L’affaire du kangourou géant

Oh, oh ! Et si c’était vrai ? Une étude sérieuse, toute récente, suggère que l’homme serait le vrai responsable de la disparition de la mégafaune de Tasmanie, cette grande île située au sud de l’Australie. Peuplée par des Aborigènes il y a 40 000 ans, l’île a été « découverte» par notre Occident en 1642 et occupée en permanence 150 ans plus tard. Ce fut longtemps un authentique paradis naturaliste, habité par de somptueux animaux comme le tigre de Tasmanie – un marsupial carnivore – de grands oiseaux endémiques, des kangourous géants. C’est justement l’un de ces derniers qui est au coeur du travail publié dans la revue américaine Proceedings of the National Academy of Sciences (Late-surviving megafauna in Tasmania, Australia, implicate human involvement in their extinction). Ses auteurs ont étudié le crâne d’un de ces kangourous, retrouvé au fond d’une grotte de l’île (ici).

Richard Roberts, qui est l’un des signataires de l’article scientifique, a déclaré tout de go : « Jusqu’à présent, on pensait que la mégafaune de Tasmanie s’était éteinte avant que l’Homme n’arrive sur l’île ». La thèse généralement retenue désignait le climat comme la cause première de l’extinction. Or le niveau des températures serait resté stable, et le crâne retrouvé daterait de plusieurs milliers d’années après l’arrivée de l’homme en Tasmanie. Je ne vous en dis pas davantage, car je n’ai pas lu l’étude.

Au-delà, la question me paraît être celle-ci : les civilisations anciennes, mieux, les peuples premiers ont-ils été plus respectueux de la vie que nous ? Chez nombre d’écologistes, la messe est dite. Les Indiens d’Amérique, par exemple, auraient toujours entretenu de belles relations équilibrées avec les écosystèmes et les espèces vivantes. Seule l’arrivée des Blancs et de leur armada aurait bouleversé la donne. On ne peut nier la démence de la conquête du continent nord-américain par nos ancêtres européens. En moins d’un siècle, l’immense forêt qui couvrait tout, de l’est du Canada à la vallée du Mississipi, était réduite en morceaux. La Grande Prairie, ce fabuleux monument qui séparait les deux océans, était changée, en à peine plus de temps, en une morne plaine de blé et de maïs intensif. Je ne crois pas qu’il existe dans l’histoire un autre exemple d’une telle furie contre la terre.

Mais les Indiens ? La cause est controversée, et je n’ai pas de réponse personnelle. J’aimerais croire, comme tant d’autres, que les Pawnees et les Navajos se comportaient mieux que nous. Bien des faits semblent prouver le contraire. Les brûlis massifs d’origine humaine, par exemple, ont clairement joué un rôle néfaste dans la disparition de certains gros animaux, tant en Amérique qu’en Australie. Et la chasse, dans certaines conditions, a pu également détruire des populations fragiles. Si, je dis bien si l’homme venu d’Asie par le détroit de Béring est le responsable d’extinctions, eh bien, quel drame ! Car, rappelons-le, le continent américain n’a été peuplé par nous que très tardivement. Il y a 13 000 ans pour beaucoup, bien que d’autres hypothèses évoquent une présence humaine en Amazonie il y a environ 60 000 ans. Peut-être manquaient-ils simplement de moyens matériels pour accomplir le grand crime ?

Je le répète, je ne tranche pas. Mais à la vérité, en mon for le plus profond, je crains de connaître un jour une vérité mieux établie. Je pressens que quelque chose ne tourne pas rond. Je vois bien – nul besoin d’être grand clerc – que l’aventure humaine a toujours eu sa large part d’une extrême violence contre tout ce qui n’était pas elle. Il n’est pas difficile de la voir comme une conquête militaire sans fin de territoires à soumettre, et d’êtres vivants à engloutir. Je dois avouer que, pour un 23 août, je ne gâte pas les lecteurs de ce blog.

Je l’avoue, mais j’ajoute aussitôt que cette horrifiante perspective ne me décourage pas. J’ai toujours cru, aujourd’hui plus que jamais, à l’esprit. À la puissance de l’esprit. À la force du refus. À l’énergie de la résistance. Or j’ai l’outrecuidance de penser que je suis un refusant, au plus profond de mon être. Et comme nous approchons du moment où, fatalement, la parole refusante sera toujours mieux entendue, sinon comprise, je garde de l’espoir. Contre l’évidence, cela se peut. Mais l’évidence est l’autre nom du renoncement. Et renoncer, non. Renoncer à vivre, à parler, à écrire, à aimer, non. Non. NON.

21 réflexions sur « L’affaire du kangourou géant »

  1. Fabrice, je te trouve bien bon avec les humains : « l’aventure humaine a toujours eu sa large part d’une extrême violence contre tout ce qui n’était pas elle  » . J’aurai dit , contre tout, y compris elle-même !
    C’est vraiment un mystère, pour moi, cette conscience de ce qui est, d’une part, et cet aspect totalement maladif caractérisé par la prise de pouvoir par la destruction . Si les autres espèces vivantes avaient notre capacité de conscience, seraient-elles aussi redoutables ? je pense aux guerres de clan sans merci chez les chimpanzés, les territoires des félins, aux moineaux virant les petites hirondelles de leurs nids , le monde, n’est, de façon générale, pas tendre . J’ai l’impression que tout ce qui existe comme types comportements animals est condensé chez l’humain.
    Que nous soyons « le bout de la chaine », « le sommet de la pyramide » ou « un hasard génétique », cette conscience dont nous sommes pourvue nous rend , de fait, responsable .
    Sur le refus , nous sommes totalement d’accord ! Mais j’ai l’impression, que pour amorcer ce qui doit l’être, pas mal de nos concitoyens vont devoir passer par l’acceptation : de notre nature, de notre environnement, et des limites de ces ensembles .

  2. Je crois qu’ils manquaient, en effet, de moyens matériels pour aller plus loin dans la destruction (l’humanité s’est bien rattrapée depuis !) mais aussi que ces limites imposées par la nature les aidaient, au moins pour certains, à prendre conscience du respect à manifester envers elle. En revanche, aujourd’hui, du moins chez l’Occidental type (qui passe en moyenne 3 h 30 / jour devant la télé), ce rapport-là n’existe plus guère, d’où le sentiment répandu de toute-puissance et donc d’impunité envers la nature. Non ?

  3. L’harmonie des peuples « sauvages » avec la nature est probablement un mythe. Comme le dit F Nicolino, il va falloir creuser la question.
    Quand on voit aujourd’hui l’ampleur de la connerie humaine alors que nous disposons de connaissances sans précédents, on ose imaginer que ce n’est que la technologie qui a manqué pour que la destruction massive ne commence plus tot. Je le redit, vus de l’extèrieur, nous ne valons pas mieux qu’une colonie de bactéries.

  4. Oui, la parole refusante trace son chemin…
    La façon qu’ont les indiens d’être des refusants c’est de n’accorder aucune valeur à tout ce qui vient de la civilisation imposée par les blancs. Ainsi, s’ils ont la télé, ils ne s’y reconnaissent pas et quand le poste ne fonctionne plus, il le laissent sur place. Idem pour la bagnole. Idem pour les photos pour touristes mentionnées dans un commentaire précédent.Cela n’a pas grand chose à voir avec ce qu’ils sont, c’est juste pour donner le change ou gagner deux sous sur une réserve où le taux de chômage est humiliant et où on les folklorise sur le sacro saint autel du tourisme de masse.
    Comme écrit mon ami Nez Percé Leslie Caye: » Je vais me mettre des plumes de poulet, ça marche dans les films.
    Je ne danse pas avec les loups ni ne me tiens debout avec le poing dressé. Et je n’ai guère de raisons de sourire. Vous avez pris ma terre, volé mes chevaux… Je savais bien que j’aurais du faire couler votre bateau […]
    Qu’est-ce que tu as que je n’ai pas? J’ai un passé, un passé que tu n’auras jamais. Rentre chez toi et écoute ton sang, le mien bat toujours fort. Voilà ce que je vaux. »
    Eh bien décidément, renoncer… non!

  5. je crois que les hommes sont les mêmes partout… Les tribus ne valent pas mieux que nous autres, quand les « Jivaros » attrapait un ennemi, celui-ci était tué et sa tête réduite…

    De même, je pense que les autres civilisations sont comme nous (tout pareil), déjà Laotzi critiquaient ses contemporains qui détruisaient les forêt pour en faire des navires…

    Pendant qu’en Europe on brûlaient des sorcières, les « incas » eux sacrifiaient des hommes et des femmes à leurs divinités…
    Les hommes sont les mêmes partout, à toutes les époques et dans tout les lieux…
    Croire le contraire c’est ignorer la nature humaine… C’est tomber dans des clichés…

    Je n’ai pas envie d’être aussi pessimiste que la plupart des blogueurs, L’Humanité a aussi un bon côté, qu’il faut savoir exploiter… L’Homme a aussi fait de belles choses, nous avons crées la médecine, les art, les sciences, les technologies,nos écritures, etc…

    Je crois qu’il faut savoir faire la part des choses, et surtout ne pas voir tout en noir, conserver un peu de recul, d’humour aussi…

  6. Oui, Nicolas a raison, il ne faut pas abuser du désespoir, c’est mauvais pour la santé, physique et mentale. D’autant plus que l’Humanité ne se résume pas à Bush, Berlusconi, Poutine et compagnie…

  7. « j’ai décidé d’être heureux parce que c’est bon pour la santé « , dixit Voltaire (mort assez malheureux entre parentèses, mais c’est vrai qu’il a bien su rire auparavant) , et puis c’est tout de même moteur le positif ! C’est pour cela qu’un de mes ouvrages préféré est certainement « que ma joie demeure », avec Bobi, transi sous l’orage, relevant le front : « j’ai raison » ,et prêt à repartir , faisant fi de l’éclair d’or qui le transperce .

  8. Si l’homme a toujours eu un impact sur l’environnement, toutes les civilisations n’ont pas eu le même impact destructeur. En partie du fait des moyens à disposition mais aussi du fait de la culture, la plus part des Indiens des plaines ou les Penans de Bornéo (actuellement menacés) qui tuent pour se nourrir en gardant un rapport sacré avec la proie n’ont jamais massacré des bisons comme Buffalo Bill et ses compères ou deforesté comme les compagnies actuelles en Indonésie.

  9. OK Bruno et Bénédicte, il y a des bactéries trés rigolotes et elles ne sont pas toutes pathogènes.

  10. @ jean-christophe , je n’ai pas cité leibnitz dont voltaire se moquait….non, tout n’est pas pour le mieux dans le meilleur des mondes, mais on construit en positivant , c’est même une lapalissade(ne soit pas premier degré, de grâce)

  11. @ jean-christophe encore, j’ai entendu il n’y a pas très longtemps une émission qui relatait le travail magnifique d’un musicien, un obscure italien du sud, donc assez méprisé par les grandes accadémies italiennes du nord : celui-ci, ayant découvert que des musiciens avaient été fait prisonniers en camp de concentration, à décider de recenser la musique inventée dans ces conditions . Il a retrouver des milliers de partitions, retranscrites parfois sur du papier toilette . Ces oeuvres ont été conservées par les familles, au fil du temps . parfois, certaines ont été composées en prisons de transfert . Dans cette terrible adversité, des hommes et des femmes ont continuer à exprimer leurs sentiments, leurs rêves, leurs libertés . Et ce courage inoui de creer des chants, du beau dans la tourmente, de résister en somme à des brutes psychopathes qui espéraient les démolir de l’intérieur avant de les tuer, c’est énorme . grâce au musicien italien, certaines de ces oeuvres sont aujourd’hui jouées et chantées dans de grandes salles . J’espère que tu comprens mieux mon propos .

  12. Bruno l’humanité ne se résume pas à Bush, Poutine et compagnie… je suis bien d’accord, mais c’est eux qui ont le pouvoir. Comment on fait pour les virer?

  13. L’affaire de la disparition de la mégafaune par les humains, en quelque point du globe que ce soit, n’est pas une nouveauté ! On le sait pour l’Australie (apparemment pour la Tasmanie aussi), on le sait aussi pour l’Amérique du Nord. Les paléo-indiens ont ainsi, par exemple, exterminé une espèce endémique de cheval. Il n’ont redécouvert celui-ci qu’avec ceux des Espagnols.
    Évidemment, les hommes sont partout a peu près les même. Et personne n’oublie que les Indiens d’Amérique du Nord ont tué un grand nombre d’animaux à fourrure pour commercer avec les Blancs (même s’il faut aussi rappeler que leurs sociétés et les rapports qu’ils entretenaient entre eux étaient déjà bien altérés, même dans la première moitié du XVIIIe s. dans les Grandes Plaines). Mais on peut aussi faire la distinction entre la philosophie de vie qui anime un peuple et le premier quidam qui passe, même s’ils sont nombreux comme lui. Aucune société n’est exemplaire, mais il semble bien néanmoins que chacune (?) ait développé des choses de grande valeur, à intégrer dans un futur qui reste à inventer. En se gardant bien, toujours, de les ériger en dogme. Et en sachant bien, hélas! que rien ne sera jamais parfait de bout en bout…

  14. PS : une très bonne source d’info, passée me semble-t-il un peu inaperçu : Xavier de Planhol (2004): « Le paysage animal. L’homme et la grande faune : une zoogéographie historique ». Paris, Fayard, 1127 p.

  15. A Sylvie : je rappelais ça par principe car s’il y a des crapules il y a aussi des gens admirables mais, en effet, les premières ont le pouvoir, hélas – du moins un certain pouvoir… Ne pas trop consommer peut être une piste parmi d’autres car notre consommation excessive crée leurs profits, ce qui explique l’endoctrinement du style « moins de consommation = moral des ménages en baisse », etc.

  16. ah oui je dois dire que je me demande dans quel cerveau de technocrate aigri a germé l’idée que moins de consommation = moral des ménages (les ménages, en 2008 !!) en baisse. En ce qui me concerne, un des critères qui me fait penser que je ne tourne pas très rond, c’est quand je suis prise d’une frénésie d’achats. Au fait, j’ai l’impression que la plupart des intervenants sur ce blog habitent à la campagne, je me trompe?

  17. titre : ECOCIDE auteur : BROSWIMMER FRANZ
    Editeur : Parangon Date de parution mai 2003

    Selon cet auteur, le problème existait déjà avec… homo erectus
    Dans le genre homo, Sapiens sapiens est la pire, mais pas la seule espèce envahissante.

  18. Je voulais aussi envoyer un post pour faire référence à ce livre Ecocide (vraiment très intéressant), mais Alex m’a devancé. Un petit rajout quand même: l’extinction des mégafaunes (et notamment d’Australie) s’est produite (apparemment du fait du genre homo) en quelques dizaines de milliers d’années. L’accélération finale des deux derniers siècles reste sans commune mesure. Un paragraphe très bien aussi qui explique commun de nombreuses civilisations (Mésopotamiens, grecs, romains, mayas, anasazis…), ont toute disparu par surexploitation de leur environnement. Et puis enfin, une critique politique assez radicale peu commune dans ce genre d’ouvrage de vugarisation scientifique… et qui ne devrait pas déplaire à l’ami Nicollino.
    Marco

  19. L’homme… n’épargne rien de ce qui vit,
    il tue pour se nourrir,
    il tue pour se vêtir,
    il tue pour attaquer,
    il tue pour se défendre,
    il tue pour s’instruire,
    il tue pour s’amuser,
    il tue…Pour tuer. -Joseph De Maistre-

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