Michel Rocard est un zozo, mais vive la banque ! (ter)

On va finir par croire que je n’aime pas Michel Rocard, et c’est tout à fait vrai : je ne l’aime pas. Et pourtant ! N’a-t-il pas cet œil de lynx qui le distingue de tous les aveugles de la place ? Mais si. Témoin cet entretien accordé au Nouvel Observateur en décembre 2007 (ici). Attention les yeux, fussent-ils eux aussi de lynx, car cela fuse.

Que dit Rocard dans ce texte qui lui permet, aujourd’hui, de prétendre qu’il fut l’un des rares vaillants à prévoir la crise économique ? Eh bien, en résumé imparfait, que cela ne peut durer, car trop, c’est trop. Que le capital se goinfre, que la dette américaine n’est plus remboursable, que la financiarisation de l’économie mène au gouffre. Je cite le plus présentable : « Nous sommes dans une situation étrange : les signes avant-coureurs d’une crise mettant en cause l’équilibre général de l’économie s’amoncellent et pourtant les “opérateurs” restent silencieux ».

Je ne sais pas si vous êtes familier de ce genre de prose, mais laissez-moi vous dire que le père Rocard, ce jour-là, enfile des perles. Toute une école critique du monde réel répétait alors tout cela depuis des années, sinon des décennies. Et cette critique, Rocard s’est constamment assis dessus quand il était au pouvoir ou pas trop loin de lui. Cela sentait le soufre. Libéré du carcan, il reprend donc ce qu’il dédaignait la veille, mais alors, parce que c’est lui, il ne s’agit plus d’une billevesée, mais d’une prophétie. Rocard et ses assez nombreux affidés, sont convaincus – ou feignent de l’être – que Michou a eu raison avant tout le monde. C’est désopilant.

Poursuivons avec le même. Dans le journal Le Monde daté des 2 et 3 novembre 2008, Rocky déclare sans barguigner : « La vérité, c’est que planquer des créances pourries parmi d’autres, grâce à la titrisation, comme l’on fait les banques, c’est du vol. Les précautions de vocabulaire sont malséantes. Nommer correctement les choses permet de bien appliquer la sanction. On reste trop révérencieux à l’égard de l’industrie de la finance et de l’industrie intellectuelle de la science financière. Des professeurs de maths enseignent à leurs étudiants comment faire des coups boursiers. Ce qu’ils font relève, sans qu’ils le sachent du crime contre l’humanité ».

Ouah ! la vache. Crime contre l’humanité ! Après une telle attaque, on attend une suite. Des barricades, des assauts à la kalachnikov contre la Bourse ou le Parlement. Mais non, notre penseur doit avoir eu une triste panne moteur. Il accepte – voir l’article précédent de ce blog – quatre missions des mains de Sarkozy, qui représente plus qu’aucun autre politicien ce monde de coups boursiers et donc, à suivre Rocky, de crimes contre l’humanité.

Inutile de nier que ce personnage me fait marrer. Pas vous ? Vous avez sans doute lu que la BNP avait décidé d’attribuer 1 milliard d’euros supplémentaires à ses courageux traders, car ces derniers font gagner de l’argent, plein d’argent à cette banque jadis publique et qui, sauf vilaine erreur, doit beaucoup à l’argent du peuple. 1 milliard d’euros, précise la BNP, mais dans le cadre strict et légal défini au cours de la dernière réunion des riches du monde, le fameux G-20.

Tout est en règle, qu’on se le dise. Mais au fait, d’où proviennent ces profits étonnants annoncés par tant de banques de notre petite planète ? On les croyait ruinées, les voilà qui affichent des chiffres record. Que se passe-t-il, amis de la finance ? Eh bien, je me permets de vous renvoyer à un article retentissant du quotidien américain The New York Times (ici). Oui, il faut lire l’anglais. Je vous donnerais bien une traduction, mais je n’ai pas le temps. Si quelqu’un le peut, je crois que cela servira à tous.

En deux mots, ce que j’ai retenu. À New York, on  se demande d’où viennent les énormes gains en cours de Goldman Sachs, l’une des grandes banques mondiales de l’investissement. Jadis, avant 1998, les ordres de Bourse étaient donnés par des gens de chair et d’os, à la vitesse qu’ils pouvaient. Puis l’on a autorisé les opérations électroniques, tellement pratiques, tellement rapides. Et voilà que des malins utilisent désormais un système commercial dit de haute fréquence, disposant d’ordinateurs bien plus puissants que ceux du marché officiel.

Grâce à cette nouvelle technologie, la Goldman Sachs – et la BNP ? – peut griller tous les investisseurs et traders traditionnels. Car elle peut envoyer des millions d’ordres en une milliseconde, surveiller des douzaines de marchés internationaux, et renifler la moindre tendance avant que les petits hommes, façon Jérôme Kerviel – le danseur de la Société Générale – ne puissent s’aviser de quoi que ce soit.

Arrivé à ce point, il me faut revenir une ultime fois à cet excellent monsieur Rocard. Et comme c’est un homme vaillant, qui eût pu – on ne refait pas l’histoire, certes – devenir président de la République, je me permets de l’interpeller sans détour. Que penser d’un homme qui dénonce un crime contre l’humanité, puis le laisse se poursuivre, s’étendre et tout dévaster ? Que penser d’un homme qui dénonce un crime contre l’humanité avant d’accepter de mener des croisières de luxe à destination de l’Antarctique (1) pour le compte de l’ami de Bolloré, Pinault, Bouygues et tous autres ? Oui, comment faudrait-il appeler quelqu’un d’assez odieux, d’assez irresponsable, d’assez inqualifiable pour en arriver là ?

Si vous ne voyez pas, moi si. Mais je ne peux l’écrire, pour des raisons qui me sont évidentes, et qui ont trait au juste et noble droit sur l’injure publique.

(1) Rocard a accepté une mission bouffonne qui en a fait un bouffon présidentiel de l’Antarctique. Et lui donne droit à des billets gratuits sur de beaux bateaux qui vont sur l’eau.

7 réflexions sur « Michel Rocard est un zozo, mais vive la banque ! (ter) »

  1. Eh ! C’est de l’acharnement ?! 😉 Et puis Rocky ter, c’est pas l’oeil de lynx, c’est l’oeil du tigre. Mais on est pas obligé de connaître les films intimistes du cinéma dard et décès… 😉

    Concernant Goldman Sachs, j’ai eu vent de cela : http://www.agoravox.fr/actualites/economie/article/goldman-sachs-la-grande-machine-a-59168
    Pas encore lu et d’ailleurs pas sûr que j’y consacre du temps. Donc pas d’avis. Pour ceux qui pourraient être intéressés…

  2. « Un jour viendra où l’on parlera des machines comme on parle du marché ».

    C’est Heidegger et c’est d’autant plus vrai que les machines font désormais le marché.

    Rien ne sert à Terminator d’être musclé et armé. Il suffit qu’il puisse passer des millions d’ordres en une seconde…

  3. c est vrai que cela en devient risible !
    michel Rocard, si mes souvenirs sont bons , c est lui qui écrivait dans le Monde « Tous derrière Laurence Parisot  »
    on dit souvent que la réalité dépasse la fiction
    mais la réalité dépasse aussi toutes les comédies !

  4. J’ai l’impression que ce qui mène ces gens importants, sans entrave c’est la passion absolue de leurs vanités terrestres; on est tous un peu comme çà, mais parfois on prend de sacrées leçons et on rabat la voilure, peut-être que eux non, pas assez de leçons, ou alors cancres?; ayant approché les politiques d’un peu près j’ai été étonnée de leur absence « d’états d’âmes »; j’ai trouvé que c’était à la fois une force, mais aussi une sacrée tare, pour le dire vite, on a l’impression que sur certains sujets, il leur manque des cases; déformation professionnelle? je ne sais pas, mystère.

  5. Marie, beaucoup, dès qu’ils ont un peu de pouvoir, n’en usent pas à bon escient. Je ne connais pas vraiment d’homme politique, seulement le premier adjoint d’une petite commune. Dans ce coin-là, deux histoires récentes. Le maire de la commune de xx xxxxxxxx fait passer un décret pour limiter la vitesse à 50 km/h dans tel coin de sa circonscription. Le lendemain, je crois, de la mise en application, il est flashé à plus de 50, et devrait donc écoper d’une amende et perdre un point sur son permis. Eh bien il a simplement annulé cette limitation, justifiée à ses yeux la veille encore, pour ne pas être pris en défaut. Autre chose, bien plus grave, sur une autre commune, plusieurs hectares de serres horticoles néerlandaises, pour l’ineffable plaisir d’avoir des fleurs coupées, n’est-ce pas ?, avec chauffage à con même pas « écolo » et des emplois à la clef bien sûr, argument suprême. Autre argument décisif car à la mode : plutôt que d’être produites aux Pays-Bas avec encore plus de chauffage, elles le seront chez nous dans un coin plus doux : moins d’énergie pour produire, beaucoup moins d’énergie pour le transport : « et ça c’est bon pour la planète » ! Et quand on connaît dans le détail ce beau projet, on sait qu’il y a en plus une belle entourloupe pour cacher que le terrain appartenait en premier lieu au maire lui-même qui le revend pour un excellent prix puisque c’était un terrain agricole auparavant, donc de prix modeste. Et hop ! 500 000 euros dans la poche avec l’approbation quasi totale du conseil municipal. Idem au niveau du département. Bref, magouille, magouille et tout le monde ou presque de se réjouir, même ceux qui sont au courant. Et tout cea avec de tout petits pouvoirs. Alors à une autre échelle…

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