L’éternel retour des prolos

J’ai une tendresse mortelle pour les prolos. Les prolétaires. Les ouvriers, et au-delà les si affreusement nommés sans-grade. Il y a tant de raisons à cela. Mon père aimé, mort quand j’avais huit ans, en était un. Il bossait 60 heures par semaine dans un atelier parisien de gravure-estampage. Rappelons un sens oublié du mot estamper, dans l’expression « se faire estamper ». Mon vieux s’est constamment fait estamper, et sa mort à 49 ans a selon moi à voir avec cette évidence.

Moi-même, j’ai été un jeune prolo. Si un jour je devais raconter ma vie, je dirais que, oui, j’ai été une sorte d’apprenti-chaudronnier quand j’avais 17 ans, âge où nul n’est sérieux. On bossait près de 50 heures par semaine. On embauchait à 7h30 et on finissait à 18h30. 11 heures de présence. Le soir venu, après que Jacquot – 42 ans, toutes ses dents – nous avait narré pour la centième fois ses profus exploits sexuels, je me lavais les cheveux dans le lavabo de la minuscule cuisine. Et ils étaient systématiquement noirs, lors même qu’à l’époque, j’avais les cheveux longs, teints au henné, et donc tirant sur le rouge. C’était en 1973.

Tendresse mortelle. La crise du coronavirus me fait fatalement penser à eux, que des générations de petits marquis de droite ou de gauche auront tant moqués. Quand j’étais jeune et que je croyais si vivement à la révolution sociale, les prolos étaient tenus, dans mes cercles en tout cas, pour le sel de la terre. Ils étaient la classe universelle, celle qui construirait enfin une société d’égalité complète. Une société sans classe.

Puis le monde a tourné, dans le mauvais sens. Les partis de gauche, les Mitterrand, les Jospin, les Marchais, les Laurent, les Mélenchon, ont pris le pouvoir, promettant tout et le reste, jurant qu’ils seraient au service des pauvres et des exploités. Je crois pouvoir écrire qu’on a vu. Un si lamentable Hollande n’avait plus qu’une envie : ne plus penser à ces choses qui vous gênent une digestion à la brasserie Lipp de Paris.

Le 10 mai 2011 – 30 ans, jour pour jour après la victoire de Mitterrand, et ce n’était pas un hasard -, la fondation Terra Nova disait adieu à la classe ouvrière. Les prolos, pouah ! Comme ce connard de Blair en Grande-Bretagne, nos intellectuels « de gauche » bien de chez nous donnaient congé aux prolos, définitivement éloignés du vote PS. Ce qui comptait désormais, et qui pouvait valoir encore des victoires électorales, c’était une coalition de diplômés, de jeunes, de femmes et de minorités. Ces gens-là se déclaraient progressistes, en ce que le progressisme a le devoir d’envoyer chier qui nourrit la société et lui assure sa stabilité. Tel fut le programme de Hollande en 2012, qui n’avait pas vu un ouvrier depuis le bref passage d’un plombier dans la maison de ses parents vers 1960.

Le coronavirus établit ce que tout le monde – qui n’est pas shooté à l’idéologie – sait d’évidence : ceux qui tiennent le manche s’appellent des tourneurs-fraiseurs, des chaudronniers – comme je fus -, des électriciens, des couvreurs, des chauffagistes, des employés subalternes, des pompistes, des bitumeurs et goudronneurs, des éboueurs, des routiers, des aide-soignantes, des infirmières, des maraîchers, des éleveurs, tant de petits paysans. Quand il s’est agi une énième fois d’aller au charbon, courant les vrais risques de contamination tout en étant payés au lance-pierres, ce sont eux qui sont montés au front. Les mêmes qui sortirent tant de fois des tranchées. Ceux qui « soufflent vides les bouteilles que d’autres boiront pleines ». Et pas les petits cons innombrables qui occupent tous les fenestrons publics, les radios, les journaux, les télés, les réseaux sociaux.

Moi qui ai tant cru à la révolution, oui, j’aimerais encore que vienne le jour de la vérité et de la justice.

8 réflexions sur « L’éternel retour des prolos »

  1. Cette epidemie propagee par les riches et qui touche aussi les riches, jette une lumiere crue sur nos injustices.

  2. Mais qu’est ce qui empêche de croire encore à la révolution sociale ?
    Oui les travailleurs font tourner la société ce n’est pas une découverte,
    Et partout des peuples luttent et meurent et même pas pour la révolution, juste pour pas crever …
    alors oui Prolétaires de tous les pays unissez vous !
    Et l’émancipation de travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes !

    Ils devront non pas attendre le jour de vérité et de justice mais retrouver la confiance en eux et les idées du communisme révolutionnaire.

  3. Laurentzerl
    Je ne sais pas qui a perdu la main, mais penser qu’on va changer la société localement avec l’aide de l’agglomération du pays basque (nord ) me paraît bien utopique !
    On ne peut pas réformer le capitalisme, et le néoliberalisme est un mot creux qui laisse entendre qu’une bonne politique alternative capitaliste est possible.
    Ceci étant je partage les idées écologistes et le projet communiste (marxiste) aujourd’hui doit mettre l’écologie au cœur de l’économie.
    Et comme antispéciste aussi je milite pour la fin de l’exploitation animale,
    voir mon site http://www.limase.fr

    1. ben Bizi c’est un très bon début, je trouve ! Chaque région doit trouver sa façon de faire, adaptée. Bizi peut donner des idées et des outils pour la mise en pratique. Je ne vois pas où c’est utopique !

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