Un bon Français contre les Aborigènes

Je vais te parler d’un bon gars français qui s’appelle Jean-Sébastien Jacques, né en 1971. Connais pas la famille, mais je devine que papa ne bossait pas chez Renault à assembler des 4L. Fiston a fait Louis-Le-Grand, puis l’École Centrale Paris, créée en 1829, où les anciens élèves – André Michelin, Robert Peugeot, Bouygues – s’appellent entre eux « pistons », on se demande pourquoi. L’ancien Premier ministre et comique Raymond Barre y a enseigné, on voit donc le genre.

Jean-Sébastien a fait une carrière de toute beauté avant de devenir en 2016 le CEO – acronyme anglais qui veut dire grand chef – de Rio Tinto. Ce groupe minier multinational emploie 50 000 personnes dans le monde et troue la terre partout à la recherche de cuivre, d’or, de bauxite, de diamants, d’uranium, de charbon, etc.

Attention, ce n’est pas facile, car comme le dit l’entreprise elle-même, « Nous travaillons fort pour laisser un héritage positif et durable là où nous exerçons nos activités » (1). Fort de ce fier engagement, Rio Tinto, est installée depuis des décennies dans la région de Pilbara, dans l’Ouest de l’Australie, où le sous-sol est farci de fer. La boîte a un rang à tenir : elle en est le premier producteur privé au monde. Pilbara, que personne ne connaît, est presque aussi grande que la France, mais avec 40 000 habitants seulement, la plupart rassemblés sur la côte.

Et le fer est au centre, là où vivent les Abos, habitants premiers de l’île-continent. Comme Rio Tinto aime la culture et les peuples autochtones, elle envoie ses missionnaires parler, puis passer des accords dès 1995 avec des représentants aborigènes. Quels accords, quelles contreparties ? On ne peut qu’imaginer. En tout cas, tout cela est « légal ».

De toute façon, Rio Tinto le jure (1), « We recognise the cultural, spiritual and physical connections that Traditional Owners have with the land, water, plants and animals across the Pilbara region of Western Australia ». Rio Tinto reconnaît les liens culturels, spirituels et physiques que les Abos entretiennent avec l’eau, la terre, les plantes, les animaux.

Un jour de mai dernier, Rio Tinto décide qu’elle a marre, des salamalecs de ces tordus. Ça va un peu, le respect. Des grottes très anciennes et des abris sous roche, tenus pour sacrés empêchent qu’on aille chercher le fer planqué au-dessous. Certains de ces vestiges ont 46 000 ans d’âge, il y a un os de kangourou taillé en forme de lame voici 28 000 ans. Et une tresse de cheveux qui pourrait avoir 4000 ans. On a beau savoir depuis le début, on fait sauter le tout.

En Australie, la chose est (presque) courante, et les autorités, qui sont à la botte, l’acceptent. Mais cette fois, ça ne passe pas. Les Aborigènes du coin ont appris par des analyses ADN qu’ils sont les descendants directs de ceux qui habitaient ces cavernes. Et ils hurlent. Et on les entend enfin.

Du coup, on pique dans un premier temps une prime de trois millions d’euros à cette petite frappe distingués appelée Jean-Sébastien Jacques. Mais comme l’incendie se propage, on décide de le lourder. Est-il le seul responsable (humour) ? Convolons, si tu le veux bien, vers l’île de Bougainville, à 3000 km de l’Australie. Ce territoire fait partie de la Papouasie-Nouvelle Guinée, et son sous-sol est rempli de ces bonnes choses à manger qu’on trouve en Australie.

Rio Tinto y a exploité une mine géante de 1972 à 1989. Prétextant des troubles – réels -, la transnationale a tout fermé, mais en laissant des cadeaux derrière elle. Le plus beau est ce milliard – milliard – de tonnes de déchets miniers souvent toxiques. Placés à la va-vite derrière des digues qui ont cédé, ces résidus ont fini par tout contaminer.

Or habitent là-bas 12 000 Papous que leurs voisins appellent en toute simplicité « les maudits ». Theonila Roka Matbob, ministre de l’éducation de Bougainville (2) : « Nos terres sont détruites et nos rivières empoisonnées. Les enfants boivent et se baignent dans une eau polluée et tombent malades. Des terres nouvelles sont encore inondées par les déchets de la mine ». Mais il faut creuser, non ?

(1) riotinto.com/can/sustainability.

(2) rnz.co.nz/international/pacific-news/413260/rio-tinto-remains-responsible-for-panguna-mine-damage-says-report

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Daddy, foutage de gueule sucrée

Je découvre une campagne de pub qui devrait bientôt tout recouvrir. Signée Daddy, elle vante le sucre de betterave. Nul doute qu’elle aurait eu lieu de toute façon, mais évidemment, le contexte joue son rôle. Je rappelle que l’Assemblée nationale a validé une dérogation pour que les betteraviers industriels puissent épandre des néonicotinoïdes sur leurs saines monocultures. Des néonicotinoïdes massacreurs d’abeilles dont une loi interdisait l’usage depuis septembre 2018.

Daddy, donc. Les premières affiches montrent toutes des feuilles de betteraves, agrémentées de phrases comme « Au commencement, Daddy est végétal », ou bien « Daddy vous rappelle que le sucre est une plante ». Daddy. Le nom sent déjà l’arnaque. Il s’agit d’une filiale du groupe industriel Cristal Union, lui-même né de l’univers glauque de grosses coopératives agricoles, qui ont versé depuis longtemps dans l’intensif et le pesticide.

Or Cristal Union va très mal, et additionne de lourdes pertes qui peuvent atteindre 10% du chiffre d’affaires. Une seule solution : la fuite en avant, et la promotion d’un sucre blanc addictif dont on sait tout le bien qu’il procure à la santé des humains.

En attendant, la pub. Ce que Cristal Union ne dira jamais, c’est que le groupe crame dans ses distilleries des milliers de tonnes de ses si bonnes betteraves pour les transformer en un bio nécrocarburants. Ces gens, qui prétendaient nourrir le monde, ne se gênent pas pour détourner du marché de la faim des plantes alimentaires.

Globalement – les chiffres ne les distinguent pas – le blé et la betterave permettent de produire 12 millions d’hectolitres de bioéthanol, que l’on retrouve à la pompe sous le nom SP95-E10 et E85. Soit des centaines de milliers de tonnes de carburant, dont le tiers est exporté.

Cristal Union a commencé la chose en 2007 dans sa distillerie de Bazancourt, près de Reims et ne peut plus s’arrêter. Vous ai-je dit qu’en 2007, j’ai écrit La faim, la bagnole, le blé et nous ? Ce petit livre racontait la constitution du lobby des bio nécrocarburants, et son infamie. Personne n’a moufté, y compris chez les zécologistes officiels. C’est trop tard.

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Bertrand Piccard pour tout plein d’aéroports

Bertrand Piccard, vous voyez ? Ce sympathique Géo Trouvetou a réalisé des exploits avec son avion solaire et préside la Fondation Solar Impulse. Le 4 octobre, il signe une tribune dans le Journal du Dimanche (1) avec une championne de voltige aérienne, Catherine Maunoury. Et ils sont pas contents.

En résumé, ils en ont marre de ce qu’ils appellent l’« avion-bashing ». Extrait : « L’aviation subit des attaques sans commune mesure avec son impact réel sur le climat. Elle est devenue l’otage d’une idéologie qui prône la décroissance ».
La réponse est venue d’un mouvement dont j’ignorais l’existence, Notre Choix, et me paraît à moi digne d’intérêt (2). Piccard et Maunoury insistent sur la diminution de la pollution par km parcouru en avion, et c’est vrai. C’est même spectaculaire. Mais ils oublient audacieusement que l’augmentation du trafic aérien est telle – il devrait encore doubler d’’ici quinze ans – que la pollution globale du secteur explose. D’après des chiffres sérieux, elle aurait été multipliée par deux au moins en 20 ans.

Le reste du texte me paraît moins convaincant, empreint qu’il est d’excuses et d’embarras. Je suis très étonné que ne soit pas évoqué l’exemple magnifique de Notre-Dame-des-Landes. Car derrières les avions, il y a bien entendu une vision du monde. Une façon de vitre, de se déplacer, de ruiner par le tourisme de masse la plupart des pays du monde. Et des centaines, et des milliers d’aéroports nouveaux que cette folie oblige à concevoir. Piccard, n’importe quoi.

(1) lejdd.fr/Societe/tribune-cesser-lavion-bashing-et-la-tentation-du-bouc-emissaire-pour-construire-laviation-de-demain-3995946

(2) lareleveetlapeste.fr/non-lutter-pour-la-reduction-du-transport-aerien-ne-releve-pas-du-fanatisme/

9 réflexions sur « Un bon Français contre les Aborigènes »

  1. La bonne nouvelle (il faut toujours la chercher derrière la mauvaise n’est-ce pas) c’est que des gens commencent à avoir la frousse de la décroissance. L’année dernière il y avait une série d’articles dans des magazines américains « de gauche » pour « le droit à la fraîcheur » façon « réduisons la fracture de la climatisation », et même un rapport – financé par l’Union Européenne et une palette de fabricants de climatisation- « remis en mains propres » au secrétaire général de l’ONU qui sonnait l’alarme sur les effets du changement climatique sur les populations les plus pauvres et leur « droit à la climatisation ». Rien de tel que les droits de l’homme pour réhabiliter une technique meurtrière polluante et destructrice pour ces mêmes populations les plus pauvres…

    Maintenant l’avion. Surtout en cette période de virus, on hésite à le reprendre. En plus les aéroports gagnent sans dispute le prix des bâtiments les plus laids, chers et stupides de l’architecture mondiale, genre décor pour « matrix » ou « 1984 », Il faut avoir le coeur de mieux en mieux accroché pour continuer à les fréquenter.

    Ces réactions émotives et idéologiques (au sens litéral, ce n’est pas un jugement de valeur) montrent que malgré tout nous sommes sur le bon chemin, et que les gens agissent bel et bien en fonction de valeurs morales et de l’idée qu’ils se font d’eux-mêmes et des autres!

    Et même si on aime bien la voltige au cinéma, on va pas nous obliger à reprendre l’avion!

    Un Boeing bondé qui perd mystérieusement sa route et se prend un missile ou qui s’écrase, les pilotes impuissants, à cause d’un bug de logiciel, c’est moins excitant que des loopings…

  2. Un « Sugar Daddy » en Anglais ça veut dire un vieux monsieur qui veille aux besoins de jeunes femmes en échange de « leur companie »… c’est dit très poliment, bien sûr. Un peu comme le sucre, en fait. Comme dit le site web daddy, on le trouve partout! Ils oublient de préciser car ils sont polis, même dans nos moteurs de voitures et d’avions! Un vrai « sugar daddy » au carré, qui nous pollue de l’intérieur et de l’extérieur! bon appétit!

  3. Merci de nommer les carburants que d’autres appellent « bio ou agro carburants » par leur vrai nom : nécrocarburants.
    Car effectivement ils sont nés de la mort de la terre, arrosés de pesticides sans vergogne puisque non destinés à l’alimentation animale ou humaine.
    Après on nous dira que les OGM sont créés pour régler la faim dans le monde… certains le croient…

  4. Cher Fabrice,
    Parcourant les pages de Charlie, je suis tombé sur votre article « un bon Français ». Et j’y découvre des insinuations très négatives sur l’Ecole Centrale que j’ai fréquentée quelques années après l’homme que vous évoquez (et que je ne connais ni de près ni de loin).
    L’Ecole Centrale est une grande école publique (aux frais de scolarité équivalents à ceux de l’université), qui permet à des élèves sélectionnés sur concours issus de classes préparatoires elles aussi publiques et gratuites pour la plupart ou issus de l’université. Des jeunes gens de toutes origines sociales et géographiques (et de nombreux étudiants étrangers de tous pays) y reçoivent des enseignements scientifiques de qualité et peuvent facilement financer leurs études.
    Je trouve vos propos injustes, ils méconnaissent la réalité des écoles d’ingénieurs publiques.

    1. Cher Laurent,

      Je ne conteste nullement vos propos. Je sais pour avoir connu certains Centraliens – deux, n’exagérons rien – que cette école a accueilli des élèves d’origine populaire. Mais le fond n’est pas là. Les centraliens, comme d’autres catégories d’ingénieurs – ont joué leur rôle dans ce monde tel qu’il est. Et c’est celui de la destruction. Bien à vous,

      Fabrice Nicolino

  5. À propos du retour des néonicotinoïdes : dans cet article https://www.20minutes.fr/politique/2895191-20201028-neonicotinoides-senat-vote-tour-derogations-filiere-betterave-sucriere on peut lire : « Juste avant le vote sur l’ensemble du texte, le Sénat a dû revoter sur l’article premier, le cœur du projet de loi, qui avait été supprimé à une voix près, après une erreur de manipulation du groupe centriste lors du scrutin électronique sur des amendements de suppression présentés par la gauche. L’article a ainsi été rétabli, par un vote à main levée cette fois-ci. »

    20 minute ne précise pas que c’est le ministre lui-même qui a réclamé un deuxième vote…

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