El lobito bueno (un petit loup très gentil)

Je chantonne ce texte depuis un paquet d’années, croyez-moi. Il s’agit d’un joli pied de nez écrit par José Agustín Goytisolo, dont voici la première strophe : Érase una vez/un lobito bueno/al que maltrataban/todos los corderos.

Il était une fois un gentil petit loup qui était maltraité par tous les moutons. Quand je chante à pleins poumons cette blague, car cela m’arrive, le roi n’est pas mon cousin. Et, je le précise, je ne chante pas si mal. Bref, un gentil petit loup. C’est à cet animal imaginaire que je pensais tout à l’heure en découvrant que l’Espagne vient d’autoriser la chasse au loup au sud du fleuve Duero. Où est-ce ? Au nord de Madrid, et c’est une frontière naturelle qui barre en deux cette partie de l’Espagne. Le fleuve, vous m’avez compris.

Là-bas, le loup se porte assez bien. Au nord en tout cas du Duero, l’espèce reconquiert d’année en année de nouveaux territoires. Malgré les tirs, le piégeage, le poison. Oui, malgré. Mais au sud, son avancée risque fort d’être stoppée, car les autorités de la région Castilla y León ont décidé de réagir. Et de légaliser la chasse au loup, jusqu’ici considéré comme une espèce protégée. Oh, les raisons du massacre à venir sont excellentes, comme de juste. Le bétail est constamment menacé, les éleveurs n’en peuvent plus, le pastoralisme ne s’en relèvera pas, etc.

Sûr, je pourrais ricaner. Le gouvernement espagnol – socialiste – et la Junta de Castilla y León – de droite – sont parfaitement incapables d’aider les éleveurs à seulement survivre. Avec ou sans loup. Et bien entendu, je suis du côté du loup, et pas de celui du fusil. Mais j’ai envie, ce lundi lumineux de novembre, de rendre un hommage à l’athlète, au combattant, à l’intraitable Canis lupus.

Oui, je le confesse, je suis admiratif. À peine fiche-t-on la paix – un peu – à l’animal, qu’il repart au front, franchissant fleuves, routes, lignes de chemins de fers, villes et villages. Gloire à toi, le grand sauvage ! Gloire ! Dans ce monde où la plupart des discours sentent la mort, l’épopée du loup d’Espagne, ce considérable réfractaire aux lois humaines, me fait sourire continûment. Il est la vie, intrépide, insolente, anarchiste. ¡Viva la Anarquía!

Je ne vous ai pas dit, pas encore, que j’écris des histoires pour les enfants. Et je travaille de temps à autre sur un récit qui concerne le retour du loup en France. En exclusivité mondiale, je vous livre ci-dessous quelques lignes de ce texte. Pas la peine de s’énerver, il n’est pas publié. Mais vous me donnerez un avis, n’est-ce pas ?

La naissance de Zingaro

« Tu veux vraiment savoir qui je suis ? D’où je viens ? Et mon nom ? Et mon âge ? Oh, tout ça n’a pas grande importance, si tu veux mon avis. La seule chose qui compte, c’est l’histoire que je vais te raconter. Tu peux être sûr d’une chose : je n’étais jamais très loin de cette grande aventure et je suis ce qu’on appelle un bon témoin. Crois-moi, les choses se sont vraiment passées comme je vais te les décrire. J’ai peut-être oublié un ou deux détails, mais ce n’est même pas sûr, car j’ai bonne mémoire, pour un vieux. Oui, une bonne mémoire.
Quand tout a commencé, j’étais jeune, très jeune, et notre ami tout autant. Le pays d’où il est parti est un beau pays. Une montagne de rêve où poussent depuis toujours de grands arbres. Des chênes et des hêtres, des châtaigniers et des pins, et au bord des eaux, des saules et des peupliers. Je me souviens, aujourd’hui encore, du vent sifflant dans les feuilles et du cri des grenouilles quand chantait le printemps. Notre ami Zingaro aimait plus que tout s’installer au bord du ruisseau qui se jette dans le lac d’en bas, à quelques sauts à peine de la tanière. Je l’appelle Zingaro pour que tu me comprennes bien, parce qu’en réalité, notre ami n’a aucun nom. Aucun. Mais Zingaro lui va bien, je trouve.
Dès le premier printemps, dès son premier mois d’avril au royaume des fleurs et des chants d’oiseaux, il aimait plus que tout le grand dehors. Il n’était encore qu’un minuscule mollasson incapable de manger autre chose que de la bouillie, ce jour où je l’ai vu de mes yeux approcher du torrent et s’allonger dans les herbes tendres. Il adorait déjà le bouillonnement, le changement, les bonds du courant et l’aile bleue des libellules au ras des flots.
Mais il savait aussi cacher son jeu. Car dès cette première sortie, alors que tout le monde aurait pu le croire endormi dans le pré, accroché à ses rêves, il a saisi un petit crapaud qui passait à portée de pattes, et il l’a croqué. Croqué d’un coup d’un seul ! Que veux-tu que je te dise ? Le loup n’est pas un mouton. Et ce n’est pas non plus un berger. C’est un vagabond-né, un coureur de fond qui a besoin de soigner ses muscles en permanence. S’il mange tout ce qu’il trouve, sans jamais faire le difficile, c’est qu’il n’est jamais sûr de rien. Surtout pas du lendemain.
Bon. Zingaro était un petit malin. Peut-être un peu plus malin que ses trois sœurs. Que ses deux sœurs, je veux dire. Car si sa mère avait bien donné naissance à quatre louveteaux, dont un seul mâle, Zingaro, l’une des petites est morte au bout de quelques jours. Elle tétait sa maman, comme les autres, mais en donnant l’impression qu’elle n’en avait pas envie. Elle préférait dormir, dormir, dormir, pendant que les autres engloutissaient le bon lait maternel. Et un jour, elle n’a plus relevé le museau. C’est comme ça que la vie part, chez les loups.
Donc, un petit malin. Au bout d’un mois, il commençait à sortir du trou creusé sous les racines d’un hêtre géant, dans la pente. En poussant des petits cris de joie. Il se sentait victorieux, je crois, il s’imaginait plus grand qu’il n’était. Mais il faut bien avouer qu’il a su chasser très vite le mulot.
Je t’explique, tu comprendras mieux. Un jour qu’il avait un peu plus de deux mois, pas davantage, Zingaro s’est aventuré seul à la lisière du petit bois où se trouvait la tanière. Comme c’était grand ! Comme c’était vaste ! À perte de vue, on ne voyait que de l’herbe ondulante, une sorte de crinière surmontée de tiges de fleurs que le vent de mai balayait avec douceur. On entendait les abeilles, de temps à autre ces acrobates de chocards à bec jaune faisaient les imbéciles dans les airs, et en écarquillant, on pouvait apercevoir plus bas, vers la plaine, un troupeau de moutons.
Mais je suis bête, peut-être que tu ne connais pas le chocard ? Si je te dis que je l’ai parfois confondu avec le crave, tu vas me prendre pour un fou. C’est juste pour te dire que j’ai de bons yeux, parce que la différence entre les deux, il faut la trouver. Sauf que le crave a un bec rouge, et le chocard un bec jaune. À part cela, le chocard est un acrobate comme tu en verras peu. Bien souvent, il vole en bande, avec je ne sais combien de frères et d’amis. Et zoup ! il pique la tête la première en tirant sur l’une de ses ailes pour mieux tomber.
Car il tombe, crois-moi. Comme une pierre. Une fois, deux fois, cinquante fois. Ou bien il se frotte la plume contre une falaise, à toute vitesse, à toute allure, comme s’il avait besoin qu’on lui gratte le ventre à l’instant même, à la seconde. On le voit aussi se retourner en plein vol, cinq ou six fois de suite, ou bien attendre entre deux tranches d’air un courant chaud qui le fera grimper plus haut que la montagne. Je crois bien que si le chocard avait des dents, il rirait tout le temps.
J’oubliais : il aime la pierre, le caillou, la roche. C’est son pays, c’est son royaume. Quelquefois, installé sur des cailloutis, il plonge le bec entre les fentes d’un rocher, et tchic ! il en retire un petit escargot ou un gros insecte. Tu peux le croire ? À d’autres moments, il dépose au même endroit les restes d’une souris morte ou des miettes de je ne sais quoi qu’il a récupérées je ne sais où. Et il revient picorer quand il a faim. Sans le roc, le chocard serait une fourmi. La preuve, c’est qu’il dépose ses nids et donc ses petits dessus. En plein dessus le roc. Si tu veux tout savoir, il m’est arrivé de rêver que j’étais un chocard. Oui, moi.
Bon, excuse-moi, j’ai l’impression de m’être perdu en route. Je te parlais d’un mulot, non ? Zingaro avait encore les yeux bleus, à ce moment-là. Et ce jour dont je voulais te parler, tout soudain, il s’est arrêté, l’œil fixé sur un point invisible, les oreilles et le museau comme rassemblés dans la même direction. Tu l’aurais vu, la tête sortant à peine de la pelouse ! Il donnait envie de rigoler. Pourtant, ce n’était pas une plaisanterie.
Rageusement, grattant le sol, enfouissant le museau dans le trèfle, il s’est mis à avancer, de plus en plus vite, puis à courir aussi vite que ses petites pattes le lui permettaient. Figure-toi qu’il avait senti une trace, le passage d’un mulot dans le labyrinthe de la prairie. Il faut voir clair, crois-moi, car le mulot est un nain, et celui-là était un petit nain, si tu veux bien me permettre. Que faisait-il dehors à cette heure, lui qui ne sort en général qu’à la nuit ? Mystère. Mais Zingaro ne prit pas la peine de demander : il lui sauta dessus sans hésiter, et… Le reste, tu peux le deviner tout seul ».

4 réflexions sur « El lobito bueno (un petit loup très gentil) »

  1. …bien agréable de venir s’abreuver à la fontaine de cette désaltérante histoire à la vie intense et imagée !
    Et si vous donniez la parole au protagoniste ?! …

    En attendant la suite…
    Tout de bon,

    Yvan

  2. La suite ? Heu… un éleveur de mulots lui a tiré dessus ?..
    Un grand merci pour le loup, en tous cas…
    J’ai bien l’impression qu’il croque le mulot comme il engloutit son territoire. Rageusement. Et c’est tant mieux.
    Encore cette fois (en Espagne), il s’en sortira. C’est certain.

  3. Mon cher JB,

    Bien entendu qu’il n’y a pas de suite …
    Il fallait comprendre que je fais allusion à
     » La Fontaine  » et que,par mon commentaire,je complimente et encourage Fabrice à laisser libre cours à sa capacité créatrice. Celle de raconter des histoires et de,pourquoi pas,les présenter sous forme de  » fables « …simple suggestion !

    En attendant donc la suite…

    Tout de bon,

    Yvan

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