Nous voulons des paysans. Pas toi ?

Ce papier a été écrit pour le journal de la Confédération paysanne,

Chère lectrice, cher lecteur de Campagnes Solidaires, c’est à toi que je m’adresse personnellement, et tu me pardonneras ce tutoiement. Ici, je me sens en famille. En septembre 2018, j’ai lancé avec une poignée d’autres « Nous voulons des coquelicots », qui a essaimé partout en France. À l’arrivée, en septembre 2020, nous avions réuni 1 135 00 signatures, réclamant l’interdiction de tous les pesticides de synthèse.

J’ai suggéré un prolongement : « Nous voulons des paysans » (1). Il s’agit d’unir au-delà des frontières habituelles, autour d’un plan de sortie de l’agriculture industrielle en dix ans. Ce plan nécessite de grandes ressources publiques – le coronavirus a montré qu’elles ne manquent pas – et doit permettre le maintien de tous les paysans encore en activité et d’en installer 1 million de nouveaux, soit une moyenne de 100 000 par an.

Est-ce possible ? C’est surtout vital. Nous ne ferons pas face au dérèglement climatique et à la chute vertigineuse de la biodiversité sans une paysannerie nombreuse, fière d’elle-même, heureuse. Je sais les obstacles, innombrables, mais je sais aussi qu’un pays sans espoir collectif, est un pays foutu.

Au tout début des années 60, les jeunes technocrates propulsés au pouvoir par le retour du général de Gaulle, ont inventé une France nouvelle, désastreuse. Celle des grandes villes reliées progressivement par des lignes TGV et des autoroutes. Le programme a été réalisé, rejetant dans les ténèbres extérieures les petites villes et les campagnes. Tu le sais comme moi : les services publics ont déserté, les écoles ont fermé, les commerces des centres-villes ont disparu, aspirés par les centres commerciaux de la périphérie.

Une autre France est possible et nécessaire. Il nous faut préparer une révolution spatiale, seule capable de redonner équilibre et sens à notre pays. Ce combat-là, qui semble annexe, peut entraîner avec lui, dans nos territoires, quantité de gens que nous ne rencontrons plus guère : des commerçants, des petits chefs d’entreprise, des responsables administratifs, des élus de gauche ou de droite.

Il s’agit bien de créer du mouvement, de lancer une dynamique irrésistible à terme, autour d’une idée aussi simple que l’œuf de Colomb : dans une société qui se veut démocratique, ce que le peuple veut, il l’obtient.

Mais revenons à nous, à vous, à toi. Je souhaite de toutes mes forces des retrouvailles entre la société et les paysans. Il est infernal de penser que des êtres qui travaillent dur pour nourrir la population soient à ce point déconsidérés. Et cela ne peut que durer, tant que les productions resteront industrielles. Les consommateurs s’en détournent chaque année un peu plus.

Le succès possible de cet Appel est là : il faut que tous se retrouvent autour d’une agriculture paysanne respectueuse des bêtes, et qui romprait enfin avec l’agrochimie.

Il va de soi que rien ne sera possible si la société n’accepte pas trois évidences : la production de nourriture coûte cher ; le travail doit être payé à sa valeur ; le revenu de tous les paysans doit être élevé et stable.

Moi, je crois qu’il n’est pas trop tard. La France a pris un mauvais embranchement en sacrifiant ses paysans au profit de l’industrialisation. Il faut et il suffit de prendre ensemble une tout autre route. Tel est en résumé cette nouvelle aventure appelée « Nous voulons des paysans ».

Mais j’y insiste : pas de sectarisme. Avançons les bras ouverts. Soyons fraternels. Tout le monde doit être invité, même si certains ne viennent pas. Pour commencer, j’ai lancé l’idée de 1000 banquets pour 1 million de paysans nouveaux. Au printemps, à une date qui reste à trouver, il s’agirait de se retrouver par milliers, dizaines de milliers, centaines de milliers – qui sait ? – au cours de repas géants.

Le plus simple consiste à se retrouver autour de repas pantagruéliques, qui réuniraient paysans locaux, cuisiniers amateurs ou professionnels, responsables divers et variés, citoyens engagés ou non. Telle pourrait être la base populaire d’un grand mouvement d’espérance collective.

Bien sûr, rien ne nous garantit le succès. Bien entendu, il se trouvera tel ou tel pour décréter que ce n’est que rêverie, ou même que cela détourne de tâches immédiates. Mais de toi à moi, qu’y a-t-il de plus urgent que de changer la face de notre monde ?

De toi à moi, qui est le plus fou ? Celui qui rêve encore de déclencher l’enthousiasme, ou celui qui attend la catastrophe suivante pour pouvoir dire qu’il l’avait prévue ?

Chère lectrice, cher lecteur, haut les cœurs ! Il faut y aller.

(1) nousvoulonsdescoquelicots.org/2020/09/10/nous-voulons-des-paysans-3/

5 réflexions sur « Nous voulons des paysans. Pas toi ? »

  1. merci Fabrice pour cette belle lettre bien émouvante
    une fille ( et petite- fille, arrière- petite -fille, soeur , nièce et cousine) de paysans

  2. Bonjour Fabrice , merci pour tout mais , sérieusement , t’arrive encore à y croire ? Il t’arrive encore parfois de VRAIMENT penser que ce changement de cap salutaire est possible?
    Quand on voit la puissance du lobbies de l’agroalimentaire (des autres aussi d’ailleurs !) et les conséquences dramatiques de leur acharnement sur le monde du vivant, j’ai l’étrange sentiment que l’être humain ne mérite pas cette planète .
    Ils possèdent des organes de presse , sont présents dans les plus hautes sphères du monde politique et économique et ces gens là se contrefichent de l’avenir de la planète . Ce qu’ils défendent est bien plus important : atteindre des objectifs , assurer leur propre avenir professionnel , leur train de vie , continuer à se sentir « au dessus » de la masse d’ignorante et d’inculte populasse que nous sommes !
    T’as déjà vu une enquête poussée sur les dégâts de l’agriculture intensive dans le télégramme ou dans ouest-france ? Quand un documentaire est diffusé sur france 5 (« bretagne : une terre sacrifiée » que je n’arrive pas à trouver en rediffusion) les lobbiistes sortent l’artillerie lourde ! les journalistes indépendants qui travaillent sur le sujet subissent de très grosses pressions …
    Le pire est quand je regarde les « gens » qui m’entourent ou que je croise, quand je les écoute : avec la meilleure volonté du monde t’arrives pas à les convaincre : d’accords sur le fond mais bon , « faut pas exagérer » , « tu vois tout en noir » , « on peut pas faire autrement » , « tiens , regarde j’ai une montre connectée , c’est trop bien » . Ou alors ce sont des bénéficiaires des restos du cœur que essaient simplement de manger : industriel ou pas ils s’en contrefichent , s’ils peuvent manger à leur faim c’est déjà bien ………….
    J’admire ton optimisme (de circonstance ?) , ton obstination , ta constance , ta cohérence : j’adhère à 1000 % mais j’arrive plus espérer , juste à m’agacer de tous ces scandales que tu nous balances dans la gueule .
    Une lecture qui me fait du bien est le journal (papier) « la décroissance » : leurs analyses aident à prendre un poil de hauteur , à mieux comprendre l’ensemble . Si tu peux leur faire un peu de pub !
    Encore merci et surtout : ne t’arrêtes pas !
    Amicalement
    Pascal

    1. A Pascal: « Ce qu’on peut faire, il faut le faire » (Théodore Monod, à propos de ses luttes contre l’arme atomique notamment. Cité dans « Révérence à la vie » ) . Et:  » Le dire c’est bien, le faire c’est mieux » (Bourvil).

  3. Bonsoir,
    Pour ceux qui pourront voir ce documentaire en replay seulement jusqu’au 24/12
    « Des fraises pour le renard » (La Ligne Bleue) diffusé sur France 3 le 17/12 à 23h03.

    Certes, tous les paysans ne pourraient faire cela et c’est du travail de longue haleine mais c’est vraiment encourageant.

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