Les Tupamaros s’emparent du fleuve Uruguay (À l’abordage !)

Et si on parlait d’élections présidentielles, les amis ? Je vois que vous êtes d’accord et j’en profite pour évoquer le sort d’un pays inconnu, l’Uruguay, où un nouveau président vient de naître. Mais avant cela, comme vous en avez peut-être l’habitude, un léger détour. La Asamblea Ciudadana Ambiental de Gualeguaychú – L’Assemblée environnementale et citoyenne de Gualeguaychú – ne veut pas de l’usine de cellulose Botnia, propriété d’une transnationale finlandaise. Gualeguaychú est une petite ville argentine juste au-dessus de Buenos Aires, qui borde le fleuve Uruguay. De l’autre côté, l’Uruguay, précisément. Et cette énorme usine destinée à la pâte à papier, qui représente le plus important investissement privé jamais réalisé dans ce petit pays. Plus d’un milliard de dollars au total.

Je suis obligé de résumer à grands traits. Les premiers à s’inquiéter des conséquences écologiques prévisibles pour le fleuve ont été des Uruguayens de la bourgade située en face de Gualeguaychú, de l’autre côté du fleuve, Fray Bentos. Des membres de l’association Movimiento por la Vida, el Trabajo y el Desarrollo Sustentable, ou Mouvement pour la vie, le travail et le développement durable. Comme ils ne sont pas crétins, ils se doutaient bien que l’usage massif de dioxyde de chlore et de peroxyde d’hydrogène pour blanchir le papier aurait des effets désastreux sur l’état écologique du fleuve. Et quelles que soient les méthodes de contrôle retenues. Isolés dans leur propre pays, l’Uruguay – apparemment ravi de l’installation de Botnia -, ceux de Fray Bentos traversèrent simplement le pont sur le fleuve, tentant d’entraîner des habitants de la ville argentine de Gualeguaychú dans cette bagarre éminemment écologiste.

Et alors, miracle. À Gualeguaychú se crée un mouvement populaire qui reçoit des soutiens de toute l’Argentine. Un mouvement enraciné, puissant, constant, qui occupe à maintes reprises le pont sur le fleuve, organisant même un blocus routier. L’Argentine porte l’affaire devant la justice internationale, l’Uruguay se fâche et dépose une plainte devant l’Organisation des États américains, le prix Nobel de Paix argentin Adolfo Pérez Esquivel propose pour sa part une médiation, etc. Depuis que dure l’affaire, commencée pour de bon il y a cinq ans, la tension est à peine descendue. À une autre époque, nul doute que cet affrontement géant se serait achevé par une guerre entre les deux voisins.

Mais les temps ont changé. La preuve immédiate par José Alberto Mujica Cordano, dit El Pepe. Pepe Mujica vient d’être élu hier président de la République d’Uruguay. Un tout petit pays – à l’échelle de ce continent – de 176 000 km2, qui ne compte que 3,5 millions d’habitants, dont une bonne part à Montevideo. Seuls les chenus de mon espèce savent encore ce que veut dire Tupamaro. Ou même, car ma mémoire va jusque là, MLN-T, soit El Movimiento de Liberación NacionalTupamaros (MLN – T). Moi, dans cette autre vie qui fut la mienne, les yeux enamourés, je les appelais les Tupas. Et j’avais alors tout dit. Tupamaro vient, par je ne sais quelle adaptation, du nom d’un rebelle indien, Túpac Amaru. Un sacré petit gars, à ce qu’il semble. Ce guerrier Inca, moins naïf que d’autres, décida dans la deuxième moitié du XVIème siècle de faire la peau aux Espagnols, quarante ans après leur arrivée dans l’Empire inca. Bon, on se doute bien que les Espagnols l’emportèrent finalement. Túpac Amaru, chopé puis emprisonné à Cuzco, ville du Pérou d’aujourd’hui, fut écartelé sur la place centrale en 1572.

Et puis après, bien longtemps après, les Tupamaros, un mouvement armé d’extrême-gauche. L’affaire se déroule en Uruguay, où il n’y a, à ma connaissance, aucun  Indien. Il y a bien des métis, mais des Indiens, point. Ce pays est peuplé de descendants d’Européens, et dans mon jeune temps, on l’appelait « la Suisse de l’Amérique du Sud ». Jusqu’au surgissement des Tupas dans le paysage national de la fin des années soixante. Quand précisément ? Je ne sais plus. L’époque était à la guerilla.  Guevara écrivait par exemple, citant le poète José Martí : « Es la hora de los hornos y no se ha de ver más que la luz ». Ce qui veut dire : « C’est l’heure des brasiers, et il ne faut voir que la lumière ». Très con. Mais j’étais un jeune con.

En moins de cinq ans, les Tupas transformèrent de fond en comble l’atmosphère de ce petit pays. Après 1970, ils multiplièrent les coups d’audace, dont la prise d’une ville de province, ridiculisant les flics et les militaires. Mais la drôlerie fut bientôt remplacée par la guerre. Les Tupas enlevèrent un homme des services secrets américains, Dan Mitrione, qui fut tué. Ils capturèrent ensuite l’ambassadeur britannique, qui fut, lui, libéré. Pendant des années sanglantes, les Tupas semblèrent invincibles, avant d’être réduits à presque rien par la répression. Il y eut beaucoup de morts et de disparus, mais aussi des survivants, dont Pepe Mujica.

El Pepe est une légende à lui seul. L’ancien guerillero a été blessé à plusieurs reprises au temps qu’il était Tupamaro – six balles au total dans le corps -, emprisonné de nombreuses fois – 15 ans de prison en tout -, et s’est évadé à deux reprises. De mon point de vue, il a mal vieilli. Si vous voulez mon avis sincère, bien plus mal que moi. Pourquoi ? Parce que, comme ses ultimes déclarations de candidat l’ont annoncé, sa première visite de chef d’État sera pour Buenos Aires, afin de « normalizar y fraternizar las relaciones con la Argentina (ici) ». Où l’on revient à l’usine Botnia du départ, car c’est bien entendu la pomme de discorde majeure entre les deux États.

Mujica aura passé sa vie dans l’erreur politique, incapable qu’il est de modifier, ne fût-ce qu’un peu, son point de vue « industrialiste » et « développementiste ». Comme les tenants de la gauche social-démocratisée – Lula -, comme ceux de la gauche soi-disant radicale – Chávez -, il ne voit l’avenir que dans la poursuite de la destruction des écosystèmes. Ces écosystèmes dont il n’a jamais entendu parler, et dont, par définition, il ne sait rien. Mujica est si borné, si dramatiquement borné, qu’il souhaite demander à Botnia, l’entreprise papetière finlandaise, qu’elle investisse dans le tourisme à Gualeguaychú, la ville argentine (ici). Les opposants parlent écologie, avenir du fleuve et du monde, et Mujica leur répond aumône et aliénation touristique. Pis encore, il a fini sa campagne en déclarant: « Espero venir a Fray Bentos como presidente para poder darnos un abrazo con el pueblo argentino en ese puente y hacer una fiesta en este pueblo, para enterrar el odio y mirar hacia adelante como dos pueblos hermanos ». En deux mots, il compte aller donner l’accolade au peuple argentin, faire une fête, et regarder devant, en conservant bien entendu l’usine. On se doute.

Y a-t-il plus belle preuve que les gauches, qui situent leur pensée dans un cadre mort – comme il est des astres morts – ne sont pas ni ne seront jamais écologistes ? Ce n’est pas affaire de bonne ou mauvaise volonté. C’est affaire de culture et de paradigme. Il n’y a rien d’autre à faire que tenter de dépasser au plus vite ces formes moribondes du projet humain. Il n’y a rien de plus urgent que de créer un cadre neuf, mais réellement, permettant enfin de mobiliser les forces disponibles, qui sont plus nombreuses qu’on ne croit. Mujica est un dinosaure, et les dinosaures sont désormais des fossiles.

PS : Nous sommes concernés par l’usine Botnia à plus d’un titre. Le Crédit Agricole, par l’intermédiaire de sa filiale Calyon, a contribué au financement du monstre. Le Crédit Agricole, ou le bon sens loin de chez vous.

9 réflexions sur « Les Tupamaros s’emparent du fleuve Uruguay (À l’abordage !) »

  1. OK, fabrice.
    Les Tupamaros et leur lutte contre l’infamie même violente (avait-il d’autres solutions?)sont une chose, un homme Mujica en est une autre.
    Ghandi a dit : « Si je devais choisir entre la lacheté et la violence, et si et seulement si ces deux choix là, je choisirais la violence ». Les Tupas n’ont jamais choisis la lacheté. Mujica si. Il est bon, pour ma part, d’éviter l’amalgame entre un gauchiste collabo et le mouvement ancien dont il s’est séparé indubitablement.

    saluto

  2. Fabrice, là tu parles d’une gauche dépassée, qui n’a pas changé d’un iota. Ne faisons pas l’amalgame avec « toutes les gauches ». Le capitalisme débridé – qui n’est pas franchement la gauche – ne montre-t-il pas sa puissance de destruction, et cela partout dans le monde ?

  3. Hélène,

    Nous ne sommes visiblement pas d’accord. Je pense, moi, que toutes les gauches se situent dans un ordre de pensée qui leur interdit d’inventer notre avenir commun. Bien à toi,

    Fabrice Nicolino

    PS : Cela ne change rien à la sincérité ou la vaillance de tant de militants

  4. Disons que la gauche actuellement ne donne pas l’impression, en effet, « d’inventer notre avenir commun ». Alors qu’à la base, c’est ce qu’on attend d’elle ! Nous sommes à la croisée des chemins, à un moment unique où la gauche pourrait proposer quelque chose de profondément et de radicalement différent. C’est maintenant, et pas dans 10 ans ! Et elle ne le fait pas…

  5. Túpac Amaru d’ailleurs demeuré dans la mémoire collective pour avoir déclaré au moment de son exécution : « un jour je reviendrai et je serai des millions ! »

  6. Samedi, nous étions justement devant un Crédit Agricole pour dénoncer les investissements de cette banque, notamment de sa filiale Calyon en Uruguay.

    Nous invitions les clients à changer de banque…

    Nous avons fait de même avec la BNP et la Société Générale.

    Vous pouvez trouver un petit guide qui vous donnera une idée des activités de ces trois banques et des infos sur comment changer de banque, à l’adresse suivante :

    http://www.amisdelaterre.org/L-environnement-un-critere-de.html

    C. Berdot

  7. La phrase attribuée à Tupac Amaru est revenus quelque siècles plus tard dans la bouche d’Eva Peron, moribonde (en 1952).

  8. Estimados y respetados Amigos y Amigas: Me presento primero: soy un uruguayo viviendo en Francia desde hace 37 años, habiéndome casado en 1955 con mi actual compañera argentina hace 55 años. Cumplí en diciembre último 81 navidades. De donde nuestro amigo C. Berlot autor de las reflexiones anteriores, podría con todo derecho imaginarme como un dinosaurio fosilizado. Sin embargo, el Cielo se obstina negándose a privarme de la lucidez racional que me complazco en seguir usando en muchos proyectos, al igual que mi esposa. El domingo pasado votamos juntos en las elecciones regionales francesas en favor de la lista que ganó ampliamente en toda Francia, fruto de la unión de las izquierdas socialistas y ecologistas. Creo, como se cree en Francia, que la ecología es cuestión de todos los humanos razonables, pero que para la izquierda es un deber imperativo. Por otra parte, una realidad se impone en el mundo y que no es mera cuestión de gustos sino imperiosa necesidad vital: alimentar y proveer de lo necesario para vivir a 7 mil millones de habitantes. Ello no es ni realizable ni posible con simples elucubraciones románticas o idealistas. Exige una producción global al mismo tiempo eficaz y responsable. LO que se designa como « producción sostenible ». Las modernas técnicas orientadas en ese sentido, son capaces de unir la eficacia productiva a limpieza ecológica. Es lo que se llama también industrias de nueva generación, respetuosas del ecosistema, acción en que cada paso emprendido es evaluado en todas sus consecuencias. La pastera Botnia de Fray Bentos pertenece a ese tipo de Usina. Produce respetando la naturaleza y no contamina ni poluciona. Todo el proceso industrial y cada uno de sus pasos es emprendido racionalmente, poniendo la técnica al servicio del proyecto. Los hermanos ambientalistas de Gualeguaychú no han podido tomar una sola muestra de agua del río Uruguay confirmando la más mínima contaminación. Tampoco han podido lograrlo otras agencias que observan de cerca el proceso productivo. Eso es algo muy elocuente que no se puede ignorar. Hace unos días en Gualeguaychú creyeron que lo habían logrado ante ciertas dermatitis alérgicas observadas en algunos turistas. Los exámenes médicos y los análisis efectuados en el río por técnicos independientes argentinos, muy competentes, comprobaron del lado y de fuentes argentinas que se trataba de efectos bien conocidos por la medicina, causados por los microorganismos (colis y paracolis) producidos por materias fecales vertidas en el río Uruguay a través de las bocas del saneamiento de la ciudad de Gualeguaychú. Por supuesto que la denuncia fue inmediatamente retirada ante la evidencia. Botnia es un proyecto respetuoso del ambiente, al tiempo que produce los componentes del papel que todos consumimos y que usamos con placer cada vez que lo necesitamos. Finlandia, que tiene múltiples pasteras y papeleras sobre las aguas de su país ocupa el tercer puesto mundial en las evaluaciones del respeto de la Ecología pronunciada por Agencias independientes, a continuación de Canadá y Suecia. Uruguay está muy bien clasificado en ese ranking. Argentina, país y pueblo que amo y respeto y en donde viví y estudié seis años, tiene aún en vías de solución, el problema de una veintena de pasteras y papeleras que son de antigua generación y que contaminan dramáticamente las aguas, la tierra y el aire. Sería bueno que los ecologistas de Gualeguaychú se aplicaran a exigir la transformación de esas pasteras y pidieran a las autoridades la adopción y utilizaciún de las técnicas inocuas de nueva generación que emplea Botnia. Claro que es una inversión financiera cara. Eso explica el monto astronómico invertido por esta compañía en Uruguay, provocado por las exigencias del gobierno uruguayo en aquel momento.
    Ello explica también el hecho de que el gobierno uruguayo continúe a apoyar tal proyecto, ahora ya realidad. Pero el resultado está a la vista, y es la limpieza ecológica unida a la productividad industrial. Aprovecho esta magnífica oportunidad para saludarlos fraternal y respetuosamente, en el espíritu sencillo, familiar y popular (¡favor de no confundir con « populista »!) de nuestro nuevo presidente uruguayo José Mujica, hombre admirable capaz de adaptar las soluciones a las evoluciones del problema, encarnando un espíritu telúrico y carismático -en el sentido psicológico. En Uruguay nos felicitamos de esa virtud,y en su capacidad de no empecinarse en pensar el presente y el futuro a la luz de las ideas de hace cuarenta años. Gracias a Dios, el mundo evoluciona, y el futuro nos trae nuevas esperanzas que es necesario evaluar con una nueva mirada. Les deseo que tales pepectivas sean muy auspiciosas para Uds. Reciban la expresión amistosa y fraterna de un uruguayo que quiere a la Argentina tanto como al Uruguay, y ahora… a Francia (como dice el refrán « no hay dos sin tres ») en donde vivimos con mi Argentina Esposa y compañera desde hace 37 años, después de año y medio de prisión bajo la dictadura militar uruguaya., Claro que no es nada comparada con los 15 años de preso de Mujica, aunque les aseguro que fue ya bien suficiente, Muy cordialmente,
    Miguel Brun.

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