et la femme. Si je ne croyais pas à la possibilité que des êtres dissemblables – et lointains les uns des autres – se mettent en mouvement, je ne parlerais plus de crise écologique. Je ne parlerais plus du tout, en réalité. Or je pense que le cours des esprits et des âmes est le seul espoir authentique qu’il nous reste. Que m’importe à la fin d’où l’on part, pourvu qu’on se soit mis en marche dans la bonne direction. Le reste viendra par surcroît, s’il advient.

Madame Jouanno, je me répète, ne pensera jamais comme moi. Moi surtout, je ne la rejoindrai jamais sur le terrain qui restera, en toute hypothèse, le sien. Et peut-être suis-je, de toute façon, en train de bâtir un château de cartes et de sable dans l’Espagne la plus profonde qui se puisse concevoir. Il demeure que la crise écologique devra sous peu mobiliser des millions de personnes dans ce vieux pays couturé qu’est la France. J’ai le pressentiment que madame Jouanno en sera. Et c’est pourquoi, à rebours de ce que je suis pour l’essentiel, je lui offre ce jeudi matin un frais bouquet de fleurs des champs. Without any pesticide application.

Flagrant délit à la frontière (sur la taxe carbone 2)

Personne n’y coupe. Bien malins ceux qui se gaussent de Sarkozy, bien malins, et bienheureux. En effet, cet homme est une fois de plus ridicule. Cet homme qui avait comparé la taxe carbone à l’abolition de l’esclavage et à celle de la peine de mort se couche au premier tournant. Les produits dopants – glace à reflets dorés, chocolat à gogo, Carla Bruni, etc. – dont il se sert couramment n’auront donc pas suffi. Il est à terre, pleurnichant comme ne le ferait pas un gosse de trois ans.

Je voudrais dire deux choses. La première sur lui, la seconde sur tous les autres. Commençons : j’ai écrit ici, le 30 janvier 2009, un papier sur l’art du go, dont j’extrais ceci : « Et alors ? Pourquoi mêler Sarkozy à ces grands souvenirs personnels ? Parce qu’il me fait penser à un désastreux joueur de go. C’est un tacticien habile, mais un lamentable stratège. Il est l’homme de l’instant, il est celui qui croit avoir niqué – un mot fétiche chez lui – le monde parce qu’il a placé quelques pions dans les coins qui retiennent son attention. Mais il est totalement incapable de concevoir, d’entrevoir, de situer les enjeux ailleurs qu’autour de sa personne. Il va donc perdre la partie, mais comme c’est la nôtre, c’est fâcheux. Notez que ceux qu’on dit d’en face sont aussi mauvais. Tous. Un bon joueur de go aurait déjà, par un magari audacieux suivi d’un wariuchi, réduit à néant les moyos que Sarkozy croit en sa possession. Après avoir occupé deux ou trois o-ba,  il aurait lancé un retentissant atari. Atari, qui veut dire échec ».

Nulle peine d’insister, je pense. Quant à l’autre chose, elle s’adresse à la totalité de la gauche, NPA et Verts compris, bien entendu. À ces soi-disant adversaires décidés de la politique menée par la droite au pouvoir. Je les plains. Je nous plains du fond de l’âme. Car de deux choses l’une. Deux, et pas trois. Ou la pulvérisation de la taxe carbone est un signe épouvantable, et en ce cas, il faut se lever en masse. Tout de suite. Pas demain. Pas après-demain, après les magouilles d’après-élection entre Aubry, Royal, Frêche et consorts. Pas après-demain, quand les Placé, Duflot, Jadot, Cohn-Bendit et tous autres auront enfin réparti les seconds rôles. Pas après-demain, quand Mélenchon saura s’il a réussi à imposer sa candidature aux présidentielles aux débris de l’ancienne armada stalinienne. Pas après-après-demain, quand Besancenot aura réussi à obtenir 1500 euros de SMIC pour tous. Non. Aujourd’hui.

Ou bien tous ces pseudos, tous ces joueurs de mirlitons et amateurs de fredaines n’ont rien à foutre de la crise écologique. C’est d’autant plus probable qu’ils ne savent d’ailleurs pas ce que c’est. Ce qui se passe sous nos yeux fatigués, somnolents, indifférents le plus souvent est la preuve expérimentale que la crise écologique ne fait pas partie du programme. De leur programme. Or elle est désormais tout le cadre. Celui dans lequel les autres fragments du réel s’inscrivent. Pour une fois, et à ma grande surprise, je dois confesser mon accord avec quelques paroles prononcées ce 24 mars 2010 par Michel Rocard, que j’ai secoué comme un vieux prunier une bonne dizaine de fois. Il a déclaré, et je cite de mémoire, que dans dix ans, ceux qui n’agissent pas pour limiter les effets du dérèglement climatique seront tenus pour des criminels contre l’humanité.

Mais je me reprends déjà. C’est aujourd’hui qu’ils sont criminels, et tous. Et tous ceux pour qui ont voté ceux qui ont voté. Criminels assurément, mais pas seulement contre l’humanité. Criminels contre la vie, contre ce qui bouge et vit encore sur terre. Assassins tranquilles des animaux et des plantes de la Terre. Tous. Qu’ils aillent se faire foutre.

PS : Je préviens ceux qui auraient envie d’écrire en commentaire quoi que ce soit en faveur des “climatosceptiques” que je ne laisserai pas passer. Leurs textes iront à la poubelle. Droit à la poubelle, que cela plaise ou non. Pour moi, une frontière est en train de naître, qui sépare et séparera toujours plus ceux qui considèrent le drame absolu qui se noue, et tous les autres. J’ai d’ores et déjà choisi ma place.

D’une façon bien plus générale, j’ose un rapprochement qui irritera plus d’un. Juste un rapprochement, car je sais bien que la situation en cours ne se peut comparer : elle est sans précédent. Un rapprochement, J’INSISTE LOURDEMENT. Je pense, j’espère de toutes mes petites forces réunies que j’aurais eu une attitude digne dans d’autres temps historiques. Je n’en suis hélas pas sûr, et ne le serai jamais, mais j’espère néanmoins, ce qui reste permis. J’espère donc que, face au danger fasciste, dans les années trente du siècle passé, je n’aurais pas hésité à empoigner un fusil et à tirer sur ces ordures. J’espère de même que, face à la flicaille stalinienne, j’aurais eu le bon réflexe de ceux qui, dans les rues de Barcelone, en mai 1937, défendirent la liberté au risque de leur peau. Ils périrent presque tous, il est vrai, mais au moins dans l’honneur et la conscience d’avoir été des hommes.

Le presque rien et le n’importe quoi (sur la taxe carbone)

Non, cela ne se fait pas de rappeler que j’ai depuis le début, arguments à l’appui, écrit ici que le Grenelle de l’Environnement était une grossière manœuvre politicienne. L’opinion moyenne a horreur, fût-elle écologiste, de se voir rappeler à quel point elle s’est laissée enfumer. On ne félicite jamais celui qui a vu un peu plus clair, car cela remuerait trop de mauvais souvenirs. Il vaut donc mieux le tirer à vue, et comme je tiens à ma personne, j’arrête tout net.

Le fait est que monsieur Sarkozy a envoyé se faire voir ceux qui croyaient à ses vaines promesses sur la réduction de l’usage des pesticides (ici). Personne ne rappellera que les associations de l’écologie officielle publiaient, en octobre 2007, des communiqués grotesques signalant une « victoire historique » de l’écologie, consécutive à la mise en scène imaginée par le duo Sarkozy-Borloo. Personne ne le fera, car nul n’y a intérêt. Et l’oubli effacera les traces, déjà presque invisibles.

La suite n’est pas mal, puisque monsieur Fillon vient d’enterrer la ridicule taxe carbone, symbole du misérable édifice construit à l’automne 2007 (ici). Je rappelle tout de même que Nicolas Hulot faisait de cette fameuse taxe la condition même d’un éventuel succès du Grenelle. Maintenant qu’elle a été jetée à la benne, en bonne logique, il devrait parler, non ? Attendons. Mais d’ores et déjà, cette triste pantomime ne fait que confirmer les deux textes précédents de Planète sans visa. À suivre l’écologie officielle, et nombre de lecteurs, il faudrait prendre son mal en patience. Recommencer avec les mêmes méthodes ce qui a si lamentablement échoué. Comme si nous avions des siècles pour le faire. Comme s’il ne s’agissait pas d’inventer du neuf pour la raison que le vieux meurt sous nos yeux. Comme si.

Le je ne sais quoi et le presque rien*

Je ne serai pas long. Si j’écris ces quelques mots, c’est parce que certains commentaires m’y poussent. Il semble que le mot rien, qui résume ma pensée à propos du second tour des élections régionales, en ait gêné plus d’un. Ce n’était pas mon but. Non, ce n’était pas une gaminerie, même si je demeure capable de facétie.

Plus sûrement, il s’agissait de répéter ce qui devient ici un radotage. Il faut rompre, amies et amis. Mais réellement, et arrêter de seulement annoncer qu’on va le faire. Rompre signifie sortir du cadre de la pensée qui nous a conduits  là où nous sommes. Je ne plaisante pas lorsque je prétends que le sort du tigre est d’une importance sans commune mesure avec celle de nos sornettes électorales. Or, pour une personne qui s’intéresse à Panthera tigris, on en trouve 1000 qui décortiquent les scores de Machin et de Trucmuche au fin fond de l’Allier ou de l’Ariège ou du Finistère.

Moi, je m’en contrefous totalement. C’est-à-dire totalement. On me parle de l’Appel de Cohn-Bendit ? Laissez-moi rire ! À nouveau, comme en 14, on remet pour la millième fois le même ouvrage sur le métier. Et quel métier, mon Dieu ! Celui de bonimenteur de foire, celui d’animateur de plage les jours où menace la pluie. Je vous en prie : regardez pour une fois la réalité en face. Ce n’est pas moi, le schizophrène, c’est vous ! Les craquements se font entendre d’un bout à l’autre de cette terre exténuée, et l’on continue à regarder les choses depuis les frontières de la France, à l’ancienne.

Mais oui ! Relisez ce que vous avez déjà lu tant de fois. De quoi parle-t-on ? De 2012, d’un nouveau parti vert. De la crédibilité qu’auraient acquise les écologistes dans les affaires économiques et sociales, qui sera si utile à leur candidat(e) aux prochaines présidentielles, etc. En bref, on relance un cycle de deux ans, qui sera suivi d’autres niaiseries du même tonneau, ad nauseam. Eh bien, allez ! Suivez ! Votez ! Applaudissez ! Engagez-vous, rengagez-vous ! Mais ne venez pas me dire à moi que vous vous occupez des affaires du monde et de la vie. Ne me dites pas que les affamés chroniques, les peuples autochtones et forestiers, les paysans du Sud, les requins, les éléphants, les tigres sont votre priorité. Ne me le dites pas, car je ne le CROIRAI PAS.

Je ne prétends pas, et je ne prétendrai jamais que j’ai raison. Tout simplement parce que je doute. Mais je suis au moins certain que vous avez tort. Rompre, c’est rompre.

*Le je ne sais quoi et le presque rien : on aura reconnu l’expression de Vladimir Jankélévitch