Le vautour, la ministre et les vilains marchands

Cet article a été publié par Charlie Hebdo le 7 mai 2014

Un médicament pour les troupeaux risque de faire disparaître les vautours d’Europe, comme il a tué il y a dix ans 99% de ceux vivant en Inde. Les lobbyistes de l’industrie pharmaceutique se contrefoutraient-ils de la biodiversité ?

Les vautours vont-ils crever ? Quatre espèces de ces oiseaux splendides – quelques centaines de couples au total – vivent tant bien que mal en France : le fauve, le moine, le percnoptère et le gypaète barbu. Mais une menace de mort plane désormais sur eux, qui s’appelle le voltarène. Notre ministre de l’Écologie,  Ségolène Royal tient un dossier en or dans les mains, mais va-t-elle se bouger ?

Dans cette affaire sinistre, tout commence dans le sous-continent indien. À la fin des années 90, la population de vautours, colossale – autour de 80 millions d’individus pour l’Inde seule –, commence à décliner. Tout s’emballe en deux années, au point que 85%, puis 90%, puis 99% des rapaces meurent, bouleversant des chaînes alimentaires stables depuis des milliers d’années. Avec des conséquences inattendues, comme la prolifération des chiens errants, débarrassés de la concurrence des vautours, suivie d’une propagation de la rage.

Virus, bactérie ? Les autopsies ne révèlent rien de probant. Fin 2003, après une enquête de terrain au Pakistan, le biologiste vétérinaire Lindsay Oaks publie une étude retentissante. Le coupable du grand massacre est un anti-inflammatoire largement distribué au bétail, que les vautours ingurgitent à leur tour quand ils boulottent les carcasses. Et qui leur bousillent les reins.

Le diclofénac est-il à ce point nécessaire ? Apparu dans les années 90 en Inde après une intense campagne de lobbying industriel, ce médicament est censé protéger les troupeaux contre la boiterie, la fièvre, les douleurs et tout ce qu’on voudra pour le même prix. Alors qu’il ne reste plus que quelques milliers de vautours dans le pays, le gouvernement de Delhi interdit en 2006 le produit pour ses usages vétérinaires.

Fin de l’histoire ? Début d’une autre. Comme on devrait commencer à savoir, les transnationales ne lâchent jamais. Ni pour la clope, qui tue les humains par millions. Ni pour le pesticide Gaucho, qui tue les abeilles par milliards. Chassé d’Inde et du Pakistan, le diclofénac réapparaît en Europe sous ses différents noms commerciaux, dont Voltarène, bien connu en France. D’ores et déjà, deux pays ont accordé une autorisation de mise sur le marché vétérinaire : l’Italie d’une part, et surtout l’Espagne, le grand territoire européen des vautours.

À terme, le poison sera distribué dans toute l’Union européenne, à commencer par la France, où les petites mains de Novartis, qui commercialise chez nous le Voltarène, ont commencé leur travail de sape. Les protecteurs des vautours commencent à gueuler, et deux légendes vivantes – les frères Michel et Jean-François Terrasse – tentent avec Bougrain-Dubourg et la LPO de remuer les ministères.

Les Terrasse, sur le front des vautours depuis 1968, sont parvenus à les réintroduire dans les gorges de la Jonte et les Alpes. Michel, longtemps président de la Vulture Conservation Foundation  (http://www.4vultures.org) est inquiet : « L’usage vétérinaire du diclofénac en Europe signerait l’arrêt de mort des énormes efforts consentis pour sauver ces oiseaux, et nous cherchons tous les moyens pour essayer d’agir et obtenir une interdiction ». Parallèlement, une pétition internationale circule (1), qui demande évidemment l’interdiction de cette saloperie : il ne s’agit pas seulement des vautours d’Europe, mais aussi de ceux d’Afrique, où le diclofénac/voltarène se répand à la vitesse des bakchichs.

Le plus connard de cette affaire, c’est que des substituts non toxiques du diclofénac existent, dont le méloxicam. Mais connard est-il le bon mot ? Il existait aussi des substituts sans danger de l’amiante, dont la belle invention des frères Blandin, torpillée par les lobbyistes. Et l’on connaît 73 substituts du bisphénol A, qui s’attaque aux équilibres élémentaires des vivants, qui n’ont pas même été testés. Va raconter tout ça à l’industrie pharmaceutique, à ses Jérôme Cahuzac, à ses Aquilino Morelle, à tous ses bons amis de la politique.

(1) http://www.birdlife.org/europe-and-central-asia/news/vulture-killing-drug-now-available-eu-market air max command air max command

21 réflexions sur « Le vautour, la ministre et les vilains marchands »

  1. Merci pour cette information particulièrement inquiétante. Je souhaite à quiconque ne l’a pas déjà fait le bonheur de voir évoluer ces magnifiques oiseaux, incomparables voiliers, dans leur milieu, la nature. Déjà présente depuis plusieurs étés, une population de vautours fauves pourrait revenir nicher dans notre département, en provenance des Alpes et des Cévennes. Notre région a en outre déjà la chance d’accueillir les couples les plus septentrionaux de percnoptères, les plus petits des vautours. Quelle catastrophe en effet ce serait de voir anéantis les efforts accomplis ici et ailleurs, depuis des dizaines d’années, sur la trace de pionniers comme les frères Terrasse!
    Merci aussi pour le lien. Néanmoins, my basic ingliche étant très rudimentaire -et mon âge peut-être un peu trop avancé-, je ne suis pas parvenu à trouver trace d’une pétition sur ce site. Fabrice, pouvez-vous davantage nous éclairer? N’y a-t-il pas une mobilisation plus « française » (LPO?)?

  2. Je vais signer la pétition, faute de pouvoir faire mieux. J’ai justement contemplé un Percnoptère cette semaine dans les Pyrénées. Majestueux rapace noir et blanc, le bec orange. C’est toujours un magnifique moment que de les voir surgir, vous passer devant en planant, et sans sourciller joindre l’autre bout de la vallée. En tout cas merci pour cette info. L’exemple de l’Inde est affligeant.

  3. Et que disent les syndicats agricoles ? Que c’est ça la « biodiversité à visage humain » (sic!) sans ours, sans loup, sans lynx et sans vautours ? C’est déjà le discours officiel de la FNSEA et de sa branche (armée désormais*) ovine, la FNO… C’est pas beaucoup plus joli côté Conf malheureusement…
    S’ils nous flinguent les vautours, il faudra passer à l’action.
    Combien d’efforts pour le retour du vautour fauve ? Pour le gypaète barbu ? Le percnoptère ?
    Je me souviendrai toute ma vie de mes premiers vautours aperçus en vallée d’Aspe et… du premier gypaète sur un sentier en balcon, à 10 mètre de mes yeux, en vol sur le plateau d’Ourdinse !
    Et de ce jour où dans le même coup de jumelle, je voyais le vautour fauven le gypaète, le percnoptère et un couple de buses !
    Celui qui nous flingue ça aura des combattants contre lui. C’est une ligne jaune.
    Dans un monde moins crétin, ce serait une occasion pour EELV de quitter le gouvernement (je sais, 1 : ils sont déjà partis, 2 : ils n’en n’ont rien à cirer des vautours et des espèces naturelles, ils ne connaissent que le mot « biodiversité » pour briller dans les salons…).
    * je disais la FNO branche armée de la FNSEA : on peut l’affirmer depuis qu’on est tombé sur une circulaire interne qui pousse quasiment à casser de l’écolo… avec responsable média officiel chargé de cette mission, etc…
    Et leur joli slogan : « nos brebis font les paysages que vous aimez »…

  4. Les Parsis, lointains descendants du Zoroastrisme qui ont quittés l’Iran lors de l’islamisation de ce pays et se sont réfugiés en Inde vers 716, ont comme tradition de placer leurs morts sur une plateforme au sommet d’une tour, appelée tour du silence,là ils doivent êtres décharnés par les vautours. La quasi disparition des vautours en Inde a susciter un débat de conscience d’une très grande intensité parmi les adeptes du Parsisme, puisque ce rite mortuaire est une partie essentielle de leur croyance.

  5. En effet, on imagine bien cette molécule icognito dans quelques produits vétos de la pharmacie d’estive.
    Alors que normalement, sur un troupeau sain, il n’y a tout simplement pas lieu d’utiliser d’ anti inflammatoire ou très peu: En homeo « Apis melifica » est un bon AI, la gaulthérie et l’argile aussi.! Ou en cas de morsure de vipère… mais ça, c’est rare, ou de mammites, moins rares surtout dans les élevages laitiers. Il se trouve que justement, dans les Pyrénées, il y a beaucoup de troupeaux laitiers, justement là ou les carcasses sont données aux vautours. Il faut interdire purement et simplement l’usage de cette molécule sans tergiverser. De toute façon toutes les molécules chimiques devraient être interdites, ou du moins, archi limitées, que cela soit en extérieur ou en intérieur! Et chez les humains aussi…demandons aux poissons(entre autres habitants des milieux) ce qu’ils pensent des hormones de pilules contraceptives qu’on leur sert pour le dessert!Mais quelle folie.
    En homeo « Apis melifica » est un bon AI, la gaulthérie et l’argile aussi.
    Ecrivons en masse à Madame Royal pour lui demander d’interdire de diclofénac!!!

  6. Le méloxicam est pourtant couramment prescrit par les vétérinaires pour les animaux domestiques, j’en ai moi même utilisé pour les miens!

  7. Merci Papypeinard de nous informer de cette tradition des Parsis. Rappelons aussi la tradition tibétaine qui place leur mort sur des rocher en haute montagne pour les offrir aux vautours, car là est le rôle de ces magnifiques oiseaux. Dans un monde qui va atteindre nous dit-on 9 milliards d’habitants, avec tous les problèmes écologiques, on pourrait développer une véritable réflection sur ce que l’on doit faire du corps des morts : les enterrer, les brûler ou les offrir en offrande aux vautours ?

  8. Bonjour Fabrice,

    Le méloxicam, fabriqué par le laboratoire allemand Boehringer Ingelheim, est un principe actif utilisé pour un anti-inflammatoire non-stéroïdien du nom de Mobic, lequel possède hélas les mêmes dangereuses caractéristiques et contre-indications au niveau hépatique et rénal (sans oublier les nombreuses autres contre-indications)que le diclofénac du Voltarène de Novartis.

  9. Michel B,

    Je vous crois bien volontiers, et c’est donc que j’ai été mal informé. Je transmets de suite aux défenseurs des vautours. Bien à vous,

    Fabrice Nicolino

  10. Voltarène , diclofénac épolamine , des noms connus des sportifs qui utilisent des pommades anti-inflammatoires ( Le Flector par exemple ) .

    Regardons un peu les médicaments utilisés dans l’élevage , tels que j’en ai trouvé les emballages lors de mes virés champêtres , ce qui va nous permettre de comprendre les réticences des élus à contrôler les pratiques de nos braves éleveurs ( je ne mentionne , faute de temps , que les délais d’attente avant de commercialiser les animaux ):

    – Draxxin
    bovins : 49 jours
    porcins :33 jours ( viande et abats pour les deux )

    Cyclosol 200 LA
    pour bovins , porcins et ovins : 21 js ( viande et abats ); lait : 6 js

    Cortexiline
    bovisn ( chiens et chats aussi ): viande et abats 60 js
    lait :  » en l’absence de temps d’attente pour le lait , ne pas utiliser chez les femelles productrices de lait de consommation , en lactation ou en période de tarissement , ni chez les futures productrices de lait de consommation dans les deux mois qui précèdent la mise à bas  » .
    Plus loin :  » les études menés chez les animaux de laboratoires ( sic )n’ont pas mis en évidence d’effet tératogène des substances actives . En l’absence d’études dans les espèces cibles , l’utilisation du médicament sera fonction de l’évaluation de rapport bénéfice/risque réalisé par le vétérinaire (sic ) » .

    Suramox 15% LA

    viande et abats : bovins 88 js , porcs 50 js
    lait 2,5 js ( c’est précis ! )

    Cevac Chlamydia

    viande et abats : 7 js
    lait : 0 js

    Les deux suivant se présentent sous forme de seringue en plastique , sur lesquelles les propriétés sont directement inscrites , et que j’ai trouvées à foison en traversant des prés :

    Ubrolexin
    viande et abats : 10 js
    lait : illisible

    Cepravin
    non spécifiées

    Si certains veulent les photos , ils n’ont qu’à demander . Les photos de décharges sauvages où les braves éleveurs , honteusement persécutés par d’infâmes technocrates bruxellois , font brûler des monceaux d’emballages plastiques du fourrage ( alors que les jours de collectes sont affichés sur n’importe quel panneau communal , et que les déchetteries sont nombreuses dans un rayon de 15 km ), arrivent bientôt . Ainsi que la façon dont ils les font disparaître par recouvrement de terre , prélevée à l’emplacement de la prochaine décharge .

  11. Azer, peux-tu envoyer tes photos à la Buvette des Alpages ?
    Par courriel, ici (en resserant les espaces) :
    contact @ buvettedesalpages . be

    Merci 😉

  12. Certains éleveurs n’utilisent pas ces produits et respectent les collectes des déchets. Ce qui n’est hélas pas le cas de tous les citoyens, toutes activités confondues.Il est donc parfaitement injuste et dangereux de faire ce procès à l’ensemble d’une profession. Et si ces produits n’étaient pas commercialisés, ils ne seraient pas utilisés, ce qui est le sujet de cet article me semble-t-il.
    Par ailleurs, j’affirme que ceux qui font références ici aux contrôles PAC dans les exploitations agricoles ne savent pas du tout de quoi ils parlent. Les contrôles PAC sont un BUISNESS organisé par l’AUP qui se fout pas mal de l’écologie. Qu’il y ai plus ou moins de contrôles ne changera rien à l’écologie. Le protocole actuel est inacceptable, il favorise et encourage l’agriculture industrielle au détriment de l’agriculture paysanne et j’espère bien que ça va changer!
    Quand a la pollution déversée dans la nature, elle provient de tout le monde. Dans quel intérêt obscur vouloir faire croire que seule l’agriculture et surtout l’élevage sont néfastes et responsables du désastre actuel? Je l’ai déjà écris souvent ici, mais je connais quand même pas mal d’agriculteurs qui font un boulot magnifique et dont les terres vivent de milles habitants (faune et flore).
    Histoire d’essayer de rester juste, j’ai aussi pas mal de photos des milliers de détritus qui pourrissent notre littoral et qui proviennent de l’industrie touristique….si cela intéresse quelqu’un.

  13. Bonsoir,

    Merci a tous, toutes,

    Ségolène Royal veut accélérer le déploiement du compteur électrique Linky

    Paris – La ministre de l’Écologie et de l’Énergie, Ségolène Royal, souhaite accélérer le déploiement du compteur électrique intelligent, Linky, qui doit être généralisé d’ici 2020 en France et est censé aider les citoyens à mieux contrôler leurs consommation.

    Je souhaite accélérer l’objectif, il faut aller plus vite, a déclaré mardi Ségolène Royal …….

    Bien a vous,

  14. Et pendant ce temps, Reporterre publie un entretien avec Mélenchon…

    Pardon pour ce hors-sujet, mais au pour ces pauvres vautours, en guise de commentaire, je ne peux que crier mon indignation, je ne vois pas quoi faire d’autre, et là… de la part d’un super site écolo… laisser parler ce guignol… je ne comprends pas. Vraiment.

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