Le Sénat et les fossoyeurs (sur les OGM)

Je ne cherche pas à distribuer bons et mauvais points au mouvement écologiste. Je l’ai déjà dit et le répète : j’en suis. Mais parce que j’en suis, j’ai le devoir de dire ce que je pense. Et advienne que pourra : ce mouvement est gravement malade.

J’en veux pour preuve, parmi hélas bien d’autres, la pantalonnade autour des OGM (www.liberation.fr). Préféreriez-vous le mot bouffonnerie ? Pendant dix ans, les écologistes de France ont combattu cette énième invention de l’agriculture industrielle. En 2006 encore, Greenpeace, par exemple distribuait massivement un badge démarqué du fameux « Non au nucléaire ». Son titre en était limpide : « OGM, j’en veux pas ». Les faucheurs volontaires, de leur côté, tentaient d’enrayer la machine, en prenant de vrais risques, au moins financiers.

Et puis, tout a basculé. On a commencé à parler de coexistence. D’une loi qui permettrait de manger sans OGM. Mais qui laisserait ces derniers exister, donc se développer. De compromis, en somme. Je n’ai rien contre les compromis, mais je déteste qu’on se fiche de moi. Or, jusqu’à plus ample informé, la coexistence dans les champs entre OGM et le reste demeure impossible. Toute culture de plein champ condamne au passage l’agriculture biologique par contamination du pollen. Oui, ou non ?

Je ne sais pas dans le détail l’histoire de cette régression, mais il est clair que le Grenelle de l’Environnement, ce truc politicien, aura joué un grand rôle. J’ai beaucoup écrit cet automne, ici même, à propos de cette débâcle. Je vous laisse les références de deux articles, auxquels je n’ai rien à changer (fabrice-nicolino.com) (fabrice-nicolino.com). Je serais intéressé d’entendre certains porte-parole autoproclamés de l’écologie rappeler, en public, ce qu’ils osaient alors dire devant les caméras. Oui, mais ils ne le feront pas. Leur temps, calqué sur celui de la machine universelle, est celui de la télévision et d’Internet. Celui de Winston Smith, ce héros d’Orwell qu’on ne présente plus. Ce qui a été n’a jamais été. Sauf cas d’extrême nécessité.

Le mouvement écologiste, par ses représentants du moins, a abandonné la lutte contre les OGM. Sans le dire publiquement, mais d’une façon absolument certaine. Avec une naïveté que je juge confondante, il a cru obtenir à froid, hors toute pression de la société, un arrangement favorable avec le maître (provisoire) des lieux, Sarkozy. Dépourvus de la moindre légitimité vraie, les négociateurs du Grenelle – Greenpeace, FNE, Fondation Hulot, WWF, etc. – ont rendu technique et tactique ce qui devait rester un engagement identitaire de tous.

La lutte contre les OGM, gagnante ou perdante, signifie avant toute chose que nous refusons ce que devient la vie sur terre. C’est un point de repère au milieu d’un horizon qui fuit, une borne frontière. De quel DROIT les dirigeants d’associations ont-ils bradé ce trésor commun ? Car ils l’ont bradé, qui ne le voit ? « Nos » experts, aussi experts, c’est-à-dire aussi insupportables que ceux d’en face, ont cru qu’ils allaient apprendre aux vieux singes de la politique ancienne à faire des grimaces. C’est raté.

Inutile de commenter le projet de loi concocté par le Sénat sur le sujet. D’abord, parce qu’il n’a rien de définitif. En tout cas, la gérontocratie UMP a plombé comme à la foire la baudruche d’octobre 2007, contraignant ceux qui nous parlaient de victoire historique de l’écologie à enregistrer « l’enterrement du Grenelle » (www.lemonde.fr). Sans gloire, vraiment.

Dans le même temps, on apprenait que la bio est, pour 77 % des Français, une voie d’avenir face aux problèmes écologiques. Et que 84 % d’entre eux souhaitent qu’elle se développe (sondage du cinquième baromètre de l’Agence Bio). Dans le même temps, on apprenait qu’un insecte résistait, pour la première fois, au coton OGM qui devait pourtant l’éliminer (www.lemonde.fr). Il faudra donc, j’imagine, trouver un deuxième OGM pour aider le premier, défaillant. Dans le même temps, on apprenait que le plan Banlieues serait financé à hauteur de 500 millions d’euros – pour commencer ? – par des budgets alloués au…Grenelle de l’Environnement. Comment mieux dire que tout est faux, que tout est com’ et simulacre ?

Je vois, je comprends, je suis convaincu que le mouvement écologiste tenait en mains, avec les OGM, un dossier extraordinaire. Une arme politique d’une dimension sans pareil. Rappelons tout de même qu’une forte majorité des Français expriment depuis dix ans leur opposition aux OGM, dans tous les sondages d’opinion ! Le désastre en cours devrait nous conduire tous à l’examen de conscience. Pourquoi ? Par qui ? Jusqu’où ? Et par-dessus tout : comment en sortir ? Le pire de tout serait que l’omertà sur l’état réel de nos forces se maintienne encore. C’est possible, ce n’est pas certain.

19 réflexions sur « Le Sénat et les fossoyeurs (sur les OGM) »

  1. Eh oui, Fabrice. Nous sommes entrés de plein pied dans la grande époque du roulage dans la farine. Les mouvements s’essoufflent et se renient, les politiques ne prennent même plus de gants quand ils nous mentent et nous trompent. Force est de constater que ça passe comme une lettre à la poste !

    Ce soir encore, le foutriquet a expliqué à la France pourquoi il a bien fait de bafouer la démocratie en ne respectant pas le vote concernant le traité européen. Pourquoi respecterait-il ceux qui ne veulent pas d’OGM ?

    Le 21ème siècle sera probablement celui où on ne gagne plus rien à jouer le jeu du dialogue, de l’échange, de la concertation et de la démocratie. Les dés sont pipés.

    Alors, que reste-t’il ? La désobéissance civile ?

  2. Sur les deux commentaires précédents (Hervé et cyclo écolo),

    Je pense, Hervé, que la désobéissance civile a de très beaux jours devant elle. Mais quant à l’Action Directe évoquée par cyclo écolo, elle fait fatalement penser à l’insupportable et pitoyable aventure des assassins de Georges Besse, patron de chez Renault. Merci bien !
    Au-delà, je suis profondément convaincu que nous devrons trouver autre chose. Nous avons tous cette tendance lourde à chercher derrière nous ce qui pourrait bien servir. Un peu comme ces bricolos entassant dans leur atelier un colossal fourbi.

    Bien entendu, il ne faut rien jeter. Bien entendu, il faudra utiliser ce qui fut. Mais la situation est sans précédent, et il faudra oser le neuf. L’invention.

    Fabrice Nicolino

  3. le débat sur les OGM actuel me sort carrément par les yeux . C’est un exemple parmis d’autres . je penche plus pour la désobéissance civile que pour l’AD, et puis SOLIDARITE entre nous . le réseau biocoop a construit en partenariat avec la fnab , des producteurs locaux, le logo ensembles pour plus de sens . sur chaque produit (bidon de lait, yaourt, paquet de céréale) apparaissent les acteurs de ces regroupements, bio ,équitables pour les agriculteurs . Lu dans quatres saisons, des individus se regroupent pour acheter des terres afin de les maintenir en terres agricoles, bio, cela va de soi . n’oublions pas Autun morvan ecologie, kokopelli, les regroupements en amap, en cigales, également (lu dans ménage de Rapha, ceux qui souhaitent construire écologiquement des habitations, ect) . Si vous voulez agir, c’est pas les idées et actions qui manquent, même si elles semblent modestes . Il y a eu des réactions de citoyens / kokopelli, et bien, lire dans cyberaction (autre façon d’agir) les réactions embarassées de borlo et l’ancienne ministre de l’environnement .

  4. Mais heuuu,de mémoire…Ce  » Grenelle » devenu un Waterloo pour les écoloo n’a t-il pas été à l’origine initié par un certain Nicolas Huloo, mano dans la mano avec Nicolo Sarkoo? Keskid’vient, à c’t’heure, l’hélicologiste? Pas bien bavard, je trouve, ces derniers temps. On l’a connu plus disert. Bon, allez, on va pas quand-même tirer sur les ambulances (quoique!)Remercions plutôt Helicoverpa zea, un tout petit papillon très marrant et adepte du darwinisme qui a décidé de se joindre à la lutte antiOGM, en résistant vaillament aux poisons de Bacillus thuringiensis émis par le coton Bt. ( La nature frappe toujours au défaut de la cuirasse, selon le principe de Murphy) Je propose donc de fonder l' »association des amis d’Helicoverpa zea », laquelle association – qui pratiquera intensivement l’élevage en serre des chenilles de cette si sympathique petite bête – décernera chaque année le prix  » encore raté, caramba! » à un sénateur UMP ami de la FNSEA. Champagne! ( bio)

  5. Fabrice tu écris :  » Mais la situation est sans précédent, et il faudra oser le neuf. »

    Pas la peine d’attendre, on peut commencer de suite, il faut oser, mais oser QUOI ?

    Le constat de faillite des écolos est facile quoique douloureux : on n’arrive pas à contenir une vague technologique (les OGM) que les suivantes arrivent encore plus fortes : nanos, agrocarburants, biologie synthétique, etc…

    Le constat d’une démocratie en panne avec ses schémas de représentation éculés est tout aussi évident. Mais quoi mettre à la place ?

    Par où commencer le chantier ? Je ne sais pas. Comment s’orienter au milieu des décombres ? Je ne sais pas non plus…

    MH

  6. Qu’avons nous à combattre ? une économie de marchés internationale où tout est vendable , ce qui est, et ce qui est fabriqué au jour le jour avec ou sans états d’âmes . Il n’y a donc pas un type de solution, mais des milliers dont certaines sont déjà à pied d’oeuvre depuis des années , avec des principes communs à définir : protection de la vie , formes ethiques…peut-être visez vous trop grand tout de suite, et trop centralisé, ça c’est sûr . je crois à l’efficacité de la multiplicité de micro-actions totalement assumées .des actions qui répondent localement à des abus capitalistes, d’autres qui préviennent avant que des abus prévisibles ne paraissent .

  7. @ patric Nottret, j’aime beaucoup votre idée parmis d’autres : ce papillon est en effet un symbole à ne pas lâcher . c’est aussi un de mes animaux fétiches: fragilité , beauté, renaissance, acte indispensable de pollenisateur..

  8. Pour Mathieu,

    Il y a ce moment très douloureux, où nous sommes, qui me fait penser à ce que le philosophe Hegel appelait le travail du négatif. « L’évolution, disait-il, n’est pas une simple éclosion sans peine et sans lutte, comme celle de la vie organique, mais le travail dur et forcé sur soi-même ». Je ne veux surtout pas apparaître pédant, mais je pense ainsi. Plus concrètement, il faut accepter d’être seul un moment, accepter de penser en opposition avec ce qui est dit, y compris par des amis. Le pire est sans doute qu’il n’y a aucune garantie.
    La seule chose certaine, c’est qu’il faut penser. Quant à agir, nous le faisons, non ? D’une façon émiettée, qui manque parfois de cohérence, mais enfin, nous agissons. Ce qui demeure à jamais, c’est que nous ne sommes que des hommes. Je me résume : pensons (beaucoup), agissons (un peu), patientons (surtout).

  9. le pire c’est que le discours ogm faim dans le monde et autres fables sont encore defendues, il est ahurissant de voir à quel point des thèses ne reposant sur rien de solide puisse par la simple répetition aquerir de la force et convaincre …

    au passage un chat pas initéressant de 2004 …
    http://www.infogm.org/spip.php?article1931

  10. Fabrice, je reviens à une idée que tu avais évoquée à la fin d’un débat à Mantes et dont je ne cesse de parler depuis : celle d’une charte universelle des devoirs de l’homme . Jusqu’à maintenant, y compris dans la révolution prônée par Gandhi et mûe en la désobéissance civile, l’homme s’est battu pour ses droits . Or le combat pour un rapport au vivant éthique, nécessitant des modes d’agricultures, d’exploitation en tout genre et de distribution équitables et durables pour l’ensemble des êtres vivants nécéssite l’écriture d’une déclaration universelle des devoirs de l’homme .

  11. again! non mais j’en suis là dans walden (merci, merci mille fois de me l’avoir fait découvrir!!!) :
    -« je n’ai jamais connu, et ne connaitrai jamais, d’homme pire que moi .
    – Si donc nous voulons en effet rétablir l’humanité suivant des moyens vraiment indiens, botaniques, magnétiques ou naturels, commençons par être nous-mêmes aussi simples et aussi bien portants que la nature, dissipons les nuages suspendus sur nos propres fronts, et ramassons un peu de vie dans nos pores . Ne restez pas là à remplir le rôle d’inspecteur des pauvres,mais efforcez-vous de devenir une des gloires du monde . »

  12. Je te lis souvent Fabrice, te critique un peu, mais te rejoinds complétement sur ce point. Triste constat, qui doit en effet ouvrir d’autres perspectives, d’autres modéles, d’autres organisations, d’autres formes de luttes, et bien d’autres encore…. Je me plais à regarder cet forme d’élan populaire qui nait a gauche de la gauche… le message y est clair, l’origine du mal, des maux bien identifiée (profits individuels / système capitalisme / ) et la démarche de formation ascendante démocratique. Je regarde et vous tiens au courant.

    ps : patric nottret ! j’adhére!! excellent!

  13. Pourquoi ne pas changer notre démocratie pour que le peuple retrouve la parole. J’imagine une chambre supplémentaire, une Assemblée Populaire où les gens seraient tirés au sort (sur une base de volontariat) et qui aurait droit de veto sur les lois, pourrait proposer des lois …
    Les mandats seraient très cours (2 ou 3 mois) de façon à ne pas laisser le temps aux lobbies manipuler, mais suffisants pour approfondir un sujet.
    Les gens seraient tirés au sort suffisament à l’avance pour s’organiser, seraient rétribués par l’état, remplacés dans leurs jobs pendant leur mandat..

  14. Octobre 2003,à l’un des premiers forum participatifs de l’excellente campagne des régionales de Ségolène Royal ( alors encore très dubitative sur la question )s’affrontaient de chaque côté de la dame et devant une salle bien garnie 2 pros (1 agriculteur, un chercheur INRA plutôt mesuré et 2 anti-OGM dont Séralini ( j’ai oublié les autres…).
    Pas mal d’échanges avec la salle.Ségolène avait annoncé qu’elle ne prenait pas position pour permettre le débat. Valait mieux, la salle étant bourrée de pas mal socialistes locaux, si elle avait donné son avis, on pouvait rentrer se coucher !
    Quand je sens la fin arriver, plutôt que d’argumenter car très localement connu, je me présente, je pose cette simple question : messieurs les scientifiques, quand j’ai entendu vos argumentaires de défiance, j’ai eu l’impression qu’on pouvait remplacer le mot OGM par nucléaire.
    Qu’en penser vous ?
    Alors là, douche froide sur la salle ou il y avait plutôt des pros-OGM :  » Oui, monsieur, vous avez raison, on peut faire le rapporchement, c’est la même démarche. »
    Comme en Deux-Sèvres, on se souvenait très bien de la lutte contre le premier projet d’enfouissement de déchets radio-actifs, la partie était gagnée.
    5 mn après , on passait au bar et ça causait dur.

    6 mois après, Ségolène nous gratifiait symboliquement d’une région sans OGM et prenait en charge les maires qui faisaient des interdictions.

    Ben oui, Hulot et ses copains, ils nous ont lâché sur les OGM comme sur le nucléaire…

    N.B.: mon premier vote ne va pas à Ségolène Royal, je raconte les faits « vus et entendus », c’est tout. !

  15. Je souscris à ce que les autres visiteurs ont exprimé, mais je pense qu’une solution de type « action directe » plus ou moins violente surgira spontanément.
    En effet, nous manquons de temps : les limites du système sont franchies et les conséquences visibles et immédiates de la progression de la machine économique mondiale seront de plus en plus grosses (on remarque en plus que la machine s’emballe). La désobéissance civile – la non participation au système -, ne devrait pas suffire. Voyant les dégâts et l’urgence, des individus pourront entamer des actions de sabotage, voire des actes violents ou sanglants.

    Sauf si 1) le contrôle automatique des populations progresse encore. Mais ce n’est pas du tout une solution.
    Ou sauf si 2) des signes de réel changement de masse se font voir; mais rien ne vient encore (oubien c’est insuffisant), même si nous savons où scruter. Continuons d’œuvrer à l’arrivée du « miracle » pour faire comme si.

  16. « A partir du moment où on n’a pas la parrêsia on est (…) obligé de supporter la sottise des maîtres. Et rien de plus dur que d’être fou avec les fous, d’être sot avec les sots. Cette mention du fait que, sans parrêsia, on est en quelque sorte soumis à la folie des maîtres, cela veut dire quoi et montre quoi ? Eh bien, cela montre que la parrêsia a pour fonction justement de pouvoir limiter le pouvoir des maîtres. Quand il y a de la parrêsia, et que le maître est là – le maître qui est fou et qui veut imposer sa folie -, que fait le parrèsiaste, que fait celui qui pratique la parrêsia ? Eh bien justement, il se lève, il se dresse, il prend la parole, il dit la vérité. Et contre la sottise, contre la folie, contre l’aveuglement du maître, il va dire le vrai, et par conséquent limiter par là la folie du maître. A partir du moment où il n’y a pas de parrêsia, alors les hommes, les citoyens, tout le monde est voué à cette folie du maître. »

    Michel Foucault, « Le Gouvernement de soi et des autres » (p. 148.)

    La parrêsia, c’est la franchise et le franc-parler, c’est le geste de celui qui prend la parole en son nom propre. Le geste de celui qui s’engage entièrement dans son discours et s’identifie à ce discours, au « dire-vrai » qu’il a le courage d’adresser à celui où à ceux qui détiennent le pouvoir, assumant le risque que cette prise de parole implique pour sa propre vie. L’épreuve de la philosophie dans son rapport à la politique, pour Foucault, c’est cela : non pas la réflexion abstraite sur le régime idéal ou les formes de la rationalité politique, mais cette adresse directe et courageuse d’une vérité, énoncée en première personne, à qui détient le pouvoir.

    Parrêsiaste va !
    Et merci 🙂

    manu.

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