Baden-Powell is alive

Si tous les gars du monde voulaient bien se donner la main, j’ai dans l’idée que les choses iraient mieux. Et ce n’est pas moi qui le dis, mais les désormais lointains Compagnons de la chanson. Dans leur grand succès de 1957, ils énonçaient sans complexe cette forte vérité :

“Si tous les gars du monde
Décidaient d’être copains
Et partageaient un beau matin
Leurs espoirs et leurs chagrins
Si tous les gars du monde
Devenaient de bons copains
Et marchaient la main dans la main
Le bonheur serait pour demain“.

Je vais encore me moquer, on finira par croire que j’aime cela. Le Grenelle, oui, car ce passage reste obligé. L’édifice de cette discussion très encadrée repose sur une quantité impressionnante de non-dits, d’autocensures, de peurs et de fantasmagories. Mais le phénomène le plus marquant est sans conteste pour moi l’esprit scout qui recouvre le tout. Scout, oui, je parle bien du mouvement créé par Baden-Powell au début du siècle passé.

Ne pensez pas que je cherche à déprécier. Le scoutisme, si on laisse de côté certaines tendances minoritaires, est une belle invention. Qui aura forgé nombre de nobles esprits au travers d’une vie communautaire, dans la nature, régie par certaines règles morales de qualité.

Aucun rapport avec le Grenelle ? J’entends déjà les éclats de rire de certains des participants de premier plan, parmi ceux que je connais du moins. Greenpeace, le WWF, FNE seraient donc des scouts ? Eh non ! Ne me prenez pas pour plus bête que je ne le suis. Mais il y a ce qu’on croit, et ce qui se passe.

Derrière le scoutisme, comme d’ailleurs dans la chanson des Compagnons, j’entrevois un rêve archaïque, au coeur de chaque individu, et donc de moi aussi. Celui de l’enfant perdu, qui cherche le réconfort. Comme un grand besoin de contentement, de disparition à soi par les autres, d’enthousiasme fusionnel. C’est qu’il existe des moments où l’inquiétude est si grande qu’elle oblige à trouver une réponse, quelle qu’elle soit.

Le résultat peut être un désastre, et j’évite volontairement de convoquer ici des exemples tirés de l’histoire humaine, car on me comprendrait mal, je le crains. Il en est, pourtant, et de terribles. En tout cas, si l’on prend un minimum de champ par rapport aux discussions du Grenelle, on ne peut qu’être très embarrassé. Car les bons sentiments ne remplaceront jamais les rapports de force sociaux et politiques. C’est pénible, mais c’est ainsi.

La discussion médiatisée du Grenelle aura été avant toute chose un théâtre d’ombres, d’où le peuple a été radicalement exclu. À l’inverse de la rédaction des cahiers de doléance, rédigés en 1789, l’ensemble du processus est resté parisien, capturé par de micro-élites autoproclamées, éventuellement cooptées. En 1789, pour le meilleur comme pour le pire, le peuple réel avait pu exprimer certaines de ses aspirations, avant qu’elles ne soient rassemblées pour peser dans l’affrontement final. Car je rappelle tout de même qu’il y eut un affrontement, TF1 n’existant pas encore.

En 2007, les assemblées régionales du Grenelle ont avant tout servi à baîller ensemble, et à fermer le bec des trublions. Et je défie quiconque de démontrer le contraire. Puis les staffs des grandes associations, présentés comme le mouvement écologiste, ont traité en direct avec les Importants du jour. Or ces petits groupes n’ont de compte à rendre à personne. Souvent salariés de structures, ils incarnent surtout, volens nolens, l’état du mouvement écologiste. Lequel n’est pas bon, oh non !

Pendant de longues semaines, ils nous auront fait croire, car ils le croyaient eux-mêmes, qu’un simple propos présidentiel était une clé possible pour un avenir meilleur. Or ce n’est pas vrai. Ils ont voulu nous faire croire qu’en se parlant – comme des muets s’adressant à des sourds -, on pouvait avancer de concert. Or c’est faux.

La société est conflit et contradictions. Chacun préfère de loin oublier que l’histoire est souvent tragédie. Que la guerre rôde. Que les choix accomplis n’ont que peu de rapport avec la raison et l’humanité. On veut oublier Attali et ses 5 % de croissance, Allègre – la rumeur le donne ministre de Sarkozy en janvier prochain -, Claude Bébéar, ce grand patron réclamant à cor et à cri la fin du principe de précaution (http://www.lemonde.fr).

On découpe pour les besoins de la cause un territoire virtuel qui jamais n’existera vraiment : la rencontre entre la société et le prince. Sarkozy serait-il convaincu de l’urgence – il ne l’est, croyez-moi – que ce serait encore une fantaisie. Car dans une économie globale, que pèse le mot d’un homme incarnant un État en voie de décomposition ? Le politique parle désormais comme aboie le chien. Et la caravane de l’économie, qui a échappé au contrôle social depuis longtemps déjà, continue d’avancer. Bien sûr. Aura-t-on parlé au Grenelle des flots de bagnoles exportées vers la Chine ? Du régime alimentaire criminel des gavés du Nord, qui provoque, à côté et en plus du boom sur les biocarburants, la faim et disparition accélérée des forêts tropicales ? De la production de masse, démentielle, d’objets inutiles et néfastes ? De ce ne niveau de vie matériel des pays du Nord, à lui seul apocalyptique ? De ce (relatif) simple fait que l’empreinte écologique de l’humanité est d’ores et déjà insupportable pour l’équilibre des principaux écosystèmes ? A-t-on même abordé la question européenne, décisive à certains égards ? Bien sûr que non.

La France, et on le verra fatalement, a joué au Grenelle l’un des épisodes dont elle est coutumière. Faisant semblant d’être la lumineuse héritière des grands héros passés, elle tente, une dernière fois peut-être, d’éblouir le monde. Je crois que c’est raté.

Dernier point provisoire, nullement abordé par les triomphants protagonistes du Grenelle. De combien de temps disposons-nous ? Oui, voilà bien une question qui fâche. Car ces mêmes qui applaudissent à des mesurettes répètent tout le reste de l’année que c’est le moment ou jamais de tout, rigoureusement tout changer dans nos modes de vie. Pour la raison simple que nous sommes dangereusement proches d’un basculement planétaire. Évidemment, que nous y sommes ! Je vous renvoie à une énième mais saisissante étude, menée celle-là par le Programme des nations unies pour l’environnement (http://www.unep.org). Juste une courte citation du communiqué de presse en français : le PNUE « avertit aussi que nous vivons bien au dessus de nos moyens. La population humaine est désormais si importante que “la quantité de ressources nécessaires pour la faire vivre dépasse les ressources disponibles… l’empreinte de l’humanité est de 21,9 hectares/personne, alors que la capacité biologique de la Terre est, en moyenne, seulement de 15,7 ha/personne… “».

Mieux, c’est-à-dire pire, les écosystèmes, après avoir vaillamment bataillé contre notre folie, donnent des signes d’épuisement. Or, les écologues savent que la dégradation de cette source même de la vie n’a rien de linéaire. Un champ, mais aussi une mangrove, un récif de corail, une rivière, mais encore un océan, un bassin versant, les insectes pollinisateurs, peuvent être si brutalement déséquilibrés qu’ils cessent alors de rendre le moindre service. Et cette entropie-là peut être irréversible, à notre échelle du moins.

Prenons donc d’autres lunettes que celles, roses, qu’on nous propose obligeamment. Le Grenelle de l’environnement n’est pas un moment glorieux de l’histoire.

PS : Je suis moi aussi dans un rôle, qui ne me plaît pas. Je n’ai aucune envie particulière de donner des leçons à qui que ce soit. Et je doute plus souvent qu’à mon tour. Et je sais qu’il faut unir plutôt que diviser. Et je crois profondément qu’il faut oeuvrer avec des gens qui ne vous ressemblent pas. Est-il besoin de le préciser ? Mes critiques du Grenelle ne visent aucun individu, ni d’ailleurs aucune association. Je souhaite ardemment que le débat entre nous tous soit permanent, et sans tabou. Donc respectueux. Respectueux, mais libre.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *