Archives mensuelles : octobre 2013

Une botte de poireaux, trois kilos d’oiseaux (la nature monétarisée)

Cet article a été publié dans Charlie Hebdo le 9 octobre 2013

La nature a-t-elle un prix ? Peut-elle être vendue sur les marchés ? Oui, jure le Conseil économique, social et environnemental, où siègent des « écologistes » bien propres sur eux.

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Belles moquettes, beaux salons, superbes breloques. Le Conseil économique, social et environnemental (CESE), dont tout le monde se fout, entretient 233 conseillers : des patrons, des syndicalistes, des pedzouilles, et depuis Sarkozy des écolos dûment estampillés, qui savent rester gentiment à leur place. Compter 3800 euros par mois d’indemnités, et jusqu’à 7500 euros pour le président. Le tout siégeant quatre après-midi par mois au charmant palais d’Iéna, à Paris.

Le CESE, purement consultatif, donne des avis au Sénat, à l’Assemblée, au gouvernement, et pond d’ébouriffants rapports. Par exemple, et parmi les tout derniers : « La coopération franco-allemande au cœur du projet européen », « Pour un renforcement de la coopération des Outre-mer », « Quels moyens et quelle gouvernance pour une gestion durable des océans ? ». On ne rit pas, c’est sérieux.

On s’arrêterait volontiers là si une vilaine opération n’était en cours, façon ballon d’essai. Pour bien comprendre la suite, un mot sur les « mesures compensatoires » en cas de destruction d’un milieu naturel. Un aménageur ne peut aujourd’hui tout bousiller que s’il dispose d’un plan  destiné à compenser ailleurs. En remplaçant par exemple un bout de marais ou de forêt, plus ou moins comparables au plan biologique.

C’est con, mais en plus, ça coince. Les mesures proposées en remplacement des 2 000 hectares où Ayrault veut foutre l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes sont contestées de toute part. Par les naturalistes de terrain, mais aussi par plusieurs commissions officielles. Or le même Ayrault, s’appuyant sur le rapport Boulard-Lambert (Charlie du 24 avril 2013), ne rêve que d’une chose : contourner les rares lois de protection de la nature, et combattre « l’intégrisme normatif dans le domaine de l’environnement ». La croissance, à tout prix.

Chaussons ces lunettes et lisons le dernier Avis du CESE sur la biodiversité (http://www.lecese.fr). Au détour d’une phrase, on s’attaque sans préavis à près de quarante ans de lois censées protéger la nature. Citation : « Dans le cas où les espaces consommés ne peuvent pas être compensés en surfaces », eh bien, il faudra bien trouver autre chose. C’est le bon sens qui parle. Et le CESE d’ajouter : « Il doit être envisagé, dans les cas où la compensation écologique en surface de terrains est contre-productive, voire impossible, que celle-ci soit monétarisée ».

Cela n’a l’air de rien, mais c’est une révolution. En clair, l’adoption du langage de l’économie et de la finance : tu détruis, mais tu paies. Derrière les mots, des dizaines, des centaines de banques et d’agences, dans le monde entier, se voient en « instruments financiers innovants », veillant aux « paiements pour services écosystémiques ». Commentaire de Maxime Combes, d’Attac (http://bastamag.net), à propos d’une tendance mondiale au « capitalisme vert » : « Niant la complexité, l’unicité et l’incommensurabilité des écosystèmes, cette approche transforme les écosystèmes et les services qu’ils rendent en actifs financiers comparables, quantifiables et échangeables sur des marchés ».

Bien entendu, on n’en est pas là en France, et l’Avis du CESE pourrait n’être qu’un feu de paille. Mais il provoque des secousses dans le milieu associatif. À commencer par les Amis de la Terre, dont la présidente actuelle, Martine Laplante, membre du CESE, a voté sans état d’âme le texte. Plusieurs adhérents, parmi les plus anciens, ne rêvent que de la lourder au plus vite, rappelant l’une des dernières grandes campagnes internationales des Amis de la Terre : « La nature n’est pas à vendre ».

De leur côté, les dirigeants de France Nature Environnement (FNE) – 3 000 associations revendiquées – membres du CESE ont voté l’Avis en bloc. Commentaire d’un responsable, opposant de longue date à la ligne majoritaire : « Sans débat interne, sans égard pour les luttes en cours, voilà nos cadors du CESE qui se lancent dans la financiarisation de la nature ». Sans débat, c’est vite dit, car ils en ont forcément parlé entre eux.

Badinter, Chevènement, Juppé et Rocard au service du scientisme

Le texte qui suit est tiré du quotidien Libération de ce matin, le 15 octobre 2013. C’est une perle, et c’est pourquoi je le publie de nouveau sur Planète sans visa. De quoi parle-t-il ? De la peur. De la peur et du désarroi que ressentent une poignée de vieux scientistes – Badinter, 85 ans; Chevènement, 74 ans; Juppé, 68 ans; Rocard, 83 ans – face à une réalité fantasmatique. Ne nous attardons pas sur le grotesque, si évident. Parlant de science, ces gens n’expriment que des émotions et des impressions. La critique de la science serait inquiétante, et les scientifiques seraient attaqués de plus en plus souvent. Où sont les faits ? Nulle part.

 Non, passons sur ce qui n’est que détail. En revanche, et sur le fond, il faut s’attarder. Car ces grands idiots ne voient pas même cette évidence que la science n’a jamais connu pareille « liberté ». Les pouvoirs politiques, à mesure que se renforce l’industrialisation du monde, lâchent toujours plus la bride aux chercheurs, pensant avec une naïveté grandissante qu’ils finiront bien par trouver des solutions aux problèmes qu’ils ont eux-mêmes créés.

Depuis la Seconde Guerre mondiale, notons que les chercheurs et applicateurs techniques nous ont apporté sans que nous n’ayons rien demandé l’atome et la possibilité d’en finir avec l’espèce ; l’industrie chimique de la synthèse et les pesticides, accompagnés d’un empoisonnement désormais planétaire ; les nanotechnologies ; les abatteuses d’arbres, capables de couper, ébrancher et billonner un tronc en moins d’une minute ; des filets dérivants en nylon de 100 kilomètres de long, etc. Et quand j’écris etc., je veux réellement dire et cætera, sûr que vous complèterez jusqu’à demain matin cette liste sans fin.

Non, vraiment, ce sont des idiots. Et il m’est plaisant de compter parmi eux Robert Badinter, désastreuse icône de la gauche bien-élevée, au motif qu’il aura incarné l’abolition de la peine de mort chez nous en 1981, mesure décidée au Venezuela dès 1863, 120 ans plus tôt. La mémoire est une folle dame. Qui sait ou se souvient que Robert Badinter passa une bonne part de sa vie professionnelle à défendre des patrons ? Et notamment dans la sinistre affaire du talc Morhange (ici) ? Quant aux autres, faut-il insister ? Chevènement, grand homme miniature qui voulait rompre avec le capitalisme en 100 jours, entre mai et juillet 1981, et qui termine aujourd’hui sénateur. Juppé, qui a rêvé toute sa vie d’être président, et qui n’aura fait que Premier ministre droit dans ses bottes. Rocard, 100 fois humilié et ridiculisé par Mitterrand, incapable de construire autre chose que des châteaux de cartes. Bah !

 La bande des Quatre nous raconte une histoire totalement imaginaire à laquelle elle croit sans nul doute. Le débat sur la science et la technique est truqué et rendu inutile par les chefferies administratives qui l’organisent. Mais cela ne suffit pas à nos maîtres. Ils voudraient que cessent la mise en cause et la critique. Ils voudraient pouvoir continuer sans limite aucune, jusqu’à la fin des fins, qui semble s’approcher de plus en plus. Ils ne voient pas même qu’ils réclament la dictature, l’effacement du dissensus par l’intervention de l’État. Vu d’ici, cela fait furieusement penser à un paratotalitarisme.

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La tribune de Libération

La France a, plus que jamais, besoin de scientifiques et techniciens

Nous assistons à une évolution  inquiétante des relations entre la société française et les  sciences et  techniques. Des minorités constituées autour d’un rejet de celles-ci tentent d’imposer peu à peu leur loi et  d’interdire progressivement tout débat sérieux et toute expression publique des scientifiques qui ne partagent pas leurs opinions. L’impossibilité de tenir un débat public libre sur le site de stockage des déchets de la CIGEO (Le site souterrain de stockage des déchets hautement radioactifs proposé par l’ANDRA) est l’exemple le plus récent de cette atmosphère et de ces pratiques d’intimidation, qui spéculent sur la faiblesse des pouvoirs publics et des élus.

De plus en plus de scientifiques sont pris à partie personnellement s’ils osent aborder publiquement et de façon non idéologique, des questions portant sur les OGM, les ondes électromagnétiques, les nanotechnologies, le nucléaire, le gaz de schistes….Il devient difficile de recruter des étudiants dans les disciplines  concernées (physique, biologie, chimie, géologie). Les organismes de recherche ont ainsi été conduits à donner une forte priorité aux études portant sur les risques, même ténus, de telle ou telle technique, mettant ainsi à mal leur potentiel de compréhension et d’innovation. Or  c’est bien la science et la technologie qui, à travers la mise au point de nouveaux procédés et dispositifs, sontde nature à améliorer les conditions de vie des hommes et de protéger l’environnement.

La France est dans une situation difficile du fait de sa perte de compétitivité au niveau européen comme mondial. Comment  imaginer que nous puissions remonter la pente sans innover? Comment innover si la liberté de créer est constamment remise en cause et si la méfiance envers les chercheurs et les inventeurs est  généralisée, alors que l’on pourrait, au contraire, s’attendre à voir encourager nos champions ? Il ne s’agit pas de donner le pouvoir aux scientifiques mais de donner aux pouvoirs publics et à nos concitoyens les éléments nécessaires à la prise de décision.

Nous appelons donc solennellement les médias et les femmes et hommes politiques à exiger  que les débats publics vraiment ouverts et contradictoires puissent avoir lieu sans être entravés par des minorités bruyantes et, parfois provocantes, voire violentes. Il est indispensable que les scientifiques et ingénieurs puissent s’exprimer et être écoutés  dans leur rôle d’expertise. L’existence même de la démocratie est menacée si elle n’est plus capable d’entendre des expertises, même  contraires à la pensée dominante.

 Robert Badinter, ancien Ministre, ancien Président du Conseil Constitutionnel

Jean Pierre Chevènement, ancien Ministre de la Recherche et de la Technologie, ancien Ministre de la Recherche et de  l’Industrie, ancien Ministre de l’Education Nationale

Alain Juppé, ancien Premier Ministre

Michel Rocard, ancien Premier Ministre

Pierre Moscovici, aveugle au pays de la cécité

J’ai déjà eu l’occasion de le dire ici ou là : la règle sociale est qu’on voit le présent avec les yeux du passé. Ce qui n’aide pas, c’est le moins que l’on puisse dire. Ainsi les stratèges militaires français des années Trente imaginaient-ils une guerre éventuelle comme si elle devait être la reproduction de celle de 1914. En vertu de quoi, nos culottes de peau, au premier rang desquelles le généralissime Maurice Gamelin, imaginèrent la ligne Maginot. Un gigantesque entrelacs de parfaites fortifications, courant des Alpes jusqu’aux Ardennes. Tudieu ! ils ne passeraient pas. Notons tout de suite que Gamelin avait la réputation d’être un intellectuel des armées. Un homme subtil, intelligent. Que devaient être les autres.

Donc, la défensive, sur le modèle de l’affrontement statique, façon tranchées new-look. N’étions-nous pas les plus forts ? L’armée française n’était-elle pas la meilleure. Sur le papier, les troupes franco-anglaises disposaient à l’été 1939 de plus de 4 000 chars, contre moins de 2500 pour la Wehrmacht. Et de davantage d’avions que la Luftwaffe. Les Teutons, les Boches allaient voir ce qu’on allait voir. On a vu. Les blindés de Guderian ne respectent pas les prévisions, et traversent (presque) sans encombre les Ardennes, que Gamelin et ses petits copains jugeaient à peu près infranchissable. Mai 40,  juin 40, occupation de Paris pour quatre années.

D’autres exemples disent à peu près la même chose. En mai 1958, la gauche historique, pensant revivre les heures chaudes de la lutte antifasciste, crie à la dictature franquiste quand De Gaulle revient au pouvoir. Les anciens FTP graissent une fois encore leur mitraillette Sten, parachutée par les Anglais en 1943 et 1944. En mai 1968, au lieu que de considérer l’état réel d’une société qui se vautre déjà dans la consommation de biens matériels, la jeunesse révoltée sort les vieux posters de Lénine, Trotski et Mao. Dites-moi, qui se souvient aujourd’hui de la furie maolâtre qui s’était emparée de tant de petits marquis intellectuels toujours en place, comme Philippe Sollers, Serge July, André Glucksmann et d’autres ?

Toutes ces inepties ont bien trompé leur monde, et empêché que de nouvelles pensées ne surgissent. Peut-être était-ce inévitable, car le mouvement des idées, lent et déconcertant, réserve plus d’une mauvaise surprise à ceux qui croient possible son accélération. Je vois ces temps-ci le dérisoire effort de Jean-Luc Mélenchon pour faire accroire que les vieilles lunes du communisme sont toujours d’actualité. Je demande pardon d’avance aux zélotes, mais le tour de force est d’autant plus spectaculaire que Mélenchon rend un culte apparemment sincère à François Mitterrand, anticommuniste fervent qui n’a eu de cesse de faire reculer l’influence du parti communiste. Avec d’ailleurs un grand succès.

Et j’en arrive enfin au vrai sujet de ce billet : Pierre Moscovici. Notez que j’aurais pu choisir n’importe quel membre du gouvernement, Mme Duflot et M. Canfin compris. J’ai lu hier un entretien que notre ministre de l’Économie a donné au Journal du Dimanche, dans lequel il déclare : « L’économie française va mieux, incontestablement. Tous les indicateurs sont bien orientés. Les anticipations de production industrielle, notamment, sont à la hausse. Sur les trois derniers trimestres, la croissance progresse à un rythme annuel de 1 % ».

Bien sûr, c’est ridicule, et pour plusieurs raisons. La plus évidente, dans le système de pensée qui est celui de Moscovici, c’est que, dans le meilleur des cas, ce 1 % de croissance ne mènera nulle part. Le chômage, souci majeur, ne saurait dans ces conditions régresser. Autrement dit, sa perspective la plus optimiste est celle du maintien de la situation actuelle. Splendide. Mais un autre commentaire, plus lourd de sens encore, s’impose. Moscovici, qui n’a pas la moindre idée, se réfugie dans une rêverie qui consiste à espérer le retour d’une croissance forte, comme elle fut au cours des Trente Glorieuses. Si même c’était possible, cela ne conduirait, et cela, personne ne saurait le nier sérieusement, à des attaques toujours aggravées contre des écosystèmes déjà épuisés. Et donc, in fine, à la détérioration des conditions de vie des humains. Si Moscovici en est là, c’est parce que, comme Gamelin jadis, il pense l’avenir dans le cadre d’une pensée passée, et même dépassée. Ce qui a été et a si bien marché – à ses yeux – doit être répété de manière à sortir la société française de ses crises successives.

Moscovici, je le répète, est représentatif. À un détail près : son père Serge Moscovici a été l’une des figures de l’écologie politique au temps de Dumont, dans les années 70. On peut supposer que son fils, Pierre, a été le témoin de cette effervescence, mais il n’en reste rigoureusement rien. Ce qui n’est pas rassurant. Pour le reste, oui, Moscovici vaut les autres, et les autres Moscovici. Aucun d’entre eux ne parvient à considérer ce qu’il y a de radicalement neuf dans les temps que nous connaissons. Aucun n’est capable d’imaginer une vie qui ne serait pas dominée par les objets, le gaspillage, la prolifération de l’inutile.

Aussi bien, permettez-moi de radoter: la vieille politique me laisse totalement froid. Je ne vote pas. Ni pour ceux-ci, ni pour ceux-là. Dans le fond des choses, qui est tout de même décisif, ils se valent. Bon, j’ai fait et je ferai toujours exception quand le bulletin de vote peut aider à combattre une régression ponctuelle. Mais pour le reste, pouah.

Victoire au bois de Tronçay !

Je vous remets ci-dessous un papier de Planète sans visa. Et si je le fais, c’est la joie au cœur. Les bonnes nouvelles sont rares, mais elles existent. Par une décision du 9 octobre, le Conseil d’Etat a confirmé l’annulation du projet de méga-scierie dans le bois de Tronçay (Nièvre), prononcée par le tribunal administratif de Dijon le 27 février 2013. Que les valeureux qui se sont opposés, sur le terrain, aux bulldozers, savent qu’ils sont à mes yeux, des héros. Les héros modestes d’un combat planétaire. Sans réserve aucune, champagne !

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Massacre au bois de Tronçay (un autre Notre-Dame-des-Landes)

Une putain d’affaire. Vraiment, on ne voit pas un pareil désastre tous les matins. Je résume, et prie les acteurs locaux d’excuser d’éventuelles erreurs. Comme souvent, les choses sont un peu compliquées. Je commence par le lieu, qui est une forêt de 110 hectares bordée par l’Yonne d’un côté, la rivière Sardy et le canal du Nivernais de l’autre. Nous sommes tout près du du parc naturel régional du Morvan, dans l’arrondissement de Clamecy et le département de la Nièvre. Un château fort connu des historiens, celui de Marcilly, domine les environs.

Pascal Jacob, président du Medef

Le coin est paumé, c’est-à-dire en réalité préservé comme bien peu. Les élus locaux, aussi malins qu’ailleurs, décident voici une poignée d’années de « créer de l’emploi » et achètent à prix d’or, dans des conditions d’ailleurs discutées, le bois de Tronçay, avant de le refiler à une scierie industrielle belge, Fruytier. Laquelle, après mûre réflexion, décide d’aller installer ailleurs en Bourgogne ses activités. Tête des élus, qui ont emprunté et se retrouvent lourdement endettés. Heureusement pour eux arrive Pascal Jacob, président du Medef en Bourgogne. Comme le gars a fait une école du Bois, il a de grandes idées sur le sujet, et depuis une bonne dizaine d’années, il est lobbyiste en chef de l’industrie du sciage. Il a fait le siège de tous les politiques possibles pour leur vendre son idée fixe, qui est de « réindustrialiser les campagnes » par l’installation de scieries. Bon, après le lâchage des Belges de Fruytier, les élus locaux tombent dans les bras de Jacob, dont on lira pour se marrer le blog, chef-d’œuvre on ne peut plus involontaire (ici).

Jacob se lance dans un nouveau projet, toutes voiles dehors (ici, la localisation sur Google Map). À la tête de l’entreprise Erscia, lancée tout spécialement, il entend créer ex nihilo un géant du bois : 300 000, puis 500 000 m3 de grumes sciés sur place chaque année. Sont également prévues une centrale électrothermique et une unité de pelletisation, c’est-à-dire de fabrication de granulés de bois. À quoi on ajoutera pour faire bon poids de la cogénération, cette tarte à la crème désormais dans tous les projets dégueulasses, et de la production d’électricité, ainsi que 120 emplois créés, et 148 millions d’euros d’investissement, etc. Notons ensemble qu’il ne s’agit là que de promesses, qui n’engagent jamais que ceux qui les croient. Mais passons, non sans avoir ajouté que Pascal Jacob est un as de la novlangue qui présente son beau projet comme « exemplaire en matière d’énergie verte »,  qui se substituera pour sûr « aux énergies fossiles et à l’énergie nucléaire ».

Au pays des pique-prunes

Or donc, un fier capitaine d’industrie veut s’emparer, pour le bien de la planète, d’un bois de 110 hectares. En août 2011, les pelleteuses et les bulls sont là. Suis-je bête ! J’avais oublié de préciser que le projet incluait la dévastation du lieu, par défrichement quasi-total. Jacob ayant oublié un détail – une telle destruction est tout de même soumise à autorisation -, les travaux sont stoppés. Je résume encore, bien obligé. Une enquête publique a lieu, et un premier avis du consultatif Conseil national de protection de la nature (CNPN) est donné. Il est défavorable pour la raison évidente que le bois de Tronçay est une merveille de biodiversité. On y trouve, au milieu de quantité d’autres beautés, des insectes très protégés, comme le Grand capricorne, la lucane cerf-volant, et ce pique-prune qui, jadis, stoppa à lui seul une autoroute (ici). En bref, les promoteurs de cette scierie sont des barbares, espèce qui semble ne jamais devoir être menacée.

Je survole à nouveau. La population locale se mobilise grandement (ici), le CNPN donne au total trois avis défavorables – ce doit être un record -, mais le projet avance à tous petits pas, sans réellement s’arrêter. C’est qu’il est soutenu d’une manière épouvantable par la préfète de la Nièvre, Michèle Kirry, qui doit tout à la gauche gouvernementale, et singulièrement au ministre de la police, Manuel Valls. Ancienne élève de l’Ena, elle a occupé diverses fonctions dans plusieurs ministères avant d’être nommée préfète en novembre 2012. Sitôt arrivée, elle marque le territoire, et de quelle manière ! Le 4 février 2013, madame Kirry pond un arrêté scélérat, qui malgré diverses décisions judiciaires et administratives, ouvre la voie au grand massacre. Une grosse heure après, les les machines sont là, et les arbres tombent.

Christian Paul et Arnaud Montebourg

Question de simple bon sens : pour quelle raison une préfète si récemment arrivée prend-elle une décision aussi grave ? Outre le fait que les élites, en totalité, se contrefoutent de la nature, il faut y ajouter le poids de Christian Paul. Comme on n’a pas le droit d’insulter un noble élu de la République, je m’en garderai bien. Paul est socialo, ancien élève de l’Ena bien sûr, insignifiant secrétaire d’État sous Jospin, entre 2000 et 2002, et il a occupé diverses fonctions locales, parmi lesquelles maire de Lormes, conseiller général, conseiller régional. Il est en ce moment député de la Nièvre. Et bien sûr, il défend de toutes ses forces d’apparatchik le projet de destruction du bois de Tronçay. Quand on n’a pas la moindre idée de l’avenir, pourquoi ne pas faire semblant ? Il a, au reste, rencontré hier notre si formidable ministre du Redressement productif, Arnaud Montebourg, qui l’a assuré de son indéfectible soutien au projet Erscia. On comprend mieux l’engagement si intense de madame la préfète de la Nièvre.

Mais où en sommes-nous ce 7 février à 22 heures ? Sur place, de valeureux combattants, que je salue ici, occupent comme ils peuvent le bois. Sans pour l’instant parvenir à empêcher le passage des engins. Cela donne à peu près cela :

Seulement, la messe est loin d’être dite, et les défenseurs de la forêt appellent maintenant à la création sur place d’une Zone à défendre (ZAD), sur le modèle de Notre-Dame-des-Landes. Ils attendent de tous ceux qui peuvent un soutien, un coup de main, une visite, plus si c’est possible. J’en profite pour passer le message aux zadistes de Notre-Dame-des-Landes, et leur suggère d’envoyer sur place, au plus vite, une délégation. Ceux de Sardy ont un besoin immédiat de tam-tam, et de mobilisation. Je précise enfin que je n’aurai pas écrit ce texte sans la sollicitation de trois sources différentes :

1/ Mon ami Thierry Grosjean, de l’association Capen 71. Un mail : thierry.grosjean5@wanadoo.fr. Thierry est un véritable combattant de l’écologie.

2/ Une chère lectrice de ce blog, Sylvie Cardona, responsable de l’association Aves, http://www.aves.asso.fr/

3/ Enfin Anne Lhostis, de l’association Adret Morvan.

Un tout dernier mot. De nombreuses associations sont sur le pont, et elles m’excuseront de ne pas les citer toutes. Je me contenterai de donner ici le contact d’Adret Morvan. D’abord un site internet  : http://adretmorvan.org/. Ensuite une adresse électronique : contact@adretmorvant.org. Je (ne) suis (pas) payé pour le savoir, on ne peut se multiplier. Mais le combat pour le bois de Tronçais est un grand combat. Tous ceux qui iront là-bas pourront légitimement être fiers d’eux.

Piaget et Rabhi à la même tribune

Je me rends compte que j’ai oublié de vous signaler un rendez-vous qui s’annonce de belle qualité. Cela se passe demain jeudi, à Paris. J’aurais adoré m’y rendre, mais j’ai un empêchement, et je le regrette bien. En tout cas, cette initiative de Reporterre et de Hervé Kempf promet !

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À découvrir

Pierre Rabhi et Charles Piaget à Paris, c’est demain jeudi !

Reporterre

mercredi 9 octobre 2013

Jeudi 10 octobre à Paris, la première Rencontre de Reporterre : Charles Piaget, de Lip, et Pierre Rabhi discutent de l’alliance entre l’écologie et le monde du travail.


Depuis toujours, on prétend que l’écologie serait une affaire de « bobos » déconnectés de la réalité quotidienne, alors que les « travailleurs » auraient d’autres soucis que de se préoccuper des « petits oiseaux ». Eh bien non ! De plus en plus, il devient clair que le même système qui broie les gens et crée le chômage détruit l’environnement et aggrave la crise écologique.

Le changement qui doit advenir se fera par l’alliance de l’écologie et de la question sociale. Et pour l’amorcer, Reporterre invite deux figures emblématiques et sages à en discuter : Pierre Rabhi,ancien ouvrier qui a choisi de devenir paysan, et Charles Piaget, le porte-parole des travailleurs de Lip, quand ceux-ci mettaient l’autogestion en actes.

Des invités surprises, et jeunes, qui mettent en oeuvre au quotidien un travail ancré dans l’écologie, viendront témoigner.

Jeudi 10 octobre, à La Bellevilloise, 21 rue Boyer (Paris XXe), à 20h30, ouverture des portes à 20 h, libre participation aux frais.