En vadrouille sur les routes du nucléaire

Cet article a été publié par Charlie Hebdo le 3 septembre 2014

Faut bien dégager les déchets nucléaires, pas vrai ? Un rapport officiel chiffre à 777 000 par an les transports de matières radioactives en France. À Drancy comme ailleurs, il vaut mieux croire les mensonges sur la sécurité.

Hé ben, pas grave. Lundi 23 décembre 2013, cadeau anticipé de Noël pour les habitants de Drancy (Seine-Saint-Denis) : un wagon déraille en pleine gare de triage. Le menu problème, c’est qu’il est chargé de déchets nucléaires. Tête du maire UDI de Drancy, Jean-Christophe Lagarde : « Qu’on n’attende pas qu’il y ait des morts pour que ces wagons dégagent ! ». Et d’ajouter qu’en cas d’accident grave, « trente mille personnes sont en danger de mort ».

Et c’est d’autant moins grave que la préfecture de Saint-Denis affirme aussitôt qu’il s’agit d’un simple incident technique, sans conséquence sur la sécurité : « Tous les relevés de radioactivité effectués par les pompiers sont négatifs ». Sauf  que quinze jours plus tard, l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) annonce avoir retrouvé des traces de radioactivité dans le wagon accidenté. D’où vient-elle ? Mystère et boule de gomme. Les « colis » de déchets nucléaires sont intacts, et supposément étanches. On n’en saura jamais plus.

L’ASN, agence publique créée par une loi de 2006 est en charge de la sécurité collective, et publie sans arrêt des rapports. Le tout dernier, qui date de quelques jours, mérite le détour (1). On y apprend en sursautant que 777 000 transports de matières radioactives ont lieu chaque année en France. Pas de panique, pas encore. Il s’agit d’un fourre-tout géant qui mêle produits radio-pharmaceutiques  envoyés dans les hostos, convoyage d’appareils de détection du plomb, et tout ce qui touche bien sûr à l’industrie nucléaire proprement dite.

Au total, la bagatelle de 430 000 transports – 55 % du total – concerne la détection du plomb dans les peintures. L’industrie nucléaire ne représente « que » 12 % des 980 000 colis et 3 % de la totalité des transports, dont 60 % par la route et 30 % par une combinaison route, mer et rail. Le tout implique évidemment des milliers de possibilités d’accidents comme celui de Drancy. L’uranium naturel piqué au Niger débarque ainsi à Sète, celui volé ailleurs au Havre, les centrales nucléaires envoient leurs innombrables déchets à La Hague, le nitrate d’uranyle rejoint Pierrelatte, le MOX – un combustible – file de Marcoule, etc.

Une évidence saute aux yeux : l’enquête de l’ASN est biaisée, car elle repose essentiellement sur un questionnaire adressé « à un grand nombre de détenteurs ou de transporteurs de substances radioactives ». En français précis, « un grand nombre » ne signifie pas grand-chose. Et les autres ? Et les oublis, volontaires ou non, dans les réponses ? Une approximation précédente du Commissariat à l’énergie atomique (CEA) fixait à 400 000 le nombre de « colis » radioactifs annuels circulant en France, soit moins de la moitié des chiffres de l’ASN.

Les problèmes ne s’arrêtent pas là. Pour la CriiRad (http://www.criirad.org), le grand labo (vraiment) indépendant, les estimations de l’ASN ne sont pas seulement sous-évaluées. Dès le 30 mai 2012, dans un courrier adressé à Marisol Touraine, ministre de la Santé, la CriiRad réclamait « la baisse des limites réglementaires », et rappelait que, selon ses mesures, les cheminots sont exposés « à leur insu, à des flux de rayonnements gamma et de neutrons tout à fait inacceptables ».

Et bien entendu, pas question d’ennuyer si peu que ce soit le grand pouvoir caché qu’est l’armée française. On apprend en janvier 2012 (2) qu’un accident pour le coup renversant s’est produit le 9 juin 2010. Un semi-remorque de transport de munitions nucléaires termine alors un voyage de 600 km sur les routes de France, qui l’a conduit par Bourges, Lyon, Mâcon, Orange. Juste avant d’entrer dans la base militaire d’Istres (Bouches-du-Rhône), le camion, qui roulait à 72 km/h, au lieu d’une limite imposée de 30 km/h, se couche sur la route. Trois soldats sont blessés. Des officiers de sécurité nucléaire et du renseignement militaire bouclent la zone et empêchent la diffusion de la nouvelle, qui sera connue fortuitement, 15 mois plus tard.

Y a-t-il une morale ? Oui, il faut dare-dare changer de planète. Si on trouve.

(1) http://www.asn.fr/Informer/Actualites/Enquete-de-l-ASN-sur-les-flux-de-transport-de-substances-radioactives
(2) http://www.reporterre.net/spip.php?article2474

10 réflexions sur « En vadrouille sur les routes du nucléaire »

  1. Salut à vous,
    Merci de bien vouloir faire suivre dans vos réseaux.
    Solidarité, Résistance & Pacifisme,
    Pour le Collectif, Rafaël

    —————————————————————————-

    Collectif Mégastop au Mégajoule

    Les organisations participant au collectif « Mégastop au Mégajoule » sont à ce jour : Non au missile M 51 / Négajoule ! / Tchernoblaye / Trans’Lib / Food not bombs/ Stop Golfech/ Mouvement de la Paix / Amis de la Terre Gironde / ICAN / Greenpeace / Réseau Sortir du nucléaire / NPA/ EELV/ LIFPL (Ligue Internationale de Femmes pour la Paix et la Liberté)/ Ecologie Val de l’Eyre

    Projection-débat « Aux enfants de la bombe »
    Lundi 22 septembre Maison des associations de Libourne
    Mardi 23 septembre Cinéma Max Linder Créon
    Jeudi 25 septembre Cinéma de Salles
    En présence de membres du collectif et sous réserve un participant de l’AVEN

    Samedi 27 septembre
    Camp de la Paix
    9h 1ère assemblée générale du camp : Le Barp, Terrain de la Plaine des sports en face de la salle du Bateau-Lyre
    Pour les personnes arrivant plus tardivement le lieu définitif du camp sera fléché

    Après midi : rassemblement Rond point du Laser Mégajoule (celui occupé tous les 6 ou 9 du mois par l’association Négajoule (N !)

    Dimanche 28 septembre
    10 h Marche sur le Laser Mégajoule depuis le camp du Barp (4.5km)

    Prévoir d’être au maximum autonome en vivres/eau/couchage même si des
    solutions sont en train d’être étudiées

    Les informations supplémentaires, les tracts et flyers, les dossier sur le Laser Mégajoule, les essais nucléaires, la modernisation de notre arsenal nucléaire sont disponibles sur demande à peaceonmegajoule@riseup.net

  2. Répéter après moi :
    – le nucléaire est sûr
    – le nucléaire est abondant
    – le nucléaire est pacifique
    – le nucléaire est bon marché
    – aucun pot de vin n’a été touché sur la construction des centrales et l’exploitation de l’uranium
    – le nucléaire est incontournable, sinon c’est le retour à l’âge de pierre comme au Danemark, en Italie, en Autriche,au Portugal, en Irlande, en Islande, en Norvège, en Nouvelle Zélande… que des pays sous-développés.

  3. Bonsoir,

    …. Et nos doigts sur les claviers, servent a entretenir cette saloperie!

    Nous ne sommes pas crédibles!
    Pas sur ce coup là!

    Je me sens mal,

    1. Oui, nous vivons tous ces contradictions. Mais ca ne doit pas nous empecher de s’informer, de réagir, et d’agir.
      Sinon, qui le fera….

  4. Bonjour Mr Nicolino.
    Je n’arrive pas à poster mon message dans la rubrique contact, alors je le place ici, même s’il n’est pas tout à fait en lien avec votre article.
    Je viens d’enchaîner 2 de vos ouvrages à la suite, entrecoupé de quelques phrases de Pierre Rabbi et Nicolas Hulot. Autant le dire rapidement, Bidoche m’a dégoûté de la viande (et même si j’en consomme encore par nécessité et obligation : vie à un train d’enfer et nourriture industrielle oblige, n’est-ce pas, les crêpes au jambon pour les enfants), j’ai mis un réel pied dans le végétarisme. « Qui a tué l’écologie » m’a profondément étonné sur les liens entre les différents organismes dont vous parlez.
    Cependant, et pour faire vite, je trouve que vous ne parlez pas suffisamment des solutions aux problèmes que vous soulevez. Vous stigmatisez à certains moments le fait de changer ses ampoules, de recycler ses cartons … Ce n’est pas la solution car le problème est plus profond. Mais quand on est actif avec vie de famille et enfants de 3 à 7 ans, quelles solutions ai-je pour influencer au maximum sur mon impact environnemental (pétitions24, certes, communiquer auprès des amis, de la famille, certes aussi …) mais comment limiter les décisions des industriels, des politiques ? Je prends mon vélo tous les jours pour aller travailler. J’y trouve bien sûr mon intérêt : éviter les embouteillages, économie de carburants, faire de l’activité … mais j’ai l’impression de pédaler pour rien quand je croise des kilomètres de cercueils ambulants.
    Et en même temps, quelles sont les solutions quand on a besoin de la voiture pour emmener les petits au judo, faire les courses pour toute la semaine pour 4 personnes. Impossible en vélo! Une de vos phrases que j’ai lu me semblait plutôt engagée contre les vacances. Vous parlez contre l’encouragement du traffic aérien, de la route des vacances… Mais il faut bien que les gens puissent vivre, se détendre ? Même pour empêcher le bateau de couler, les gens veulent tout de même profiter de la vie.
    Je me pose également beaucoup de questions sur l’impact environnemental d’internet. Avez-vous écrit quelque chose là dessus, ou bien envisagez-vous de le faire (gros dossier également).

    Bref, j’apprécie beaucoup votre ton et votre engagement. Je souhaiterais trouver des solutions pour avoir une influence marquée et positive sur mon environnement et ma vie. Mais je me sens de plus en plus perdu.
    Je vous souhaite une bonne continuation.
    Soyez sur que je lirais ce prochain ouvrage sur la chimie, que j’ai déjà fait passer le mot à mon carnet d’adresse (malheureusement trop limité) ainsi que la pétition sur les gaz de schiste. Mais je souhaite aller plus loin. Comment ? Je suis preneur de quelques idées ou liens qui me permettraient d’avancer.
    Très cordialement
    Olivier LAROCHE

  5. Cher Olivier Laroche,

    Votre lettre me touche, c’est bien le moins. Vous avez raison, je ne parle pas beaucoup de ce que nous pouvons faire jour après jour. Cela n’a rien d’un hasard, car en effet, je pense que nous sommes confrontés à un tsunami. Et quand j’écris tsunami, je suis très loin du compte, car aucun mot d’aucune langue humaine ne peut décrire un tel état de dislocation.

    Face à tel événement, et au strict plan individuel – j’insiste -, je penche du côté des éléphants du Sri Lanka. Nombre d’entre eux, qui vivaient près des côtes au moment de la vague géante de 2004, ont pressenti le drame, et se sont repliés vers l’intérieur, se sauvant ainsi. La fuite n’a rien de glorieux, mais quand il ne reste que cela, on prend.

    Au plan individuel – j’insiste à nouveau -, la fuite peut consister en diverses formes. Contre la destruction d’un lieu, contre la prolifération des objets matériels, pour de nouvelles manières de consommer – la bio -, de voyager, de passer des vacances, etc. Je vous rassure : je n’ai rien contre les vacances, mais en effet beaucoup contre le tourisme de masse et ses attrape-couillons. Il y a en réalité mille manières de vivre mieux en consommant infiniment moins. Mais c’est dur, à n’en pas douter, surtout avec des gosses. J’en suis d’accord. Il me semble que l’on pourrait tous dresser une liste de ce qu’il est possible de faire dans la vie quotidienne. Avec un échéancier réaliste sur un an, voire…dix ans.

    Passons au plan collectif. Hélas, je vois que la maturation des idées nouvelles est d’une lenteur désespérante. Cela n’a rien d’étonnant, car le mouvement des idées n’épouse pas le rythme de nos espérances de vie. Pensez aux décennies qui ont précédé la révolution française de 1789 ! Il a fallu les efforts constants et minuscules de milliers de rebelles de la pensée, pendant près d’un siècle, pour déconstruire, pierre après pierre, l’imaginaire de la royauté. Et sans cela, aurions-nous eu une République ? Je ne crois pas.

    Pour ce qui nous concerne, il faut s’attaquer sans relâche au cadre de la pensée. Un cadre – pour aller vite, celui du supposé progrès, celui de la surabondance de biens matériels pour tous – qui est désormais forclos. Mais tous ou presque continuent de penser dans ces frontières mortes. Nous prétendons, et je prétends, penser autrement. En attendant, sans jamais être sûrs de rien, que l’ébranlement atteigne jusqu’au dernier de nos contemporains, que faire ? Eh bien, créer des liens solides, des réseaux, rassembler les maigres forces éparses. De manière à montrer une autre voie possible. De manière à faire face dans la dignité et l’honneur à ce qui viendra forcément, quelle que soit la date. Ce monde ne saurait tenir, et il ne tiendra pas. Pour vous et vos enfants, je souhaite que cela soit après, après-demain.

    Bien à vous,

    Fabrice Nicolino

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