Patience et suspense (à propos de quelque chose)

Navré de jouer les imbéciles, à moins que cela ne soit pas un jeu. Vous jugerez. Je ne vous dirai pas aujourd’hui de quoi je veux vous parler au juste, car j’ai pensé qu’il me fallait une introduction de nature un peu personnelle. Le tout, malgré les apparences qui suivent, a un rapport vivant avec la crise écologique. Je vous l’assure.

Donc, moi. Je n’ai jamais été baptisé, et à bien des égards, je suis un parfait mécréant. J’ai longtemps vu les institutions religieuses du monde comme autant d’instruments de pouvoir temporel, comme des ennemies de la liberté, comme des alliées de l’obscurantisme. Au reste, il ne faut pas me pousser beaucoup pour que je retrouve ce qui ressemble bel et bien à une culture profonde. Vue de ma fenêtre personnelle, lorsque j’étais enfant, l’église catholique était une inconnue qui sentait fort, et mauvais. Je ne veux blesser personne, mais telle est la vérité. Les rares hommes en noir que j’apercevais dans ma banlieue me faisaient peur. Mais le plus souvent, je m’en foutais royalement. Sauf quand ils nous couraient aux fesses, bien sûr.

Dans ma banlieue, ou on faisait le con, ou on jouait au foot. Certes, il arrivait qu’on fît les deux. Mais en général, ces deux activités majeures étaient séparées. Dans les années 60 du siècle enfui, les enfants d’une cité HLM de banlieue ne savaient pas, le plus souvent, où trouver un terrain digne de courses folles et de tirs tendus. Il y avait certes la cour de notre immeuble, où nous nous battions autour de balles en papier renforcé par du scotch. Mais comme nous beuglions et devenions aveugles à tout ce qui n’était pas l’affrontement « sportif », les voisins se mêlaient de la partie en hurlant. Tantôt le père Odelli. Parfois madame Dubois. De temps à autre, les Fabre, les Benoît et peut-être madame Liévaux. Possible.

De toute façon, rien ne valait le terrain de foot de l’école Saint-Louis. Une école privée. Catholique. La preuve manifeste qu’un autre monde est possible. Le jeudi, l’école faisait relâche, mais pas nous. Et ce terrain de foot était si tentant que nous prenions des risques mesurés, mais réels, pour nous en emparer. Il fallait escalader, sauter deux grillages, cabrioler un petit peu avant de se retrouver à pied d’œuvre. Une fois franchis les obstacles, nous étions d’un coup et d’un seul les rois de la piste, et pour des matinées entières. Je vous décris : un vrai terrain de foot – modèle réduit, tout de même -, au beau milieu de la cour de récréation de l’école catho. On voyait derrière un préau et même, comme en ombre chinoise, le clocher de l’église.Vous souvenez-vous qu’on peut brûler ses poumons sans s’en rendre compte ? Le rire aux lèvres au cœur aux pattes ?

Bon, par ailleurs, ce terrain de foot et d’aventures est toujours resté pour moi un mystère. Un mystère, car jamais au cours des ans nous n’avons vu personne. Les gosses de la Catho devaient rester chez eux, le jeudi, à manger du chocolat en récitant des prières. Sûrement, car ils n’étaient JAMAIS en train de taper dans la balle. Quant aux curés, nib. J’écris nib non pour épater le bourgeois, qui s’en fout, mais parce qu’il est venu spontanément. Nib. On ne voyait non plus les hommes en noir. Peut-être ai-je oublié un épisode ou deux. Il n’est pas exclu que nous ayons été poursuivis par l’un d’entre eux. Maintenant que je me concentre, je revois les grandes enjambées d’un prêtre et son doigt menaçant. Oui, je revois la scène, et nos sauts de cabri par-dessus le grillage pour tenter de lui échapper. Avec cette trouille au ventre qui nous aurait changés en champions olympiques de saut en hauteur.

La vérité, c’est que nous n’avons jamais été chopés. En peut-être cinq ans de squat acharné du terrain de foot. L’heure étant à la prescription, je dénonce formellement mes complices. Il y avait mon grand frangin Régis, cela va de soi. Il était très bon dans les buts, mais il faut dire que, vu sa taille, il était aidé, le salaud. Il y avait les frères Hanck. Il y avait une flopée d’Odelli, dont Serge et Boudou. Il y avait bien entendu Bouboule Méchiche et son frère Jacky. Et plus rarement Serge Juteau. Sans compter les occasionnels. Un jour, Jean-Pierre Lemonnier est parvenu à entrer dans l’école avec sa grosse mobylette pétaradante. Une Flandria. Elle me semblait un monstre. Elle l’était, avec son siège passager qui permettait à Jean-Pierre d’emmener les filles en goguette. Mais ce garçon à bottines était un blouson noir, et je m’égare.

Or donc, le foot clandestin à l’école Saint-Louis. Et à part cela ? Je l’ai dit, je n’ai pas été baptisé. Mais curieusement, ma sœur Annie a fait sa communion solennelle. En l’église Saint-Louis, pardi. C’était avant les années foot, car moi, je n’avais guère que cinq ans, par là, et je n’ai pas tout compris de l’extraordinaire événement. Mon père vivait encore – cela ne durerait plus beaucoup -, et ce que je retiens du jour de fête est l’interminable ennui du repas, cette insupportable obligation de rester à table. Et les bonbons. Ne crachons pas sur les bonbons.

Il y a bien d’autres choses dans les soutes surchargées de ma mémoire, mais certaines d’entre elles me feraient passer pour un tel voyou que je préfère en rester là, pour le moment en tout cas. Tout ce qui précède n’a en vérité qu’un but caché : montrer sans détour que le monde catho et moi, cela fait deux. Plus que deux, si ça se trouve. Disons dix. Et pourtant, il m’est venu une idée que vous découvrirez demain, mais qui commande encore quelques mots. La crise écologique frappe la vie et les êtres maintenant. Je ne doute pas une seconde de la prophétie du vieux Léo (Ferré) : « Il n’y a plus rien/Et ce rien, on vous le laisse !/Foutez-vous en jusque-là, si vous pouvez,/Nous, on peut pas./Un jour, dans dix mille ans,/Quand vous ne serez plus là,/Nous aurons TOUT/Rien de vous/Tout de nous/Nous aurons eu le temps d’inventer la Vie, la Beauté, la Jeunesse,/Les Larmes qui brilleront comme des émeraudes dans les yeux des filles,/Le sourire des bêtes enfin dé-traquées (…)/NOUS AURONS TOUT/Dans dix mille ans ».

Je suis sérieux autant que sincère. Aux plus opiniâtres d’entre vous, je le dis sans hésitation : rendez-vous dans dix mille ans. Mais en attendant ? Je vois comme vous qu’il faut imaginer des formes d’action et de rapprochement qui n’ont encore jamais été tentées. Je vois comme vous que nous devons par force trouver un terrain commun avec des gens qui ne nous ressemblent pas. Que, dans une autre vie, nous aurions probablement ignorés. Mais je vous parle de cette vie-là. De notre vie commune qui file si vite. Et je sais que si nous ne parvenons pas à parler à d’autres que nous-mêmes, nous serons perdus à jamais. Aujourd’hui, dès aujourd’hui, il faut abolir certaines frontières mentales que je n’aurais jamais franchies, fût-ce clandestinement, il y a quelques années. Nous sommes en face d’une peste noire planétaire. Nous sommes devant un gouffre sans fond. Moi, je ne veux pas tomber dedans avant d’avoir essayé ce que je pouvais.

Et vous saurez donc la suite demain ou après-demain au plus tard. À ce moment, vous aurez le droit de me critiquer ou de vous détourner. Au moins, j’aurai pris soin de m’expliquer. Pues, compa, claro que nuestros enemigos serán barridos por los anarquistas. Mais dans dix mille ans seulement. Alors.

22 réflexions sur « Patience et suspense (à propos de quelque chose) »

  1. Salut Fabrice,
    Comme toi, les cathos et moi, ça fait deux, même si j’ai fait mes deux communions (fils d’immigrés siciliens, on ne rigolait pas trop avec ça !).
    MAIS SURTOUT : si ça peut te décomplexer, lis donc ça :
    http://www.nouvellescles.com/article.php3?id_article=382
    c’est un peu long mais au regard de ce que tu sembles nous préparer, ça m’a l’air de baliser la route de façon rassurante car, rendus où nous sommes rendus comme tu le dis si bien, on ne peut pas éternellement tout inventer et réinventer.
    Bien entendu, Cazenave est en lien assez étroit avec Gilbert DURAND dont je te bassine depuis quelques mois… j’espère qu’on en reparlera de vive voix !

  2. L’évocation de la balle de foot version boule de papier froissé renforcée au skotch m’a rappelé pas mal de souvenirs de la cour de récréation !
    Bon bah on attend ma suite…

  3. Bonjour Fabrice,

    Lecteur régulier qui ne se manifeste jamais, je le fais ce jour pour attester qu’il y a des lecteurs réguliers qui ne se manifestent jamais, ou presque. J’attends donc la deuxième partie, silencieusement et respectueusement.

    Merci

  4. çà aussi çà devrait pas tarder, mais ce n’est pas la même chose.
    Encore un projet d’aménagement respectueux de l' »environnement », ici ce n’est pas un circuit de F1:
    franchement c’est scandaleux, ce département compte un nombre impressionnant de « grandes surfaces »! (je crois même [à vérifier] qu’il est premier en la matière)
    Qui veut signer la pétition peut le faire.

    http://sd-1.archive-host.com/membres/up/162467722045668489/Tract_auchan_avec.pdf

  5. (sourire amusé) – quel préambule !!
    Sinon, c’est chouette que tu aies pensé aux murs à pêches de Montreuil .

    @ Marie, pétition signée! Vive le fanfare des cigales !

  6. J’espère que oui ! Bon, sérieusement, je ne sais pas ce que tu vas nous annoncer mais, à propos de prêtres, j’ai lu il y a peu (dans Télérama, je crois), ce souvenir de J. Audiard qui, ayant fait le mur de son pensionnat religieux pour aller au cinéma, s’était fait attraper par un prêtre qui… lui avait finalement conseillé des films !

  7. Hormis ce suspense à la croix de bois, je me réjouis de lire la note de Fabrice sur le nouveau film de notre hélicologiste en chef, YAB! S’il daigne en faire une… (vu qu’il avait esquivé celle sur le bouquin de Kempf!).

  8. Psst..je vois que l’on rit par ici, que l’on fait de l’hélico etc.. aussi vais-je peu poster , sur le projet pharaonique « ITER » ou recherche sur la fusion; possible en 2100?); très respectueux aussi de « l’environnement » (qu’en pense monsieur YAB?): POur démarrer: 300 convois exceptionnels de l’étang de Berre à Cadarache, un itinéraire qui va traverser des zones naturelles classées natura 2000; début de ce ballet: été 2009; les plus lourds convois 900 tonnes, les plus longs 60 mètres, les plus larges 10 mètres, les plus hauts 9 mètres; abattage arbres nécessaires, « snif », routes élargies, etc, etc, côut de cet itinéraire: 81 millions d’euros! Cette entreprise ne connait pas la crise! ou alors je n’y comprends rien (possible aussi).
    Enfin, heureusement qu’on a eu le Grenelle « par chez nous » comme dirait ma grand mère!
    Quand aux imminentes « révélations » que va faire Fabrice Nicolino à son « peuple », Bruno, il s’agirait pour lui de remplir une mission très honorable et importante au Vé..pour H.de C…mais chut!..allez bonne nuit!

  9. Je lisais hier, chez le médecin, rapidement une interview de Jean-Marie Pelt qui disait que la religion, notamment le christianisme, et l’écologie n’ont pas toujours été incompatible. Si j’ai bien compris, il dit que jusqu’au Moyen Age avancé, l’homme était considéré comme partie d’un grand tout ; concrètement, les voûtes romanes, entre autres exemples cités, symbolisant le cosmos au dessus des têtes. C’est davantage la science qui aurait détourné l’humain de la bonne voie. Il s’agissait du Psychologies Magazine d’avril, consacré à l’écologie. Est ce que quelqu’un ici a eu l’occasion de le feuilleter ?

  10. Yann Arthus Bertrand, je suis en train de regarder son dernier documentaire et je me suis rappelée qu’il était question de lui ici.
    Si Fabrice lui consacre un petit papier, peut-être changerai-je d’avis. Mais pour l’instant, j’ai envie de dire : ne lui crachons pas trop vite au visage. Chacune de ces images, commentées, m’a toujours émue. Et je crois, j’en suis même convaincue, qu’elles participent à la sensibilisation du plus grand nombre. Ce plus grand nombre, dont on se demande souvent comment on va pouvoir l’atteindre au coeur, à l’âme, lui faire prendre conscience de la beauté, de la fragilité et du nécessaire respect de la vie sous toutes ces formes. Il donne par ailleurs la parole à de petites gens et à des hommes/femmes qui se battent sur le terrain souvent avec peu de moyens. Sa démarche serait intéressée ? Il va falloir sérieusement argumenter pour me convaincre. 🙂

  11. Entièrement d’accord avec Chaperon Rouge. Cela fait un petit moment qu’ici et là je lis des piques, des réflexions mesquines, ou carrément des critiques virulentes envers YAB, et j’avoue ne pas trop comprendre pourquoi certains déversent leur bile sur lui, en particulier. Il me semble qu’il y a bien d’autres gens qui mériteraient le mépris des écolos plutôt qu’un réalisateur de bons et beaux documentaires.
    Moi aussi j’attends des arguments « béton » de la part de ses détracteurs…

  12. Ce qui me gène avec ce film d’Arthus Bertrand c’est qu’il risque de culpabiliser les petits (comme dirait Nicolas)voire dégouter certains de l’écologie; et dans le même temps ceusses qui savent et ceusses qui agissent continueront leur opérations en toute serenité, puisqu’ils oeuvrent pour la Science, l’aménagement, l’emploi;
    par ex Iter: (ils vont faire des actions de compensation, ils prévoient donc de la « casse »?):
    Mise en place du comité de biodiversité ITER
    Le comité de biodiversité ITER s’est réuni pour la première fois le 27 juin 2008 à Cadarache. Il a insisté sur l’importance à accorder aux actions de compensation, de communication, d’information et de recherche qui accompagneront la mise en oeuvre des mesures de compensation prises dans le cadre des défrichements liés à l’aménagement du site ITER

    Lors de leur première séance de travail, les membres du comité de biodiversité ont passé en revue les modalités et le calendrier de mise en œuvre des mesures de compensation prévues par l’arrêté préfectoral du 3 mars 2008 pris dans le cadre des défrichements liés à l’aménagement du site ITER, avec notamment :

    L’acquisition et la gestion d’un espace forestier à très haut intérêt patrimonial (480 ha),
    La réalisation d’inventaires d’espaces naturels (environ 1 200 ha essentiellement en forêt domaniale),
    L’élaboration d’un plan de gestion de zones protégées,
    Le développement d’un programme de recherche scientifique sur le thème « forêt et biodiversité » dont le financement d’une thèse,
    La définition d’un programme d’information et de sensibilisation du grand public sur les enjeux de la biodiversité.
    Co-présidé par Colin Miège, directeur de la mission Iter et Hervé Le Guyader, professeur à l’université Pierre et Marie Curie, le comité comprend une douzaine de personnes réparties en trois collèges avec :

    des représentants des services de l’Etat :
    Laurent Roy, directeur régional de l’environnement de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur,
    Hervé Brulé, directeur départemental délégué de l’agriculture et de la forêt des Bouches-du-Rhône ;

    des experts, des représentants institutionnels et des associations de protection de l’environnement :
    Hervé Le Guyader, professeur à l’université Pierre et Marie Curie,
    Vincent Vignon, expert en entomologie de l’Office de génie écologique,
    Marcel Barbero, président du conseil scientifique régional du patrimoine naturel,
    Emmanuel Cosson, directeur du Groupe chiroptères de Provence,
    Janine Marino-Brochier, de l’Union Régionale Vie et Nature,
    Jean Grégoire, directeur du Parc naturel régional du Luberon,
    Laurent Voisin directeur interdépartemental de l’Office national des forêts ;

    des élus :
    Roger Pizot, maire de Saint-Paul-Lez-Durance et
    Claude Cheilan maire de Vinon-sur-Verdon.

    Le comité de biodiversité ITER a insisté sur l’importance à accorder aux actions de compensation, de communication, d’information et de recherche qui accompagneront la mise en oeuvre des mesures environnementales.

    Campagnes de minage Plusieurs campagnes de minage seront organisées à l’intérieur du site Iter à partir du 30 avril 2008 jusqu’en septembre 2008 dans le cadre des travaux d’aménagement et de viabilisation engagés par l’Agence Iter France. Ces tirs de mine sont similaires à ceux qui sont réalisés sur des travaux routiers ou des ouvrages d’art.

    Chaque tir sera précédé d’une alarme sonore, diffusée par une sirène (corne de brume) durant plusieurs secondes, pour avertir toute personne de ne pas s’approcher des périmètres de sécurité définis en bordure du site en application de règles de sécurité.

    Un affichage approprié sera réalisé sur les lieux et des personnels de sécurité contrôleront les accès à proximité du site.

    Les travaux de viabilisation du site sont placés sous la responsabilité ….

    pour ceux qui veulent en savoir plus..

    http://www.itercad.org/actu.php

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