Une réponse à Greg sur la bagnole électrique

Ce qui suit est une réponse à un lecteur de Planète sans visa, dont on trouvera le texte dans les commentaires. Deux autres lecteurs lui ont déjà adressé des remarques fort intéressantes, mais j’y joins les miennes, car le sujet, Dieu sait, importe.

Cher Greg,

J’étais occupé ailleurs, sinon j’aurais répondu plus tôt. D’abord et avant tout, ton « progressisme » me laisse un peu pantois. J’y vois la marque, et ce n’est pas péjoratif, d’une pensée magique qui s’insinue tôt ou tard dans tous les esprits. La science a toujours trouvé des alternatives, dis-tu ? Quelle science ? Celle qui s’est mise au service des intérêts industriels et militaires, dont il serait douteux de dire qu’elle sert des intérêts humains ? Des alternatives à quoi ? Chaque « avancée » technologique enchaîne davantage les hommes et repousse à plus loin les solutions. Pensons ensemble au transhumanisme et à la promesse de l’intelligence artificielle

Nous vivons l’heure de la numérisation du monde, révolution s’il en est, qu’il est visiblement interdit de critiquer sur le fond, et déjà on veut nous entraîner plus loin. N’est-il pourtant pas évident que c’est ce chemin technologique-là, fait de nouveautés incessantes, qui nous a plongés dans cette gigantesque impasse ? Greg, tu te contenterais donc de faire de nouveau confiance à ces gens-là ?

Autre question fort importante : la bagnole électrique. Enfin, voyons. Ne vois-tu pas qu’il s’agit d’un gigantesque plan de relance planétaire d’une industrie en panne historique ? Les marchés du Nord sont saturés – on imagine mal cinq bagnoles par foyer – et ceux du Sud, de loin, bien moins rentables. Toute industrie est programmée pour avancer vaille que vaille, sans autre considération. Il fallait trouver quelque chose pour sauver ce qui est, dans un pays comme la France, le centre de l’économie réelle. Bien sûr, on affirme que cela sera bon pour le climat. Comme les biocarburants, qui affament un peu plus les gueux. Comme le nucléaire qui menace de grands espaces de vitrification et diffuse des techniques qui seront tôt ou tard militarisées. Les communicants de ce monde en faillite on trouvé dans la crise climatique un argument en or massif pour pouvoir continuer leur route mortifère.

Je ne veux pas même discuter en détail du cycle de vie de la bagnole électrique. Peut-être est-il (un peu) meilleur que celui de la bagnole thermique, bien que je ne le croie pas. Mais ce n’est pas exactement le problème. Le problème est qu’on va émettre des quantités formidables de gaz à effet de serre pour leur construction – l’acier, par exemple -, au moment même où il faudrait réduire de 80% nos émissions. La bagnole électrique est le symbole évident que rien ne sera fait. Et c’est pourquoi il faut l’attaquer frontalement.

Puis, Greg, pardonne-moi, mais tu acceptes de devoir le confort d’une bagnole électrique à des esclaves et à la dévastation écologique loin de nos yeux ? Dis-moi que je me trompe.

Dernière chose enfin. Par quoi remplacer la bagnole ? En préambule, je tiens à redire pour la centième fois que certaines situations sont sans issue. On appelle cela le tragique, que tant, surtout s’ils sont « progressistes », ont du mal à considérer. Mais en l’occurrence, ce n’est pas le cas. On peut parfaitement imaginer un plan de rénovation massive des bagnoles thermiques, en IMPOSANT aux constructeurs l’installation de moteurs ne dépassant as 1 à 2 litres pour 100 kilomètres, en libérant ces derniers de l’électronique qui ne sert que les marchands, de manière à rendre leur liberté d’auto-réparation à ces centaines de milliers de bricoleurs émérites que compte ce pays. Une voiture est susceptible de durer une vie entière dès lors que ses pièces peuvent facilement être changées ou réparées. Et bien sûr, parallèlement, il faut prévoir des plans de circulation incluant au maximum les transports publics, qui limitent sans bien sûr les interdire, les déplacements. En somme, on économise tout, drastiquement, en attendant de trouver mieux. Ce qu’on appelle une économie de guerre. Ne sommes-nous pas en guerre ?

Dernier, dernier point. Un choix décisif a été fait dans les années vingt du siècle passé. La bagnole individuelle aura joué un rôle très sous-estimé dans le développement accéléré de l’individualisme, cette maladie mentale qui nous tue. La prolifération des objets matériels, seul fondement véritable du capitalisme vieillissant, modifie inéluctablement la psyché des humains, en repoussant toujours plus loin des solutions collectives qui sont les seules efficaces. Je te conseille, Greg, et à tous d’ailleurs, d’aller regarder la carte du réseau ferré en 1921 en France, ce qu’on appelle le Grand Chaix (c’est ici et c’est spectaculaire). N’est-ce pas admirable ? Il y avait des bouts de ligne dans la moindre vallée, jusqu’en moyenne montagne. Je dis, j’écris, j’affirme que sur cette base, on pouvait bâtir une autre civilisation des transports. Avec l’intelligence technique des humains, que je juge grande, on eût pu trouver un système souple, mixte, mêlant train et engins collectifs, répondant parfaitement aux besoins. C’est la politique, et le génie des communicants de Michelin qui en auront décidé autrement.

Alors non, cher Greg, non et cent fois non.

Fabrice Nicolino

9 réflexions sur « Une réponse à Greg sur la bagnole électrique »

  1. 200% d’accord!

    – Une illustration architecturale: Il y a 7 ans nous avons restaure un hotel classe « patrimoine » a Calcutta. Entre autres ameliorations nous avons remplace les vieux climatiseurs par un systeme moderne et -bien sur- « vert »! Haute efficacite, importe du Japon, certifie « vert » 4 etoiles, etc. etc. Et nous avons aussi remplace le transfo. Capacite du nouveau transfo? TROIS FOIS celle de l’ancien transfo. 75% de la consommation est pour la clim…

    – Toutes les etudes comparatives sur les immeubles certifies « verts » au Royaume-Uni ont montre qu’en comparant les factures d’electricite, ils sont PIRES que les autres immeubles en moyenne.

    – Un commentaire personnel: Apres avoir etudie la question, je viens de renoncer a l’achat d’un kit electrique pour mon velo. Gagner 1/4hr sur 1hr, avec un kit plus cher que le velo lui-meme, un presque doublement du poids, une perte de manoeuvrabilite et un risque accru d’accidents, une batterie chere et polluante a remplacer tous les 3-4 ans… C’est tout simplement ridicule. Je vieillis, je roule lentement… C’est tout. Avec mon velo normal je peux maneuvrer en toute securite dans les ruelles entre les enfants et les vieilles femmes, ne pas craindre le vol… Pourquoi passer a l’electrique???

    – Gilbert Simondon, l’un des plus grands historiens des techniques, avait observe dans « Du mode d’existence des objets techniques », bien avant que « la cybernetique » ne devienne « l’intelligence artificielle », que plus une machine est automatique, moins elle est capable de resoudre des problemes concrets. Gilbert Simondon a caracterise le premier le concept de « concretude », qui est l’essence meme de la creativite technique. L’intelligence artificielle est, en terme techniques, une degradation de la machine.

    1. Bonjour, comparer vélo électrique et voiture électrique, ça n’a pas de sens. L’un fait 20 à 25kg, l’autre 1,5T à 2,4T… La consommation est dans la même proportion, soit 1 à 100. Et puis, quand on habite des zones rurales ou rurbaines avec des distances importantes, ou encore avec de fortes pentes, ou encore pour aller travailler (sans arriver en sueur au bureau), un vélo sans assistance, c’est quasi impossible.
      Et puis, je vois chez moi en PACA, tous ces touristes en vélo électrique, dont beaucoup sont agés et novices dans leur utilisation d’un vélo, qui découvrent le plaisir de la ballade à vélo plutot qu’en voiture…

      1. Et les mêmes touristes ont chez eux à Paris un vélo d’appartement -électrique, avec endurance contrôlée par ordinateur-, pour maintenir la forme? Ca ne fait que 40kg, et c’est important pour la santé !

      2. Bonjour nasrudin,

        Le tout n’est pas de comparer les 2 moyens électiques de transport dans leur puissance consommée et développée mais bien au dela : les 2 requièrent dorénavant la même infrastructure énergétique. Ça, c’est inédit et cela fait énormément de sens, bien au contraire. Surtout si vous y ajoutez la notion de plaisir retrouvé, c’est encore plus pernicieux !

        Maintenant il faudrait cesser de se poser la question du comment se rendra à X quand on a/est à Y, en raison de la contrainte du travail, en une journée la solution est torchée (et les soufrance en découlant sont consenties).
        Mais plutôt, plus intéressant, le pourquoi nous en sommes arrivé à cet état de fait.

        C’est à dire, dans le cas du travail par exemple, pourquoi les lieux de prostitutions sont de plus en plus concentrés aux même endroits, favorisant l’industrie et la délocalisation facilitée, aussi peu attrayants et vivables soient-ils, plutôt que d’avoir eu l’audace de conserver et d’installer quelques entreprises à taille dites «humaines» et garder davange d’artisans au passage et demandant la bagnole ou le vélo à assistance pour les conscience en éveil ?

  2. Bonjour à tous, bonjour Greg,
    Je n’ai pas de permis. C’est un choix. Un choix qui crée des difficultés au quotidien, parce que je vis dans un village, qu’à mon âge (44 ans), je suis une espèce rare et que tout est conçu pour obliger les gens à vivre avec une voiture.
    Et pourtant, la civilisation de la voiture est une catastrophe. Sans voiture, pas d’autoroutes, pas d’hypermarchés, pas de parking immenses, pas de lotissements sans âme collés à des zones commerciales qui s’étalent sans fin. Notre pays est comme un corps enlaidi par des plaies et des cicatrices ; la maladie est la voiture individuelle.
    Je passe sur la pollution, sur la faune écrasée, les guerres du pétrole, les esclaves et l’individualisme dont parle Fabrice Nicolino…
    Je rêve de ce « système souple, mixte, mêlant train et engins collectifs, répondant parfaitement aux besoins. ».
    Si seulement j’étais moins seule à en rêver…
    Pendant longtemps, quand on me parlait de permis, je me sentais un peu nunuche, je bafouillais une réponse pas claire. Aujourd’hui, je réponds : « Ce n’est plus le moment pour moi de passer le permis et d’avoir une voiture, c’est le moment, pour les autres, d’apprendre à se passer de voiture. »
    Qu’en penses-tu Greg?

  3. Le problème c’est que tous ces gadjets et machines s’ajoutent les uns aux autres, et accumulent la vulnérabilité technique et politique. Aujourd’hui tout a une batterie: la voiture, le vélo, la trottinette, la pendule murale, le téléphone, le laptop, la télécommande, le wifi, tout ce qui est « sans fil ». Et puis Il y a métal et métal. L’acier est non-toxique, facilement recyclable, bon marché et abondant. On ne peut pas comparer avec les métaux toxiques, rares, très difficilement recyclables qui composent les batteries ou les catalyseurs d’hydrogène. Et tous les plastiques. Nous avons une épidémie de matériaux toxiques et non-recyclables! J’ai restauré une Citroen ID-19 break de 1967 quand j’étais jeune. Elle faisait 980kg. Surtout de l’acier, à part le toit en polyester-fibre de verre (déjà…). Facile à réparer soi-même, tout était boulonné, pas d’électronique. Je dis pas qu’il faille revenir à cette époque, qui avait sa dose d’illusions! Mais attention aux techniques « magiques »! La fascination consumériste et technique! (Je connais… j’étais bel et bien fasciné par l’ID-19, et aussi par les premiers micro-ordinateurs bon marché en 1986).

    Delphine, clairement, voit plus loin…

    Une machine n’a de succès économique que si elle exploite un espace mental, tout autant que des matériaux concentrés d’énergie élaborés durant des millions d’années de vie sur terre (le charbon, le pétrole, la chaux, l’argile… produits par des millions d’années de vie végétale et animale et sans lesquels aucune de nos machines ou constructions ne seraient possibles).

    Première étape de la lucidité, effectivement : Distinguer ce qui dans la machine 1. exploite un espace mental de ce qui 2. exploite les matériaux hautement élaborés que la vie nous a laissé en héritage.

  4. Cher Fabrice, chers lecteurs/lectrices,

    Évidemment vous avez raison ! Je ne cautionne en aucun cas la fuite en avant et la surconsommation. Je veux simplement croire que grâce à la science, nous vivons mieux, et que les problèmes liés aux découvertes de la science sont dus (pour simplifier à l’extrême) à l’équation: marketing + ignorance = gaspillage.

    « Puis, Greg, pardonne-moi, mais tu acceptes de devoir le confort d’une bagnole électrique à des esclaves et à la dévastation écologique loin de nos yeux ? Dis-moi que je me trompe. » C’est ce qui me fait le plus mal, crois-moi. Penser que derrière presque chaque objet de ma vie quotidienne se trouve un drame. Alors oui, j’admire les personnes qui peuvent se passer de voiture, de voyages en avion, de téléphones et d’ordinateurs. Je les admire autant que j’admire celles qui les utilisent consciemment.

    Peut-être (sans doute) suis-je trop pragmatique. C’est dans tous les cas un privilège de lire tes articles, ainsi que ceux de la communauté qui gravite autour de ton blog. Au fond de moi je sais que ce sont ceux et celles qui savent prendre le temps de regarder une abeille butiner, un nuage naître ou disparaître sur le flanc d’un montagne, ou un cours d’eau s’écouler, qui sont les gardiens de notre monde, et je leur (vous) fais pleine confiance.

    Merci

    Greg

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