Planète sans visa (le cas chinois)

Lendemain d’élection municipale. Je confirme ce que j’écrivais ici le 7 mars : le mauvais citoyen que je suis a voté. Deux dimanches de suite. Le tyranneau dont je vous entretenais a mordu la poussière de belle manière et la responsable anciennement écologiste l’a emporté. Heureux ? N’éxagérons rien. Mais un territoire d’une poignée d’hectares a désormais toutes chances d’échapper à la spéculation la plus vile. Je ne supporte plus le spectacle de la destruction. Le moindre soulagement m’est devenu nécessaire. J’espère que ce n’est pas trop grave.

Et sinon ? La Chine, bien entendu. De quoi pèsent les centaines de victimes tibétaines de la dictature ? Fâcher les hommes qui tiennent les clés de ce gigantesque marché ? Détourner le regard, ainsi qu’a commencé de le faire l’Union européenne ? Je ne vous pose pas la question.

Il n’empêche que tout s’effondre pourtant. Si vous ne connaissez pas M.Pan Yue, je vous dois un mot de présentation. Pan Yue est Chinois et il voit clair. Il est Chinois, il voit clair, et il va devenir le premier ministre de l’Environnement d’une civilisation vieille d’au moins 4 000 ans. Car la Chine vient en effet de décider la transformation de son agence Sepa (State Environment Protection Agency) en un ministère de plein droit.

L’événement est marquant à plus d’un titre. Et d’abord pour la raison que Pan Yue parle d’une façon très singulière, du moins pour un bureaucrate. J’ai lu en 2005 un entretien stupéfiant qu’il avait accordé au grand hebdo allemand Der Spiegel (en anglais). Je peux me tromper, car je ne lis pas tout, loin s’en faut, mais je crois que la presse française a simplement oublié ce texte capital.

Il est capital, car Pan Yue, alors patron de la Sepa, déclarait sans hésiter : « le miracle chinois sera bientôt fini ». Comprendre: la folle croissance, qui n’est que destruction à la racine. Et il détaillait de la sorte : « Ce miracle finira bientôt parce que l’environnement ne peut plus suivre. Les pluies acides tombent sur un tiers du territoire, la moitié de l’eau de nos sept plus grands fleuves est totalement inutilisable, alors qu’un quart de nos citoyens n’a pas accès à l’eau potable. Le tiers de la population des villes respire un air pollué, et moins de 20% des déchets urbains sont traités de manière soutenable sur le plan environnemental. Pour finir, cinq des dix villes les plus polluées au monde sont chinoises ».

Bref, Pan Yue disait à peu près la vérité. À peu près. Car le point de vue général reste hors de portée. La Chine, je l’ai déjà écrit, risque fort de connaître le premier krach écologique de l’histoire de l’homme. Les choses ne peuvent pas durer, pour des raisons physiques certaines, et elles ne dureront pas. Bien entendu, je ne sais pas l’échéance. Peut-être dix ans, mais sans doute pas trente. Si les courbes actuelles se maintenaient, la Chine consommerait en 2031 – dans 23 ans donc – environ 1 milliard et 350 millions de tonnes de céréales par an. Soit à peu près les deux tiers de la production mondiale actuelle. Cela n’arrivera pas. Je peux l’écrire sans aucune hésitation : cela n’arrivera pas.

La Chine est désormais un pays à la dérive. Accroché au rêve inepte de rattraper notre folie de gaspillage. Au moins – ce sont des chiffres officiels, sous-estimés à l’évidence – 150 millions de paysans déracinés errent d’un bout à l’autre du pays. Ces mingong sont des chemineaux, comme nous appelions jadis nos vagabonds. Il s’agit du plus grand exode de toute l’histoire de l’humanité, et je ne suis pas certain que vous qui me lisez connaissiez tous ce mot chinois. Mingong : l’un des phénomènes les plus extraordinaires de tous les temps. Et aucun journal ne trouve le temps de nous en parler. Les lumières toutes provisoires de Shangai attirent davantage.

Et les Jeux Olympiques dans tout cela, qui doivent se tenir en août ? L’impensable va-t-il se produire ? Les JO semblent désormais nous rapprocher d’un grand naufrage collectif. Une noyade géante, qui serait évidemment désastreuse pour les affreux gérontes au pouvoir. L’an passé déjà, l’alerte avait été sévère. En octobre 2007, Jacques Rogge, président du Comité international olympique (CIO), avait adressé aux autorités chinoises un document affolé autant qu’affolant. Pékin était sommé de lancer des plans d’urgence contre la pollution de l’air, si grave qu’elle risquait de compromettre certaines épreuves.

En janvier dernier, malgré des mesures impressionnantes prises tous azimut, catastrophe. On apprenait le 2 que la pollution de l’air avait atteint le niveau maximal – 5 – dans 15 des 16 stations de mesure de la capitale. Le charbon et la bagnole rendaient l’air à peu près irrespirable. Et la suite n’est pas si mal. Car la presse américaine présentait dans la foulée une étude semblant montrer – oh – que les bureaucrates chinois trichent sur les mesures elles-mêmes.

Finalement, ce qui menaçait de se produire se produit : les athlètes renâclent. Après le forfait de l’équipe suisse d’équitation – Hong-Kong lui semblait trop polluée pour les chevaux -, le marathonien Haile Gebreselassie vient de décider, lui aussi, de rester à la maison. Il tient à sa santé. Quant à la tenniswoman Justine Hénin, elle envisage de ne pas défendre son titre olympique. Pour les mêmes raisons que le coureur éthiopien.

Cela s’arrêtera là, ou pas. L’enjeu des JO est aussi colossal pour le régime que pour les marchands. Cela s’arrêtera donc peut-être. Malgré les morts de Lhassa et les sacrifiés de l’air extérieur. Mais la crise écologique ne fait que commencer, et elle emportera les innombrables profiteurs de cette calamité planétaire.

Nous n’avons pas d’ailleurs, comme le rappelle le titre de ce rendez-vous : notre planète est sans visa. C’est ici, c’est maintenant qu’il faudra combattre. On comprendra peut-être que les municipales resteront dans mon esprit des municipales. Françaises.

15 réflexions sur « Planète sans visa (le cas chinois) »

  1. On se demande comment il se fait que la planète résiste encore, franchement, on a le sentiment que tout va craquer d’un coup, trop c’est trop, tard c’est déjà trop tard. C’est quand il y a des frémissements qui donnent de l’espoir, des prises de conscience qui se répandent, qu’on sent encore plus fort ce malaise sourdre… il est trop tard. Ca va faire mal. Vivons, heureux si possible, actifs toujours,la peur au ventre pour moi devant ce monumental gâchis.

  2. pour moi c’est plutôt la colère au ventre . aujourd’hui, la loire, du côté de paimboeuf, 400 L de fioul lourd , merci , tiens, total ! une zone humide d’une très grande richesse que j’aime . oui, que ce système dont le fruit est une mer de déchets longue durée, que ce cauchemard s’arrête enfin , juste que ça s’arrête !

  3. Alors, le fameux « quand la Chine se réveillera » était vrai ? Je veux dire par là : et si la révolution écologique venait d’une Chine acculée à inventer mieux face à une pollution monstrueusement disproportionnée ?
    Je sais bien , je rêve, mais sans rêve, on arrête tout tout de suite… et il est des rêves devenus réalité.
    Attention : que ceci ne nous dédouanne pas une seconde (puisque nous sommes « sans visa ») d’inventer mieux chez nous aussi et comme le dit Fabrice, « ici et maintenant » !

  4. Pour en revenir aux Tibétains (et à tous ceux opprimés par la dictature chinoise), le fait qu’il y ait un jour – s’il y a et, surtout, si ce n’est pas déjà trop tard – une révolution écologique là-bas changera-t-il quelque chose à leur sort ? Pas sûr…

  5. Et oui, et notre Loire bouffe encore du pétrole à Paimboeuf. Hélas, ce ne sont pas 400 litres, Bénédicte, mais 400 … tonnes ! Et le résultat est un sale spectacle déjà…

  6. Petite erreur, Fabrice : l’hebdo Marianne a déjà fait plusieurs grands articles sur l’horreur de la vie en Chine, et a notamment parlé de mingongs, ces immigrés de l’intérieur sans droits. Je le lis malgré sa détestable habitude de ridiculiser les écologistes et de prendre la crise écologique trop à la légère.

    Ce pays est un splendide échantillon : la production mondiale est aujourd’hui basée sur l’esclavage allié à la destruction de la biosphère.

    Outre les monstruosités sociétales qu’on peut voir là-bas, l’implosion écologique de la Chine n’affectera pas que la Chine.

  7. la chine ne possède que 10% de terres agricoles.
    Plus de 70% vivent en zone rurale en bordure des fleuves.
    A l’inverse l’Argentine et le Brésil ont autour de 65% de terres labourables mais 80% vivent dans les villes.
    Les choses vont aller très vite.
    Il y a en plus 500 millios de porcs et 13 millards de poulets et canards.
    Le tibet c’est l’or bleu.
    L’eau c’est plus précieux que le pétrole.
    La vie en Chine n’a pas le même prix que chez nous.
    Par contre le prix des matières premières va faire bouger les populations affamées.
    Ton article Fabrice décrit très bien la situation.

  8. c’est un ultimatum au monde alors ?
    déjà qu’ils ont fait une belle bêtise avec leur projet du barage des trois gorges « le plus grand du monde » ! super ! et le dauphin beijing qui a disparu excepté le petit bout qu’on en voit sur une vidéo … autrement dit peu de chance de survie …
    j’aime beaucoup l’expression de l’or bleu, ça me rappelle une citation amérindienne (ils disent des choses bien ces amérindiens!)
    « ce n’est que lorsque le dernier arbre sera coupé, le dernier fleuve asséché, les derniers animaux morts, que l’homme se rendra compte que l’argent ne se mange pas »
    ou un truc comme ça …
    déjà eux ils s’en sont rendus compte, si d’autres le font on évitera peut-être de justesse de s’écraser complètement contre le mur droit devant nous …
    et comme j’aime bien les citations j’en écrit une autre, la dernière strophe de la fable de la mort et du bûcheron de la fontaine : » le trépas vient tout guérir, mais ne bougeons d’où nous sommes. plutôt souffrir que mourir, c’est la devise des hommes. » tout ça pour dire que tant qu’il y a de la vie il y a de l’espoir et que j’espererait jusqu’à mon dernier souffle !!!

  9. Les mingong, Daniel Mermet dans « Là-bas si j’y suis » sur France Inter nous en a parlé et plus de 14 émissions à écouter ici http://www.la-bas.org/mot.php3?id_mot=171

    A part ça, les cerisiers vont fleurir aujourd’hui ou demain, les fèves lèvent au jardin et… le niveau de la nappe alluviale de l’Allier n’a jamais été aussi bas ici… et la médiocrité l’a emporté de 158 voix… RÉSISTANCE ! mais pour combien de temps !

  10. les responsables chinois sont les inventeurs du socialisme-capitalisme, une des pires choses qui soit . Si elle pouvait enfin tomber, j’attends depuis les émeutes étudiantes écrasées dans le sang dans les années 80 .
    pour en revenir à la loire P.P. Oui, des tonnes, avec une société totale présentant des bénéfices triomphants en 2007, je suis chaque jour un peu plus écoeurée, s’il est possible .

  11. J’ai juste un repproche à faire à cet article dont je connais l’auteur par ses écrits, ses prises de positions auxquels j’adhère(ou que ces derniers rejoignent mes propres positions)  » gueulant » depuis plus de 35 ans contre la vision d’un monde consommateur boulimique d’un environnement que l’on traite comme une vulgaire paillasson-marchandise sur lequel on s’essuie les pieds sans vouloir reconnaître que l’usure est visible et probablement irréparable.
    En fin d’article, il est dit que les profiteurs-massacreurs d’espaces et d’intelligence vont le payer. Oui mais, ces salauds nous entraînent dans la chute et même si nous sommes tous responsables à des degrés trés différents( je ne parle pas ici ni des tibétains buvant leur thé au beurre rance, ni les pêcheurs somaliens lançant leur filet rafistolé dans l’océan pour se nourrir) et que certains d’entre nous de par le monde font tout pour réduire leur consommation et ont dit résolument stop à la » consommation=PIB=joie de vivre, je ne vois pas comment ces croque-morts en costard qui dirigent le monde seraient les seuls à payer l’addition.
    Colère ? Révolte ? Lutte ? Opposition ?
    Je l’avoue je ne sais plus.

    léonard

  12. Le monde actuel est emballé dans une course éperdue, guidée par une logique dépourvue de sens. Tous les indicateurs, qu’ils soient d’ordres économiques, financiers, écologiques, culturels, spirituels, passent au rouge. Le vernis de la sous-information et de la désinformation craque sous l’appel d’air d’internet et surtout sous la pression que nos cocottes minutes individuelles et collectives supportent. J’ai le sentiment que bon nombre de facteurs se mettent en place pour déchirer le voile opaque qui est mis devant nos consciences. La réalité, nue, crue et dure s’imposera. Inévitablement. Serons-nous prêts à l’accepter ? Nous n’aurons pas le choix. Serons-nous prêts à prendre les bonnes orientations ? Rien n’est moins sûr. N’est-il pas déjà trop tard ? Il n’est jamais trop tard pour oeuvrer collectivement pour une société qui prenne tout son sens. Il n’en reste pas moins que les dégâts sont bien là, présents et accusateurs de nos comportements irresponsables et criminels. La nature a déjà payé un tribut inacceptable pour la folie de ce mammifère finalement plus primaire que bien d’autres. Attention toutefois, car la nature a de la mémoire et elle ne manquera pas de nous rendre la monnaie de notre si chère pièce.

  13. Je ne l’ai pas lu, mais je crois qu’il faut lire « Terre Mère » de J Malaurie (et un autre petit livre à paraître aussi) , qui nous dit ce que les peuples premiers, réservoirs de sagesse, savent depuis toujours et peuvent nous apprendre. Sinon, avant de s’écraser sur le mur de la stupidité humaine, oui, moi aussi j’espère un mai 2008.

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