L’UICN défend-elle vraiment la nature ?

Vous ne connaissez pas nécessairement l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). C’est un énorme machin bureaucratisé, chargé, en théorie du moins, de défendre la biodiversité partout dans le monde, en promouvant notamment des inventaires et des Livres rouges des espèces menacées. Avant d’en venir aux nouvelles du jour – un article de Stéphane Foucart paru dans Le Monde daté d’aujourd’hui – , voici comment je présentais l’UICN dans mon livre Qui a tué l’écologie ? (LLL, 2011) :

UICN, la mère de tous les compromis

Après la guerre, la France accueille à Fontainebleau, en 1948, la conférence de fondation de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), qui demeure la principale autorité mondiale en ce domaine. Présentée à tort comme une gigantesque ONG, l’UICN est dès l’origine un conglomérat où se mêlent États, organisations officielles, associations. Où se mêlent et se mélangent donc des intérêts souvent opposés, mais où règne, comme par enchantement, le consensus. Autour de quoi ? L’UICN regroupe aujourd’hui 83 États, 114 agences gouvernementales, plus de 1 000 ONG et plus de 11 000 experts et scientifiques de plus de 160 pays.

On ne sache pas que cette bonne dame ait jamais rué dans les brancards même si certains de ses membres montraient déjà une belle lucidité sur les événements. Ouvrons ensemble le livre très remarquable que Roger Heim, alors âme de l’UICN et directeur du Muséum national d’histoire naturelle, consacre en 1952 à la question sous le titre limpide : Destruction et protection de la nature. Heim, qui fut pourtant l’un des plus nobles coeurs de son temps, y déploie à la fois une lucidité exemplaire et une naïveté confondante. Il voit bien que la nature subit d’effroyables coups de boutoir, mais il rêve, sans s’autoriser la moindre analyse, d’une sorte d’alliance miraculeuse entre elle, la science, l’économie et l’art, jugés audacieusement compatibles.

Au fait, encore Fontainebleau ? C’est bien là, en effet, qu’est fondée l’UICN. Et c’est là, dix ans plus tard, que l’absence de mouvement écologiste en France provoque une défaite totale, aussi totale que symbolique. Dès 1934, nos beaux ingénieurs des Ponts et Chaussées ont tracé le plan de ce qui deviendra l’autoroute A6. Au milieu des années 1950, ils piaffent d’impatience. Du béton, de la vitesse, des autos à perte de vue : le bonheur. Mais il y a un obstacle de trois fois rien : la forêt de Fontainebleau. Ses 25 000 hectares d’un seul tenant en font un joyau. Un trésor biologique. Une immense forêt de plaine, à peu près sans égale en France, qui sert de réservoir à des milliers d’espèces animales et végétales. Mais qui oserait entraver le progrès en marche forcée ?

Les ingénieurs proposent un parcours qui coupe le massif et sépare Fontainebleau proprement dit de la forêt des Trois-Pignons. Une zone unique et silencieuse, qui abrite par exemple le splendide chaos gréseux de Villiers-sous-Grez, sera sacrifiée. De chaque côté, sur un kilomètre, on n’entendra plus que le flot des bagnoles. Va-t-on voir apparaître une révolte ? L’époque ne s’y prête
pas, il faut l’avouer. Qui s’intéresse, dix ans après la guerre atroce qui a failli tout détruire, à la nature ? Il demeure intéressant de voir ce que disent et font les protecteurs officiels des milieux naturels. Pour l’essentiel, et avec ce qu’il faut, soixante ans plus tard du moins, appeler de la niaiserie, ils saisissent les autorités « légitimes ». Les Académies des sciences, de la médecine, de l’agriculture. Le Muséum, la Sorbonne. Les vieilles barbes sont de retour, qui deviennent la risée des journaux et des promoteurs. Ne sont-ils pas de ridicules « amoureux des papillons » ? Allons ! La France aura donc l’autoroute, et pour le même prix une autre saignée : le raccordement de la nationale 7 à l’A6.

End of story, comme on dit maintenant dans les feuilletons américains. En cette fin des années 1950, le mouvement de protection de la nature, incapable de penser le monde où il habite, incapable de seulement concevoir ce qu’est un rapport de forces, mise tout sur les relations avec les puissants. Déjà, si l’on me permet cette pique. Ce qui est manifeste à distance, c’est son retard sur le mouvement souterrain, mais bien réel, de la société française. Alors que bouillonne déjà, dans les années suivantes, la critique concrète des objets et de la consommation, de l’aliénation, de la vitesse, de la bagnole, le mouvement officiel continue de pontifier et de fréquenter les salons du pouvoir.

Il se montre incapable de comprendre et encore moins d’anticiper quoi que ce soit. Disons-le sans détour : c’est un mouvement de vieux. Il l’est d’ailleurs resté.

Fin de l’extrait

——————————-

En cliquant dans le lien intitulé UICN et Syngenta, vous pourrez lire ci-dessous un article signé Stéphane Foucart. Et vous verrez donc la distance parcourue en 65 ans par cette structure selon moi faillie. L’UICN  des bureaux et des « spécialistes » fait l’inventaire des meubles quand la maison entière est dévorée par les flammes. Éteindre le feu, poursuivre les pyromanes ? Ce n’est pas au programme de la bureaucratie « conservationniste ».

Le 1er  juillet 2009, la directrice générale de l’UICN, madame Julia Marton Lefèvre, fait un joli discours en forme d’hommage à l’invité du jour. Nous sommes à Gland (Suisse), au siège mondial de l’UICN, et l’on fête ce jour-là les 80 ans d’un certain Maurice Strong, grand manipulateur s’il en est. Strong a été le patron de transnationales du pétrole, du nucléaire, du pire. Mais il a AUSSI été le premier directeur du Programme des nations unies pour l’environnement (PNUE), Secrétaire général adjoint de l’ONU, et à ce titre, personnage central des Sommets de la Terre de 1972 (Stockholm) et de Rio (1992) mais aussi de la Conférence sur le climat de 1997, à Kyoto. Incroyable ? En effet. Strong a même été un grand responsable de l’UICN. Qui dit mieux ?.

Madame Marton Lefèvre : « Bien entendu, 2009 est aussi le 80ème anniversaire de Maurice Strong, qui a marqué tant de vies, toutes les nôtres dans cette salle, mais aussi des milliers d’autres, avec ce mélange de vision et de clairvoyance face aux défis qui nous font face et auxquels nous devons trouver une solution ».

Nous sommes dans de beaux draps.

UICN et Syngenta.pdf

7 réflexions sur « L’UICN défend-elle vraiment la nature ? »

  1. Merci Fabrice pour l’histoire du tracé de cette balafre qui est l’autoroute, dite « du soleil » à l’époque, en forêt de Fontainebleau.

  2. Je suis d’autant plus sensible à ton billet que né « belinfontain » (mais par hasard là, peu avant-guerre!)j’ai vécu à Fontainebleau (plus exactement à Avon) dans les années 53-59. Très amateur de la forêt voisine, j’ai donc VU les ravages de ces autoroutes… bien avant de les comprendre et donc les maudire!

  3. Lors de son Congrès Mondial des Parcs en novembre à Sydney, l’UICN va accueillir des représentants des consortiums miniers Ambatoby (Sherritt Int.) et QIT Madagascar Minerals (Rio Tinto) qui détruisent deux sites d’exceptionnelle biodiversité à Madagascar, tout en étant en conflit avec les populations locales; voir par exemple:

    http://www.theguardian.com/business/2014/apr/15/rio-tinto-heavily-blamed-protesters-mine-worker-deaths

    http://www.miningwatch.ca/article/another-mining-horror-story-sherritt-international-corporation-s-ambatovy-project-madagascar

    Ce congrès va ainsi constituer une formidable campagne de green-washing pour l’industrie extractive, que l’UICN serait supposée combattre ou au minimum ne pas soutenir.

    Dans la même veine, et pour rester sur le cas de Madagascar, en juillet 2012 l’UICN et Conservation International se sont associés en pleine crise économique malgache pour organiser un couteux atelier au Carlton de Tananarive visant à définir une énième stratégie de conservation des lémuriens. Cet atelier était financé par Ambatovy (Sherritt Int.) (sic!) qui est directement responsable de la destruction d’une partie du corridor de forêt humide de l’est de Madagascar qui abrite notamment d’importantes populations de lémuriens menacés comme l’indri, le propithèque à diadème, et le grand hapalémur.

    Dans ce contexte, il est important de dénoncer la [bip] des ONGs dites de conservation, et surtout de leurs dirigeants – comme Russell Mittermeier, tout nouveau retraité de Conservation International, ou encore Jean-Paul Paddack pour le WWF – dont le soucis est moins de conserver la nature que [bip] et d’assouvir leurs problèmes d’égo. Gageons que le grand public ne restera pas dupe très longtemps, notamment grâce à ce blog formidable, et à des émissions télévisées grand public telles que ‘Cash Investigation’ en France (revoir celle sur le green-washing par le WWF: https://www.youtube.com/watch?v=yV8VephgGss). Ces ONGs connaissent d’ailleurs actuellement des problèmes financiers; leur manque de crédibilité n’y est peut-être pas étranger.

  4. Au risque de frôler le mauvais goût je ne peux résister :

    Le siège mondial de l’UICN est à Gland, ça ne s’invente pas.

Répondre à Faly Annuler la réponse

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *