Avis en passant aux réparateurs de vélocipèdes (sur le rôle des rustines)

Exceptionnellement, j’entends rester dans les limites si pauvrement étroites de notre France. Où l’on verra, je pense, que la sociologie et la politique ordinaires mènent tout droit à la crise écologique planétaire, pour peu que l’on s’accorde « une autre façon de voir la même chose », sous-titre de Planète sans visa. Les amis, autant asséner le pire maintenant (rires préenregistrés) : la France n’est plus. La société que j’ai connue, celle où j’ai grandi, dans laquelle j’ai cru à la révolution, où les ouvriers – dont je fus – étaient des ouvriers, votant à gauche parce qu’ils étaient des ouvriers, ce pays a disparu.

Faut-il parler d’un trou noir, dans lequel toute la matière sociale se serait engloutie ? Je le crois. Les classes sociales existent encore, certes  – elles sont consubstantielles à la formation sociale que nous connaissons -, mais enfin, leurs frontières ne sont plus reconnues. Et la mythologie associée jadis à la classe ouvrière, pendant de celle liée à la bourgeoisie, a explosé comme un ballon rouge de l’enfance. Que reste-t-il ? Je vous invite à lire, si ce n’est déjà fait, le dossier du journal Le Monde consacré à la France invisible. Une France des villes moyennes, des territoires ruraux désertés, ou encore du « périurbain », pour reprendre une expression immonde (c’est ici). Une coupure nette oppose chaque jour un peu plus ceux qui profitent, depuis les métropoles, de l’infernale mondialisation, et tous les autres, plus nombreux, mais sans relais social, culturel, politique.

Pour moi, ce constat est une évidence. Nous n’appartenons plus à la même société. Mais je souhaite ajouter mon grain de poivre, ma poudre de piment à moi. Les objets et techniques, qui jouent un rôle central dans la crise écologique en cours, fragmentent chaque jour davantage la France. Chaque jour qui passe ajoute au désastre, repoussant de plus en plus loin la perspective d’une réaction unique, collective, décisive, à ce qui nous menace tant. Prenons ensemble quelques exemples. Le Net, par exemple, si fortement défendu ici même, à l’occasion, dans tant de commentaires. Le Net atomise comme peu de technologies le pourraient. Il est à lui seul un formidable trip individualiste. Mais surtout, songez à tous ceux qui sont de l’autre côté du miroir. Allons, un effort.

Des millions d’êtres, chez nous, sont constamment humiliés de ne pas savoir se servir comme il faut de cet engin moderne. Des vieux, des paysans, des urbains aussi et bien entendu. La presse n’est qu’un seul hymne au Net depuis près de quinze ans. Il faut surfer, adresser des mails, acheter on line. Et tous ceux qui ne peuvent ou ne savent, quel est leur sort, selon vous ? Il est souffrance. Les machines et les automates, omniprésents dans la vie quotidienne, ajoutent à ce cauchemar. Habitant la région parisienne, j’ai vu ce que tout le monde peut constater. Ces saloperies de machines qu’on trouve dans les stations de métro ou les gares de la SNCF coupent en morceaux les usagers qui y ont recours. Combien ai-je vu de ces gens, en plein Paris du XXIème siècle, renoncer à acheter un billet parce qu’ils ne comprenaient rien aux manipulations nécessaires ? Abandonnant pour la raison qu’une file d’impatients, derrière eux, réclamaient la place ? Dans le métro, il me semble que c’est pire, car dans un nombre croissant de stations, on ne peut plus acheter de billets aux employés, qui ne délivrent plus que des « informations ».

On ne peut que tenter d’imaginer la situation des étrangers, des bancals et boiteux de la vie, des très jeunes, des très vieux, des innocents, bref de tous ceux qui ne sont pas « entrés dans la modernité ». On pourrait évidemment multiplier les exemples, notamment à propos de ces numéros de téléphones surtaxés, qui rendent fous ceux qui sont pourtant obligés de les utiliser. Pour ce qui me concerne, j’ai souvent renoncé à obtenir des informations de Gaz de France, de la hotline du Net, de France Telecom bien sûr, de la Poste pardi. Je peux du même coup imaginer ce qu’est la vie de chaque jour pour des millions de largués de ce monde insupportable. Dans le même temps que la consommation de biens matériels explosait – disons depuis 1960 -, nous avons subi une régression incommensurable du plaisir des choses simples et des services humains. Cela, je vois bien que pas un politique n’en parle.

Telle est pourtant l’une des clés de la crise civilisationnelle dans laquelle nous sommes si gravement plongés. Jadis, voici quelques décennies, le facteur venait à domicile présenter des lettres et mandats papier, et ne manquait pas de bousculer le règlement pour rendre service à des usagers qui le connaissaient et l’estimaient. La Poste est aujourd’hui dans les mains de petits connards qui préparent une privatisation qu’on en arriverait à souhaiter, tant le service autrefois public s’est dégradé.

Qui entend faire de la politique en France doit et devra toujours plus faire le bilan de ces dégradations essentielles dans la manière de vivre ensemble. Qui entend parler de la crise écologique doit et devra toujours plus mettre l’objet et la technique au cœur de la pensée critique. Il faut placer le combat dans tout ce qui nous échappe à force d’être évident : la télé, la  bagnole, le Net et le numérique, donc la vitesse, la disparition accélérée des seuls contacts qui vaillent, c’est-à-dire entre humains, et non entre humains et machines. Ce seul programme, pourtant élémentaire, paraîtra extrémiste à certains. Et il est manifeste qu’il l’est. Comme j’ai pu déjà le dire ou l’écrire, c’est la situation générale qui est devenue extrémiste. Ceux qui croient encore dans le pouvoir des rustines devraient se contenter de réparer les vélos.

44 réflexions sur « Avis en passant aux réparateurs de vélocipèdes (sur le rôle des rustines) »

  1. A l’approche de Christmas, Amazon, aux States, demande à ses clients potentiels, d’espionner pour eux dans les petites librairies locales, en échange de 5 dollars de remise sur leur prochain achat effectué en ligne. le principe est le suivant. Vous etes en librarie. Vous voulez acheter un bouquin pour Noel. Vous en feuilletez un qui vous branche, Amazon vous fait l’offre suivant: vous relevez pour eux le prix (mettons 30 dollars) en scannant le code bar du dit livre avec votre smart phone (en admettant que vous sachiez ce qu’est un code bar et /ou un smart phone) vous envoyez l’info a Amazon, qui vous renvoi ce livre pour moins cher (mettons son prix en ligne a 15 dollars)… et avec 5 dollars de remise en sus, soit 10 dollars en tout. Pour vous, 20 dollars d’économisés. Pour Amazon, une vente en plus et une info sur la concurrence — qui n’en sera bientôt plus, puisque la petite librairie finira un jour (de toute façon) par couler.
    Ici: http://gawker.com/5865612/amazon-launches-christmas-attack-on-local-shops
    …Occupy Amazon!

  2. Ton article me fait penser à mon père : le pauvre était complètement largué par l’informatique et l’internet, lui qui aimait tellement les choses concrètes et s’émerveillait d’une plante, de la beauté de la terre…
    Mais le pire est que ces technologies ne marchent pas si bien que ça. Nous multiplions à l’envi les codes d’accès à ceci-cela d’une façon qui devient ubuesque. Et « cette page n’existe plus » ou « impossible de se connecter », ou « vous avez perdu vos codes » ou « appuyez sur la touche 1″… etc…
    En fin de compte, tout cela est démentiellement chronophage. Nous passons un temps fou à des conneries ! Tous les jours, je me dis que bien des gens doivent se sentir exclus de notre monde « moderne »…

  3. Je ne suis pas sûr que les nouvelles technologies divisent plus qu’elles ne rassemblent… tout dépend de l’usage qu’on en fait, c’est comme tout…le net n’est pour rien dans la fracture sociale, au contraire je crois qu’il tend à niveller par le haut l’accès à l’information, à la culture etc… Ne vous trompez pas de cible, le net peut aider à la convergence des consciences vers un ailleurs sans frontières ni visas…

    L’autre coté du miroir, c’est aussi les pays du sud qui y ont accès, ou bien la mamie qui reçoit des photos de ses petits enfants par mail, ou encore l’artiste qui s’exprime… regardez le balafoniste africain Kanazoé, et aussi la stratégie du choc sur youtube… et identifions les vrais responsables de la crise écologique, sociale, économique, spirituelle, idéologique etc…que sais-je?

    Sinon, continuez Fabrice svp, merci pour vos articles et vraiment un grand bravo.

  4. « …faire le bilan de ces dégradations essentielles dans la manière de vivre ensemble » propose F.Nicolino.

    Le premier signe tangible de ces  » dégradations » se situe effectivement dans les années 60, années pendant lesquelles la télévision a pris son envol; l' »image » au sens large (à travers ces « étranges lucarnes » pour le Canard)a imposé un concept stéréotypé de l’Homme à des milliards d’individus, poussés volontairement vers la consommation, puis vers la Déesse Croissance, et finalement vers le consumérisme, comme des moutons de Panurge; ainsi est né le « paraître fondamental » qui règne en maître sur notre planète actuellement. Même le Bhoutan, dernier bastion de la spiritualité, a succombé dernièrement en généralisant les chaînes TV.

    L’image, outil premier de séduction, s’est imposée réduisant le verbe comme moyen de démarcation. L’aspect extérieur, le visible, a anésthésié sa richesse intérieure, et ceci dans un souci d’alénation et de captation commerciale. L' »image » a rendu muet l’Homme dans sa tentative de s’élever et de se transcender.

    Ainsi a disparu petit à petit le reste d' »ange » au sens pascalien du terme chez l’Homme, pour l’amener lentement vers ses pulsions premières, visibles aujourd’hui dans toutes les pubs où le paraître, le sexe, la séduction par le corps, sont les vecteurs nouveaux de communication, le nouveau « vivre ensemble ».

    Qui par ex., il y a quelques deux ans encore, aurait imaginé voir fleurir sur tous les écrans le concept de « cougar » pour des femmes voulant imiter le mâle dans sa poursuite copulatrice, comme signe premier de la « nouvelle communication » et du vivre ensemble ?

    Nous avons basculé dans l’animalité.

  5. A David Rosane.

    Faut croire qu’on nous prend pour des pommes. Est-ce-que nous devons prendre, aussi, des accordéons pour des machines à écrire ?

  6. Je suis d’accord avec vous, bien que je connaisse nombre de personnes (plutôt dans la génération des 50-70 ans) déconnectées de ce web chronophage et qui s’en portent très bien.

    Réparer des vélos est une noble tâche, l’exemple est mal choisi.

  7. j’apprecie ce billet,la net apporte,comme ce site par exemple;mais déssous les liens entre les hommes,le net et presque toutes les technologie.le niveau ,baisse,et doucement le monde devient amorale,mais il faut rester conscient,et pas céder aux sirènes de l’achat complulsif,qui est aussi du sexe refoulé,du désir de paraitre.

  8. Lu cette lettre publiée sur Internet et datant de la fin 2009. J’ignore si elle est authentique, mais son contenu est assez réjouissant.

    La lettre d’une dame de 86 ans à sa banque. Sa réponse est intellectuellement savoureuse, et vaut le coup d’être connue, partagée au plus grand nombre.

    « Cher Monsieur,

    Je vous écris pour vous remercier d’avoir refusé le chèque qui m’aurait permis de payer le plombier le mois dernier. Selon mes calculs, trois nanosecondes se sont écoulées entre la présentation du chèque et l’arrivée sur mon compte des fonds nécessaires à son paiement. Je fais référence, évidemment, au dépôt mensuel automatique de ma pension, une procédure qui, je dois l’admettre, n’a cours que depuis huit ans. Il me faut d’ailleurs vous féliciter d’avoir saisi cette fugace occasion et débité mon compte des 30 Euros de frais pour le désagrément causé à votre banque. Ma gratitude est d’autant plus grande que cet incident m’a incité à revoir la gestion de mes finances.

    J’ai remarqué qu’alors que je réponds personnellement à vos appels téléphoniques et vos lettres, je suis en retour confrontée à l’entité impersonnelle, exigeante, programmée, qu’est devenue votre banque.

    A partir d’aujourd’hui, je décide de ne négocier qu’avec une personne de chair et d’os. Les mensualités du prêt hypothécaire ne seront dorénavant plus automatiques, mais arriveront à votre banque par chèques adressés personnellement et confidentiellement à un(e) employé(e) de votre banque que je devrai donc sélectionner. Soyez averti que toute autre personne ouvrant un tel pli consiste en une infraction au règlement postal. Vous trouverez ci-joint un formulaire de candidature que je demanderai à l’employé(e) désigné(e) de remplir. Il comporte huit pages, j’en suis désolée, mais pour que j’en sache autant sur cet employé(e) que votre banque en sait sur moi, il n’y a pas d’alternative.

    Veuillez noter que toutes les pages de son dossier médical doivent être contresignées par un notaire, et que les détails obligatoires sur sa situation financière (revenus, dettes, capitaux, obligations) doivent s’accompagner des documents concernés. Ensuite, à MA convenance, je fournirai à votre employé(e) un code PIN qu’il/elle devra révéler à chaque rendez- vous. Il est regrettable que ce code ne puisse comporter moins de 28 chiffres, mais, encore une fois, j’ai pris exemple sur le nombre de touches que je dois presser pour avoir accès aux services téléphoniques de votre banque. Comme on dit : l’imitation est une flatterie des plus sincères. Laissez-moi développer cette procédure.

    Lorsque vous me téléphonez, pressez les touches comme suit : Immédiatement après avoir composé le numéro, veuillez presser l’étoile (*) pour sélectionner votre langue.

    Ensuite le 1 pour prendre rendez-vous avec moi.

    Le 2 pour toute question concernant un retard de paiement. Le 3 pour transférer l’appel au salon au cas où j’y serais. Le 4 pour transférer l’appel à la chambre à coucher au cas où je dormirais. Le 5 pour transférer l’appel aux toilettes au cas où… Le 6 pour transférer l’appel à mon GSM si je ne suis pas à la maison. Le 7 pour laisser un message sur mon PC. Un mot de passe est nécessaire. Ce mot de passe sera communiqué à une date ultérieure à la personne de Contact autorisé mentionné plus tôt. Le 8 pour retourner au menu principal et écouter à nouveau les options de 1 à 7.

    Le 9 pour toute question ou plainte d’aspect général. Le contact sera alors mis en attente, au bon soin de mon répondeur automatique. Le 10, à nouveau pour sélectionner la langue. Ceci peut augmenter l’attente, mais une musique inspirante sera jouée durant ce laps de temps. Malheureusement, mais toujours suivant votre exemple, je devrais infliger le prélèvement de frais pour couvrir l’installation du matériel utile à ce nouvel arrangement.

    Puis-je néanmoins vous souhaiter une heureuse, bien que très légèrement moins prospère, nouvelle année ? Respectueusement,

    Votre humble cliente. »

  9. Bonjour Fabrice, bonjour lectrices et lecteurs,

    Écologiste convaincu je ne crois pas que s’attaquer à la technologie seule ait un sens. Quelles solutions aux problèmes que vous soulevez proposez-vous ? On détruit les appareils ménagers, les ordinateurs, internet etc ? C’est aussi ridicule qu’inimaginable. Ne devrait-on pas plutôt venir en aide aux personnes dont vous parlez, exclues de cette modernité ? Je pense par ailleurs qu’internet est certes un accélérateur de la mondialisation, pour ce qu’elle peut avoir de pire mais aussi de meilleur. Le net a joué un rôle de premier plan dans les révolutions arabes et partout dans le monde il aide l’émancipation des mouvements démocratiques et contestataires.

    Dans tous les cas, le problème est beaucoup plus complexe. Sur ce sujet je vous conseille le difficile mais passionnant ouvrage de Hartmut Rosa « Accélération », qui met en relation la course technologique et scientifique, l’accélération du rythme de la vie quotidienne et de la vie sociale.

    Je viens du web et suis maintenant comédien. Je fais un usage très raisonné des nouvelles technologies et leur utilisation ne m’empêche pas de profiter des plaisirs simples de la vie, partager un verre avec des amis, jardiner, savourer des produits sains…

    PS : j’ai lu avec beaucoup d’intérêt votre dernier livre! Bravo pour tout le travail d’investigation qui me semble colossal!

    Bien cordialement.

  10. @fabrice,

    « [La technologie] tout dépend de l’usage qu’on en fait »

    « Le net a joué un rôle de premier plan dans les révolutions arabes et partout dans le monde il aide l’émancipation des mouvements démocratiques et contestataires »

    Si ça continue, il faudra faire une FAQ du style :

    -Avant de d’écrire que la technique est neutre, tout dépend l’usage que l’on en fait.

    -Avant de d’écrire que la science/ la recherche est pure et que seules ses applications sont vilaines.

    -Avant d’écrire que le Net, facebook ou twitter a permis les révolutions arabes…

    Pour Olivier, je te conseille d’aller acheter le dernier numéro d’offensive Libertaire et Sociale sur la contre révolution informatique chez les bons buralistes ou ici http://offensive.samizdat.net/ qui remet en place pas mal de mythes du déterminisme high-tech et du militantisme en pantoufle.

    Ou sinon le résumé d’un article de Cédric Biagini Fétichisme High-Tech et Révolutions arabes.

  11. René HAMM

    Les signataires de l’accord frelaté du mardi 15 novembre, qui a fait couler, pour presque rien, beaucoup d’encre et de salive (1) se sont évidemment bien gardés de se référer aux analyses du Réseau qui fédère 924 groupes et 56048 membres. Pour le Parti socialiste, nul motif d’étonnement. La formation de la rue de Solférino entretient invariablement des « atomes très crochus » (2) avec le lobby de la fission. Du côté d’Europe Écologie/Les Verts, comment Denis Baupin, Cécile Duflot, Jean-Vincent Placé and co assumeraient-ils la contradiction flagrante entre l’adhésion à un désengagement rapide et l’acquiescement à un texte formalisant la poursuite du chantier de l’EPR à Flamanville (Manche) et renvoyant aux calendes grecques le débranchement des derniers réacteurs ? Stéphen Kerckhove et Xavier Rabilloud, les auteurs de l’opuscule susmentionné (3), synthétisent, de manière limpide et didactique, l’essentiel des données afférentes à cette technologie contre-nature, qui entrave depuis au moins cinquante-quatre ans (construction de Chinon A-1) le développement de solutions “douces”. Les quatre cent trente-sept tranches qui fonctionnent dans le monde émettent à peine 2,4% de l’énergie et 13,6% de l’électricité consommées. Les cinquante-huit qui turbinent sur notre sol fournissent 13,8% de l’énergie et 74,1% du courant. En quelques traits, les deux militants susnommés désagrègent les mensonges officiels, plus énormes qu’une enceinte de confinement. Le kilowatt/heure nucléaire relativement bon marché, nous le devons aux subventions pharaoniques consenties par l’État (4), à la non prise en compte, dans les tarifs, des provisionnements (du reste nettement insuffisants) pour l’assurance, le démantèlement futur des sites (5) et le stockage des déchets. De surcroît, seuls 33% de l’énergie primaire issue d’un bloc alimentent le réseau des lignes à très haute tension (6). Le reste fait plouf dans l’eau ou “s’évapore” dans l’atmosphère. Ces neuf cents térawatts/heure (900 milliards de kilowatts/heure) perdus dépassent de 54,2% la consommation d’électricité nationale en 2010 (488,1 térawatts/heure). Plus irrationnel, tu meurs sur-le-champ ! N’importe quel(-le) élève de cours moyen 2 saisirait l’ampleur de ce gaspillage abyssal, lequel, quantifié financièrement et rapporté aux “durées de vie” des mastodontes, avoisinerait peu ou prou la somme cumulée des déficits (publics et commerciaux) et d’une partie de notre dette souveraine. Il existe bien une corrélation entre les choix opérés par les gouvernements successifs dans différents domaines et l’aggravation de la “crise” qui frappe de plein fouet la majorité d’entre nous. Contrairement aux allégations fallacieuses et aux vociférations débiles des nucléocrates de tous bords (7), l’abandon du “fleuron de notre industrie” ressortirait à une oeuvre de salubrité, au-delà même de toute considération morale. Autre contre-vérité : le secteur emploie quatre-vingt dix mille personnes (vingt-huit mille chez AREVA), et non deux cent quarante mille, comme l’a clamé Nicolas Sarkozy, le 25 novembre au Tricastin. Je ne cesserai de réitérer ce leitmotiv : nous avons loupé le coche de la “révolution énergétique” à l’été 1981, une époque où le nucléaire ne représentait que 38% du mix et où les aspirants au pouvoir avaient promis un vaste débat démocratique ainsi qu’une réorientation des priorités. Pour écouler les surplus, corollaires du surdimensionnement du parc, sous l’ère Mitterrand, EDF avait promu massivement la chaleur électrique, une absurdité tant économique que thermique, qui mobilise l’équivalent d’une dizaine de réacteurs (8). Nullement neutre en CO2 (chaque kw/h en “contient” jusqu’à six cents grammes, le double de la masse générée par une installation classique au gaz), elle possède un rendement des plus médiocres (28% emplissent radiateurs et convecteurs). Les deux rédacteurs du livret exposent brièvement trois scenarii de sortie : celui, sur vingt-deux ans, de négaWatt à Alixan (Drôme), l’échéancier sur vingt ans de Global Chance à Meudon (Hauts-de-Seine), et une étude de faisabilité maison, bien plus ambitieuse, sur cinq ou dix ans. Cette hypothèse reposerait, selon moi, sur une logique résolument “alternative” et une refonte des “logiciels” en vigueur quant aux schèmes de production et de consommation. Eu égard au degré de conscience politique dans notre société, quoique très pertinente, elle me semble un brin utopique. Elle supposerait le recours, durant la phase transitoire, à des vecteurs fossiles (une trentaine d’usines à gaz très performantes), 60% pour la projection la plus audacieuse et 30% pour l’extrapolation à moyen terme. Pour compenser les expulsions des substances à effet de serre, le document préconise par exemple de limiter l’usage des engrais et des pesticides, de ne plus assembler des moteurs de voitures avalant plus de quatre litres de carburant aux cent et de réduire de dix kilomètres/heure la vitesse admise sur les autoroutes. Que l’efficacité et la sobriété, couplées au boom volontariste des sources renouvelables (9), ne nous dispensent pas d’une réflexion sur la notion de « progrès » et sur une certaine « décroissance », garante de bien-être, de respect de l’humain et des écosystèmes. Malheureusement, aucun parti de l’establishment n’esquisse les prémices de telles avancées…

    (1) Dans son texte publié, le jour même, à cette enseigne, Stéphane Lhomme a parfaitement pointé les tenants et aboutissants de cette magouille purement électoraliste. (2) Cf. mon article mis en ligne sur ce site, le 14 juillet 2011. (3) Nova Éditions à Paris, septembre 2011, 144 pages, 11 €. (4) Le Commissariat à l’énergie atomique a bénéficié, entre 1946 et 1992, de subsides à hauteur de 308 milliards de F, soit 76% de son budget. 90% de l’enveloppe dévolue à la recherche en matière énergétique sont engloutis dans le nucléaire, contre 1,8% pour le secteur des renouvelables. (5) Celui concernant la centrale de Brennilis (70 mégawatts ; 1967-1985) dans le Finistère coûterait 482 millions d’euros, vingt-cinq fois plus que les estimations initiales. (6) 21 236 kilomètres de lignes à 400 000 volts et 26 726 kilomètres à 225 000 volts. (7) Dans un entretien au quotidien gratuit “Métro”, publié le 25 novembre, Jean-Pierre Chevènement a traité les Verts de “secte fanatique”. Pourtant, il serait très exagéré d’affirmer que les négociateur(-trice)s “écologistes” aient déployé une intransigeance exacerbée. Une légère déviance à la doxa atomique, censée faire consensus, suffit donc à déclencher des bordées d’injures. Selon un sondage de l’IFOP pour le “Journal du dimanche”, effectué entre le 1er et le 3 juin, 62% de nos concitoyen(-ne)s se prononcent en faveur d’un arrêt progressif en 25 ou 30 ans, 15% désirent que cette mesure intervienne sans tarder. 14% des sympathisant(-e)s du PS et 13% d’EE/LV avalisent la poursuite du programme et l’érection de fabriques supplémentaires… Quels résultats les instituts enregistreraient-ils si les antinucléaires jouissaient à la télévision et la radio d’un temps de parole égal à celui octroyé aux partisans de la filière ? (8) 35% des logements dans l’Hexagone contre 5% outre-Rhin. Au Danemark, elle est interdite depuis 1985. En Suisse, elle est soumise à une autorisation préalable. Ces trois pays, dépourvus, comme la France, d’or noir, ne manquent pas d’idées intéressantes, ni des moyens de les concrétiser. (9) 97% du potentiel disponible à l’échelle du globe demeurent encore inexploités.
    Convivialement,

    René HAMM Bischoffsheim (Bas-Rhin)

  12. Une citation de Christian Bobin :
    « La terre se couvre d’une nouvelle race d’hommes, à la fois instruits et analphabètes, maîtrisant les ordinateurs et ne comprenant plus rien aux âmes, oubliant même ce qu’un tel mot a pu jadis désigner.Quand quelque chose de la vie les atteints malgré tout — un deuil ou une rupture –, ces gens sont plus démunis que des nouveaux-nés. Il leur faudrait alors parler une langue qui n’a plus cours, autrement plus fine que le patois informatique. »

  13. Winston l‘a dit suite au précédent billet, c’est toujours l’ENA qui gouverne à la fin (ou Sciences Po, ou HEC, ou le Corps des Mines, ou la confrérie des avocats).
    Au passage, il semble extrémiste de réclamer des mécanismes économiques qui ont pourtant existé dans le passé (tels : régulation financière, séparation des types de banques, création monétaire par l’État, tranche marginale d’impôt à 90%, etc.). Alors les choses non économiques…

    On peut voir a posteriori que programme inavoué de Sa Minusculissimité était de secouer les français, d’achever la destruction de la France, d’aboutir à sa conversion en un vaste champ de bataille ultra-libéral interchangeable; il a bien travaillé, quelle pagaille ! Quels changements indigestes !

    Mais évidemment, ce travail de sape était déjà à l’œuvre avant.
    Jadis, on vivait bien en se passant de nombre de bidules : internet, mobiles, pour les plus récents. Je me dis : revenons en arrière !… mais… jusqu’où ? Avant la télé ? Avant la bagnole ? Avant le Révolution industrielle ? Avant la République ? Avant l’imprimerie ? Avant l’écriture ? Avant la sédentarisation ? Avant la parole ?
    Personnellement, je suis un ferrovipathe (vous me direz si c’est grave, merci – attention je ne valide pas le pseudo-droit à se déplacer partout tout le temps), et je trouve que le temps où le rail était un instrument de domination et de “modernité” est révolu; j’aurais du mal à m’en passer, et j’aime songer que cette technologie puisse retrouver son lustre d’antan (mais sans charbon).
    L’utilisation de technologies comme “exo-squelette” est constitutive de l’humain. Parallèlement, il y aura toujours des forces obscurantistes pour utiliser la technique à des fins de domination (même avec un bâton on peut équiper en gourdin des brigades de protection des riches).
    Quels mécanisme, alors, instaurer pour brider la fuite en avant ?
    Quelles innovations rejeter et quelles autres accepter ?

  14. J’ai oublié de parler de Lucien Sève qui, sur le même thème, parlait, dans le Diplo de novembre, d’œuvre de décivilisation.

  15. Je peux témoigner de l’horreur des machines à affranchir dans les postes, et du rôle de préposé aux machines, œuvrant pour supprimer les emplois, que l’on fait jouer aux salariés…
    Les personnes âgées, les illettrés, les paumés vont aux machines, s’y cassent les dents, font la queue pour le guichet, s’entendent dire  » Mais il faut aller à la machine pour cela, madame », la petite dame bafouille « Ça ne marche pas », « Mais si, je vais venir avec vous », déclare d’une voix haut perchée, qui résonne bien, la préposée… Et pendant ce temps, la file des paumée poireaute…

    Mais je m’insurge contre la critique des rustines. Figure-toi, Fabrice, que si ton vélo crève et que tu le confies pour une réparation, on te change la chambre à air (qu’on ne te facture pas directement, tu paies un forfait crevaison). Moi je milite pour les rustines…

  16. L’auteur de ces lignes me pardonnera mais j’ai oublié son nom..j’avais trouvé son texte (posté sur Planète, enfin je crois…), très intéressant:

    « Les ingénieurs n’aiment pas travailler sur de petits trucs. Quand ils bossent dans les routes, ils veulent concevoir des ponts, des autoroutes à huit voies, mais quand on leur demande une piste cyclable sur 300 mètres, c’est pas super fun comme projet.
    Même un trajet cyclable de 5 kilomètres avec de nombreux points de friction vélos/voitures à corriger, ça ne les branche que “moyen”.

    Un gros pont, quitte à défigurer une ville, ça, ça les excite.

    De mon expérience, la raison principale est le “prestige”. Bosser sur un gros projet avec 20 personnes a plus de gueule qu’un projet équivalent, qui marche, mais où il n’y a que deux ingénieurs.

    Non, “moi je travaille sur un gros projet”, “il nous faut 18 ingénieurs pendant 15 mois”, “on va tout reprendre de zéro” et autres “notre projet est super complexe (quitte à ce que ce soit faux, voire pire, qu’on le rende volontairement complexe)” font que ce ne sont jamais des solutions simples, standard, qui sont choisies.

    Dans la banque où je travaille, les clients ne sont pas représentés de la même façon sur les différents systèmes informatiques. Quand je demande si c’est possible de réfléchir à standardiser ça, on me dit non, impossible. Quand je propose qu’au moins les adresses des clients soient toutes au même format (comment on représente la rue, le numéro, etc), on me répond aussi que c’est impossible.

    Je ne parle pas de l’informatique en général, ni même de l’industrie bancaire ou d’un groupe au sein de cette industrie, je parle d’une seule banque au sein d’un seul groupe de cette industrie…

    Alors, tu vois, avant qu’il y ait un filtre à air standard, fusse un modèle par marque, hein… Il faudra une volonté politique terrible, qu’on le veuille ou non, car la solution technique NE VIENDRA PAS DES TECHNICIENS.

    Et en attendant, les politiques et les industriels favorisent la non-standardisation dans tous les domaines, en particulier via le moyen abject des brevets. Et j’aurais aimé qu’un parti, ou un candidat, un seul et j’eus été heureux, en parle, de ces problèmes d’objets et de technique.

    Je voterai quand-même en 2012, contre la corruption mais avec un espoir ridicule, que ce pourrait tout de même avoir un tout petit effet, et surtout parce que c’est encore gratuit, même si on paye ces horreurs antidémocratiques de “machines à voter électroniques” par nos impôts… »

  17. Fred,

    J’aime profondément les rustines, et le malentendu est donc total. Mais pourquoi est-ce que j’aime les rustines ? À cause de la colle, bien sûr. Je revois Jean-Pierre Lemonnier descendre de sa Flandria vers 1964, déboucher un tube de colle à rustines, en déposer une goutte au bas de son blue-jean, tout près de ses bottines, et y mettre le feu. Je me demande si tu peux admirer la scène comme moi. Jean-Pierre Lemonnier était un fighter de la banlieue, à blouson noir, et quand il ne descendait pas de sa mobylette pétaradante, il insultait son père – il avait tenté de le défenestrer -, sa mère, et parfois la mienne. Du coup, un jour, mon frère Régis, qui défendait la réputation maternelle, s’est fait casser la gueule par Jean-Pierre. Moi, mon avantage, c’est que j’étais plus petit. On m’épargnait.

    Où veux-je en venir ? Je ne sais plus. Mais sache que les rustines, par-delà l’usage de leur colle par Jean-Pierre, ont joué un grand rôle dans ma vie. Car j’étais un fanatique du cyclisme, et j’ai passé mon enfance à rêver d’un vélo à moi, que je n’ai jamais eu. C’est le moment de pleurer, oui. Je n’ai jamais eu de vélo, mais j’ai contemplé pendant de considérables heures les petites boîtes métalliques qu’on fixait sous les selles, et qui contenaient deux démonte-pneus, un tube de colle, un grattoir, et bien sûr des rustines. Alors, cette fois, je n’hésite plus à te le dire publiquement, Fred : cesse de me chercher sur l’affaire des rustines, car je serai toujours à leur côtés, quoi qu’il arrive.

    Est-ce bien clair ?

    Fabrice Nicolino

  18. A Fred la rustine.

    J’ai gardé et utilise toujours une trousse à outils d’une vieille  » Lada  » qui permet de réparer une roue crevée n’importe où, même si les rois de la mondialisation ont inventé la galette.

    Je ne sais si elle provient de la voiture que Fabrice n’a jamais achetée, mais c’est très simple à utiliser et rend de bons services.

    Donc, moi aussi, je milite pour les mèches ( pneus sans chambre ) et les rustines à titine et laisse tonton au mirliton.

  19. Fabrice a écrit :
    « Ces saloperies de machines qu’on trouve dans les stations de métro ou les gares de la SNCF  »

    La dernière fois que je suis allé à la gare de Lyon pour rentrer chez moi il y avait des écrans publicitaires en forme de tablette numérique géante (samsung je crois) avec caméras biométriques et capteurs RFID.

    Ces générations de panneaux, sous couvert de statistiques sont/vont être capables en fonction :
    – des puces RFID des objets portés par le groupe de personnes (*) qui va passer devant,
    – de leur carte d’identité RFID s’ils en ont une et surtout leurs téléphones portables pour les identifier et faire le lien avec les réseaux sociaux « émancipateurs » d’autofichage comme facebook, ou twitter,

    de calculer le genre dominant et la tendance affinitaire du groupe de personnes qui arrive pour cibler au mieux en affichant la publicité qui correspond.

    Minority report dites-vous ?

    (*) souvent à leur insu puisque les chercheurs en micro-électronique et nano-électronique sont en train de créer le web des objets en fourguant ces puces de partout pour nous happer dans la planète intelligente (comprenez moucharde et de de contrainte).

  20. un des soucis à mon avis vient du mélange sciences-techniques savamment flou

    par exemple que trouve t on dans G…e actualité rubrique « science (sans « s ») – high tech »

    http://news.google.fr/news/section?pz=1&cf=all&ned=fr&topic=t&ict=ln

    en gros que du gadget qui clignote, des études comportementales « un peu à la con » et du dinosaure …

    la ligne éditoriale classique de la presse n’en est pas très loin

    ce qui désole un peu beaucoup c’est le rejet en bloc à la Barjavel tendance Ravages.

    pour trouver des solutions robustes, légères, efficaces, réparables, pas chères … pour affronter demain, il en faudra des bonhommes et du temps ! et il faudra du soutien.
    Les discours caricaturaux et les réponses toutes faites n’aideront en rien.

  21. Bonjour,

    Je n’ai jamais éprouvé le besoin de réagir à la lecture (assez intermittente) de vos articles, soit que je suis de toute façon d’accord, soit que je ne connais pas suffisamment le sujet.
    Cette fois le sujet, je le connais, et je suis toujours d’accord (je n’ai pas encore réussi jusqu’ici à ne pas l’être), mais ENCORE PLUS QUE D’HABITUDE, et j’ai donc envie de le dire.
    Voilà, c’est fait.
    Merci d’être là.
    Valérie

  22. « Comme j’ai pu déjà le dire ou l’écrire, c’est la situation générale qui est devenue extrémiste. »

    …et essayer d’avoir du bon sens fait prendre le risque a peu près certain de passer, au mieux pour un marginal un peu folklorique, au pire pour un extrémiste ! Dans ce monde a l’envers, tordu, il faut sans arrêt inventer de nouvelles manières de marcher droit… tentatives qui déclenchent des averses de malentendus !

  23. Cher Fabrice, je me suis demandé comment votre billet serait lu ici en Inde, si par hasard quelqu’un le lisait. Et il m’est venu la réflexion suivante… Merci pour votre travail (et pour nous offrir ces occasions d’échanges).

    ——————————-

    Il y a 50 ans en Inde (comme il y a 150 ans en Europe), les gens ne voyageaient qu’en groupes. Tout le monde n’arrivait pas au bout. La fatigue, les bandits, les maladies… Une diarrhée, une insolation, le froid de la nuit, et pas de médicaments ni de docteurs. Même aujourd’hui, il y a encore des bandits à certaines heures sur certaines routes, et on ne s’engage pas avec précision sur l’heure d’arrivée.

    D’une manière générale, les voyageurs en Inde se congratulent et se félicitent lorsque leur train « grande ligne » arrive avec moins d’une demi-heure de retard. Ils partagent la satisfaction simple qu’une suite d’actions humaines bien co-ordonnées a été, non pas « normale », mais « réussie ». Nuance…

    Les gens sont contents lorsqu’ils ont un siège dans le car, lorsque le trajet est rapide et pas ralenti par un embouteillage, une manifestation ou un accident, lorsque la route vient d’être refaite et n’a pas encore de nids de poules. Ils ont un sentiment de satisfaction lorsqu’une lettre arrive, qu’il y a moins de coupures de courant que le mois précédent, quand l’eau a bon gout, qu’une entreprise n’a pas rogné sur la qualité, lorsqu’un fonctionnaire, un policier a refusé un pot-de-vin…

    Toutes ces choses ne sont pas considérées comme « normales », mais comme des bonnes nouvelles, qui méritent d’être remarquées, et dont on parle. Des fois ça passe même dans le journal !

    Lorsque rien n’est acquis par principe, on est en quelque sorte « préparé à tout ». Non pas qu’on a prévu un « plan B », bien au contraire, on essaye plutôt de ne pas prévoir trop en avance (Ce qui a aussi ses inconvénients, bien sur).

    Mais je me demande si ca ne fait pas aussi une société plus résiliente, moins fragile en cas de coup dur.

    Comme avait dit un jour dans une formation, un spécialiste de la sécurité incendie dans un grand bureau de contrôle, « la sécurité ce n’est pas le dispositif technique, c’est de savoir ce qu’on peut en attendre ».

    Il en découle assez logiquement que, faire dépendre de plus en plus de choses essentielles pour la vie, de systèmes techniques ou « tout » est théoriquement prévu… Nous précipite vers le chaos et l’insécurité.

    Même le vocabulaire fait de plus en plus référence à la mécanique : « ascenseur social », « mécanisme de redistribution »…

    On parle de « désenchantement du monde », mais en fait ca ressemble plutôt à son contraire. Ca ressemble à un grand retour de la magie, au plus mauvais sens du terme : Avec l’informatique comme catapulte et comme cheville ouvrière, nous croyons de plus en plus que seule la mécanique peut tout solutionner.

    Est-ce que nous ne sommes pas, avec opiniâtreté et passion, en train de construire un immense mécanisme de fragilité ?

  24. Merci. Très joli. 🙂

    Saurons nous un jour dans quoi vous trempez votre plume? Aha, c’est secret?

    Heureux tous ceux qui ne sont pas entrés dans la modernité, ils ne seront pas en « manque », lorsque tout s’écroulera!
    Ils savent et sauront se débrouiller sans …

    Bien a vous tous(tes).

  25. Miaou demande :

     » Quels mécanisme, alors, instaurer pour brider la fuite en avant ?
    Quelles innovations rejeter et quelles autres accepter ? »

    La réponse est facile, même si elle est difficile à mettre en oeuvre, tant l’être humain est devenu amorphe et inconsistant.

    Revenir à une époque où la biodiversité règnait en maître sur cette planète, càd environ dans les années 50. Rejeter toutes les innovations technologiques qui ne sont que des apparences de progrès, et qui génèrent d’autres attentes dans un cycle infernal et dévastateur. Respecter la nature dans tous ses états, et accepter son équilibre mystérieux.

  26. ” Quels mécanisme, alors, instaurer pour brider la fuite en avant ?
    Quelles innovations rejeter et quelles autres accepter ?”

    Il faut déconstruire,(Bouh! Il existe ce mot?)tout ce qui est contre nature!

    Individuellement pour commençer, en espérant une contagion. Il faut aussi comprendre que nous ne pouvons pas être partout a la fois, et aider tout le monde. Faire au mieux, avec les moyens qui nous sont donnés!

    Le progrès n’est un réèl progrès que s’il est fait pour toute l’humanité!

    Certains parlent de ce monde, comme un monde de merde, moi y compris. Ce monde, tel qu’il est, c’est l’homme qui l’a créé! Nous avons tous « hérités » du libre arbitre, mais la majorité des humains l’ont utilisé pour la destruction. Et les autres, la suive, ou sont contraint de la suivre! Enchainés au système.

    Combien de temps avons nous encore besoin d’une nounou?
    Ne sommes nous pas assez grands et matures pour savoir ce que nous voulons, ou plutôt, de quoi nous ne voulons plus? Beaucoup sont dans les startings bloc,( mot français?)et n’osent pas aller de l’avant. Peur de qui, de quoi? Bon sang, foncez! Pas pour nous, mais pour nos enfants et toutes les générations a venir!

    Bref, j’arrète la, car mes mots risquent de devenir trop « sauvages »!

    😉

  27. C’est vrai qu’on peut toujours prendre des petites cuillers comme démonte-pneu, mais la rustine sans la colle n’est rien… 
    😉

  28. LBL, merci, c’est gentil. Mes sources d’inspirations ne sont pas secrètes, en fait, a cause de votre question, j’en ai fait une liste. Résultat, surtout des classiques et des best-sellers, presque tous en livre de poche, que des gens connus, tous avec leur page wikipedia et souvent beaucoup plus…

    Voici les auteurs qui m’ont beaucoup appris et m’apprennent encore sur la technique et sur l’écologie (c’est épars et très incomplet) : Thomas Kuhn, Rudolf Steiner, Bernard d’Espagnat, Amy Dahan-Dalmedico, David Ruelle, Schiller (lettres sur l’éducation esthétique de l’homme), les lettres de Kantor, les deux articles de Turing (« des nombres calculables » et « computing machinery and intelligence ») son biographe Andrew Hodges, Vernor Vinge, Abelson et Sussman, Lucien Sfez, l’Histoire générale des techniques de Maurice Daumas, l’Encyclopédie des nuisances, Svetlana Alexievich, Roger et Bella Belbéoch, l’Association contre le Nucléaire et son Monde, Bertrand Louart, Alain Finkielkraut (« la sagesse de l’amour »), René Girard, un petit peu Emmanuel Levinas (c’est ardu !), Jacques Lusseyran, Primo Levi, Jesaiah Ben Aharon, Nicanor Perlas, Pierre Rabhi, Anupam Mishra, Annie Montaut, Marie-Claude Mahias, Gilbert Simondon, Hassan Fathy, Bernard Rouleau, Aldo Rossi, Jacques Heyman (« The stone skeleton »), Humphreys et Nicol, Jacques Fredet, les chroniques de l’énergie solaire de Reiser, « Construire en Terre » du CRATerre, « Habitats » (traduit de « Shelter »), et Gébé, Fournier, Cavanna, Grothendieck, Sunita Narain, Praful Bidwai, Debal Deb, Fabrice Nicolino, Marc Hatzfeld, Alain-Claude Galtié…

    Je mettrais un bémol a votre conclusion ; Les gens qui s’isolent et forment des petits groupes pour mieux « résister » a la modernité, etc. font souvent un travail nécessaire, mais ca ne « protège » en aucun cas les membres du groupe. Le Tsunami technologique arrive partout, et avec une brutalité d’autant plus forte qu’on y était moins préparé. Fermer la porte de devant c’est laisser entrer la vague par la porte de derrière.

    Ce n’est pas la technique qui fait la fragilité mais la foi en la technique. Seuls les humains peuvent régler les problèmes qui surviennent sans arrêt !

    Si les vigiles et les docteurs de l’hôpital high-tech ou 90 personnes ont été asphyxiées hier à Kolkata ne s’étaient pas faits les esclaves serviles d’un système qu’ils croyaient tout-puissant, ils auraient laissé rentrer par la porte les jeunes du bidonville voisin qui avaient vu l’incendie avant tout le monde, et qui ont négocié en vain, toute la nuit, pour évacuer les malades, avant finalement de monter sans demander de permission des échafaudages de fortune en bambous et de sortir les gens par les fenêtres. Ce qui est la cause de l’ampleur du drame dans ce cas précis, c’est moins la défaillance mécanique (court-circuit, système de sécurité inopérant, conception inadéquate, entretien défectueux, etc.) que l’attitude folle de ceux qui n’ont pas eu la présence d’esprit de se comporter autrement qu’en serviteurs d’un mécanisme.

  29. Entre la réparation des chambres à air à l’ancienne, et leur abandon au premier trou, mon coeur balance : depuis quelque temps, j’écume les échoppes de réparateurs de vélos de la capitale, pour en trouver ; je les découpe en lanières d’1 cm de large et ai commencé à les crocheter (avec les doigts, avec un crochet, c’est trop dur) pour faire des sacoches.

    Une question me tourmente, Fabrice, avez-vous maintenant enfin un vélo à vous ?

    il me semble qu’avant la conversion du Franc, il fallait 2 mois de salaire pour s’en payer un, à présent, c’est devenu plus accessible, surtout si on se satisfait d’un engin d’occasion. Pour moi, c’est une des plus belles inventions humaines (après la machine à laver, qui, c’est indéniable, a libéré la femme 😉

    Si vous êtes l’heureux propriétaire d’un vélo, et que vous voulez une sacoche, je me ferai un plaisir de vous en offrir une de ma fabrication, en remerciement de tous les percutants articles que vous publiez ici et ailleurs.

    Bien amicalement

  30. Souvenir cuisant d’une barrière de parking qui, m’ayant laissée entrer par inadvertance (la mienne ou la sienne?) refusait de me laisser sortir. Pas un être humain pour lui expliquer ma mésaventure. La barrière a fini par se lever, jamais compris comment ni pourquoi elle avait d’abord refusé.

    Certains se souviendront peut être d’une BD des années 80, intitulée « Mange-Bitume ». Les auteurs étaient des visionnaires.

    Inversement, saurons nous encore ouvrir une porte, allumer un feu, trouver notre chemin le jour où tous ces machins nous feront défaut?

  31. Aie,

    Mr Fournier, bonsoir,

    A vrai dire, le  » dans quoi vous trempez votre plume  » était adressé a Mr Fabrice!
    Mais j’ose vous rassurer, la mixture qui se trouve dans votre encrier est toute aussi flamboyante.

    Si ce n’est ce fameux mélange, serait ce donc la longueur de la plume?

    Purée, parfois je me demande ce que je fais parmi vous! Sur ce blog et d’autres! Merci de m’accepter, merci. Ma plume est bien petite, en comparaison des vôtres, et juste tombée du nid!

    En espèrant, humblement, que mes « sottises » servent un peu a faire rire, ceci afin que la soupape de décompression ne reste pas trop coincée dans ce monde de dingues!

    La soupape: Pas question de mettre une rustine dessus!

    🙂

    Bien a vous toutes et tous.

  32. Très vie ce que dit l’auteur, mais « nous » avons perdu, « nous » sommes dans une crise, pas d’accord.
    « On » nous a fait perdre.
    Les autorités privées des entreprises privées ont sciemment supprimé partout des emplois et remplacés ceux-ci par des machines, ou par rien. Elles ont délibérement multiplié le nombre de machines diverses à fonctions multiples – le téléphone par exemple, devenu une véritable usine à gaz -.

    Comme si cela ne suffisait, l’Etat lui-même, l’état ultra-libéral a poussé à fond dans cette voie, supprimant lui-même des postes partout où il pense que c’est possible.

    C’est ainsi que nous aboutissons à une population privée, abandonnée et sommée d’être moderne, c’est d’aimer la déshérence, la misère montante, la déshumanisation à laquelle la contraignent les firmes capitalistes et leurs tenants politiques, leurs amis chers politiques.

  33. Laurent Fournier a écrit :
    « Seuls les humains peuvent régler les problèmes qui surviennent sans arrêt ! »
    La SNCF (je prends un exemple que j’apprécie 😉 ), quand elle était encore un système intégré, était très sûre parce qu’il y avait, outre des règles très strictes, des redondances de possibilités de corrections d’erreurs par les nombreux cheminots intervenant tout au long de la chaîne – bien entendu cela renchérissait le tarif.
    Maintenant, elle est complètement démembrée, et le ver privé est dans le fruit. Observons.

  34. Oh pardon LBL! J’avais cru que votre conclusion était dans la suite de mon commentaire, surtout venant juste après… Mais oui, votre question est plus naturelle si elle est adressée a Fabrice, j’aurais du m’en douter… Et comme Fabrice fait toujours très abondamment référence a ses sources d’informations et sources d’idées, vous entendiez peut-être « tremper sa plume » dans un sens moins littéral… et je partage votre interrogation, même si au fond je pense que c’est une question sans réponse! Heureusement qu’il y a encore des « secrets »!

    Je tout a fait d’accord avec ce que vous écrivez, et si je cherche parfois un « bémol » ici ou la, c’est souvent parce que le commentaire précédent a ouvert des portes, et puis c’est plus intéressant que de simplement écrire « d’accord »!

  35. Je pensais que cet article allait parler de vélo…

    C’est vrai que les hommes sont remplacés par des robots, et qu’eux-mêmes doivent se transformer en robot pour « fonctionner » dans ce monde technique.
    « We are the robots »

Répondre à Laurent Fournier Annuler la réponse

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *