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La rivière ukrainienne qui a tout changé

L’Ukrainien Volodymyr Boreyko est un petit malin. Ce directeur du Centre écologique et culturel de Kiev a lancé l’idée de décorer la rivière Irpine. De la décréter « héroïque rivière ». De faire d’elle une personne. Déclarant pour l’occasion : « Je pense que la rivière Irpine devrait recevoir le titre de « rivière-héros » et bénéficier de protections environnementales solides, car cette année[2022], l’Irpine, en compagnie des forces armées ukrainiennes, a joué l’un des rôles les plus importants dans la défense de notre capitale depuis 1 000 ans ».

Ah. Un coup de projecteur s’impose. La rivière Irpine, longue de 162 km, est un affluent du Dniepr, sur sa rive droite. Qui rejoint le fleuve à hauteur du grand Réservoir de Kiev. Dans les années 60, sans se poser l’ombre d’une question, l’Union soviétique, alors chez elle en Ukraine, construit à la manière stalinienne un ensemble pour stocker de l’eau, incluant un barrage. Sur l’Irpine et le Dniepr.

Et c’en fut fini de la plaine inondable de l’Irpine, que les témoins, les yeux encore humides, décrivent comme une sorte d’Amazonie ukrainienne. Soit une immense zone humide faite de tourbières, de marécages et de marais, de roselières denses le long des berges, de dunes de sable fin . Les poissons-chats, les esturgeons et les castors étaient les rois de la fête, tandis que dans le ciel, guettant leurs proies, régnait le pygargue à queue blanche.

Et c’en fut fini, car les esthètes de Moscou, à la manière d’un Mussolini asséchant les marais Pontins en 1928, se mettent à drainer la zone. L’Irpine devient une (toute) petite rivière. Les maisons et constructions bancroches se multiplient, les moissonneuses arrivent. Ce qui arrive aussi, c’est la guerre. Le 24 février 2022, Poutine et ses sbires attaquent, pensant qu’une guerre-éclair leur permettra d’installer à Kiev un gouvernement fantoche. Dans les derniers jours de février, les Russes sont aux portes de la capitale. Le 25, puis le 27 février, les sapeurs de l’armée ukrainienne font sauter la partie du barrage qui tué l’Irpine. Et des ponts. L’eau se répand d’autant plus que le cours de l’Irpine est trois mètres au-dessous du niveau du Réservoir de Kiev. Le flot inonde le village de Demydiv et ses 4000 habitants, remontant ensuite jusqu’à Gorenka, à vingt kilomètres en amont.

Les chars lourds sont inutilisables, les troupes russes ne peuvent traverser, et doivent envisager un long détour. La destruction du barrage fait gagner de précieux jours à l’armée ukrainienne qui, on le sait, finira par se ressaisir. L’écologie et la stratégie militaire sont bouleversées d’un seul coup (2). Inutile de mentir : pour les habitants, c’est la cata : les champs autour des villages de Huta-Mezhyhirska, Chervone, Moshchun, Horenka, Hostomel, ne sont plus accessibles. Les témoignages recueillis montrent la fierté que l’eau ait arrêté l’assaut russe, mais aussi l’attente fébrile d’un retour à la situation d’avant. En attendant, un lac peu profond recouvre 2842 hectares – jusqu’à deux kilomètres de largeur -, qui contient quantité de toxiques auparavant stockés : des déchets venus de chantiers, de fosses septiques, de pesticides, de stations-service ou de décharges sauvages. Sans oublier les chars remplis de fuel et les matériels militaires laissés sur place. Impossible, dans le climat de guerre, de faire le moindre inventaire sérieux.

Certains écologistes, comme ce Volodymyr Boreyko cité plus haut, suggèrent aujourd’hui un compromis. Le départ de l’eau – en partie -, d’accord, mais associé à un grand plan de conservation, notamment sur les rives de l’Irpine, qui permettrait le maintien d’espèces végétales – et animales – rares. Alekseï Vassiliouk, biologiste et fondateur du Groupe ukrainien de protection de la nature (uncg.org.ua/en/), en mars dernier (3): «L’année écoulée, la végétation et une véritable faune sauvage sont revenues. La meilleure chose à faire serait de laisser la vallée aussi inondée que possible et la nature se rétablir. Et on serait sûrs que les chars ne reviendront pas.» Pas de doute, cela se défend.

(1)https://www.theguardian.com/environment/2022/may/11/ukraine-hero-irpin-river-helped-save-kyiv-but-what-now-for-its-newly-restored-wetlands-aoe

(2)https://uwecworkgroup.info/plans-to-rebuild-ukraine-shaped-by-solutions-for-irpin/

(3)https://www.blick.ch/fr/news/monde/symbole-de-la-guerre-en-ukraine-un-an-apres-le-village-de-demydiv-est-toujours-sous-leau-id18372819.html

Au Venezuela, on achève bien les ONG (et les forêts)

Le Venezuela, son héros bolivarien Nicolás Maduro, et son bel ami, le Grand Insoumis Mélenchon 1er. Quoi de neuf au paradis ? Presque rien. Entre 6 et 7 millions d’exilés – selon les sources -, une inflation de 234% en 2022, en grand progrès par rapport à 2021, où elle approchait des 700%. Les pauvres mendient, leurs filles vendent leur cul, c’est la révolution.

Le régime essaie en ce moment de faire voter une loi sur les ONG. Avec son parlement croupion, cela ne devrait pas être trop compliqué. Une simple formalité. Mais pour les ONG, cela change tout, car le but en est clair : museler, réprimer, encabaner. Toute ONG devra donner la liste de ses membres, de ses mouvements financiers, de ses donateurs. Au risque d’une interdiction définitive en cas d’infraction. Ou pire. Passons sur le détail. Le fond de l’affaire est limpide : Maduro veut mettre au pas ce qui reste de société indépendante de lui (1).

Les ONG de défense de la nature, du droit des peuples autochtones, de la bagarre climatique sont dans le viseur. Le pétrole, qui a connu bien des soubresauts depuis dix ans – les infrastructures sont en ruine -, ne suffit plus aux appétits d’une clique à la dérive. Mais il y a l’or, El Dorado de toujours. Le grand désastre des mines de l’Arco Minero del Orinoco est dénoncé depuis que Maduro, en 2016, en a fait une « Zona de Desarrollo Estratégico Nacional ». Une zone de développement stratégique. L’académie des Sciences physiques, mathématiques et naturelles, la Société vénézuélienne d’écologie, l’Association des archéologues alertent depuis des années, en vain, sur une situation infernale.

Au total, la région concernée couvre 111 843,70 km2, soit le cinquième de la France, même si, pour l’heure, 5% de la surface est directement touchée par l’exploration ou l’exploitation. Le sous-sol est un trésor immense, qui contient de l’or, des diamants, du coltan – essentiel dans l’électronique -, du cuivre, des terres rares utilisées pour les missiles, les écrans, les téléphones portables, les éoliennes, les bagnoles électriques. Certaines estimations des réserves présentes sont folles. Miam.

Où est-ce ? En Amazonie vénézuélienne, au sud de l’Orénoque, haut-lieu de la richesse écologique planétaire. La zone abrite cinq parcs nationaux et des animaux aussi menacés que le tatou géant, l’ours à lunettes, le jaguar, le fourmilier, le caïman de l’Orénoque. Et n’ajoutons pas à cette liste sans fin les oiseaux, les fleurs, les arbres. Maduro s’en fout, qui a confié la « gestion » de l’ensemble à la soldatesque, à cette armée qui reste son seul authentique soutien. Toute la zone est militarisée, en relation étroite – et profitable – avec les restes de groupes armés colombiens refusant d’abandonner les armes (2). Dans une opacité totale, des transnationales sont sur place, et l’on sait que Citigroup, immense groupe bancaire et financier américain – 12ème entreprise mondiale, plus de 200 000 salariés – vendra l’or de l’Arco Minero.

On revient aux ONG ? On y revient. D’abord un salut fraternel à Cristina Burelli, fondatrice de SOS Orinoco (3). Elle dénonce sans relâche ce qu’elle nomme un écocide, décrit le sort terrible réservé aux peuples indiens par les soudards (4), dénonce l’illégalité de mines qui ne respectent pas les lois sur les aires protégées, clame que le saccage s’en prend désormais au Parque Nacional Canaima, inscrit au patrimoine mondiale de l’humanité depuis 1994. Plus de 60 mines seraient en activité, entraînant déforestation, destruction de savanes uniques, contamination des rivières par le mercure destiné à amalgamer l’or.

Le régime orwellien en place à Caracas raconte une tout autre histoire : Arco Minero serait « un modelo de minería responsable ». Et rappelle tout ce que ce pillage doit au grand homme Hugo Chávez Frías, qui dès 2012, « présenta au pays sa vision de faire de l’Arco del Orinoco un grand axe de transformation économique dans les domaines agricole, industriel, minier, pétrolier et de la pêche » (5).
Comment Cristina Burelli pourra-t-elle faire face ?

(1)en français : https://amnistie.ca/participer/2023/venezuela/les-ong-du-venezuela-sont-en-danger

(2)Dissidents des FARC et de l’ELN

(3)en espagnol : https://sosorinoco.org/es/quienes-somos/

(4)en français : https://www.gitpa.org/web/VENEZUELA%20en%202021.pdf

(5)http://www.desarrollominero.gob.ve/zona-de-desarrollo-estrategico-nacional-arco-minero-del-orinoco/

L’hydrogène, cette énergie qui leur va si bien

Revenons sur cette belle et grande nouvelle : Chemours va investir 200 millions de dollars (185 millions d’euros) pour une nouvelle usine chez nous, dans l’Oise. N’entrons pas dans la technique, et retenons que cela servira à fabriquer de l’hydrogène. Une courte précision : Chemours, c’est anciennement DuPont, une entreprise de la chimie exemplaire. On lui doit – la liste réelle est sans fin – la moitié de la poudre utilisée pendant la guerre de Sécession américaine, à peine moins pendant la Première guerre mondiale – côté américain -, la mise au point de nombreux plastiques, dont le Nylon et le Teflon, de pesticides, le plomb ajouté au bagnoles avec Exxon et General Motors – des millions de morts -, la première bombe atomique, avec quelques autres acteurs.

Or donc, d’excellentes personnes, attentifs au sort commun. Qu’en est-il à propos de l’hydrogène ? L’une des cheffes de Chemours, Denise Dignam, nous dit tout : « [nous avons] choisi d’investir 200 millions de dollars en France car nous avons senti un véritable alignement entre ce que nous voulons faire et ce que le gouvernement français veut faire ». Elle veut parler du vaste plan hydrogène lancé par Macron et ses petits amis, qui ont décidé d’injecter 2,1 milliards d’euros dans cette nouvelle filière. Lemaire, qui aime tant les mots qui ne veulent rien dire, promet que la France sera le « leader européen de l’hydrogène décarboné en 2030 ».

Il est dur d’écrire d’aussi grands personnages que ce sont des charlatans, mais enfin, c’est vrai. On ne détaillera pas ici pourquoi l’hydrogène est la plus belle opération de désinformation depuis des lustres, car il y faudrait un livre. Concentrons nos binocles sur un point : comment produit-on de l’hydrogène ? C’est bête comme chou, mais il y faut de l’énergie. Dans le monde, 96% de la production d’hydrogène est obtenue à partir des fossiles habituels : gaz surtout, mais aussi pétrole ou charbon (1). C’est de très loin le moins cher.

Autrement exprimé, et pour des décennies pourtant décisives pour le climat, produire de l’hydrogène aggravera le dérèglement en cours. Tout repose sur une arnaque sémantique qui rappelle de nombreux artifices passés de l’industrie mondiale. Comme par exemple le « développement durable », l’« écoresponsabilité », la « compensation carbone », l’« économie circulaire », la « transition écologique », les taxe et crédit carbone, etc. Autant d’expressions visant à continuer comme avant – le « développement durable », c’est le développement qui va durer – en habillant l’opération de jolies plumes multicolores dans le cul. Il ne s’est jamais agi de tailler dans la consommation d’énergie et la prolifération des objets matériels, mais en l’occurrence, de décarboner. C’est-à-dire d’utiliser un hydrogène qui n’émet pas de carbone, en effet, en laissant tout l’honneur aux énergies fossiles qui l’auront fabriqué.

En France, et les zécolos officiels et de pacotille s’en foutent bien, l’hydrogène sera massivement produit à partir de l’électricité nucléaire. La garantie que les EPR seront bel et bien construits, malgré le désastre de leurs chantiers en France et en Finlande. L’hydrogène, c’est le nucléaire pour aujourd’hui, demain et après-demain. Une dernière avant de se quitter : la farce macabre du Gaz naturel liquéfié (GNL). C’est leur nouvelle coqueluche. Total vient de mettre en service son terminal d’importation de GNL en Allemagne, sur la Baltique. Pour contourner les risques géopolitiques des gazoducs, on fait venir du GNL par bateau depuis le Qatar ou les États-Unis. Ce GNL, dont on rappelle qu’il sert à fabriquer de l’hydrogène, émet deux fois et demi plus de CO2 que celui des gazoducs et les États-Unis ont multiplié par trois son exportation vers l’Europe. Or, le GNL américain vient essentiellement du gaz de schiste, qu’on imaginait banni de France. Et c’est ainsi que, par l’opération du Saint-Esprit, l’hydrogène apparaît comme le sauveur de leur monde en perdition. Abracadabra.

(1) https://www.connaissancedesenergies.org/fiche-pedagogique/production-de-lhydrogene

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L’homme qui aimait (tant) l’oiseau.

Inutile de mentir, c’est (aussi) du copinage. Je m’honore de connaître Michel Munier, et son fils, l’immense photographe Vincent. Mais cela ne suffirait pas, de loin, à parler, de son livre extraordinaire sur le Grand Tétras, ce Grand coq de bruyère qui est en train de mourir dans les Vosges, patrie définitive de Michel. Ce bel oiseau est une relique des dernières glaciations, un survivant achevé par le tourisme et le dérèglement climatique.

Un jour de l’hiver 1969, «  équipé de mes longs skis, je m’engage (…) dans le sous-bois, glissant dans une poudreuse qui nous absorbe parfois jusqu’aux genoux. Le silence m’impressionne, lourd, étouffé, comme dans une grosse bulle ouatée, loin des hommes. Dans cette blancheur infinie, seule une partie des troncs des grands arbres marque notre horizon de bandes verticales. Nous faisons une pause, quand un bruit soudain, sourd, brise le silence. À moins de vingt mètres de nous jaillit une masse noire. Elle plonge vers le bas de la pente abrupte en glissant adroitement entre les troncs. La neige des branches secouées par cette fuite continue de tomber une fois la silhouette évanouie. Nous restons silencieux, le regard fixé sur les cimes. Georges me dit : « C’est un coq de bruyère. »
Un coq de bruyère ? Ce nom m’est inconnu ».

Il ne va pas le rester. Le coq deviendra l’épicentre de sa vie, qui lui fera passer des centaines de nuits en forêt, couché en plein hiver dans son sac de couchage, sous un sapin, à attendre le signe. Pas une heure ou deux, mais six, mais huit, mais dix, mais dix-huit. Ce n’est pas une rencontre, c’est une absorption. De Michel par le Grand Tétras. Au printemps 1973, il assiste ébahi à la première parade nuptiale : « Le chanteur le plus proche de moi accélère la cadence de son chant et, soudain, dans une déchirure de ce brouillard ténébreux, il se dévoile: fantôme des brumes! Son corps sombre et trapu est rehaussé par de longues et nombreuses rectrices, les grandes plumes de sa queue, dressées en forme de roue ».

La suite est dans ce grand livre. Qui fait pleurer, je vous en préviens, car il marque la fin d’une somptueuse féérie. Il reste moins de dix Grands Tétras dans les Vosges.

L’oiseau-forêt, par Michel Munier, avec photos. Éditions Kobalann, hélas un prix élevé de 35 euros.

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Lueur de brin de paille au Brésil*

Un brin d’espoir au Brésil ? On a tant envie d’y croire qu’on y croit. Lula, revenu au pouvoir après la chute de Bolsonaro, a comme l’on sait pris deux décisions magnifiques : la nomination de Marina Silva à la tête d’un vaste ministère de l’Environnement et du changement climatique, et celle de Sonia Guajajara une Indienne, comme ministre des Peuples autochtones.

L’eau semble – semble – avoir coulé sous les ponts depuis que le Lula de 2010 soutenait l’élevage industriel, les bio nécrocarburants et les barrages hydro-électriques en pleine Amazonie. Les deux femmes étaient alors aux avant-postes du combat écologiste. Sur le papier pour le moment, c’est un sans-faute. L’objectif, dont ne déviera pas Marina, est de parvenir à la fin de la déforestation d’ici 203O, et nul doute qu’elle démissionnera – elle l’avait déjà fait en 2008 – si Lula change de cap.

La ministre vient de déclarer au journal Folha de S. Paulo (1) que certains émeutiers fascistes qui ont envahi le Palais présidentiel le 6 janvier viennent de « secteurs liés à la déforestation, à l’accaparement des terres, au trafic de bois, à la pêche illégale, à l’exploitation minière illégale ».

Faut-il le rappeler ? Des dizaines de défenseurs de la Grande forêt sont assassinés chaque année au Brésil, profitant d’une impunité quasi-générale, et pas seulement sous le règne maudit de Bolsonaro. Est-ce que cela peut changer ? Marina le croit, qui assure sur son compte Twitter : «  C’est le Brésil qui sort de la condition humiliante de paria devant le monde ».

*L’espoir luit comme un brin de paille dans l’étable (Verlaine)

(1) https://www1.folha.uol.com.br/ambiente/2023/01/turba-enfurecida-em-brasilia-esta-ligada-a-crimes-na-amazonia-afirma-marina-silva.shtml

Pourquoi la France est-elle à ce point-là de droite ?

Je viens de lire un papier de l’hebdo libéral Le Point. C’est pas bien ? Aucun journal ne me convient, aucun ne me convainc, aucun ne provoque en moi l’une de ces étincelles qui, autrefois, révolutionnaient mon quotidien. J’apprenais qu’un coup d’État – juillet 1971 – avait eu lieu au Soudan, et j’étais triste pour la journée. Ou qu’un commando tupamaro, s’était emparé d’une ville entière d’Uruguay, avant de repartir sans une anicroche, et j’en étais heureux.

C’est le passé. Le Point, donc. Un papier comme tant d’autres de Sophie Coignard, qui note : « Toutes les enquêtes le prouvent, la France est à droite comme jamais dans son histoire ». Est-ce vrai ? Évidemment ! La Nupes, dont je rappelle qu’elle rassemble toute la gauche traditionnelle, n’aura obtenu qu’environ 12% des Français en âge de voter. Soit 88% qui n’ont pas choisi ses candidats. Si cela vous embête, trop, admettons qu’un quart des votants au premier tour des législatives ont voté pour la gauche. Ça change quelque chose ?

Pourquoi ? Oui, pourquoi cette embardée à droite, et à l’extrême-droite ? Il n’existe que des hypothèses, et le plus que probable est que de multiples phénomènes combinés expliquent tant bien que mal ce qui se passe sous nos yeux. On me permettra d’ajouter mon grain de sel. Je crois profondément que l’opinion française est travaillée comme jamais par l’angoisse. Une angoisse aussi diffuse que multiforme, dont je serais bien en peine de définir le cadre et ses limites.

Il n’empêche. Les générations d’avant étaient installées – de gré ou de force – et maintenues dans une société de classe. Avant la guerre en tout cas, peu de gosses d’ouvriers ou de paysans échappaient à un sort promis par celui de leurs parents. Les Trente Glorieuses – disons à partir de 1950 – ont créé un tourbillon social inédit. Le fameux ascenseur social a permis à des centaines de milliers de gosses pauvres de radicalement changer de direction. De devenir ce que je vomissais, moi, dans mon jeune temps de fils de prolo. C’est-à-dire des cadres de la société que j’appelais bourgeoise. Des collabos de la domination.

La crise a en bonne part ruiné l’édifice. Ils sont bien rares, les parents qui rêvent encore d’un meilleur avenir pour leurs enfants. Vous savez quand a commencé le chômage de masse ? En 1974, à l’époque où un Giscard d’Estaing président préférait parler d’un simple trou d’air. La disparition de millions d’emplois et l’installation de tant de gens dans une sorte de retraite plus ou moins définitive, ont rompu les os de notre société. Aujourd’hui, au fil des décennies, se sont ajoutées des questions apparemment sans solution : l’insécurité, le djihadisme, la numérisation du monde, l’immigration.

L’insécurité. Ce n’est pas une invention de la droite. Dans l’immeuble HLM de mon enfance, la porte restait ouverte jour et nuit toute l’année. Qui diable aurait pensé fermer ? Et celle qui donnait sur la cour, puis la rue, n’avait de toute façon pas de clé. Ce n’est pas une expérience isolée. Tous les gens d’un certain âge le savent. Le sentiment d’insécurité est aussi une grande insécurité. Qu’il soit fondé sur le roc ou plus fragile n’y change rien. Quand on ferme sa porte, on referme plus d’une serrure mentale. Juste un mot sur le terrorisme djihadiste, que des médias irresponsables ont contribué à mettre en scène. Non pas qu’il serait inexistant. Mais sa kalachnikov passe désormais avant tout autre information. C’est du délire. Mais ça compte dans la déréliction de tant d’esprits.

La numérisation du monde est une folie globale, mais ce n’est pas de ça que je souhaite parler. Non, je souhaite écrire que ce phénomène fulgurant laisse sur les bords de sa route des millions de naufragés. Des millions en France. Qui ne savent pas. Ne comprennent pas. Ou mal. Et qui n’osent en parler tant règne un discours univoque sur le “progrès” si manifeste qu’est Internet. Ils souffrent sans disposer du moindre relais d’opinion.

L’immigration. Faut-il rappeler que je suis depuis toujours un antiraciste incandescent ? Cela n’interdit pas d’écrire que l’immigration sème dans l’esprit de millions de Français un sentiment de peur, voire d’angoisse, voire de panique. Nul n’avait rien prévu quand des patrons sont allés faire leur marché de main-d’œuvre en Algérie, au Maroc, en Tunisie au début des années 60. Nul n’a rien prévu depuis. Et par exemple le fait évident que la numérisation a fait disparaître tant d’emplois peu qualifiés. Occupés jadis par les laissés pour compte. Une partie de la jeunesse immigrée – même si elle est parfois française – reste seule avec la drogue et ce fantasme de la richesse immédiate, alimentée en boucle par la télé, les réseaux sociaux et le net.

Toutes ces questions si mal appréhendées se mélangent, Dieu sait. Et font des ravages, Dieu sait. Mais il faut y ajouter désormais ce qu’on nomme l’éco-anxiété. Je rappelle un sondage – paru dans la revue The Lancet Planetary Health, une garantie – portant sur les jeunes de 10 pays du monde : Australie, Brésil, Etats-Unis, Finlande, France, Inde, Nigeria, Philippines, Portugal et Royaume-Uni. Eh bien, voici le résultat : « Les trois quarts des 16-25 ans dans dix pays, du Nord comme du Sud, jugent le futur « effrayant ». Vous avez bien lu : effrayant. Au Nord comme au Sud. Avant tout face à cette crise climatique qui ne fait que commencer.

Mon hypothèse principale est que cette terreur-là, ajoutée aux autres, travaille comme jamais la psyché humaine. Et qu’elle produit entre autres un désir d’ordre, ou au moins de sécurité. La droite est dans ce domaine imbattable, en tout cas pour le moment. Bien sûr, elle est incapable de régler quelque question que ce soit, mais elle peut au moins faire semblant. La gauche reste aux oubliettes, dans ce domaine comme dans tant d’autres.

Où veux-je en venir ? À cette antienne : il faut inventer des formes politiques nouvelles et abandonner sans remords toutes les autres. Mélenchon et ses amis-concurrents des Verts sont de très vielles personnes, à grand-peine peinturlurées. Ils me font penser, mutatis mutandis aux groupes d’extrême-gauche de l’après-68, qui ont totalement loupé la critique si féconde pourtant de la production d’objets, de leur consommation aliénée, du fric. Ils en tenaient pour des “héros” à peine sortis de leurs catafalques : Lénine, Trotski, Mao, Guevara.

C’est une règle sociale que bien des problèmes pourtant urgents soient considérés avec les yeux du passé. C’est ce qui se passe selon moi avec la Nupes, mais on n’est pas obligé de me croire. En tout cas, si l’on veut espérer faire bouger la société française dans la bonne direction – la société réelle, pas son fantôme mélenchonnien -, eh bien, cherchons ensemble comment l’assurer et la rassurer. Je sais à quel point notre temps est tragique, mais justement. Traçons des lignes, projetons-nous dans un avenir humain, malgré l’avancée apparemment irrésistible de la barbarie. Imaginons. Créons. Ouvrons sur une autre aventure, avec pour viatique et seul viatique ces deux mots : espoir et coopération.

Les nouvelles facéties de madame Élisabeth Borne

Rions ensemble, de ce désespoir qu’il faut combattre chaque matin au réveil. Rions, il en restera peut-être quelque chose, qui sait ? Donc, la Première ministre de ce M.Macron annonce chaque jour de fracassantes décisions. En avant vers la dite « transition écologique ». Attention quand même qu’elle ne soit pas doublée par la non moins fameuse « transition énergétique ». Dans tous les cas, c’est la mobilisation générale, il n’y manque plus que les affiches collées au coin des rues et des rendez-vous précis pour les conscrits que nous ne tarderons pas à être.

Que veut la dame ? Mais enfin, vous n’écoutez rien ? Pour commencer, un « fonds vert » doté de 1,5 milliard d’euros, « pour développer des projets de transition écologique ». Il s’agirait de rénover « énergétiquement les bâtiments publics comme (…) certaines écoles », de ramener « de la nature dans les villes » et même, soyons fous, d’installer « des parkings relais » à l’entrée des agglomérations. Si l’on y ajoute « la réhabilitation de friches pour limiter l’étalement urbain », je crois pouvoir dire que nous obtenons un carton plein. Toutes ces mesures ont été claironnées je ne sais combien de fois depuis un quart de siècle, et la destruction du monde n’a jamais été aussi avancée. En France, madame Borne et ses fort nombreux clones en sont évidemment les premiers responsables.

Aurait-elle changé ? Oui, la question est rhétorique, car cela n’arrivera pas. Si vous voulez avoir une idée plus précise de cette énième arnaque, n’hésitez pas à cliquer ici. C’est intégralement du flan. Il faudra bien un jour écrire l’histoire du vocabulaire « vert », qui aura pour l’essentiel servi à faire croire que l’on agissait, lors qu’on ne bougeait pas un cil. Cela commencerait par le si funeste « développement durable », passerait par la « responsabilité sociétale et environnementale des entreprises », l’économie verte, l’économie circulaire, la préservation de la biodiversité, la neutralité carbone, la compensation écologique, sans oublier bien sûr la transition écologique.

Si je n’étais pas tricard depuis un bail auprès de ces Excellences, je m’empresserais de poser traîtreusement à madame Borne cette horrible question : « Chère madame, quelle définition donneriez-vous de la « transition écologique ? ». Et comme je ne lâche pas ma proie si facilement que tant d’autres “confrères”, eh bien, je la poursuivrais jusqu’à obtenir une vraie réponse. Que je connais déjà. Elle n’en sait rien. Elle même n’a aucune idée de ce que cela veut dire.