Un certain esprit Pappalardo (sur les biocarburants)

Eh oui, de retour. Les feuilles de l’arbre sont si belles qu’elles ont sans doute été inventées pour oublier la laideur. Mais par qui, dans ce cas ? Le bonheur a la lumière des hêtres, touchés par le déclin jaune de l’automne. Et comme je m’y préparais, la buse était là, qui attendait mon passage. La rivière ? Oh, la rivière avait repris des forces, depuis la dernière fois.

Je me suis demandé, comme vous sans doute, je me suis demandé ce qu’elle pouvait bien faire de ces amas fous de feuilles, brindilles, branches et même arbres complets qu’elle entraîne dans sa course inlassable. Qu’en fait-elle ? Le savez-vous ? Où cache-t-elle ces montagnes végétales qu’elle drosse contre ses falaises ? Je ne sais pourquoi j’ai retiré de ses flots deux troncs coincés dans quelque réseau de racines de la berge. Je n’en sais rien, mais je l’ai fait. Et puis je les ai déposés plus haut, espérant qu’ils sécheront, espérant que de nouveaux habitants viendront s’y réfugier.

Et me voici donc de retour, apprenant par le site Rue89 que l’Ademe a retiré de la circulation un rapport pourtant mûri de longue date sur les biocarburants (je précise une fois de plus, pour Iona, que ce terme me va mieux qu’un autre. Un, il est celui du mensonge et des marchands, qu’il faut bien affronter. Deux, il permet d’être compris de tous. Essayez donc de parler d’agrocarburants, et vous verrez que la moitié des gens ne savent pas de quoi vous parlez). Donc, l’Ademe a décidé de planquer sous le tapis une étude sur cette industrie criminelle (ici).

Ce pourrait presque être drôle. Je lis que Patrick Sadones, ingénieur agronome alter en même temps qu’excellent connaisseur du dossier, a déclaré à Sophie Verney à propos de vrai-faux rapport d’anthologie: « Les services de l’Etat à la botte du lobby des agrocarburants. La représentation de la société civile réduite à deux personnes, ne disposant d’aucun moyen pour effectuer des vérifications contradictoires approfondies. Les bureaux d’études plus soucieux de ne pas mécontenter leurs commanditaires actuels et futurs que d’œuvrer à la manifestation de la vérité. »

Ce serait presque drôle, car il y a deux ans, j’ai écrit un pamphlet contre les biocarburants (La faim, la bagnole, le blé et nous, Fayard), dans lequel je taillais en pièces un premier rapport estampillé Ademe – mais réalisé par un cabinet privé – qui soulignait l’excellence écologique de ce que je me dois d’appeler une merde globale. Et la patronne de l’Ademe, en cet automne 2007, avait rendu publique une lettre que je n’ai jamais reçue, mais qui m’était pourtant destinée. Cette dame s’appelait et s’appelle toujours Michèle Pappalardo. En bon soldat sarkozyste qu’elle est, elle se trouve être désormais, et j’essaie de ne pas rire, Commissaire générale au développement durable.

Mais il y a deux ans, elle était en colère contre moi, qui accusais son administration de vraies turpitudes. D’où une lettre, que certains d’entre vous auront peut-être le goût de lire in extenso (ici). Je viens de la parcourir, et j’y vois, peut-être à tort, un chef-d’œuvre mineur de la langue bureaucratique. Dans tous les cas, elle mérite considération. Je me permets de confier à votre sagacité cet extrait, long et chiant comme la pluie – qui ne l’est pas -, mais au moins éclairant : « Pour ce qui concerne les travaux menés sur l’évaluation environnementale des agro-carburants, les avis diffèrent certes sur les résultats des analyses de cycle de vie (ACV) et les conséquences du développement des agro-carburants. Mais ces divergences ne sont pas le fruit d’actions concertées de quelconques lobbies mais résultent de choix méthodologiques différents et d’une diffusion aujourd’hui imparfaite des connaissances, dans le domaine en pleine évolution de l’évaluation environnementale des problématiques touchant le secteur agricole.

Des différentes études publiées sur ce thème (…), ressortent des variations importantes dans l’ampleur du bénéfice apporté par les agro-carburants mais ces études conduisent toutefois très majoritairement à une évaluation positive de ce bénéfice. En vue de réduire les divergences constatées sur cette question environnementale majeure, l’ADEME a pris l’initiative de réunir l’ensemble des parties prenantes, associations et experts, dans le cadre d’un groupe de travail national sur les agro-carburants, lieu de réflexion où chacun peut s’exprimer sur les travaux en cours. La première réunion, tenue le 27 septembre dernier, a permis de dresser un panorama de l’état actuel des connaissances et des points sur lesquels il nous faut, en toute transparence, travailler ».

Blablabla. Blobloblo. Ce passage burlesque s’achevait de la sorte : « Ainsi, qu’il s’agisse de ce dossier particulier ou de nos activités en général, vos insinuations quant à la manière orientée dont nous conduirions nos évaluations sont totalement infondées ». La dame était donc très furieuse que j’ai pu oser mettre en doute la qualité et l’indépendance d’un travail payé sur fonds publics, mais entièrement contrôlé par l’intérêt privé. De mon côté, je lui adressai une réponse elle aussi publique, et pleine, je crois devoir l’avouer, de considérable moquerie (ici). Voici le début :

« À l’attention de Michèle Pappalardo, directrice de l’Ademe

Chère Madame Pappalardo,

J’ai bien reçu votre lettre datée semble-t-il du 12 octobre 2007. Je dis semble, car vos services, fait peu commun, ont décidé de la rendre publique sur le site Internet du journal 20 minutes avant que je ne l’aie reçu. Mais peut-être n’étais-je pas le destinataire principal ?

N’importe. Je l’ai lue avec toute l’attention nécessaire. Un premier commentaire s’impose : vous n’êtes pas contente. Mon livre vous a fortement irritée, et je le comprends sans peine. Car en effet, j’accuse l’Ademe, que vous dirigez, d’abriter en son sein Agrice (Agriculture pour la chimie et l’énergie), structure au service du lobby des biocarburants. Mon deuxième commentaire sera de fond. Vous ne faites que confirmer ce que j’ai écrit, à part quelques points que je juge insignifiants. J’en reste tout songeur. Rien ne vous semble donc anormal, dans cette tragique affaire ? Reprenons point par point, si vous le voulez bien ».

Et concernant l’étude de 2002 dont l’Ademe était si fière qu’elle s’est sentie obligé d’en commander une seconde, qui a pris deux ans, j’ajoutais ceci :

« 3 / Ce qu’est une étude


Nous voilà au cœur du sujet, avec cette rude question des études. Ou plutôt, de l’étude unique. Car vous savez mieux que moi que toute cette histoire est née d’un problème de débouchés commerciaux. Le reste vient en accompagnement. Cette preuve immédiate : comme vous le reconnaissez entre les lignes, aucune étude sur le bilan énergétique et écologique des biocarburants n’a été commandée en France avant 2002. Étrange, non ? Ainsi donc, l’État défiscalisait à tour de bras avant même de savoir si cette nouveauté avait un intérêt énergétique ? Eh bien !

Bon, me direz-vous, l’étude est là. Mais quelle étude ? L’Ademe n’a-t-elle pas dans son personnel des scientifiques et ingénieurs de grande qualité ? Pourquoi diable l’Ademe a-t-elle confié ce travail décisif, payé par les Français, à un cabinet privé dont les transnationales sont depuis des lustres les principaux clients ? Madame Pappalardo, je pense que vous aurez à cœur de répondre sans détour.

Autre questionnement grave : pourquoi l’Ademe a-t-elle accepté que cette étude soit pilotée et contrôlée par le lobby des biocarburants, représenté en l’occurrence par des entreprises comme Bio Éthanol Nord Picardie, Cristal Union ou Saipol, accompagnées de TotalFinaElf ou PSA ? Oui, pourquoi ? Je vous informe une nouvelle fois – mon livre le dit déjà en détail – que cette étude est contestée dans sa méthodologie comme dans ses résultats. Pour cause ! ».

Voilà tout. L’histoire bégaie, le serpent se mord la queue, et l’Ademe est toujours aussi vaillante. Madame Pappalardo, après avoir dirigé l’Ademe, est donc Commissaire générale. Madame Chantal Jouanno, après avoir dirigé l’Ademe, est sous-ministre à l’Écologie de qui vous savez. Celui qui l’a remplacée à la tête de l’Ademe en février 2009 s’appelle Philippe Van de Maele, polytechnicien et ingénieur des Ponts et chaussées. On peut compter sur cet homme, jadis responsable du Service des Grands Travaux à la Direction départementale de l’équipement (DDE) de Haute-Garonne, pour faire au moins aussi bien que celles qui l’ont précédé. L’esprit, le Saint-Esprit Pappalardo souffle sur le dossier des biocarburants. Amis de l’homme et des écosystèmes, voilà une bonne nouvelle. Une de plus.

7 réflexions sur « Un certain esprit Pappalardo (sur les biocarburants) »

  1. Cher Fabrice, pas de rapport direct avec ton article de ce jour mais je tenais à te remercier pour « Bidoche » où je suis plongé depuis quelques jours. Heureusement que des journalistes comme toi existent…
    Bien amicalement.

  2. Ce petit mot, pour soutenir ton action. Je ne suis que peu de chose mais sache que j’aspire à cette révolution de la condition humaine (appel que tu passe lors de ton intervention dans l’émission terre à terre). Combien de fois, devrais-je entendre encore que je suis un rêveur. Je pense pourtant que nous y viendrons. J’en suis convaincu. Le bilan que tu dresse dans cette émission est saisissant et je déplore qu’il ne soit pas fait de même au sujet de la construction des bâtiments en France(ma vocation est l’architecture). Il existe ce brouillard répandu par « l’économie verte » à tout les échelon de notre société. Il ne résout rien dans le long terme, mais nous approchons du renouveau…
    Merci et courage,
    Bien à toi, louis

  3. Bonsoir Fabrice,

    Peu de rapport avec l’esprit Pappalardo, mais nous n’avons plus eu d’informations au sujet de Roland de Miller depuis le billet du 6 octobre. Ci-dessous ce que j’ai lu récemment sur son site et qui pourrait être publié sur votre blog. Qu’en pensez-vous ?
    Je demeure à proximité d’Avignon et pourrais me rendre à Gap pour une journée; si un ou plusieurs lecteurs de ce blog, habitant dans cette région, sont désireux d’aller aider à ce déménagement, je me tiens à leur disposition pour un covoiturage éventuel.

    Bien à vous.

    René. 

    La Bibliothèque de l’Écologie : un projet d’intérêt national
    URGENT : APPEL À DES  BÉNÉVOLES

    DÉMÉNAGEMENT DE LA BIBLIOTHÈQUE DE L’ÉCOLOGIE

    La Bibliothèque de l’Écologie est contrainte de déménager des locaux municipaux de Gap
    qu’elle occupait depuis sept ans. Sa réinstallation dans de nouveaux locaux et dans le cadre
    d’un projet global  n’aura pas lieu dans l’immédiat. En revanche, il faut impérativement déménager
    avant Noël la totalité (environ 400 m3) par camions vers un lieu de stockage.
    L’ampleur de la tâche est immense : 60 000 livres, 1000 collections de périodiques, un volume
    considérable de documentation, mobilier, etc.
    Pour la mise en cartons des livres et périodiques et le démontage des étagères, nous
    recherchons  des bénévoles (groupes d’amis, venez au moins une journée !…).
    Travail demandé : de 9 heures du matin à 18h30, mise en cartons  attentionnée dans une
    bonne ambiance conviviale.
    Période de travail : du lundi 2 novembre au vendredi 11 décembre, y compris le mercredi
    11 novembre et les week-ends des 7-8 novembre et 28-29 novembre.
    Il serait souhaitable qu’il y ait tous les jours du lundi au vendredi trois équipes de deux
    personnes.
    La coordination sera assurée par un responsable de chantier.
    Il serait nécessaire aussi qu’une personne disposant d’un fourgon cherche tous les jours
    des cartons à bananes chez deux commerçants.
    Le repas du midi sera offert sur place. Vous pouvez aussi apporter des en-cas.
    Nous contacter de préférence par courriel roland.demiller@free.fr ou par téléphone : 04 92 52 40 39. 
    En cas d’absence, merci de laisser un message sur le répondeur, nous vous rappellerons.
    Votre aide précieuse sera la bienvenue.
    Nous vous en remercions mille fois d’avance.

  4. René,

    Vous avez mille fois raison. Et j’ai eu tort de ne pas reparler de Roland, que j’ai vu hier, par une pure coïncidence. Oui, il cherche des bénévoles, et d’autant plus qu’il n’en trouve pas. Le coût du déménagement par des professionnels s’élèverait à 20 000 euros, sommes qu’il n’a pas.

    Par ailleurs, et c’est la bonne nouvelle, j’ai pu l’aider à trouver une solution de stockage et peut-être même d’installation définitive de la bibliothèque en un lieu magnifique. Mais je ne peux en dire plus pour le moment.

    En tout cas, si quelqu’un a une idée, du temps, voire de l’argent, c’est le moment. Pour joindre Roland : roland.demiller@free.fr

    Merci pour lui comme pour nous tous.

    Fabrice Nicolino

  5. j’ai contacté Roland de millner par tel. et projeté d’aller lui filer un coup de main dans les jours du mois de novembre ou décembre; René nous sommes dans la même ville aussi faudrait-il nous contacter, via Fabrice.

  6. @ Marie

    Aucun problème. Fabrice peut vous donner mon adresse Internet. De mon côté, je prends contact avec une ou deux personnes susceptibles de venir.

  7. Merci Marie, merci René. Si vous le souhaitez, racontez-nous ! Pour moi, vous représentez en quelque sorte ceux d’ici qui ne peuvent s’y rendre mais dont le coeur y est. J’ai diffusé l’appel comme j’ai pu, j’aurais voulu faire plus.

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