Anne Lauvergeon, reine de l’ignorance

Cet article a été publié dans Charlie Hebdo le 6 novembre 2013

Les socialos n’en loupent pas une. Quand ils veulent imaginer la France de 2030, ils demandent le boulot à l’ancienne sherpa de Mitterrand, propulsée ensuite à la tête d’Areva. Résultat : un château de cartes. En Espagne.

Comment dire du mal d’Anne Lauvergeon, ancienne cheftaine chez Lazard Frères et Alcatel, ancienne patronne d’Areva ? Elle est si belle et si gentille que ce serait la honte. Après avoir servi de sherpa (elle préparait les conférences internationales) à Mitterrand entre 1990 et 1995, elle remet aujourd’hui le couvert auprès de Hollande, ce qui promet des merveilles. Ne vient-elle pas de remettre au président chéri un magnifique rapport sur l’innovation (www.elysee.fr, puis Lauvergeon)? Chaussons nos lunettes, et lisons.

La France de 2030 devra se concentrer, les amis. Le rapport ne parle ni de biodiversité, ni de dérèglement climatique, ni de nature, ni de crise écologique. En somme, l’avenir est débarrassé de toutes les menaces globales qui font sa si grande incertitude. Mais dans ces conditions, business as usual. On prend les bonnes vieilles recettes, on agite dans un shaker histoire de leur donner des couleurs, et l’on sert bien frais.

Sept priorités ont été définies par madame et ses 19 amis, parmi lesquels des socialos bon teint et ce pauvre monsieur Michel Serres, « philosophe » officiel présent sur toutes les photos. Et la première de toutes, qui scie un peu le cul, c’est le stockage de l’énergie. Certes oui, il y a et il y aura problème si l’on décide par exemple d’utiliser massivement de l’hydrogène, qui devra en effet être conservé dans de bonnes conditions, aujourd’hui absentes. Mais la première priorité ?

Le reste fait carrément flipper. La France doit se mettre à exploiter davantage les océans, qui « contiennent 90% des réserves d’hydrocarbures et 84% des métaux rares ». Ce qu’elle appelle « l’économie marine » a un taux de croissance de 8 % par an, et il faut se précipiter. Les « sulfures hydrothermaux, compris entre 800 et 4000 mètres de profondeur d’eau » ne contiennent-ils pas « du cuivre, du zinc et en général de l’argent et de l’or » ? Si. On imagine la ruée au fond de mers déjà dévastées par les chaluts de l’industrie.

Autre source d’innovation, plutôt paradoxale, le vieux. Citation, qui sent la vieille pisse : « Les plus de 50 ans présentent ainsi une réelle appétence pour les nouvelles technologies. La révolution économique ouverte par les seniors concerne toutes les entreprises ». On devrait donc leur refiler de l’électronique adaptée, de la robotique, de la domotique, sans compter les voyages et les équipements médicalisés. Un marché royal. Celui de la « silver economy ». En français, l’économie des cheveux blancs.

Mais qui dit vieux dit mort. Et pour retarder l’échéance, miser de même sur la « médecine individualisée », resucée scientiste de bas étage, ainsi résumée dans le rapport : « Il est d’ores et déjà acquis que la médecine saura personnaliser son diagnostic en fonction des caractéristiques propres de chaque individu et notamment de son génome ». Une telle vision d’aveugle tourne le dos à toute remise en cause d’un système de soins devenu pourtant ingérable.

Comme le raconte l’excellent toxicologue André Cicolella dans son dernier livre (Toxique Planète, Le Seuil), la crise de la Sécurité sociale n’est pas financière, mais sanitaire. Les maladies chroniques, liées à l’industrialisation du monde et aux méthodes qui l’accompagnent, explosent. Les cancers, les maladies cardio-vasculaires et neurodégénératives – Alzheimer en tête -, les allergies – qui ne connaît un gosse asthmatique ? -, le diabète, l’obésité.

Ces faits n’ont rien d’un délire, et conduisent la si cauteleuse Organisation mondiale de la santé (OMS) à prévenir de l’imminence d’un chaos financier mondial. Mais tout le monde s’en fout, à commencer par cette madame Lauvergeon, reine mère de l’inculture. N’écrit-elle pas, dans une phrase purement idéologique, que « la durée de la vie va continuer de s’allonger » ? Comme le Bourgeois gentilhomme avec la prose, Lauvergeon fait de l’agnotologie sans le savoir. Le terme, inventé par l’historien des sciences Robert Proctor, désigne un secteur en expansion, véritable innovation lui aussi : la science de l’ignorance.

18 réflexions sur « Anne Lauvergeon, reine de l’ignorance »

  1. ces gens là (cf aussi la chef économiste Karine Berger dans le même genre) ont un petit pos dans la cervelle. Est ce qu' »Atomic Ann » nous explique d’où viendra le fric qui sera investi dans la prospection des océans et la « silver economy » ? bien sûr que non. Il tombera du ciel sans doute, ou il suffira d’imprimer des billets de Monopoly…oups je veux dire d’€, il y en a déjà des milliards en circulation (cf blogue de Pierre Jovanovic), alors, un peu plus, un peu moins…ces gens sont mûrs pour l’asile d’aliénés.

  2. Merci Fabrice de nous alerter sur ce document atterrant. Quelle belle fuite en avant que ces 7 lignes directrices !
    Rien de tellement nouveau : accélérons le pillage de la nature par et pour l’industrie grâce à la technologie. Notre chère ex-patron du combustible irradiant indique 7 pistes où nous espérons être concurrentiels dans la destruction.
    Ca se décline en 7 gros mots principaux (croissance, ressource, technologie, industrie/industriel, énergie, développement, valorisation) de leur belle novlangue.
    Qui a dit que notre président ne sait pas où il va ?

  3. Le passage de sa présentation du rapport à l’ Assemblée Nationale sur les ressources merveilleuses de la Gastronomie française
    m’a bien fait rire : il m’a rappeler une couverture d’un livre de cuisine intitulé « La cuisine pour les Nulles », illustré par un dessin de Claire Brétecher;
    On y voit une novice effondrée devant un oeuf cassé à côté de la casserole. Or, pour Anne Lauvergeon, la recherche scientifique va permettre de transformer un oeuf mollet en oeuf dur en 2 minutes (si ma mémoire est bonne)… et, formidable :on pourra désormais découper les oeufs au laser ! Des marchés énormes s’ouvrent à nous…

  4. Michel SERRES? On parle bien du vieux sénile qui fait la promo de son dernier livre dans lequel il parle de « petite poucette » en prédisant un avenir radieux à l’humanité grâce à l’agilité du pouce sur un écran tactile?
    Dans un autre genre, j’ai entendu il y a quelques semaines sur France Inter, un scientifique (désolé, ayant pris l’émission en cours je n’ai pas son nom) nous expliquer sans rire qu’il serait bientôt possible (et moins cher!) d’aller chercher les métaux sur des astéroïdes!!! On va les fabriquer avec quoi les cargos de l’espace? Les propulser avec quelle énergie? Quand on sait que les américains ont repoussé aux calendes grecques (vers 2037) un simple voyage sur Mars. Et pas la moindre contradiction de l’animateur de l’émission!

  5. PS: J’aime lire de la SF depuis plus de vingt ans mais uniquement pour me détendre… Notre scientifique a dû lire un roman en pensant avoir affaire à une étude sérieuse…

  6. Bonsoir,

    Merci Fabrice.

    Nous disposons en France d’une nouvelle technologie énergétique sans concurrence …. la connerie humaine.

    🙂

  7. Elle rêve d’une gestion plus globale de l’énergie et d’ un « Schengen du nucléaire ».

    Maman d’une fille de 9 ans et d’un garçon de 6 ans, elle affirme que « c’est la seule solution énergétique pour laisser une planète à peu près propre à ses descendants ».

  8. Agnotologie ? Pourquoi pas plutôt ignotologie ? Agnostique ou ignorante, la science de Madame Lauvergeon ? Est-on obligé d’accepter cette invention « coined by a linguist friend » ? Accepter tout sans avoir son mot à dire ?

  9. @vu de sirius, c’est très simple,
    Acte 1 le contribuable paye les prospections et les investissements,
    Acte 2 le privé exploite les gisements et se goinfre avec la vente des hydrocarbures
    Acte 3 le contribuable et la nature payent les dégâts liés à l’exploitation.

  10. J’ai remarqué que tout ce beau monde n’utilise le mot « écosystème » que pour parler des écosystèmes d’entreprises, des écosystèmes financiers,etc bientôt ils vont nous parler de la biodiversité de la finance ! ( si ça n’est déjà fait !)

    Savez-vous ce qu’il en est du projet d’extension du plateau continental français ?

  11. Beaucoup de choses leurs manquent.la culture ,l’humilité,le manque d’imagination,cela met le tournis pour l’avenir,pas très avenant.et surtout navrant.il nous manquent quelques chose des la tête ,dans le génome ,pour être aussi cupide,et suicidaire.

  12. depuis tout gamin, je n’aime pas la SF, mais alors je ne savais pas pourquoi, aujourd’hui, le transhumanisme et tous ces délires d’une vie ailleurs parce que confusément on sent bien que sur notre petite terre ça ne va plus être possible, et donc qui sont les élus… toujours le même Darwinisme social. Ignorance mon luc, justifier qu’on a raison, que notre vision fut et sera la bonne, qu’on a eu raison d’y croire, ça va passer, ça va passer, ça va passer…

  13. pour complémenter ce que vient de dire louis : dans le même genre de délirant SF, le « génie » Stephen Hawking (intouchable car paraplégique) qui nous raconte que dans le futur on construira des vaisseaux géants interplanétaires en direction d’exoplanétes habitables (?) dans lesquels des générations entières d’humanoïdes se succéderont…on se croirait dans le film de Stanley Kubrick « 2001, l’odyssée de l’espace »!grotesque…

  14. Je l’ai entendue ce matin sur France Inter. Quel attristant duo, elle et P. Cohen.

    Elle daigne nous donner comme un objectif possible pour 2030 le recyclage des métaux. Eh bien moi, ça fait près de 30 ans que j’essaie de le faire à ma petite échelle, face à la difficulté de trouver des filières et surtout la morgue de mes contemporains (la réflexion la plus entendue étant « je n’ai pas envie de m’encombrer avec ça »). Anne, pauvre biiiiip ! Elle se gausse d’avenir et est toujours dans le passé.

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