Archives de catégorie : Agriculture(s)

Cinquante ans et plus une seule dent

Le ministère de l’Environnement [ ou de l’Écologie, selon ] a cinquante ans et fait semblant depuis cinquante ans. C’est même pas la faute des ministres, ectoplasmes si contents d’être sur la photo. Le mal est plus profond : ceux qui décident sont ceux qui salopent tout depuis deux siècles.

Presque trop facile. Quand le père Pompidou décide la création d’un ministère de l’Environnement en 1971, il confie la tâche à ce bon monsieur Poujade, maire de Dijon, qui se demanderait pourquoi on l’a choisi s’il n’était pas mort. Sans soute parce qu’il avait été le conseiller d’un ministre de la construction oublié, puis en charge d’une « commission du développement » régionale. Lui-même devait écrire ensuite un livre disant l’évidence dès le titre : « Le ministère de l’impossible ». L’époque était à ce qu’on appela le « gaullisme immobilier » : les combines avec les promoteurs, les lourdes valises de liquide, la traversée de Paris en 13 minutes « grâce » à la voie express qui porte d’ailleurs le nom de son créateur, Pompidou. Ce dernier lâcha : « La ville soit s’adapter à la voiture ». Paris fut à nouveau éventrée.

On ne dressera pas la liste de tous les autres, mais regardons tout de même quelques noms. En 1974, Peyrefitte, l’inénarrable Alain Peyrefitte, qui fut ministre de l’information – flic de la télé – sous de Gaulle. De 1978 à 1981, Michel d’Ornano, dont le cabinet ouvre et couvre en automatique les décharges les plus criminelles, comme celle de Montchanin. De 1984 à 1986, Huguette Bouchardeau – fière PSU -, qui se fait enfler par les ingénieurs de son propre ministère dans l’affaire des déchets de Seveso passés en France. De 1986 à 1988, Alain Carignon, qui finit en taule pour avoir vendu l’eau de Grenoble à la Lyonnaise des Eaux.

De 1989 à 1991, Brice Lalonde, qui fait des bulles avant de copiner avec l’ultralibéral Alain Madelin. De 1995 à 1997, Corinne Lepage, qui en tire le livre « On ne peut rien faire, madame le ministre », qui démontre parfaitement qu’un tel ministère ne sert à rien. De 1997 à 2001, Dominique Voynet, qui accepte de siéger au conseil des ministres où trône un certain Claude Allègre, négateur en chef du dérèglement climatique. Et ne fait rien. De 2001 à 2002, Yves Cochet, inaugurateur de chrysanthèmes. De 2007 à 2009, Jean-Louis Borloo, grand ordonnateur de du grandiose enfumage du Grenelle de l’Environnement avec en guest star Nathalie Kosciusko-Morizet, jouant de la harpe dans son jardin pour Paris-Match. Un dernier pour la route : de Rugy en amoureux transi du homard mayonnaise.

Tout ça ne pèse en réalité de rien. Les ministres passent, qu’on oublie la seconde suivante – qui se souvient de Jarrot, Lepeltier, Olin, Bricq, Borne ? qui se souviendra de Pompili ? – et demeurent les structures. Or sans entrer dans le détail, passionnant, retenons que deux grands corps d’ingénieurs d’État se partagent la direction réelle du ministère : les ingénieurs des Mines et ceux des Ponts, des eaux et forêts. Le pouvoir, c’est eux.

Prenons l’exemple de la Direction générale général de l’aménagement, du logement et de la nature (DGALN), qui a dans sa besace la biodiversité, la mer, le littoral, l’eau. En août 2019, son dirlo, Paul Delduc, quitte sa fonction, où il est remplacé par Stéphanie Dupuy-Lyon. Le premier est ingénieur général des Ponts, des eaux et des forêts. La seconde est ingénieure des Ponts, des eaux et des forêts. Idem à la Direction générale de la prévention des risques (DGPR), qui gère le si vaste domaine des pollutions. Son boss, Cédric Bourillet, est ingénieur des Mines et son adjoint, Patrick Soulé, ingénieur des Ponts, des eaux et forêts. Ces grands personnages savent partager.

Troisième exemple : la Direction générale de l’énergie et du climat (DGEC), qui s’occupe comme il n’est pas difficile de le deviner, du dérèglement climatique. Patron inamovible : Laurent Michel, ingénieur général des Mines.

Tous ces braves gens font partie de ce que Bourdieu appelait la « noblesse d’État », et ce n’est pas un vain mot, puis le corps des Mines existe depuis 1794. Pour l’autre, résultat d’une fusion, il faut distinguer les Ponts et Chaussées, corps né en 1716 et celui du Génie rural, des eaux et des forêts, que certains font remonter à…1291. La France que nous connaissons, c’est eux.

Les ingénieurs des Mines auront mené au cours des deux siècles passés l’industrialisation de la France. Et dans l’après-guerre, créé ou dirigé ELF – le pétrole, les coups d’État en Afrique -, Renault et la bagnole, le nucléaire bien sûr avec EDF, la Cogema, le CEA. Les Ponts, c’est le programme autoroutier, les barrages sur les rivières, les châteaux d’eau et les ronds-points, le béton armé et les cités pourraves de toutes les banlieues. Les Eaux et Forêts, enfin, ont massacré la campagne en remembrant, en arasant des centaines de milliers de km de talus boisés, en aidant à la diffusion massive des pesticides via les directions départementales de l’agriculture dont ils furent les maîtres.

Joyeux, pas vrai ? On crée un ministère en 1971 et on refile les clés à ceux qui ont tout salopé en leur demandant de faire exactement le contraire de ce que leurs chers ancêtres ont fait. En oubliant en plus leur magnifique formation, qui laisse de côté tout ce que l’écologie scientifique a maintes fois établi. Le ministère de l’Environnement de 1971 ? Le ministère de l’Écologie de 2021 ? On sait se marrer, dans les hautes sphères.

Cadeau de Noël (européen) pour la Tunisie

La Tunisie. Sidi Bou Saïd et Djerba pour les ploucs d’ici, qui paient l’illusion et le décor. Derrière, il y a tout de même 12 millions d’habitants, dont tous ne sont pas des djihadistes prêts à fondre sur le touriste traité au thé à la menthe.

Or ils sont au Sud. Or nous sommes du Nord, ce qui nous donne le droit de vomir dans leur encolure et de leur adresser par cargos entiers ce qu’on ne veut plus enterrer ou brûler chez nous. L’association Robin des Bois exhume une histoire qui ne trouvera jamais sa place entre les nouvelles de Laeticia et la mort de l’ami – des éléphants – Giscard.

Que raconte Robin (1)? Qu’en avril 2020, en pleine panique coronavirale, les affaires continuaient. Un grand cargo quitte le port de Naples avec 282 conteneurs à bord, emplis jusqu’à la gueule de déchets ménagers et surtout hospitaliers. Le surtout est de moi, car enfin, faire voyager ainsi des boîtes de conserve et des restes d’ananas, est-ce bien raisonnable ? En revanche, n’est-il pas plus rentable, après avoir fait payer les hostos, d’expédier lancettes, perfuseurs, cathéters, aiguilles et poches de sang, éventuellement infecté chez les pauvres, de l’autre côté de la Méditerranée ? Si.

Après examen de la presse tunisienne, voici ce qu’on peut reconstituer de cette belle coopération Nord-Sud. Soit un journaliste courageux, Hamza Belloumi, qui présente sur la chaîne de télé privée El Hiwar Ettounsi une émission très regardée, « Les quatre vérités ». En 2019, après un reportage sur une école coranique où les enfants sont maltraités, il obtient une protection policière.

Début novembre 2020, il révèle l’existence d’un contrat qu’on devine juteux entre une société italienne basée à Naples, et une autre, Tunisienne, installée dans le port de Sousse. Cette dernière, Soriplast, prétend être spécialisée dans le recyclage des plastiques, mais reçoit sans broncher, selon le contrat signé avec les Italiens, 121 000 tonnes de rebuts ensanglantés par an, au prix de 48 euros la tonne. Le reportage révèle que 70 conteneurs sont déjà sous scellés et 212 en attente – de quoi ? – sur le port de Sousse.

Bien entendu, la Tunisie a signé, comme l’Italie d’ailleurs, toutes sortes de jolis textes qui prohibent totalement ce genre de trafics. Dans son cas, la convention de Bamako interdit l’importation en Afrique de tous les déchets dangereux, mais où est le mal, puisque cela fait marcher le commerce, et augmente d’autant le PIB d’un pays si tristement pauvre ?

Alors, dans une scène mille fois vue, on décide de faire péter le fusible de service, le directeur général de l’Agence nationale de gestion des déchets (ANGED). Bechir Yahya est relevé de ses fonctions, et les ministères, dont celui de l’Environnement, font les gros yeux, feignant de s’étonner qu’une telle horreur puisse se passer dans un pays si bien administré. Quant à la Direction générale de la douane, sans doute la mieux placée pour s’interroger sur 121 000 tonnes et des centaines de conteneurs, elle se montre, la charmante, « réservée ».

Oui et en effet, faut voir. Haythem Zaned, son porte-parole : « Nous ne sommes pas en mesure de nous prononcer sur cette affaire, car elle fait l’objet de litige avec la société en question ». Ainsi va le monde réel, dont ne parle jamais personne. À quand une inspection générale des docks de tous les ports français ? En France, le trafic de déchets à destination de l’Afrique se fait au grand jour. On sait depuis une enquête de Coraline Salvoch et d’Alain Pirot (2) que 60% de nos déchets électroniques finissent là-bas. En plaçant un GPS sur un vieil ordinateur déposé au coin d’une rue parisienne, ou une télé, ils ont pu suivre, et nous avec, leur grand voyage jusqu’à Lagos ou Accra. Que ne ferait-on sans ces décharges à ciel ouvert, où des gosses de dix ans, pieds nus, font des feux de camp avec notre filasse électronique et nos chers vieux disques durs ?

Notons qu’il n’y a pas que des mioches : regardons ensemble les belles aventures (3) d’Awal Mohamed, brûleur sur la décharge d’Agbogbloshie, dans la banlieue d’Accra (Ghana).

(1)robindesbois.org/les-cargos-de-dechets-voyagent-malgre-la-pandemie-covid-19/

(2)film-documentaire.fr/4DACTION/w_fiche_film/55455_1

(3) youtube.com/watch?v=mIlNGjKJK-M

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Macron, l’homme qui parlait plus vite que sa parole

« J’irai au bout de ce contrat moral qui nous lie ». Ces mots fantaisistes sont de notre Macron préféré, le 29 juin 2020, face à 150 citoyens de la Convention Climat. Les 150 sont porteurs de 149 propositions que le président s’engage à défendre à l’exception de trois d’entre elles, pour lesquelles il abat, dit-il, « un joker ». Les autres seront transmises « sans filtre » soit aux députés, soit par référendum à tous les Français.

Et puis on part en vacances, les lobbies frappent à la porte grande ouverte de l’Élysée, et finalement tout devient à la fois brumeux et orageux. Alors parle le réalisateur Cyril Dion, l’un des animateurs de la Convention. Il a compris sans peine qu’un bel enfumage se préparait, et lance mi-novembre une pétition qui dit l’essentiel : « La parole présidentielle n’est pas respectée ».

Là-dessus, Macron pique sa crise, façon trépignements et coups de talon dans la moquette. Le 4 décembre, dans une interview à Brut destinée pourtant à amadouer la jeunesse, il compare l’attitude de Dion à celles des « fainéants » qui veulent tout sans seulement discuter. Il précise : « Je suis vraiment très en colère contre des activistes qui m’ont aidé au début et qui disent maintenant ‘il faudrait tout prendre’». Il a les boules, le pépère, faut le comprendre.

Dion est en effet tenu pour être « constructif ». Ne pas trop compter sur lui pour plastiquer le siège de Bouygues ou enlever Barbara Pompili. Il paraissait donc être le bon personnage pour le scénario élyséen, qui consiste à tout faire pour affronter au deuxième tout de 2022 miss Le Pen. Et gagner.

Mais les temps ont peut-être changé depuis le funeste Grenelle de l’Environnement de 2007, manipulé par Sarkozy. Dion, visiblement piqué au vif par les attaques de Macron, lui a aussi sec répliqué « Tenir parole, pour un président de la République, c’est le socle de nos démocraties ». Ajoutant plus tard : « Soit il est frappé d’amnésie, soit il est de très mauvaise foi et je penche pour la deuxième hypothèse ». Oui, les choses changent (un peu).

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 La ferme des 1000 vaches jetée dans la bouse

Difficile à distance d’imaginer la joie de tant d’amis. Eh ! Philippe Pallu, Philippe Salle, Michel Guillochon, et tous les autres, vous atterrissez ? La ferme des 1000 vaches, en tout cas, c’est terminé. L’association qui s’est tant battue contre cette monstruosité, Novissen (novissen.com) a réussi à tenir le coup plus longtemps qu’elle. Au 1er janvier 2021, la ferme de Drucat, près d’Amiens (Somme) ne livrera plus un seul litre de lait industriel.

Le 17 novembre 2011, 200 personnes portaient sur les fonts baptismaux une association merveilleuse, Novissen. Elle aurait pu connaître le sort de tant de comités NIMBY (1), mais elle devint un acteur important de la critique efficace du monde. En se liant à la Confédération paysanne, Novissen parvint à forger un argumentaire de haute qualité contre la surindustrialisation de l’agriculture. Les fêtes annuelles étaient l’occasion de débattre et de repartir à l’assaut.

Depuis des années, la ferme était mal en point. Par la grâce des opposants, la filière française du lait refusait de commercialiser la production des 1000 vaches – qui ne furent jamais que 880 -, obligeant une entreprise belge à s’en occuper. Au plan judiciaire, Novissen avait obtenu il y a un an une victoire en faisant condamner une ferme qui refusait de s’en tenir aux 500 bovins prévus. Elle reste aujourd’hui, annonce-t-elle, « plus que jamais aux côtés de toutes celles et ceux engagés au quotidien pour que naisse un autre monde, plus humain, plus fraternel et soucieux du sort animal ». Chapeau !

(1) NIMBY veut dire Not in My BackYard, et désigne ceux qui se battent pour leur jardin, mais pas pour les autres.

Nous voulons des paysans. Pas toi ?

Ce papier a été écrit pour le journal de la Confédération paysanne,

Chère lectrice, cher lecteur de Campagnes Solidaires, c’est à toi que je m’adresse personnellement, et tu me pardonneras ce tutoiement. Ici, je me sens en famille. En septembre 2018, j’ai lancé avec une poignée d’autres « Nous voulons des coquelicots », qui a essaimé partout en France. À l’arrivée, en septembre 2020, nous avions réuni 1 135 00 signatures, réclamant l’interdiction de tous les pesticides de synthèse.

J’ai suggéré un prolongement : « Nous voulons des paysans » (1). Il s’agit d’unir au-delà des frontières habituelles, autour d’un plan de sortie de l’agriculture industrielle en dix ans. Ce plan nécessite de grandes ressources publiques – le coronavirus a montré qu’elles ne manquent pas – et doit permettre le maintien de tous les paysans encore en activité et d’en installer 1 million de nouveaux, soit une moyenne de 100 000 par an.

Est-ce possible ? C’est surtout vital. Nous ne ferons pas face au dérèglement climatique et à la chute vertigineuse de la biodiversité sans une paysannerie nombreuse, fière d’elle-même, heureuse. Je sais les obstacles, innombrables, mais je sais aussi qu’un pays sans espoir collectif, est un pays foutu.

Au tout début des années 60, les jeunes technocrates propulsés au pouvoir par le retour du général de Gaulle, ont inventé une France nouvelle, désastreuse. Celle des grandes villes reliées progressivement par des lignes TGV et des autoroutes. Le programme a été réalisé, rejetant dans les ténèbres extérieures les petites villes et les campagnes. Tu le sais comme moi : les services publics ont déserté, les écoles ont fermé, les commerces des centres-villes ont disparu, aspirés par les centres commerciaux de la périphérie.

Une autre France est possible et nécessaire. Il nous faut préparer une révolution spatiale, seule capable de redonner équilibre et sens à notre pays. Ce combat-là, qui semble annexe, peut entraîner avec lui, dans nos territoires, quantité de gens que nous ne rencontrons plus guère : des commerçants, des petits chefs d’entreprise, des responsables administratifs, des élus de gauche ou de droite.

Il s’agit bien de créer du mouvement, de lancer une dynamique irrésistible à terme, autour d’une idée aussi simple que l’œuf de Colomb : dans une société qui se veut démocratique, ce que le peuple veut, il l’obtient.

Mais revenons à nous, à vous, à toi. Je souhaite de toutes mes forces des retrouvailles entre la société et les paysans. Il est infernal de penser que des êtres qui travaillent dur pour nourrir la population soient à ce point déconsidérés. Et cela ne peut que durer, tant que les productions resteront industrielles. Les consommateurs s’en détournent chaque année un peu plus.

Le succès possible de cet Appel est là : il faut que tous se retrouvent autour d’une agriculture paysanne respectueuse des bêtes, et qui romprait enfin avec l’agrochimie.

Il va de soi que rien ne sera possible si la société n’accepte pas trois évidences : la production de nourriture coûte cher ; le travail doit être payé à sa valeur ; le revenu de tous les paysans doit être élevé et stable.

Moi, je crois qu’il n’est pas trop tard. La France a pris un mauvais embranchement en sacrifiant ses paysans au profit de l’industrialisation. Il faut et il suffit de prendre ensemble une tout autre route. Tel est en résumé cette nouvelle aventure appelée « Nous voulons des paysans ».

Mais j’y insiste : pas de sectarisme. Avançons les bras ouverts. Soyons fraternels. Tout le monde doit être invité, même si certains ne viennent pas. Pour commencer, j’ai lancé l’idée de 1000 banquets pour 1 million de paysans nouveaux. Au printemps, à une date qui reste à trouver, il s’agirait de se retrouver par milliers, dizaines de milliers, centaines de milliers – qui sait ? – au cours de repas géants.

Le plus simple consiste à se retrouver autour de repas pantagruéliques, qui réuniraient paysans locaux, cuisiniers amateurs ou professionnels, responsables divers et variés, citoyens engagés ou non. Telle pourrait être la base populaire d’un grand mouvement d’espérance collective.

Bien sûr, rien ne nous garantit le succès. Bien entendu, il se trouvera tel ou tel pour décréter que ce n’est que rêverie, ou même que cela détourne de tâches immédiates. Mais de toi à moi, qu’y a-t-il de plus urgent que de changer la face de notre monde ?

De toi à moi, qui est le plus fou ? Celui qui rêve encore de déclencher l’enthousiasme, ou celui qui attend la catastrophe suivante pour pouvoir dire qu’il l’avait prévue ?

Chère lectrice, cher lecteur, haut les cœurs ! Il faut y aller.

(1) nousvoulonsdescoquelicots.org/2020/09/10/nous-voulons-des-paysans-3/

Retiens la nuit jusqu’à la fin du monde

Définition : une méta-analyse, c’est une étude qui recense et ordonne une vaste série de travaux scientifiques portant sur une question donnée. Des chercheurs de l’université d’Exeter (Grande-Bretagne) viennent d’en publier une belle dans la revue Nature, ecology and evolution (1). Elle porte sur 126 études publiées, et ce n’est pas aujourd’hui que je ferai rire aux éclats.

En effet, elle révèle que la pollution lumineuse a des effets à peu près insoupçonnés. Son auteur principal, Kevin Gaston : « The effects were found everywhere – microbes, invertebrates, animals and plants ». Or donc, microbes, animaux, plantes seraient touchés. Et le même d’ajouter qu’il serait temps de considérer la pollution lumineuse comme le grand désordre systémique qu’il est. À côté, tout à côté mais oui, du dérèglement climatique.

Mais de quoi parle-t-on ? De la fin de la nuit, très simplement. L’éclairage des villes, des ports, des rues, des autoroutes, des fermes même fait reculer partout le vital repos nocturne. De nuit, les êtres vivants fabriquent une hormone, la mélatonine, qui régule les cycles du sommeil. Eh bien, toutes les espèces animales étudiées en ont un taux de production diminué à cause de la lumière, ce qui bouleverse tous leurs rythmes.

Des exemples ? Les insectes pollinisent moins. Les arbres sont en feuilles plus tôt au printemps. Les oiseaux de mer se tuent en heurtant les phares. Les oiseaux de terre chantent plus tôt, confondant l’aube et la gabegie lumineuse. Les rongeurs, qui se nourrissent la nuit, mangent moins à cause des illuminations. Les tortues de mer, attirées par les halos fous des hôtels, se perdent à terre, croyant avoir trouvé le jour.

Sommes-nous concernés ? Ce n’est pas impossible. Nous avons ainsi laissé déferler les lampes LED, ce douteux miracle qui nous a été vendu comme un « progrès ». Elles durent plus longtemps, mais profitant de cette « économie », les autorités de tout niveau en ont augmenté le nombre et la puissance. Or leur luminescence a un spectre plus large, comme le soleil.

Les images satellite montrent sans surprise une planète qui repousse sans cesse plus loin la nuit : l’augmentation des lumières extérieures serait d’au moins 2% par an. Mais il serait injuste d’accuser d’inaction nos gouvernants. Un pompeux Arrêté (3) « relatif à la prévention, à la réduction et à la limitation des nuisances lumineuses » a bien paru au Journal officiel du 27 décembre 2018. Grotesque et impuissant, il affirme que « les émissions de lumière artificielle des installations d’éclairage extérieur et des éclairages intérieurs émis vers l’extérieur sont conçues de manière à prévenir, limiter et réduire les nuisances lumineuses ». Je dirais même plus : il faut « prévenir, limiter et réduire ».

Pendant ce temps d’inaction radicale, les astronomes gueulent dans le vide. Ceux de l’Union astronomique internationale ont publié il y a quelque temps un document qui raconte la folie des satellites, cette autre menace (3), hélas en anglais. J’en extrais cette phrase : « Outre leur visibilité à l’œil nu, on estime que les traînées des satellites seront suffisamment lumineuses pour saturer les détecteurs des grands télescopes. Les observations astronomiques scientifiques à large champ seront donc gravement affectées ».

Rappelons que le crétin intersidéral Elon Musk, qui tient le président américain – après Trump, Biden ? – by the balls, programme d’envoyer au total 42 000 nouveaux satellites dans l’espace. Il vient de proposer de les équiper de pare-soleils. Authentique.

Il y aurait bien une solution, qui consisterait à éteindre la lumière dans des millions de points terrestres où elle n’est qu’un gaspillage évident. Et de la limiter ailleurs. Mais ainsi que le note Kevin Gaston, « notre aptitude à changer la nuit en quelque chose qui ressemble au jour va bien au-delà de la nécessité de le faire ». Mehr Licht – plus de lumière -, aurait murmuré Goethe sur son lit de mort. Sommes-nous assez cons pour ne plus supporter le noir, en plus du reste ?

(1) Le plus simple, désolé, est de taper sur un moteur de recherche : A meta-analysis of biological impacts of artificial light at night

(2) theguardian.com/environment/2020/nov/02/treat-artificial-light-form-pollution-environment

(3) legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000037864346/

(4) iau.org/news/pressreleases/detail/iau2001/

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Mélenchon et Montebourg s’embrassent sur la bouche

Mélenchon, poil au menton. Lectrice énamourée, toi qui aimes le Grand Jean-Luc, lecteur envapé par le chef de la France insoumise, épargne-toi ce qui suit. Donc, le voilà candidat. Et l’un de ses amis, le député Adrien Quatennens, souhaite gentiment que Mélenchon fasse « équipe » avec Arnaud Montebourg. On voit l’intérêt : rassembler plus largement au premier tour, de façon à atteindre le second. Comme ces gens sont malins.

On le sait, la France Insoumise ne veut plus des accords politiciens d’antan, qui provoquent abstention ou, pire encore, le vote Le Pen. La clarté passe avant l’unité. Avec elle, on ne reverra pas de sitôt les accords pourraves qui décourageaient les meilleures volontés. Sauf que.

Sauf que Mélenchon se veut plus écologiste que René Dumont, Ivan Illich et André Gorz réunis. Montebourg colle-t-il avec le programme ? Ce petit monsieur, à peine nommé par Hollande ministre du Redressement productif – on ne rit pas -, s’empresse de déclarer en août 2012 que « le nucléaire est une énergie d’avenir », précisant pour les sourds que « la France a un atout extraordinaire entre ses mains [avec le nucléaire] qui lui a permis de bâtir son industrie ». L’année d’avant, il avait eu cette pensée visionnaire : le nucléaire « est le moyen d’avancer sur le chemin de la réindustrialisation ».

Six mois plus tard, il donne à la société Rexma un permis d’exploitation d’une mine d’or en Guyane. Dans un secteur du Parc National interdit à l’activité minière. Mais c’est cohérent, car Montebourg veut aussi rouvrir la criminelle mine de Salsigne, dans l’Aude. Tout pour la production !

Ajoutons enfin que Montebourg était jusqu’en 2016 un chaud partisan de l’exploitation des gaz de schiste en France, rêvassant de créer une industrie prospère, et bien entendu « propre ». Il s’appuyait sur un rapport secret, finalement publié par Le Figaro, qui vantait des « bonnes pratiques et des réglementations contraignantes, sous le contrôle de l’administration ». Ah ! charmant garçon. 1981, le retour.

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Les SDHI en veulent aussi au poisson zèbre

Résumons ce qui ne peut pas l’être. L’agrochimie – Bayer-Monsanto, BASF, Syngenta – a ouvert un nouveau marché avec les fongicides SDHI, l’un des chevaux de bataille du mouvement des Coquelicots. Une procédure judiciaire lancée par les Coquelicots – soutenue par Générations Futures et FNE – réclame l’interdiction de trois de ces molécules. Pour commencer.

Pourquoi ? J’ai longuement raconté dans un livre (Le crime est presque parfait, LLL) comment une équipe scientifique a été violentée par l’administration française, en l’occurrence l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES). Pierre Rustin et Paule Bénit, de l’INSERM, et quelques autres chercheurs avaient dès avril 2018 alerté sur le danger de ces nouveautés. Rustin, spécialiste mondial des maladies mitochondriales, et Bénit avaient pu montrer avec clarté que les SDHI s’attaquent au cœur de la respiration des cellules humaines et de quantité d’autres êtres vivants.

L’ANSES les a ridiculisés avant de faire (un tout petit peu) machine arrière devant l’accumulation des preuves. Et voilà que deux études récentes renforcent les pires inquiétudes. La première (1) montre que le bixafen, l’un des SDHI, provoque de graves anomalies in vivo du système nerveux chez le poisson zèbre, modèle de nombreuses études de toxicologie. Et la seconde (2) décrit la toxicité du fluxapyroxad, un autre SDHI, sur le développement de ce même poisson. L’ANSES, grande amie des hommes et des écosystèmes.

(1) https://insb.cnrs.fr/fr/cnrsinfo/le-bixafen-un-sdhi-fongicide-provoque-des-anomalies-du-systeme-nerveux-chez-le-poisson

(2) sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0045653520312303

Dupond-Moretti, le beauf de Cabu

On n’insulte pas, du moins en public. Et c’est justifié, mais parfois rageant, comme dans le cas du ministre de la Justice Dupond-Moretti. Car on le traiterait volontiers de gros con. Mais comme on sait se tenir, contentons-nous de dire qu’il est une parfaite illustration du personnage créé par Cabu. Le fameux beauf. Cherchez pas, c’est lui.

Au motif qu’il sait aligner une plaidoirie et terroriser par la gueulante huissiers de justice et présidents de tribunaux, il se croit le meilleur. L’un des meilleurs. Et une petite cour, y compris médiatique, l’entretient dans l’illusion. Dupond-Moretti, c’est l’encanaillement à deux balles. Mais bon, en ce cas, pourquoi parler de lui ? Parce qu’il a commis une préface à un livre du pathétique Willy Schraen, président de la fédération nationale de la chasse, et superbeauf lui-même.

Si vous voulez savoir qui est Schraen, lisez plutôt cela. On n’est plus très loin d’un discours de guerre civile. Il parle volontiers de ces « “Khmers verts” qui pensent que l’homme vaut moins qu’un phoque ». Ou encore : « Les combats de coqs auxquels il a assisté dès l’âge de 4 ans avec son pépé. « Je l’ai regardé pendant des heures installer des aiguilles de 10 à 12 centimètres qui remplaçaient les ergots coupés. C’était la sortie du dimanche, les gens pariaient. » Le sang ? Les cris des bêtes ? « Un coq qui meurt, c’est pas un drame. Ils sont bons à manger, leur chair est meilleure que celle du poulet. »

Cet homme obtient tout de Macron via le lobbyiste Thierry Coste, qui embrasse notre président devant les caméras sans seulement se gêner. Extrait d’un édito de Schraen en décembre 2018, dans la revue qu’il dirige : « Les engagements du Chef de l’État, confirmés encore il y a quelques jours, vont nous permettre de chasser les oies en février. Je sais que vous êtes nombreux à douter de cela après 20 ans de promesses et de déception, mais nous sommes enfin prêts ».

Bon, je me suis éloigné de Dupond-Moretti pour mieux y revenir. Dans sa préface, celui qui est censé incarner l’esprit de justice en France, écrit : « Ce livre, les ayatollahs de l’écologie s’en serviront pour allumer le barbecue où ils cuiront leurs steaks de soja ». Eux, c’est-à-dire nous, nous sommes les intolérants, les ayatollahs, comme il dit. Et lui, la déesse Thémis, insensible aux cajoleries et aux pressions. Tartufe, va !

Et il ajoute pour montrer à quel point il est équanime : « Ils veulent que nous ayons honte d’être chasseur, (…) nous culpabiliser d’être ce que nous sommes, car nous sommes aussi notre passion. Et depuis trop longtemps nous refusons de nous défendre, convaincus sans doute que l’intolérance et l’absurde ne méritent pas de réponse ». Cela paraît un poil cinglé, non ?

Dupond-Moretti, ignare sans l’ombre d’un doute, mais surtout de mauvaise foi, entend oublier comment le monde de la chasse est parvenu à se faire entendre des politiques. Par le biais jadis du parti Chasse, pêche, nature et traditions. Par un lobbying furieux ensuite, qui permet à 1,1 million de chasseurs de faire la loi dans un pays qui ne supporte plus les coups de fusil sur des animaux artificialisés pour leur plaisir. Retenez ce chiffre : 1,1 million ! Dans la France de 1945, qui ne comptait que 39 millions d’habitants, ils étaient 1,8 million. Et encore 2,2 millions en 1975. Âge moyen en 2020 : autour de 55 ans, et seulement…2,2 % de femmes…

Surtout, n’écoutez pas les fariboles de Schraen et Dupond-Moretti, et leurs odes à une ruralité de pacotille. Il n’y a pas 8% de paysans chez les chasseurs, quand les cadres et professions libérales approchent des 40%. Mais qu’importe la vérité à un ministre de la Justice, aux temps d’Emmanuel Macron ? On croit ne pas pouvoir tomber plus bas, mais on se trompe.