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L’hydrogène, cette énergie qui leur va si bien

Revenons sur cette belle et grande nouvelle : Chemours va investir 200 millions de dollars (185 millions d’euros) pour une nouvelle usine chez nous, dans l’Oise. N’entrons pas dans la technique, et retenons que cela servira à fabriquer de l’hydrogène. Une courte précision : Chemours, c’est anciennement DuPont, une entreprise de la chimie exemplaire. On lui doit – la liste réelle est sans fin – la moitié de la poudre utilisée pendant la guerre de Sécession américaine, à peine moins pendant la Première guerre mondiale – côté américain -, la mise au point de nombreux plastiques, dont le Nylon et le Teflon, de pesticides, le plomb ajouté au bagnoles avec Exxon et General Motors – des millions de morts -, la première bombe atomique, avec quelques autres acteurs.

Or donc, d’excellentes personnes, attentifs au sort commun. Qu’en est-il à propos de l’hydrogène ? L’une des cheffes de Chemours, Denise Dignam, nous dit tout : « [nous avons] choisi d’investir 200 millions de dollars en France car nous avons senti un véritable alignement entre ce que nous voulons faire et ce que le gouvernement français veut faire ». Elle veut parler du vaste plan hydrogène lancé par Macron et ses petits amis, qui ont décidé d’injecter 2,1 milliards d’euros dans cette nouvelle filière. Lemaire, qui aime tant les mots qui ne veulent rien dire, promet que la France sera le « leader européen de l’hydrogène décarboné en 2030 ».

Il est dur d’écrire d’aussi grands personnages que ce sont des charlatans, mais enfin, c’est vrai. On ne détaillera pas ici pourquoi l’hydrogène est la plus belle opération de désinformation depuis des lustres, car il y faudrait un livre. Concentrons nos binocles sur un point : comment produit-on de l’hydrogène ? C’est bête comme chou, mais il y faut de l’énergie. Dans le monde, 96% de la production d’hydrogène est obtenue à partir des fossiles habituels : gaz surtout, mais aussi pétrole ou charbon (1). C’est de très loin le moins cher.

Autrement exprimé, et pour des décennies pourtant décisives pour le climat, produire de l’hydrogène aggravera le dérèglement en cours. Tout repose sur une arnaque sémantique qui rappelle de nombreux artifices passés de l’industrie mondiale. Comme par exemple le « développement durable », l’« écoresponsabilité », la « compensation carbone », l’« économie circulaire », la « transition écologique », les taxe et crédit carbone, etc. Autant d’expressions visant à continuer comme avant – le « développement durable », c’est le développement qui va durer – en habillant l’opération de jolies plumes multicolores dans le cul. Il ne s’est jamais agi de tailler dans la consommation d’énergie et la prolifération des objets matériels, mais en l’occurrence, de décarboner. C’est-à-dire d’utiliser un hydrogène qui n’émet pas de carbone, en effet, en laissant tout l’honneur aux énergies fossiles qui l’auront fabriqué.

En France, et les zécolos officiels et de pacotille s’en foutent bien, l’hydrogène sera massivement produit à partir de l’électricité nucléaire. La garantie que les EPR seront bel et bien construits, malgré le désastre de leurs chantiers en France et en Finlande. L’hydrogène, c’est le nucléaire pour aujourd’hui, demain et après-demain. Une dernière avant de se quitter : la farce macabre du Gaz naturel liquéfié (GNL). C’est leur nouvelle coqueluche. Total vient de mettre en service son terminal d’importation de GNL en Allemagne, sur la Baltique. Pour contourner les risques géopolitiques des gazoducs, on fait venir du GNL par bateau depuis le Qatar ou les États-Unis. Ce GNL, dont on rappelle qu’il sert à fabriquer de l’hydrogène, émet deux fois et demi plus de CO2 que celui des gazoducs et les États-Unis ont multiplié par trois son exportation vers l’Europe. Or, le GNL américain vient essentiellement du gaz de schiste, qu’on imaginait banni de France. Et c’est ainsi que, par l’opération du Saint-Esprit, l’hydrogène apparaît comme le sauveur de leur monde en perdition. Abracadabra.

(1) https://www.connaissancedesenergies.org/fiche-pedagogique/production-de-lhydrogene

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L’homme qui aimait (tant) l’oiseau.

Inutile de mentir, c’est (aussi) du copinage. Je m’honore de connaître Michel Munier, et son fils, l’immense photographe Vincent. Mais cela ne suffirait pas, de loin, à parler, de son livre extraordinaire sur le Grand Tétras, ce Grand coq de bruyère qui est en train de mourir dans les Vosges, patrie définitive de Michel. Ce bel oiseau est une relique des dernières glaciations, un survivant achevé par le tourisme et le dérèglement climatique.

Un jour de l’hiver 1969, «  équipé de mes longs skis, je m’engage (…) dans le sous-bois, glissant dans une poudreuse qui nous absorbe parfois jusqu’aux genoux. Le silence m’impressionne, lourd, étouffé, comme dans une grosse bulle ouatée, loin des hommes. Dans cette blancheur infinie, seule une partie des troncs des grands arbres marque notre horizon de bandes verticales. Nous faisons une pause, quand un bruit soudain, sourd, brise le silence. À moins de vingt mètres de nous jaillit une masse noire. Elle plonge vers le bas de la pente abrupte en glissant adroitement entre les troncs. La neige des branches secouées par cette fuite continue de tomber une fois la silhouette évanouie. Nous restons silencieux, le regard fixé sur les cimes. Georges me dit : « C’est un coq de bruyère. »
Un coq de bruyère ? Ce nom m’est inconnu ».

Il ne va pas le rester. Le coq deviendra l’épicentre de sa vie, qui lui fera passer des centaines de nuits en forêt, couché en plein hiver dans son sac de couchage, sous un sapin, à attendre le signe. Pas une heure ou deux, mais six, mais huit, mais dix, mais dix-huit. Ce n’est pas une rencontre, c’est une absorption. De Michel par le Grand Tétras. Au printemps 1973, il assiste ébahi à la première parade nuptiale : « Le chanteur le plus proche de moi accélère la cadence de son chant et, soudain, dans une déchirure de ce brouillard ténébreux, il se dévoile: fantôme des brumes! Son corps sombre et trapu est rehaussé par de longues et nombreuses rectrices, les grandes plumes de sa queue, dressées en forme de roue ».

La suite est dans ce grand livre. Qui fait pleurer, je vous en préviens, car il marque la fin d’une somptueuse féérie. Il reste moins de dix Grands Tétras dans les Vosges.

L’oiseau-forêt, par Michel Munier, avec photos. Éditions Kobalann, hélas un prix élevé de 35 euros.

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Lueur de brin de paille au Brésil*

Un brin d’espoir au Brésil ? On a tant envie d’y croire qu’on y croit. Lula, revenu au pouvoir après la chute de Bolsonaro, a comme l’on sait pris deux décisions magnifiques : la nomination de Marina Silva à la tête d’un vaste ministère de l’Environnement et du changement climatique, et celle de Sonia Guajajara une Indienne, comme ministre des Peuples autochtones.

L’eau semble – semble – avoir coulé sous les ponts depuis que le Lula de 2010 soutenait l’élevage industriel, les bio nécrocarburants et les barrages hydro-électriques en pleine Amazonie. Les deux femmes étaient alors aux avant-postes du combat écologiste. Sur le papier pour le moment, c’est un sans-faute. L’objectif, dont ne déviera pas Marina, est de parvenir à la fin de la déforestation d’ici 203O, et nul doute qu’elle démissionnera – elle l’avait déjà fait en 2008 – si Lula change de cap.

La ministre vient de déclarer au journal Folha de S. Paulo (1) que certains émeutiers fascistes qui ont envahi le Palais présidentiel le 6 janvier viennent de « secteurs liés à la déforestation, à l’accaparement des terres, au trafic de bois, à la pêche illégale, à l’exploitation minière illégale ».

Faut-il le rappeler ? Des dizaines de défenseurs de la Grande forêt sont assassinés chaque année au Brésil, profitant d’une impunité quasi-générale, et pas seulement sous le règne maudit de Bolsonaro. Est-ce que cela peut changer ? Marina le croit, qui assure sur son compte Twitter : «  C’est le Brésil qui sort de la condition humiliante de paria devant le monde ».

*L’espoir luit comme un brin de paille dans l’étable (Verlaine)

(1) https://www1.folha.uol.com.br/ambiente/2023/01/turba-enfurecida-em-brasilia-esta-ligada-a-crimes-na-amazonia-afirma-marina-silva.shtml

M.Macron, la sécheresse et la bataille de Marignan

Pour commencer, lisons ensemble ce communiqué de la Commission européenne, qui nous annonce – sans grande surprise – que la sécheresse de cette année est la pire que l’Europe ait connue depuis 500 ans. Bien sûr, les bureaucrates de Bruxelles ne savent pas vraiment ce qu’ils écrivent, car où seraient les sources précises et fiables d’il y a cinq siècles ? Peut-être aurait-il fallu parler de mille ans, ou de la naissance de Jésus-Christ ? N’importe, c’est tout de même fracassant.

Si l’on en reste au calcul strict, 500 ans en arrière, cela renvoie à l’an 1522. Que se passe-t-il alors sur notre Terre ? En mars naît au Japon l’un des grands samouraïs de l’Histoire, Miyoshi Nagayoshi. Mais aussi, en novembre, un certain Albèrto Gondi, dont l’un des descendants sera l’inoubliable cardinal de Retz, auteur de formidables Mémoires sur Louis XIV. Autre naissance, certainement en 1522, notre poète national Joachim du Bellay, ami de Ronsard. Sur un plan plus général, un certain Gil González Dávila est le premier Européen à « découvrir » le Nicaragua et le lac du même nom, merveille de toutes les merveilles. En juin, les Portugais installent leur premier comptoir commercial dans les îles de la Sonde, à Ternate, qui se situe à l’est de l’Indonésie. En septembre, Juan Sebastián Elcano est de retour à Sanlúcar de Barrameda, à l’embouchure du Guadalquivir, après trois folles années passées dans l’expédition de Fernão de Magalhães, c’est-à-dire Magellan.

Je pourrais continuer, car il s’en passe, des choses, en 1522, et même une terrible crue de…l’Ardèche en septembre. Mais moi qui ai assez peu connu l’école, je préfère encore me souvenir de ce qu’on me racontait lorsque j’étais en cours moyen première année : Marignan. Cela ne tombe pas pile poil – à sept ans près -, mais de vous à moi, faut-il barguigner ? Marignan, 1515. Cela devait venir instantanément à la première question posée. Marignan, 1515. Comme chef-lieu du Cantal Aurillac. Ou chef-lieu du Finistère Quimper, et non Brest, abruti que j’ai pu être.

Donc, Marignano à une quinzaine de kilomètres de Milan, le 13 septembre. L’armée de notre roi bien-aimé François Ier – il vient d’avoir 21 ans – affronte avec ses supplétifs de Venise des mercenaires suisses qui défendent le duché de Milan. Oui, il faut suivre. En 16 heures de combat, 16 000 hommes sont tués. Mille trucidés à l’heure, on a fait mieux depuis. L’important, c’est que François sort vainqueur de l’affrontement. Qu’a-t-il gagné ? Ou plutôt, qu’auront pour l’occasion gagné les peuples, au-delà de ce perpétuel devoir de creuser des tombes ? On ne sait plus.

Mais où veux-je en venir ? Eh oui, où ? Notre insignifiant Macron est confronté devant nous à une tâche qu’il n’accomplira pas, car il n’a pas, même lorsque ses petites ailes sont déployées, l’envergure qu’il faudrait. Et ne parlons pas des si faibles évanescences de son entourage direct. Toutes. Qui oserait prétendre qu’en 2522, si la vie des humains s’est poursuivie jusque là, on aura encore un mot pour eux ? Pour lui ? Ils sont encore là qu’ils sont déjà oubliés, ce qui ne présage rien de bien réjouissant pour eux. Pour cette armée d’ectoplasmes agitant au-dessus de leurs courtes têtes des épées en carton dont je n’aurais pas voulu à dix ans.

Non, Macron ne fera rien, et pour de multiples raisons. D’abord, bien sûr, il n’a strictement rien vécu, et cela se ne se remplace pas. Il est né dans une famille riche, a grandi dans l’ouate la plus onctueuse qui se peut trouver, a fait les études qu’on attendait de lui, lu les quelques livres barbants qui lui étaient nécessaires, rencontré les seules personnes qui méritaient de l’être, est devenu banquier d’affaires, s’est mis dans les pas d’un clone de lui-même, avec trente ans de plus que lui – Jacques Attali, roi des faussaires -, et ensuite a fait de la politique. Pas pour régler des problèmes. Plus sûrement pour éprouver ce sentiment de gloire personnelle et de pouvoir. Et à l’époque, cela s’appelait parti socialiste, dont il a été membre des années, même si tous l’ont oublié. Dans la suite, ainsi qu’on a vu, il a chantonné sous sa douche l’air de la rupture et des temps nouveaux, puis répété le même exaltant message devant des foules compactes et, soyons sincère, imbéciles, et il l’a emporté sur ce pauvre couillon nommé Hollande – le roi définitif des pommes -, avant de coiffer tout le monde sur le poteau.

La deuxième raison qui nous garantit son inaction est reliée à la première. Il n’a pas eu le temps. Quand on passe sa vie à rechercher les moyens de gagner sur les autres, on n’en a pas pour connaître ceux qui aideraient ces autres à vivre moins mal. Et dans ces autres, je considère avant tout les gueux de ce monde si malade, qu’aucun politicien vivant en France n’évoque jamais. Le paysan du Sénégal courbé sur sa houe. Le Penan du Sarawak qui clame sans que nous l’entendions qu’il n’est plus rien sans la forêt que nos lourdes machines assassinent. Les Adivasi de l’État indien du Chhattisgarh, dont les terres anciennes deviennent des mines d’or. Les dizaines de millions de mingong de Chine, ces oubliés de l’hypercroissance. Et dans ces autres, je mets au même plan – mais oui, car l’un ne va pas sans l’autre – la totalité de ces formes vivantes qui partent au tombeau.

Qui meurent parce que les Macron du monde entier ont fabriqué voici un peu plus de deux siècles – la révolution industrielle – une organisation économique barrant tout avenir désirable aux sociétés humaines. Macron, qu’on se le dise, n’a JAMAIS lu le moindre livre sur la crise écologique planétaire. Des notes de synthèse, écrites par quelque conseiller, sans doute. Mais son esprit ne saurait dévier du cadre dans lequel s’est formé son intelligence, si réduite au regard des questions réelles. Il ne peut pas. Il ne pourra pas. Ce serait se suicider intellectuellement et moralement.

Le rapprochement avec le De Gaulle de 1940 est éclairant. Cet homme est alors général de brigade – à titre provisoire -, et sous-secrétaire d’État à la Guerre. Et comme il est à sa façon un géant, il va trouver la ressource inouïe de rompre. Avec tout ce qui a été sa vie. Il va avoir cinquante ans, et sa jeunesse a baigné dans une ambiance provinciale rance, faite de maurrassisme et de royalisme, d’antisémitisme même. En 1940, il est encore un homme d’ordre et d’une droite profonde, assumée. Et pourtant ! Il part à Londres entouré au départ par quelques dizaines de partisans dépenaillés. Pas mal de gens de droite. Quelques autres de gauche. Vichy le condamne à mort par contumace. Saisit ses biens. Il est seul, il n’a jamais été et ne sera jamais plus beau.

Alors, Macron, quoi ? De Gaulle, malgré sa grandiose entreprise, ne rompt pas vraiment. Il estime, avec quelque raison, que ce sont les autres qui ont abandonné la France éternelle en rase campagne, face aux chars d’assaut de Guderian. Car lui en tient pour cette grande mythologie nationale, qui convoque à elle Clovis, Charles Martel, Jeanne d’Arc. Il représente à lui seul cette Grandeur, laissée sur le bord de la route par les infects Pétain et Laval. Il relève un gant tombé dans les ornières laissées par les envahisseurs. Mais cela lui est facile ! Oui, facile ! Écrivant cela, je sais que c’est faux, bien entendu. L’arrachement a dû être une torture mentale pour lui. Mais je veux signifier qu’il disposait d’un cadre dans lequel placer ses interrogations et sa bravoure. La France. Le grand récit national. L’éternité. Il n’avait pas besoin en lui d’une révolution morale. Il avait besoin d’une témérité sans égale. Et il en disposait.

Macron-le-petit n’a rien de cela. Il ne peut s’accrocher à une vision, à un avenir, à un passé, car rien de tout cela n’existe en son for. Il admire l’économie en benêt, la marche des affaires, les échanges commerciaux. Dans un présent perpétuel qui est exactement ce qui tue la moindre perspective. Il ne peut ni ne pourra. Il lui faudrait une force dont il ne dispose pas. Il lui faudrait tout revoir, tout réviser, tout exploser même. Il lui faudrait s’attaquer à des structures qu’il aura sa vie durant contribué à renforcer. Or, qui ne le voit ? Il n’a que peu de qualités profondes. Je mesure à quel point ces mots peuvent paraître durs. Mais franchement, quelle qualité essentielle attribuer à un homme comme lui ? La verriez-vous ? En ce cas, éclairez-moi.

Nous voici donc face à un événement que la Commission européenne définit comme historique. Moi, je ne dirai jamais cela, car c’est incomparablement plus vaste et plus complexe. Le mot Apocalypse me vient spontanément, qui ne signifie nullement fin du monde, mais bel et bien « Révélation ». Et oui, dans ce sens-là, la sécheresse de 2022 est la révélation de ce qui nous attend, et qui sera bien pire. Le grand malheur dans lequel nous sommes tous plongés, c’est qu’aucun politique de quelque parti que ce soit ne vaut davantage que Macron. Je sais que beaucoup placent leurs espoirs en Mélenchon, que j’ai tant de fois écartelé ici. Mais qu’y puis-je ? Nous avons besoin d’une nouvelle culture, de nouvelles formes politiques adaptées à des problèmes que les humains n’ont encore jamais rencontrés, en évitant de remplacer des politiciens par d’autres politiciens, car tous finissent toujours par se valoir.

Nous avons besoin d’un surgissement. Nous avons besoin de sociétés enfin éclairées, échappant enfin aux redoutables crocs des idées mortes – oui, la mort mord -, décidées à l’action immédiate, qui ne peut être basée que sur l’union massive, autour du seul mot qui ne nous trahira pas : vivant. Oui, nous devons nous battre ensemble pour le vivant. Et le vivant, en France, dans la Géhenne de cet été brûlant, est très souvent mort de soif. Ne pensez pas toujours à vous et à vos proches, bien que j’en fasse autant que vous. Pensez aux hérissons, fouines, renards, libellules, mantes, guêpes et abeilles, grenouilles et poissons, circaètes et moyens-ducs, aux chevreuils et cerfs, aux papillons, pensez aux arbres et à ces milliards de plantes qui ont brûlé au soleil ou au feu. Leur terrible destin nous oblige tous. Il nous oblige. Il faut lancer un seul et unique mouvement. Vivant. Le mouvement Vivant.

Nos chasseurs oseront-ils en profiter ? (Appel à la trêve)

Les animaux sont morts. Beaucoup sont morts, carbonisés par la sécheresse démoniaque que nous avons déclenchée pour quelques portables de plus. Il ne faut pas rêver : quand un chevreuil, un cerf, un sanglier ne trouvent plus d’eau, ils meurent. Et ce qui vaut pour eux vaut pour tous les animaux, du blaireau à la mante religieuse, de la martre au ver de terre, du hérisson au sublime machaon. Et ceux qui n’en meurent pas tout à fait sortent de cette saison en enfer affaiblis, meurtris, parfois mourants.

Nul ne décrira jamais ce qui leur est arrivé. Cette gigantesque guerre de tous contre tous, dans laquelle la canicule faisait si peu de prisonniers. Nous ne savons pas parler d’eux. Nous ne savons pas nous lever en leur nom, pauvres humains que nous sommes. Je me demande tout de même ce qui va se passer pour eux le mois prochain. Car septembre, c’est l’ouverture de la chasse, et des millions de morts en plus dans des populations déjà fracassées par le cataclysme. Sauf si.

M.Schraen, président de la Fédération nationale des chasseurs (FNC) osera-t-il lâcher ses hordes sur les survivants ? Le président Emmanuel Macron donnera-t-il une fois de plus priorité à ses grands amis de la chasse industrielle ? Tout reste possible, car nous avons une arme (pacifique, elle) entre nos mains : la société. Je lance ici un appel à mes amis de l’Association pour la protection des animaux sauvages, à ceux de Ferus, de Mille Traces et à tant d’autres. Il faut arracher un moratoire. Il faut empêcher l’ouverture de la chasse en septembre, de manière à épargner nos frères animaux dans la détresse.

Unissons nos forces ! Lançons un mouvement irrésistible ! Que pas un animal ne soit tué par un chasseur dans les conditions horribles où nous sommes.

Le Loup a atteint l’océan Atlantique

Vous avez peut-être vu ? Un loup a été trouvé mort le long d’une route. Où ? Près de Saint-Brévin-les-Pins (Loire-Atlantique), où j’étais en colo quand j’avais dix ans. On n’avait plus vu de loup dans la région si proche du grand océan depuis au moins un siècle.

On ne sait pas de quoi l’animal est mort, et j’espère, contre certaine évidence, que l’homme n’y est pour rien. Mais en attendant les résultats d’analyses, je me dois de saluer une fois de plus l’exploit physique qui pousse des loups revenus d’Italie il y a trente ans à réoccuper leur Empire de jadis. Il faut tâcher d’imaginer le travail ! On envoie quelques éclaireurs depuis les Apennins, arête centrale de l’Italie, qui forment une à une des meutes dans l’arc alpin. Et puis, par un phénomène naturel de dispersion – celui-là même qui les a conduits en France -, ils repartent à l’assaut de leurs territoires historiques, franchissent le Rhône, l’autoroute dite du soleil, la ligne TGV, et foncent vers les Cévennes, le Gévaudan, le Jura, les Vosges, la Marne, la Vendée, la Loire-Atlantique, etc.

Combien sont-ils ? Autour de 600, ce qui est tout à la fois prodigieux et si peu. On sait qu’ils furent des milliers. D’évidence, ils posent des problèmes de cohabitation, et seuls de doux rêveurs sont capables de le nier. L’homme, dans le meilleur des cas, ne peut que tolérer la présence du grand prédateur, concurrent direct pendant des dizaines de siècles qui ont fatalement imprimé leur marque dans la psyché humaine.

Et c’est là toute l’affaire : tolérer cet autre indésirable et potentiellement menaçant. La chute vertigineuse de la biodiversité impose des changements dans l’âme humaine, les changements les plus complexes, les plus incertains, les plus douloureux. Peut-on changer l’âme ? J’avoue que je n’en sais rien, l’espérant de toutes mes forces. Mais je sais aussi qu’il n’est pas d’autre voie que celle du partage de l’espace entre eux et nous. Je ne pense pas seulement aux loups, de loin, mais à tout ce qui vit, plantes et arbres compris. Et quand je parle d’espace, c’est surtout à un espace intérieur que je pense. Nous devons entendre et montrer que cette terre ridiculement petite est à tous. Faute de quoi, et vous le savez, l’homme se retrouvera in fine avec lui-même seulement, et se mordra, et s’égorgera. L’altérité essentielle est l’un des fondements vrais d’une politique de civilisation de la sauvagerie humaine.

Ce programme paraît hors d’atteinte, je le vois bien. La route est si étroite, les précipices si nombreux, le goût du sang si constant qu’on aurait le droit de refermer la porte sur des problèmes d’une telle dimension. Mais tel est notre rôle, à nous qui défendrons le vivant jusqu’à périr. Il faut. On peut nommer cela un devoir. On doit tenir ce dernier pour l’impératif catégorique de Kant. Inconditionnel.

Franchement, les abeilles seulement ?

Vous le savez, ou non. La récolte de miel 2020, en France, est la pire depuis des décennies. 7000 à 9000 tonnes ont pu être récupérées. Deux fois moins que l’année d’avant, et le tiers seulement de ce qu’on obtenait il y a trente ans. Il existe donc des causes profondes à ces désastres à répétition, même si la météo exécrable du printemps et de l’été a pu jouer son rôle. Je ne vous apprends strictement rien : les pesticides sont les grands coupables. Et parmi eux, ces néonicotinoïdes réintroduits l’automne passé par une coalition unissant Julien Denormandie, ministre de l’Agriculture et amoureux fou de l’industrie agricole d’une part, et Barbara Pompili, ministre de l’Écologie, si je puis dire ce qui n’est pas.

On attend d’un jour à l’autre un arrêté prétendant protéger les abeilles contre les pulvérisations de poisons chimiques. Comme les associations et groupements d’apiculteurs n’ont seulement pas été consultés, on sait le résultat : la FNSEA, dans la main de laquelle Denormandie – et Pompili, oui – mangent, a gagné. J’en suis profondément triste, mais je ne vous lâche pas sans vous signaler cet article très bien fait qui mérite lecture : cliquer ici.

Il renvoie à un article scientifique signé par deux entomologistes et, fait plus rare, un journaliste, Stéphane Foucart, du journal Le Monde (c’est ici). Que dit -il ? Il en appelle à la responsabilité des entomologistes, ces spécialistes des insectes. Qui est grande, qui est immense, car ils disposent de clés permettant d’établir une vérité globale sur l’effondrement des pollinisateurs, essentiels à la vie, à l’évolution des plantes sauvages, mais aussi à l’alimentation des humains. Or beaucoup de spécialistes se laissent embobiner par les communicants de l’industrie des pesticides, qui produisent, comme tant d’autres avant eux « la fabrique de l’ignorance ». Il faut qu’ils se hissent au niveau d’une responsabilité historique.

L’article met en avant le plus grand phénomène de cette sinistre histoire. Les abeilles domestiques, sur lesquelles on concentre son attention, ne sont pas seules, de loin. Est-ce à cause de leur intérêt économique direct et visible que l’on ne parle que d’elles ? En tout cas, le sort des abeilles sauvages et de ces innombrables pollinisateurs qui ne sont pas des abeilles, est finalement plus funeste encore. Car ceux-là ne sont pas câlinés de main d’apiculteurs, éventuellement soignés et nourris. Or il s’agit de la clef de voûte.

Un sursaut ? Sait-on jamais. Mais pas demain. Dès ce matin du 28 octobre 2021, ce serait bien.