Archives mensuelles : avril 2014

Avec tant de retard (sur le Loup et les plantes)

La procrastination est un mal commun. Le mot désigne cette faculté largement – mais inégalement – répartie de remettre au lendemain la tâche qui nous attend sur l’immense étagère que vous savez. Je suis donc en retard d’au moins une quinzaine de livres, mais je vais commencer par deux revues qui méritent un coup de chapeau.

D’abord un spécial Loup du Courrier de la Nature, la revue de la Société nationale de protection de la nature (SNPN). En 76 pages, d’excellents naturalistes passent en revue quelques-unes des grandes questions posées par le retour de Canis lupus, notre cher Grand Méchant Loup, chez nous. Je signale d’emblée l’article signé François Moutou, longtemps épidémiologiste à l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Anses), que je connais assez pour le saluer au passage. Moutou nous livre un aperçu très riche des origines du Loup, de son écologie, de son comportement, de ses capacités de reproduction. Comme il est agréable de lire un homme savant qui sait écrire pour tous ! J’ai appris différentes choses, mais la plus considérable est qu’il existe des loups en Afrique, passés totalement inaperçus des observateurs, qui les confondaient avec les chacals dorés ! Combien ? Moutou parle de 80 000 femelles, ce qui est gigantesque. Pour mémoire, il y aurait environ 35 000 loups dans tout le Canada, et autour de 10 000 en Alaska.

Les autres articles sont de belle qualité. Le Suisse Jean-Marc Landry nous offre une histoire du Loup en France, s’appuyant à la fois sur les travaux de François de Beaufort et sur ceux de l’historien Jean-Marc Moriceau, malmené par de nombreux naturalistes pour avoir rapporté plusieurs milliers d’attaques de loups sur l’Homme dans notre pays. Anne Lombardi raconte l’aventure, la grande aventure du Réseau Loup-Lynx qui permet à des centaines de correspondants de suivre chaque année, sur le terrain, la trace de ces magnifiques animaux.

Vincent Vignon, pour sa part, décrit le rôle considérable du Loup dans la défense et illustration de la biodiversité, sujet central de tant de polémiques. On le sait, les ennemis du Loup prétendent que les ovins, en montagne, sont les meilleurs agents de la biodiversité, et que les loups en seraient les adversaires, voire les ennemis. Lire Vignon permet de comprendre simplement la complexité des liens écosystémiques. Quand il note : « Le loup est en position de contrôle du système herbivore », on a envie d’applaudir, car cette phrase est le point d’orgue d’un vaste développement sur ce qui unit prédateurs, ongulés, végétation. Oui, croyez-moi, c’est intéressant.

L’autre revue, que certains de vous connaissent certainement, s’appelle La Garance voyageuse. Je reçois ce cadeau des cieux chaque trimestre, et le dernier numéro, le 104, a pour thème « Plantes et villes ». Je crois sincèrement que tout est à lire, mais comme il me faut choisir, je vous signale un papier d’Alain Baraton, le jardinier du parc du château de Versailles, que j’ai eu la chance d’interroger sur place il y a quelques années. Baraton raconte ce qu’il pense de l’arbre dans les villes, où il subit tant de malheurs quotidiens. J’ai également aimé une déambulation urbaine de Patrick Derennes et un zoom de Boris Presseq sur les si curieuses stratégies de dispersion des plantes soumises aux règles de la ville. Admirez avec moi la graine d’Erodium ciconium, dont la forme hallucinée de tire-bouchon fonctionne un peu comme une vrille, qui lui permet de s’enfouir au profond des friches. Et encore ce texte de Jean-Michel Lecron sur les intenses amours entre les murs et les plantes. Et encore, et encore, et encore.

Cela fait des années que je souhaite parler de cette revue hautement improbable, dont le siège se trouve dans un village cévenol de Lozère, Saint-Germain-de-Calberte. Je connais mal l’histoire du groupe de bénévoles qui publie La Garance, mais j’ai souvent pressenti qu’elle était, au-delà des fatigues et départs inévitables, une fort belle aventure. Les articles, accompagnés d’une véritable iconographie, sont précis, instructifs, savants même, mais avant tout, ils transportent. N’importe où en France, n’importe où dans le monde, dans l’histoire, dans les livres, dans le destin de quantité de naturalistes et voyageurs des temps passés ou présents. Et je vous assure qu’un non-botaniste comme moi y est toujours le bienvenu. Bref. Formidable.

Brice Lalonde reprend du service pour l’industrie lourde

Cet article a été publié le 27 mars 2014 par Charlie Hebdo

Comique troupier un jour, comique troupier toujours. Brice Lalonde, l’ancien du PSU et des Amis de la Terre, devenu ultralibéral et pote d’Alain Madelin, lance une OPA sur le WWF, un an avant le Sommet du climat de Paris.

Brice Lalonde est de la race costaude des morts-vivants. Tu l’as à peine jeté de la fenêtre du troisième étage qu’il est déjà dans l’escalier de secours, à remonter quatre à quatre. Ainsi qu’on va voir, il s’est une nouvelle fois remis en selle. Cette fois aux côtés de son vieux compagnon Philippe Germa, propulsé à la tête du WWF en France. Mais qui est-il ? Pour les jeunes et les oublieux, une mise à niveau s’impose.

Jusqu’en 67, il est au PSU, sous l’aile d’un certain Rocard. En 68, il est soixante-huitard. En 69, il est aux Amis de la Terre. En 74, il est de la campagne du vieux Dumont à la présidentielle. En 81, il se présente lui-même à cette dernière. En 89, il accepte d’être secrétaire d’État – à l’Environnement – de son pote Michou Rocard. En 90-91, il monte avec Mitterrand et Jean-Louis Borloo sa petite entreprise, Génération Écologie, pour torpiller les Verts naissants. En 95, ruiné politiquement, il devient maire d’un patelin breton, Saint-Briac et proche de l’ultralibéral et sympathique Alain Madelin.

Ensuite, comme Madelin, les affaires. Il devient consultant dans des projets de « développement » en Afrique, et doit son premier come-back politique à Sarkozy soi-même, qui le nomme « ambassadeur chargé des négociations sur le changement climatique ». Un triomphe, qui mènera à la faillite du sommet de Copenhague, en décembre 2009, dont Lalonde n’est quand même pas le seul responsable.

Quand même pas. Il est ensuite chargé par l’ONU – et Sarko en coulisses – de préparer le deuxième Sommet de la Terre de Rio, en juin 2012. Peu de gens savent que ce raout est totalement infiltré par l’industrie transnationale, et que son inventeur, Maurice Strong, a dirigé les plus grosses boîtes canadiennes, comme PetroCanada ou Ontario Hydro, géant de l’hydro-électricité et du nucléaire.

Donc Lalonde. On croyait bêtement que le Sommet de Rio serait son chant du cygne, mais tout au contraire, ce n’était qu’un tremplin. Le voilà de retour pour une opération grand style qui concerne le WWF. La machine à sous décorée d’un panda, c’est ça. Le WWF a été créé par des riches chasseurs britanniques en 1961, et depuis cette date, n’a jamais cessé de fricoter avec les plus grosses boîtes de la planète. Du côté des premiers financiers, on peut citer Mobutu, le cher ange propriétaire du Congo (ex-Zaïre) entre 1965 et 1997, McNamara, le grand responsable des bombardements massifs sur le Vietnam ou encore, pour la rigolade, madame André Bettencourt. La vieille ? C’est cela même.

Le WWF-international a décidé il y a deux ans de faire le ménage dans sa section française, soupçonnée d’altermondialisme. L’ancien directeur, Serge Orru, est débarqué en septembre 2012, et comme par enchantement, Philippe Germa prend sa place en janvier 2013, avec le plein soutien de la navigatrice Isabelle Autissier, présidente du WWF, pleine de belles compétences patronales.

Le WWF nouvelle manière adore le capital sans frontières. Ainsi, Germa est banquier, venu d’une entreprise transnationale d’origine néerlandaise, ABN AMRO. Et son nouveau directeur des programmes, Christophe Roturier, a bossé en Afrique dans les « équitables » échanges de cacao entre la France et des pays comme la Côte d’Ivoire. Il a également été le salarié d’Arvalis-Institut du végétal, chantre de l’agriculture industrielle.

Lalonde dans tout cela ? Il vient d’entrer à pas feutrés dans le conseil d’administration du WWF-France, où l’attendait Germa, un ami de quarante ans, qui fut le trésorier de Génération Écologie. Reconstitution de ligue dissoute ? Ça y ressemble. Mais il y a plus : le 14 mars, sur Europe 1, Lalonde déclare sans état d’âme sa flamme au gaz de schiste et au nucléaire. Or le WWF-International et son homme au conseil d’administration du WWF-France, Jean-Paul Paddack, préparent avec ardeur le prochain sommet mondial sur le climat, qui se tient à Paris en 2015. Lalonde, selon des confidences recueillies par Charlie, deviendrait une pièce maîtresse de ce dispositif. Sous les applaudissements de Total, Exxon, BP, Shell et Areva. Compris ?

Au pays des déchets et des ordures

Cet article a été publié le 20 mars 2014 par Charlie hebdo

Un clan mafieux à la française contrôle l’enfouissement de déchets dangereux, façon Camorra de Naples. Derrière les gros titres de la télé, une autre réalité : les services d’État laissent faire les magouilleurs, car c’est la seule solution qu’ils ont trouvée.

Les journaux aiment enfiler des perles, ça passe le temps. Exemple entre cent : l’affaire de la décharge mafieuse. En deux mots, une famille de la grande truanderie – le clan Hornec -, installée à Montreuil, tout près de Paris, magouillait de manière à enfouir illégalement des déchets toxiques. Où ? À la frontière entre Seine-Saint-Denis et Seine-et-Marne, à Villeparisis. La combine est fort simple : on propose d’embarquer des déchets spéciaux, qui devraient être retraités dans des installations adaptées, et on les enterre dans des champs, si possible près de décharges autorisées, pour contrarier de très éventuels contrôles. Si l’industriel respecte la loi, il paie bonbon. S’il refile ses merdes sans savoir où elles atterriront, il fait une belle affaire.

S’agit-il, comme le répètent en boucle les gazettes, d’une importation des mœurs de la Camorra italienne, qui a pourri toute la région autour de Naples, la Campanie ? Rien n’est moins sûr. L’affaire de Villeparisis révèle en fait une impasse radicale, celle de la gestion des déchets de notre monde. En 2007, la farce du Grenelle de l’Environnement avait juré de réduire le volume de déchets ménagers de 7 % par habitant en cinq ans. Il est passé de 29,3 millions de tonnes en 2008 à 31,9 en 2012, soit une augmentation de 9 % qui ne veut de toute façon rien dire, car personne ne contrôle véritablement de tels flux.

Pour ce qui concerne les déchets industriels, les classements statistiques distinguent à la louche folklorique les déchets dangereux et non-dangereux. Vous m’en mettrez 315 millions de tonnes en 2008, dont 15 seraient craignos. Dans tous les cas, il faut banquer, et comme on ne parvient plus à ouvrir une décharge sans provoquer une levée de fourches, le système est auto-bloqué. La vérité approximative de l’affaire de Villeparisis, c’est que tout le monde est au courant, et que tout le monde regarde ailleurs.

La preuve par ce fait divers rapporté dans un coin du Parisien le 3 mai 2013. Près d’un an avant le supposé scandale en cours, la Direction départementale des territoires (ancienne DDE) fait les gros yeux à la société RTR, celle impliquée dans l’affaire Hornec. Des camions remplissent 18 hectares de terres proches de Villeparisis – là même où les flics viennent de débarquer – et exigent l’arrêt du déversement de déchets. RTR continue comme si de rien n’était. Un type de la DDT, dans Le Parisien : « Ces pratiques diffuses se multiplient. C’est difficile à contrôler ».

Ne rêvons pas : si les flics sont cette fois intervenus, ce n’est pas pour empêcher des enfouissements illégaux, mais pour coincer leurs ennemis jurés, les Hornec. Sur place, à Villeparisis, une association locale comme on les aime se bat depuis des années le dos au mur, dans l’indifférence la plus totale.  L’Adenca (http://adenca.over-blog.com) s’inquiète notamment pour les Grues, une petite rivière qui coule dans la Beuvronne, un affluent de la Marne. Le captage d’Annet, qui abreuve en eau potable 500 000 habitants, est juste en aval. Combien de points de contrôle de la qualité des eaux des Grues ? Aucun.

Aucun, et c’est plutôt vertigineux, car les Grues reçoivent les eaux de ruissellement de RTR – dépôt illégal -, de déchets dangereux de la société Paté de Villeparisis – dépôt illégal -, de l’ancienne décharge « Les Remblais Paysagers de Claye-Souilly » – dépôt illégal -, de la décharge BMR – dépôt illégal. Un mot de plus sur BMR, spécialisée dans « les déchets de chantier ». La boîte a pourri pendant 13 ans le site des Murs à pêche de Montreuil – chez les Hornec ! – déversant le chargement dégueu de centaines de camions, sans aucune autorisation. Ont-ils reçu la visite des flics ? Jamais. Après une énième mise en demeure, BMR a jugé plus prudent de quitter Montreuil pour dégueuler sur Villeparisis. Et se trouve depuis octobre 2013 en règlement judiciaire. Le nettoyage, s’il a lieu, sera payé sur fonds publics.

La morale de l’histoire est limpide : incapables de faire face à une situation délirante – la surproduction de déchets, y compris toxiques -, les services d’État laissent faire les margoulins. On pourrait presque ouvrir une chronique hebdomadaire.