Faut-il ? (à propos de la grève)

Le mieux serait que je me taise, car ce que j’ai à dire ne plaira à (presque) personne. Mais voilà, je suis contre la grève. Oh, pas en général, je le précise aussitôt. J’ai souvent espéré, dans le passé de ma jeunesse, des mouvements sociaux aussi massifs que déjantés. Insurrectionnels, pour ne rien vous cacher.

Puis, on cherchera en vain plus grand contempteur de Sarkozy et de son univers que moi, soit dit sans me vanter. Je ne pourrai jamais être de droite, mais je ne suis plus du tout de la gauche. Laquelle, lesquelles – car je parle bien des gauches, de toutes les gauches – éclairent encore, bien faiblement, un monde en ruines. Pendant deux siècles et plus, il ne s’est agi que de produire plus massivement que chez le concurrent. Et de répartir autrement, restons honnête. La gauche assurait qu’elle créerait les conditions de l’abondance, et qu’elle saurait mieux, évidemment, la répandre sur tous et sur chacun.

Mais ce chacun était Français, et l’est resté. Il n’a jamais été question de penser le monde aux dimensions de la planète et de ses peuples. Et maintenant, il est trop tard, car la crise écologique nous a rattrapés et définit sans état d’âme les contours forcés de notre avenir commun. La crise, cette crise décisive, nous montre les limites physiques de l’aventure humaine. Nul n’y peut plus rien.

Alors, la grève des transports ? Je comprends sans peine les cheminots qui veulent partir à la retraite au plus vite. Qui en serait incapable ? Mais je les comprends comme je comprends ceux qui râlent contre le prix de l’essence, qui rogne leur revenu. Ou ceux qui manifestent parce que l’entreprise qui fabrique des chars Leclerc les licencie. Ou ceux qui ne parviennent plus à vendre leur cochon au marché de Plérin.

Bref, je les comprends. Mais pas question de les soutenir pour autant. Car cette grève de transports est une grève du passé. Elle signale à quel point les esprits sont encore englués dans un temps qui ne passe pas. Elle montre comme il est difficile de changer. Car quoi ? Il ne va pas seulement falloir changer, il va falloir muer. L’avenir possible fera de nous des mutants, cela ne fait guère de doute. Les droits que nous nous sommes octroyé doivent être systématiquement appréciés au regard des devoirs que nous accepterons d’assumer.

Certes, il n’est pas question de donner raison à ce gouvernement-là. Car il a tort au-delà de ce que je suis capable d’écrire. Mais un mouvement social dans les transports ne saurait être à ce point autiste. J’aurais aisément pu le soutenir s’il s’était adressé en priorité à la société tout entière. En considérant non seulement son présent, mais aussi son avenir, et sa place dans un monde dévasté.

On aurait pu imaginer les prémices d’un pacte social novateur, remettant en cause la prééminence de la bagnole individuelle, réclamant un plan d’urgence nationale en faveur du train et des transports collectifs, insistant sur la gravité de la crise climatique et les responsabilités désormais planétaires du mouvement social. À ce compte-là, oui, tout le reste pouvait être discuté. À ce compte-là, oui, la société était concernée par le conflit, et d’une manière active, joyeuse, peut-être déterminée.

Mais on est affreusement loin, au cas où cela vous aurait échappé. Le mouvement syndical français est comme pétrifié. Et il mourra, à moins que. À moins qu’il ne décide de parler enfin du monde réel. À moins qu’il ne redevienne ce pour quoi il avait été créé. À moins qu’il ne prenne en charge, enfin, le sort de chacun. Ici, là-bas, pour aujourd’hui et pour demain.

12 réflexions sur « Faut-il ? (à propos de la grève) »

  1. Merci! Je souscris à 200%.
    Dernier espoir en 1995, définitivement convaincue de la non pertinence de cette forme de lutte en 2003…
    Depuis, c’est la grève du porte-monnaie, de la bagnole, de tout ce que je peux. Mais c’est pas assez, je vais oser changer de vie bientôt, j’y réfléchis, et chaque jour me prouve que nous sommes de plus en plus nombreux à contourner au maximum les boulevards prévus pour que nous consommions toujours plus. Non, on ne peut plus défendre ce petit cheminot qui dit qu’il va gagner 800 euros de retraite, mais que son emprunt à la consommation lui coûte 800 euros… Je n’en veux à personne, surtout pas aux victimes, mais quand même, faut réagir;

  2. Pas d’accord les amis. Militer pour une société écologique ne doit pas se traduire par l’acceptation d’une aggravation des conditions de vie des gens, non ? Moi, je reste solidaire des petits, ceux qui prennent en général tous les coups et qui osent parfois faire front. Ce sont encore eux, les travailleurs, qui prendront quelques coups supplémentaires au passage quand le prix de l’énergie, des transports et autres biens de consommation augmenteront.. En tout cas c’est ce que nous expliquera le pouvoir, bible du Grenelle en poche. Ne tombons pas dans ce panneau.

  3. Eh bien, en effet, pas d’accord, cher Copernic. Je défends les petits, comme tu dis, depuis toujours et à jamais. Mais de quels petits parles-tu donc ? Du mec qui se bat tristement pour offrir un téléphone portable à son gosse tout en filant chez Leader Price ? Je n’ai aucun mépris pour les pauvres, d’autant plus que je viens de là, et qu’une partie de moi y demeure. Mais je sais aussi ce qu’est l’aliénation. Et je sais aussi que nos désordres de gavés, toutes classes sociales confondues, montrent à quel point le monde marche sur la tête. La société écologique dont tu parles sera planétaire. Ou bien elle ne m’intéresse en rien. Bien à toi, Copernic.

    Fabrice Nicolino

  4. D’accord et pas d’accord
    Il est évident que les grevistes n’arrivent pas à externaliser leur revendications et réclamer davantage de justice sociale et davantage de trains en France pour le bien de tous comme ils n’arrivent pas à trouver d’autres stratégies plus efficaces. Cependant il ne faut pas perdre de vue que la modification du statut des cheminots, gaziers, electriciens, etc, sert à mettre les contrats de travail de ces salariés en conformité avec une future privatisation, les « croissancistes » ayant flairé le filon à venir. A la finale, comme le dit Copernic , les plus pauvres vont encore devoir se serrer la ceinture. Avant ils trimaient pour pouvoir acheter une télé pour voir tout ce à quoi il n’avaient pas droit dorénavant il faudra qu’ils aillent au boulot à pied et mettent des pulls en guise de chauffage. Encore un effort et l’air sera payant.

  5. en parlant de petit, témoignage de l’un d’eux aujourd’hui : « déjà qu’on vivote par des petits boulots,sans s’en sortir, toutes ses grèves ça va être un max d’heures sup pour nous, pour tenter de finir le mois ».Les plus pauvres se serrent la ceinture.

  6. et puis, qui à fait construire dans les années 80 en Ile de france des grandes tours HLM tassées à 5 kms minimum des centres villes ?Les gens qui y vivent n’ont pas choisi d’être loin de leurs boulots, ils dépendent pour la pluspart entièrement des services publiques (bus et R.E.R). Quand on ose parler de mouvement social, on se doit d’être solidaire avec ses camarades, or les R.E.R les plus marqués par la grève aujourd’hui sont ceux qui déservent les grandes banlieues, est-ce logique et acceptable ?

  7. Juste une petite remarque : on n’a jamais vu les militaires défiler dans la rue (à défaut de pouvoir faire grève de la guerre, ils disposeraient quand même de moyens considérables pour bloquer la circulation, par exemple).
    Et pour cause, leurs régimes (très) spéciaux de retraites restent inchangés.
    Il est sans doute plus facile pour le gouvernement de s’attaquer aux salariés de la SNCF ou de la RATP, en sachant que leur grève sera en partie impopulaire. N’y a-t-il pas là une stratégie, un risque calculé (le classique « diviser pour mieux régner ») ?
    Donc d’accord pour dénoncer cette situation où l’on cherche à opposer le français qui gagne 1000 euros par mois à celui qui en gagne 1500. Où l’on s’en prend à certains soi-disants « privilégiés » tout en laissant tranquille quelques « hyper-privilégiés » (militaires, députés, etc…)

    D’autre part, il me semble tout à fait vrai (même si je n’ai pas personnellement le recul nécessaire) que les grévistes, quels qu’ils soient, ont une vision étriquée du monde dans lequel ils vivent.
    Quand je pense qu’un pays comme la France a pu gagner autant au niveau social, alors que dans le même temps, elle exploitait, torturait, assassinait dans ses colonies africaines, je ne peux pas m’empêcher d’être saisi par un certain malaise… Est-ce que mon bien-être est lié à la misère des clandestins que notre doux Empereur Zykochar Ier se donne tant de mal à renvoyer chez eux ?
    Comme le disait un chef indien cité par Eduardo Galleano (dans « Les veines ouvertes de l’Amerique Latine »), si les pays dits occidentaux devaient rembourser tout ce qu’ils ont volé à leurs colonies, eh bien… ils en auraient sans doute à leur tour pour des siècles et des siècles de misère. On peut facilement imaginer la suite…

    P.S. sur les retraites des militaires :
    http://www.politique.net/2007101101-le-regime-special-des-militaires.htm

  8. Cher Fabrice,
    je suppose qu’à chaque fois que votre employeur baisse votre salaire vous manifestez votre accord avec enthousiasme. Donnez-nous régulièrement des nouvelles de la décroissance de vos revenues.
    Merci à l’avance
    BH

  9. Précision 1: On entend beaucoup les usagers se plaindre que les grévistes les « empêchent » d’aller travailler. Ils ne les empêchent pas: Ils cessent de les y aider. les grévistes suspendent le service qu’habituellement ils rendent contre salaire, et renoncent à leur paie pour la durée où ils cessent de « servir ». Ils exercent ce faisant leur droit de grève.
    Que la grève constitue une nuisance est incontestable, c’est même de là qu’elle tire son pouvoir persuasif.

    Précision 2: Les cheminots, les employés de la RATP, etc. ont signé un contrat d’embauche qui stipulait qu’ils auraient un régime spécial de retraite. le gouvernement veut unilatéralement revenir dessus et priver ces gens de leur retraite anticipée, sans aucune contrepartie.
    Personne n’accepterait cela.Personne.
    Dans la France ultralibérale que Sarko et ses néoconservateurs veulent bâtir, le salarié n’est qu’une marchandise jetable, pas un être humain avec des droits. Le fait de prétendre leur imposer cette réforme en disant à l’avance qu’il n’y aura pas de discussion, juste des « négociations » au cas par cas sur des aménagements de cette « réforme » décidée sans leur demander leur avis, le montre bien.
    Au fait, y-aurait-il en France aujourd’hui des retraites, des vacances, etc. si d’autres n’avaient pas fait grève dans des temps plus anciens? Drôle de cohésion sociale, aujourd’hui.Drôle de solidarité devant le nivellement par le bas.
    Précision 3 : Etonnants en effet ces régimes « spéciaux » à géométrie variable fustigés par les médias. Etonnant ce silence assourdissant sur les retraites dont bénéficient les cadres de l’armée, cités ici : à côté d’eux, nos cheminots soit-disant « privilégiés » sont de tout petits amateurs. Regardons les chiffres publiés par le « Le Canard enchaîné » les cadres militaires bénéficient d’un régime très, très « spécial »:
    Alors que 1100000 retraités de la fonction publique se partagent 5 milliards d’euros, ce sont 8,2 milliards qui sont budgétés pour 513000 pensionnés militaires!
    Un sous-officier peut partir en retraite après quinze années de service, en cumulant avec un autre boulot(un certain nombre d’emplois civils leur sont réservés, sans concours ni examen)…
    Pour les officiers, vingt-cinq années de cotisation suffisent, avec possibilité de cumul . Un général part avec 4000 euros en moyenne, à 57 ans ou plus (plus une enveloppe du ministère de 3 millions par an, au titre de la « reconversion »…)
    Selon La Cour des Comptes , en 2004, « la retraite moyenne des militaires représente 72% du salaire net des Français en activité dans les secteurs privés et semi-public ». et surtout : « Un militaire qui part au bout de vingt-six ans de service a la même retraite qu’un civil après trente-trois ans. »
    (A propos…l’armée est -elle soumise à l’application du Grenelle? Hulot va t-il pouvoir bientôt s’extasier à la télé sur des  » munitions vertes » et leur donner un 18/20?)
    Pendant ce temps, 15 milliards d’euros sont distribués aux plus grandes richesses du pays, Là, ce n’est plus le « régime spécial », mais le gain au loto quotidien. Quinze milliards d’euros. Un gouvernement qui pratique une politique aussi clientéliste et réserve à son sommet les privilèges les plus indécents ne devrait moralement pas demander un tel effort à ceux d’en bas, quand il a fait tant de largesses à ceux d’en haut.S’il avait un minimum de pudeur, bien sûr. Ce qui n’est pas le cas.
    Amicalement
    patric

  10. tout à fait d’accord patric, je regrette juste qu’il n’y est pas une solidarité plus organisée avec les petits usagers vraiment dépendants des transports publics à cause des situations géographiques de leurs citées, et qui ne pourront ni faire grève, ni boucler leur fins de mois .les militaires ne sont en rien dérangés par le mouvement actuel, ni les classes les plus privilégiées, ce sont les plus modestes qui trinquent majoritairement, leurs patrons ne payent pas d’appart en cas de grèves aux vacataires !.aux temps anciens, les grévistes et les syndicats étaient solidaires avec cette idée là .pour le reste je suis d’accord

  11. J’aurais aimé que les grévistes appellent toute la population à se joindre à eux pour que tous, nous bénificiions de régimes spéciaux (pourquoi travailler de + en + alors que les moyens techniques que nous avons inventés devraient nous libérer du travail ?) ; pour défendre les transports en commun, le service public; pour dénoncer l’étalement urbain …je rêve certainement ! Mais malgré tout, je ne serai jamais contre les grèves, ni contre les syndicats car, en les dénonçant, on entre actuellement dans le jeu des personnes qui souhaitent « diviser pour mieux régner ». Attention terrain glissant !

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