Comment faire la bombe plus vite (avec un laser)

Je n’ai pas le temps d’alimenter Planète sans visa en ce moment. Vous trouverez ci-dessous un article paru il y a deux ou trois semaines – je ne remets pas la main sur mon exemplaire – dans Charlie-Hebdo, journal auquel je collabore avec plaisir. Il est de moi, pas de doute.

Une nouvelle porte ouvre sur le futur, et c’est enthousiasmant. Le New York Times, dans une longue enquête signée William J.Broad, révèle qu’une grande aventure industrielle est sur le point d’aboutir (1). Il s’agit, comme on va le découvrir avec joie, d’un nouveau procédé pour enrichir l’uranium tiré des entrailles de la terre.

Nom du papa : General Electric, que tout le monde, aux Amériques, appelle GE. Pour commencer, quelques mots sur la noble entreprise. Sixième plus grosse firme des Etats-Unis en 2011 selon le classement de Fortune, GE est aussi le quatrième plus gros pollueur de l’air du pays. Dresser la liste de tous les problèmes écologiques posés par l’activité de GE lasserait son monde. Cette immensité créée par Thomas Edison en 1890 s’occupe de tout ou presque, de l’énergie aux ordinateurs, en passant par l’espace, la télé, les éoliennes.

Retenons au moins deux choses. Un, les gens de GE ont de bons conseillers fiscaux, car bien qu’ayant cumulé 14,2 milliards de profits en 2010 dans le monde entier, dont plus de 5 milliards pour leurs activités proprement américaines, ils n’ont payé aucun impôt cette année-là (2). Deux, Fukushima. On y revient, c’est fatal. Les six réacteurs de la centrale ont été conçus par GE, et des critiques sur leur fiabilité ont commencé dès 1972, soit près de quarante ans avant la cata. Donc, GE est une entreprise sérieuse.

Et maintenant l’enquête du quotidien américain. L’uranium naturel, c’est chiant. Il faut trouver une mine accueillante – Areva la française se coltine des conflits à répétition au Niger – et admirer le travail des pelleteuses et des excavatrices. Pas terrible. Quand il sort de la mine, l’uranium naturel est composé de deux isotopes. L’uranium 238 pour 99,3 % du total. Oublions, on s’en fout. Et l’uranium 235 pour 0,7 %. Ça, c’est du tout bon. Sauf qu’il faut enrichir le 235 pour le rendre utile aux centrales dites civiles et à la bombe. En théorie, pour les centrales nucléaires, il faut enrichir l’uranium naturel, de manière qu’il contienne entre 3 et 20 % d’uranium 235. Au-delà, et surtout à hauteur de 90 % d’uranium 235, l’usage militaire devient possible, puis facile.

Un pays comme la France se fait chier comme pas permis à enrichir son uranium. Cela se passe dans deux usines d’Areva, gentiment appelées Georges Besse 1 et Georges Besse 2. Jeunesse, sache que Georges Besse, flingué par des gens d’Action Directe en 1986 pour la raison qu’il était patron de Renault, avait avant cela été un ponte de l’industrie nucléaire. D’où ce délicat hommage. Areva sait vivre.

Chez Besse 1, depuis 1978, on enrichit l’uranium par la méthode dite de « diffusion gazeuse ». Chez Besse 2, la plus moderne, par centrifugation. Sauf que nos ingénieurs sont peut-être bien en train de se faire enfler par GE, qui a ressorti et visiblement amélioré la méthode du laser. Abandonnée il y a une quarantaine d’années, elle a été relancée et apparemment validée par une équipe australienne dans les années 90. Bravo à vous, amis ingénieurs !

Un monsieur Christopher J. Monetta, président de la filiale de GE nommée Global Laser Enrichment, déclare au Times : « Nous sommes en train d’améliorer la conception » de cette technologie, qui pourrait se déployer, après accord fédéral, dans une immense usine prévue à Wilmington, en Caroline du Nord. Coût estimé : 1 milliard de dollars pour commencer. Taille estimée du bâtiment principal : la moitié de la surface du Pentagone, quartier général des armées américaines. Ou, si l’on veut embêter les héros, la taille de la plus vaste usine d’enrichissement de l’uranium des mollahs de Téhéran, qui ne veulent que le bien de l’homme.

Grincheux en chef, le physicien nucléaire Frank N. von Hippel – il a conseillé Clinton et enseigne à Princeton -, n’est pas bien convaincu, et il estime : « Nous sommes proches d’un nouveau chemin vers la bombe. Nous devrions avoir appris assez pour commencer par une évaluation avant de laisser faire ce genre de chose ». Pourquoi ces inquiétudes ? Parce qu’il s’agit d’un procédé technique, susceptible d’être reproduit, amélioré, simplifié. Idéal pour les groupes terroristes et les États comme l’Iran, qui pour l’heure, doit se contenter de centrifugeuses, difficiles à cacher, pour enrichir son uranium.

Demain le laser pour tous, et l’uranium enrichi sur le pas de la porte ? C’est possible, c’est américain, et ça vient de sortir. Bonne rentrée de septembre.

(1) http://www.nytimes.com/2011/08/21/science/earth/21laser.html?_r=1
(2) http://www.nytimes.com/2011/03/25/business/economy/25tax.html?_r=1&scp=2&sq=ge&st=cse

14 réflexions sur « Comment faire la bombe plus vite (avec un laser) »

  1. Pensez-vous vraiment et sérieusement que Georges Besse a été flingué parce qu’il était « patron de Renault » ?! Cette affirmation est à mourir… de rire.

  2. Keizer Soze,

    Jean-Marc Rouillan, responsable d’Action Directe, a toujours revendiqué l’assassinat de Besse pour la raison qu’il était le patron d’une entreprise qui licenciait par milliers ses travailleurs. Mais sans doute savez-vous mieux que lui les raisons de cet acte. Pour ma part, je préfère m’en tenir à sa version, jamais modifiée en 25 années.

    Fabrice Nicolino

  3. Le titre de Libération défie la logique: « Un mort et 4 blessés dans une explosion près d’un site nucléaire »

    Alors si c’est « prés » d’un site nucléaire pourquoi parler de nucléaire ?

    Quand l’empressement a minimiser est tel qu’il se contredit lui-même, le peu qui restait de confiance se volatilise !

  4. C’est étrange comment « Le Figaro » est devenu plus intelligible que « Libération » sur un sujet comme le nucléaire !

  5. Cet article paru dans « Le Monde »du 12 septembre a peu à voir avec le nucléaire,mais laisse prévoir que le combat contre l’exploitation des gaz de schiste va être très rude et très long.

    Total souhaite poursuivre son exploration de gaz de schiste en France

    Le groupe pétrolier Total a indiqué lundi 12 septembre qu’il souhaitait continuer à rechercher du gaz de schiste dans le sud-est de la France, dans le cadre d’un permis exclusif obtenu en 2010, mais sans avoir recours à la technique de la fracturation hydraulique, désormais interdite. A ce stade, Total ne précise pas quel type de technique il pourrait utiliser si jamais les recherches de cet hydrocarbure non conventionnel étaient concluantes.

    Total a déposé auprès de l’administration française, un rapport « motivé par la volonté du groupe de préserver les droits à l’exploration d’un domaine minier, droits qui lui ont été attribués en mars 2010 pour une durée de 5 ans ». Il y présente un « programme de travail », qui « ne prévoit pas de recours à la technique de la fracturation hydraulique », assure le groupe dans un communiqué. « On pense que l’interdiction de la fracturation hydraulique seule ne justifie pas qu’on renonce au permis, parce qu’il y a d’autres hydrocarbures qui peuvent être trouvés et produits sans la fracturation hydraulique », a expliqué à l’AFP Bruno Courme, directeur Total Gaz Shell Europe.

    LE DEVENIR DES PERMIS EXCLUSIFS EN QUESTION

    Le permis accordé à Total dit « de Montélimar » couvre une zone de 4 327 km2 le long du Rhône du nord de Montélimar jusqu’à Montpellier. Dans un premier temps, Total compte terminer « la phase d’études préliminaires lancée en 2010 », visant à analyser les données déjà existantes sur le sous-sol de cette zone. Si les résultats sont jugés « encourageants », le pétrolier prévoit « une phase de forage destinée à recueillir des échantillons de roches » pour mieux déterminer le potentiel en hydrocarbures de la zone.

    Dans le cadre de la loi adoptée en juillet sur l’exploration et l’exploitation des gaz et huile de schiste, les titulaires de permis ont jusqu’au 13 septembre pour déclarer la technique utilisée et s’ils renonçaient ou pas à leurs droits d’exploration. Dans le cas d’utilisation de la fracturation hydraulique, les permis seront abrogés, car la France est le premier pays à avoir interdit l’usage de la technique de la fracturation hydraulique, jugée hautement polluante. Cette technique consiste en effet à injecter sous forte pression d’énormes quantités d’eau, de sable et des centaines de produits chimiques pour briser la roche et extraire le gaz situé à plus de deux kilomètres sous terre.

    Le ministère de l’énergie a indiqué que « le gouvernement se prononcera sur le devenir des permis exclusifs de recherche d’ici le 13 octobre, après instruction par l’administration ». Les rapports remis par les industriels devraient alors être rendus publics.

  6. @ erik,

    Sa candidature aurait eu au moins le mérite, via les sondages, de faire monter la pression sur le PS en vue des législatives, ce qui nesera pas le cas d’EJ

    Pour le reste c’est comme s’il (NH) était en train de réaliser que la politique politicienne ne sert pas à grand chose. Je veux dire que les comportements dont la cause écologique a besoin ne s’instituent que progressivement, un peu comme la langue française qui mute de façon subreptice, ou comme nos façons d’utiliser la technologie (web, téléphones portables et autres gadgets) modifient en profodeur notre façon de penser de vivre, structure nos échanges etc

  7. Je me permet un hors sujet.
    Salut les gens, je n’ai jamais été très futée; mais franchement à quoi ça sert de cloner un chat fluo?
    http://www.lalibre.be/societe/sciences-sante/article/685425/un-chat-fluorescent-antisida.html
    Je pensais naïvement que le « SIDA des chats » n’avait rien à voir avec celui des humain…Et puis je ne comprend pas bien en quoi un gène de méduse aide dans la lutte contre le SIDA!
    Qu’on utilise un marqueur génétique fluo ça j’arrive encore a conceptualisée; mais créer un chat qui brille des babines ou des poils la nuit…Franchement ça m’échappe!

  8. Sylviane: chat fluo, on appelle çà le progrés, non? : chat fluo égal progrès, car de meme que faire pousser des tomates dans la terre est ringard, tant la terre est ignoble (saporta)il est aberrant de se contenter du pelage soyeux et parfumé d’un beau chat! et puis il y aura toujours les cons des csps qui se réjouiront d’épater la galerie avec des choses comme çà (retombées sociales).

  9. Autre indication que la lutte contre le nucléaire va être longue, et que la chasse aux sources de financement pour la gestion a long terme des déchets et centrales vétustes est ouverte : La DCNS, AREVA et le CEA ne sont pas en reste de créativité ! Ils ont conçu ensemble une centrale nucléaire sous-marine, sorte de sous-marin nucléaire sans l’hélice et sans humain a bord.

    http://www.europe1.fr/France/Flex-Blue-centrale-nucleaire-du-futur-380077/

    Selon Bruno Tertrais, maître de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique, une centrale nucléaire sous-marine est a l’abri de toute attaque terroriste.

    « La localisation sous-marine des mini-réacteurs rend impossible tout risque de sabotage ou d’attaque terroriste », tranche Bruno Tertrais. Quant aux risques de pollution maritime, ils sont écartés, du fait même de l’immersion du réacteur. « L’eau est la meilleure barrière contre l’irradiation, argue-t-on à la DCNS.

    Bruno Tertrais n’a pas précisé s’il pense interdire les cours de natation, la vente de bouteilles de plongée, et empêcher le trafic de mines sous-marines.

    Et écarter les risques de pollution maritime « du fait même de l’immersion du réacteur », comme raisonnement il fallait oser !

    Demain, nous proposerons-t-ils d’écarter les risques de pollution urbaine en mettant les centrales nucléaires au coeur des villes ? Apres tout un ticket de métro c’est moins cher qu’un équipement de plongée, pour la surveillance ou la maintenance…

    Mettre les centrales sous la mer c’est contourner de manière radicale la loi sur la responsabilité, le principe du pollueur payeur, et c’est un crime écologique énorme.

  10. Georges Besse a été assassiné non pas comme patron de Renault, mais comme directeur de l’usine ou plus précisément comme patron du projet de l’enrichissement nucléaire.
    L’Iran étant partie prenante.
    Mais l’Iran a changé de ‘patron’.
    Et « on » lui a refusé les avantages de l’usine à savoir de l’U enrichi – et on a refusé le remboursement.
    L’Iran après de nombreuses négociations et messages a alors envoyé un signal fort à la France.
    l’assassinat de l’ex patron.
    Signal parfaitement bien compris par le gouvernement de l’époque mais tenu secret.

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