En défense de Sarkozy (bis repetita)

Je vous l’avoue, je pensais que mon article précédent sur Sarkozy passerait comme lettre à la poste. Tel n’est pas le cas, il s’en faut de loin. J’ai passé une bonne heure à réfléchir au sujet, avant de m’endormir hier, et me sens ce matin comme contraint d’y revenir. J’ajoute que j’ai lu, sur la même question, l’édito de Jean Daniel dans le Nouvel Obs, l’article des directeurs de la rédaction de l’hebdo, Guillaume Malaurie et Michel Labro, une chronique d’Alain Duhamel dans Libération, un commentaire de Louis-Marie Horeau dans Le Canard Enchaîné, et le long papier de Philippe Val dans Charlie-Hebdo.

Bon, je ne vais pas commenter les commentateurs. Un mot pour regretter l’extraordinaire mais habituel corporatisme qui relie tous les prosateurs, à des concentrations très diverses, il est vrai. L’énoncé le plus triste est selon moi celui de Labro et Malaurie. Mais baste.

Je le répète : à mes yeux du moins, le territoire de la vie privée est sacré. L’État, la presse, quiconque ne peuvent y pénétrer qu’en cas de crime, et après usage de mille précautions. C’est le fondement d’une civilisation. L’homme a le droit de parcourir comme il l’entend ce territoire qui lui est concédé. À ses risques et périls, certes, et en acceptant la responsabilité qui accompagne toute aventure. Et la vie en est une.

Je vous prie de m’en excuser à l’avance, mais je vais me montrer solennel. Une certaine classe intellectuelle française, qui domine largement le débat public, a constamment admis le compagnonnage avec le totalitarisme. Je ne parle pas là, évidemment, du fascisme. Mais du stalinisme. La France des journaux et des universités s’est montrée tragiquement incapable d’affronter la question stalinienne pendant le temps où elle a été posée. Aucun rapport ? Je crois que si.

Entre le tout début des années 20 et le milieu des années 70, soit cinquante ans, le cauchemar soviétique puis l’enfer maoïste ont trouvé chez nous des défenseurs acharnés, et un peuple de sourds-muets. Malgré Ciliga, Serge, Souvarine, Kravtchenko, Rousset, Chalamov, Leys. Les choses ont commencé – commencé – à changer à partir de L’Archipel du Goulag, en 1974.

Je ne dresserai pas la liste de tous ceux qui, aujourd’hui encore, exercent le pouvoir symbolique en France, après avoir soutenu le pire. Ce serait trop impressionnant. Un seul exemple : la place absurde, insupportable même, de Sartre, dans notre Panthéon national. Celui que tant associent à l’idée de liberté a défendu jusqu’au délire Joseph Staline, Fidel Castro, Mao. Dans cet ordre saisissant, qui signifie globalement des dizaines de millions de victimes totalement innocentes.

Et je ne parle pas des staliniens français directement engagés dans le soutien à la dictature. De ces grands démocrates d’aujourd’hui qui applaudissaient en 1979 l’entrée de l’Armée rouge en Afghanistan ou la répression bureaucratique contre Solidarité dans la Pologne de décembre 1981. À votre avis, si l’Union soviétique existait encore, quelle serait aujourd’hui leur position ?

Si j’évoque ce que personne ne souhaite plus regarder en face, c’est que le stalinisme a été le poison le plus violent – mortel – de l’histoire de la pensée humaine. Le fascisme était le fascisme, qui entendait réaliser son programme abject, et qui y est largement parvenu. Le stalinisme, au contraire, a détourné un à un le sens des mots les plus nobles de la civilisation des hommes. Le stalinisme, dans le temps où il asservissait, massacrait, torturait, clamait son amour inconditionnel des peuples et de la fraternité.

Même si je devais rester le seul – ce ne sera pas le cas -, je ne cesserai, jusqu’à ma fin, d’entretenir le souvenir des morts de la Kolyma et des assassinés de la Lubianka. Je n’oublierai jamais. Je ne pardonnerai jamais. Jamais. Mais, encore une fois, quel rapport avec notre pauvre Sarkozy ?

Le voici, selon moi bien entendu. La société totalitaire pénètre, s’octroie en permanence le droit de pénétrer la vie et l’esprit de ses membres. L’un des pires crimes, y compris dans le parti communiste français des années cinquante du siècle passé, était de cacher quoi que ce soit à la grande organisation. Le mariage même – tiens – était une affaire politique. L’oeil voyait tout. Et le knout n’était jamais bien loin.

Moi, je plaide pour la liberté. Et pour la bagarre définitive contre la domination et l’exploitation. Seulement, je ne céderai jamais sur la liberté. Ceux qui se montrent incapables de distinguer entre l’atteinte intolérable à la liberté de Sarkozy et tout le reste, ceux-là ne distinguent pas, à mon avis du moins, l’essentiel et le second. L’essentiel, c’est le principe des frontières, des frontières infranchissables. Où l’on rejoint d’ailleurs celui des limites, cher à tout écologiste sincère. Car c’est d’ailleurs, pardonnez l’incise, parce que les hommes refusent toute limite que la crise écologique paraît aujourd’hui sans issue.

Donc, un principe. Et par ailleurs une attaque au pénal de Sarkozy contre Le Nouvel Observateur, que je me refuse à envisager ici. Justement parce que cette affaire n’est pas du tout de même nature. Je terminerai par ce que je considère comme une évidence : notre monde malade a besoin des forces morales contenues dans la défense des droits de Sarkozy, que tant détestent.

C’est aussi parce qu’il est insupportable que nous devons à ce point le défendre. Voler au secours de sa soeur en danger, ou de son fils, ou de son ami le plus cher, ou de son double politique, est-ce si difficile ? Il y a un lien dialectique évident entre la vie privée de Sarkozy et la défense des libertés en général, de la presse en particulier. Et le voici : celui qui juge insupportable l’intrusion par voie de SMS dans la vie de qui que ce soit a toutes chances de critiquer les procès faits à la liberté d’information. Je ne suis pas certain, en revanche, que ceux qui trouvent normal qu’on flique l’intime d’une personne deviennent jamais de vrais combattants de la liberté. Mais je peux me tromper.

9 réflexions sur « En défense de Sarkozy (bis repetita) »

  1. « Car c’est d’ailleurs, pardonnez l’incise, parce que les hommes refusent toute limite que la crise écologique paraît aujourd’hui sans issue « .
    ailleurs, j’avais lu : « la permissivité tue l’homme « .
    Merci d’avoir remis Sartre à sa place (même si j’ai apprécié certains mots du philosophe), et d’autres , moi comprise . Attention, je n’ai jamais défendu le Stalinisme, mais le simple fait d’en justifier une lointaine expression est criminel, j’en conviens . Même si Sarkosy défend un tel système, s’il en devient la victime, alors nous nous devons de le défendre, sinon qu’adviendra-t-il de nos combats ?

  2. Las, je n’arrive point à sangloter bien fort sur Sarkozy. Faudrait que je pense à quelque-chose de triste. Sarkozy – Salengro? Non ça ne va pas. N’étaient-ce pas d’ailleurs les porte-flingues de ce malheureux Sarko(honteusement persécuté par ces charognards de journalistes, ouarf!) qui avaient intercepté un coup de téléphone d’un « humoriste » qui avait piégé Ségolène Royal durant la campagne présidentielle, et fait diffuser l’enregistrement au journal de 20 heures pour la plus grande joie de millions de téléspectateurs? C’était t-y pas une atteinte à une conversation privée, ça? Personne ne s’en était vraiment ému, ce me semble, non? Bon, allez, connaissant Sarko, c’est pas le genre de type qui essaierait de se victimiser pour remonter un poil dans les sondages, il est bien au-dessus de ça, c’est un gentleman pétri de bonnes manières, que dis-je, un condottiere de la Renaissance. je m’en vais donc couper des oignons,ça va me déboucher les lacrymales, parce que là, vraiment j’y arrive pas. Vous voulez que je vous dise? On a vraiment le coeur qui se déssèche avec le temps, y’a pus de morale, y’a pus d’amour, voilà tout.

  3. Lu sur europe 1 : »Après la lecture de la lettre de Guy Môquet, Nicolas Sarkozy a demandé mercredi, lors du dîner annuel du Crif, qu’un nouvel effort de mémoire soit fait en milieu scolaire à propos de la Seconde guerre mondiale et en particulier pour les victimes de la déportation. « J’ai demandé au gouvernement, et plus particulièrement au ministre de l’Education nationale, Xavier Darcos, de faire en sorte que, chaque année, à partir de la rentrée scolaire 2008, tous les enfants de CM2 se voient confier la mémoire d’un des 11.000 enfants français victimes de la Shoah », a déclaré Nicolas Sarkozy mercredi soir lors du dîner annuel du CRIF. Ainsi, « les enfants de CM2 devront connaître le nom et l’existence d’un enfant mort dans la Shoah. Rien n’est plus intime que le nom et le prénom d’une personne. Rien n’est plus émouvant pour un enfant que l’histoire d’un enfant de son âge, qui avait les mêmes jeux, les mêmes joies et les mêmes espérances que lui », a-t-il expliqué. »
    Il n’empêche,il est par ailleurs vraiment inquiétant, même en matière d’éducation, quand c’est traité par lui, c’est catastrophique . Comme si un enfant de cet âge pouvait comprendre et porter en responsabilité une telle atrocité .

  4. Il y a pour tout individu des droits fondamentaux : les droits de la personnalité, et le respect de la vie privée en est un.
    En la matière, le Président a beaucoup fait pour brouiller les lignes ce qui nous conduit insidieusement à perdre nos repères. Si nous n’y prenons garde, nous deviendrons des abeilles « folles » incapables de retrouver la ruche, et nous tomberons dans l’ornière ou plutôt dans le caniveau.

  5. Plus que l’URSS et ses pays-satellites, cette importance accordée à la vie privée dans le champ politique m’évoque les USA – dont s’inspirait d’ailleurs Sarkozy au départ, croyant en profiter, non ? Raison de plus pour arrêter cette dérive dès que possible, il me semble, ou bien alors on va atteindre le niveau 0…

  6. 100% d’accord avec Fabrice.
    Si on a certaines valeurs, il est primordiale qu’elles s’appliquent à tous. Sinon, on y perd sa propre dignité.
    D’autre part, pendant que certains s’échinent à causer SMS et mariage et peopling, ils en oublient de parler des problèmes de fond. Et ils sont nombreux !
    On a plus parler de ce non-évènement que des propos irresponsables de sarko sur la laïcité. Il a gagné… Encore une fois, ça a marché.

  7. Pour le cas général, oui, Fabrice a raison.
    Mais ici ce cas est particulier, car c’est l’infect insecte qui a tout fait pour défoncer les cloisons qui devaient rester étanches. Comme l’a avoué l’éditorialiste du NObs, cette affaire de SMS est l’aboutissement de toute cette foire à la boue, cette « monstration » (l’apparition du monstre); l’agitateur de purin a progressivement habitué presque tout le monde à le suivre dans l’abject.

    Si on le sauve, malgré lui, il continuera à répandre son vomi (et à masquer la réalité), nous perdons.
    Si on ne le sauve pas, c’est la défaite de nos principes, nous perdons.
    La barbarie a gagné la manche.

  8. @ Miaou, je suis d’accord, sauf que pour le cas de l’éditorialiste du NObs, je trouve l’excuse un peu pitoyable : ils sont tous majeurs dans le journal , non ? De dire, c’est pas moi, c’est l’influence de la bête, à son âge….tout le monde n’a pas jugé bon de tremper dans cette boue, même pour mieux vendre .

  9. C’est vrai, ce sont des Graaaaaaaaands journalistes qui savent où est le sérieux (voir les pubs). C’était de leur responsabilité que de ne pas tomber dans le piège.

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