Archives de catégorie : Mouvement écologiste

L’hydrogène, cette énergie qui leur va si bien

Revenons sur cette belle et grande nouvelle : Chemours va investir 200 millions de dollars (185 millions d’euros) pour une nouvelle usine chez nous, dans l’Oise. N’entrons pas dans la technique, et retenons que cela servira à fabriquer de l’hydrogène. Une courte précision : Chemours, c’est anciennement DuPont, une entreprise de la chimie exemplaire. On lui doit – la liste réelle est sans fin – la moitié de la poudre utilisée pendant la guerre de Sécession américaine, à peine moins pendant la Première guerre mondiale – côté américain -, la mise au point de nombreux plastiques, dont le Nylon et le Teflon, de pesticides, le plomb ajouté au bagnoles avec Exxon et General Motors – des millions de morts -, la première bombe atomique, avec quelques autres acteurs.

Or donc, d’excellentes personnes, attentifs au sort commun. Qu’en est-il à propos de l’hydrogène ? L’une des cheffes de Chemours, Denise Dignam, nous dit tout : « [nous avons] choisi d’investir 200 millions de dollars en France car nous avons senti un véritable alignement entre ce que nous voulons faire et ce que le gouvernement français veut faire ». Elle veut parler du vaste plan hydrogène lancé par Macron et ses petits amis, qui ont décidé d’injecter 2,1 milliards d’euros dans cette nouvelle filière. Lemaire, qui aime tant les mots qui ne veulent rien dire, promet que la France sera le « leader européen de l’hydrogène décarboné en 2030 ».

Il est dur d’écrire d’aussi grands personnages que ce sont des charlatans, mais enfin, c’est vrai. On ne détaillera pas ici pourquoi l’hydrogène est la plus belle opération de désinformation depuis des lustres, car il y faudrait un livre. Concentrons nos binocles sur un point : comment produit-on de l’hydrogène ? C’est bête comme chou, mais il y faut de l’énergie. Dans le monde, 96% de la production d’hydrogène est obtenue à partir des fossiles habituels : gaz surtout, mais aussi pétrole ou charbon (1). C’est de très loin le moins cher.

Autrement exprimé, et pour des décennies pourtant décisives pour le climat, produire de l’hydrogène aggravera le dérèglement en cours. Tout repose sur une arnaque sémantique qui rappelle de nombreux artifices passés de l’industrie mondiale. Comme par exemple le « développement durable », l’« écoresponsabilité », la « compensation carbone », l’« économie circulaire », la « transition écologique », les taxe et crédit carbone, etc. Autant d’expressions visant à continuer comme avant – le « développement durable », c’est le développement qui va durer – en habillant l’opération de jolies plumes multicolores dans le cul. Il ne s’est jamais agi de tailler dans la consommation d’énergie et la prolifération des objets matériels, mais en l’occurrence, de décarboner. C’est-à-dire d’utiliser un hydrogène qui n’émet pas de carbone, en effet, en laissant tout l’honneur aux énergies fossiles qui l’auront fabriqué.

En France, et les zécolos officiels et de pacotille s’en foutent bien, l’hydrogène sera massivement produit à partir de l’électricité nucléaire. La garantie que les EPR seront bel et bien construits, malgré le désastre de leurs chantiers en France et en Finlande. L’hydrogène, c’est le nucléaire pour aujourd’hui, demain et après-demain. Une dernière avant de se quitter : la farce macabre du Gaz naturel liquéfié (GNL). C’est leur nouvelle coqueluche. Total vient de mettre en service son terminal d’importation de GNL en Allemagne, sur la Baltique. Pour contourner les risques géopolitiques des gazoducs, on fait venir du GNL par bateau depuis le Qatar ou les États-Unis. Ce GNL, dont on rappelle qu’il sert à fabriquer de l’hydrogène, émet deux fois et demi plus de CO2 que celui des gazoducs et les États-Unis ont multiplié par trois son exportation vers l’Europe. Or, le GNL américain vient essentiellement du gaz de schiste, qu’on imaginait banni de France. Et c’est ainsi que, par l’opération du Saint-Esprit, l’hydrogène apparaît comme le sauveur de leur monde en perdition. Abracadabra.

(1) https://www.connaissancedesenergies.org/fiche-pedagogique/production-de-lhydrogene

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L’homme qui aimait (tant) l’oiseau.

Inutile de mentir, c’est (aussi) du copinage. Je m’honore de connaître Michel Munier, et son fils, l’immense photographe Vincent. Mais cela ne suffirait pas, de loin, à parler, de son livre extraordinaire sur le Grand Tétras, ce Grand coq de bruyère qui est en train de mourir dans les Vosges, patrie définitive de Michel. Ce bel oiseau est une relique des dernières glaciations, un survivant achevé par le tourisme et le dérèglement climatique.

Un jour de l’hiver 1969, «  équipé de mes longs skis, je m’engage (…) dans le sous-bois, glissant dans une poudreuse qui nous absorbe parfois jusqu’aux genoux. Le silence m’impressionne, lourd, étouffé, comme dans une grosse bulle ouatée, loin des hommes. Dans cette blancheur infinie, seule une partie des troncs des grands arbres marque notre horizon de bandes verticales. Nous faisons une pause, quand un bruit soudain, sourd, brise le silence. À moins de vingt mètres de nous jaillit une masse noire. Elle plonge vers le bas de la pente abrupte en glissant adroitement entre les troncs. La neige des branches secouées par cette fuite continue de tomber une fois la silhouette évanouie. Nous restons silencieux, le regard fixé sur les cimes. Georges me dit : « C’est un coq de bruyère. »
Un coq de bruyère ? Ce nom m’est inconnu ».

Il ne va pas le rester. Le coq deviendra l’épicentre de sa vie, qui lui fera passer des centaines de nuits en forêt, couché en plein hiver dans son sac de couchage, sous un sapin, à attendre le signe. Pas une heure ou deux, mais six, mais huit, mais dix, mais dix-huit. Ce n’est pas une rencontre, c’est une absorption. De Michel par le Grand Tétras. Au printemps 1973, il assiste ébahi à la première parade nuptiale : « Le chanteur le plus proche de moi accélère la cadence de son chant et, soudain, dans une déchirure de ce brouillard ténébreux, il se dévoile: fantôme des brumes! Son corps sombre et trapu est rehaussé par de longues et nombreuses rectrices, les grandes plumes de sa queue, dressées en forme de roue ».

La suite est dans ce grand livre. Qui fait pleurer, je vous en préviens, car il marque la fin d’une somptueuse féérie. Il reste moins de dix Grands Tétras dans les Vosges.

L’oiseau-forêt, par Michel Munier, avec photos. Éditions Kobalann, hélas un prix élevé de 35 euros.

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Lueur de brin de paille au Brésil*

Un brin d’espoir au Brésil ? On a tant envie d’y croire qu’on y croit. Lula, revenu au pouvoir après la chute de Bolsonaro, a comme l’on sait pris deux décisions magnifiques : la nomination de Marina Silva à la tête d’un vaste ministère de l’Environnement et du changement climatique, et celle de Sonia Guajajara une Indienne, comme ministre des Peuples autochtones.

L’eau semble – semble – avoir coulé sous les ponts depuis que le Lula de 2010 soutenait l’élevage industriel, les bio nécrocarburants et les barrages hydro-électriques en pleine Amazonie. Les deux femmes étaient alors aux avant-postes du combat écologiste. Sur le papier pour le moment, c’est un sans-faute. L’objectif, dont ne déviera pas Marina, est de parvenir à la fin de la déforestation d’ici 203O, et nul doute qu’elle démissionnera – elle l’avait déjà fait en 2008 – si Lula change de cap.

La ministre vient de déclarer au journal Folha de S. Paulo (1) que certains émeutiers fascistes qui ont envahi le Palais présidentiel le 6 janvier viennent de « secteurs liés à la déforestation, à l’accaparement des terres, au trafic de bois, à la pêche illégale, à l’exploitation minière illégale ».

Faut-il le rappeler ? Des dizaines de défenseurs de la Grande forêt sont assassinés chaque année au Brésil, profitant d’une impunité quasi-générale, et pas seulement sous le règne maudit de Bolsonaro. Est-ce que cela peut changer ? Marina le croit, qui assure sur son compte Twitter : «  C’est le Brésil qui sort de la condition humiliante de paria devant le monde ».

*L’espoir luit comme un brin de paille dans l’étable (Verlaine)

(1) https://www1.folha.uol.com.br/ambiente/2023/01/turba-enfurecida-em-brasilia-esta-ligada-a-crimes-na-amazonia-afirma-marina-silva.shtml

Connaissez-vous l’agrivoltaïsme ?

Figurez-vous que je découvre l’ampleur de ce nouveau problème. Son nom est un défi à la langue, et même à la beauté, mais en tout cas, l’agrivoltaïsme – et même agri-photovoltaïsme – se répand partout en France. Sur le papier, c’est assez simple : il s’agit de produire de l’électricité solaire au-dessus d’une surface agricole qui continuera(it) d’être cultivée. Les panneaux sont en effet installés à quatre ou cinq mètres de hauteur.

Marginal ? Je crois qu’on ne peut plus dire cela. Le Japon a lancé les premières expérimentations dès 2004, l’Autriche dès 2007, l’Italie en 2009, etc. En France, le lobby – car il y a bien sûr lobby – affirme que des dizaines de milliers de projets existent, mais pour l’heure, seuls quelques dizaines sont aboutis ou en passe de l’être. Antoine Nogier, président de la fédération France Agrivoltaïsme affirme tranquillement que cette trouvaille pourrait représenter jusqu’à 60% de la promesse gouvernementale de produire en France 100 GW d’électricité solaire en 2050. Avec moins de 1 % de la surface agricole utile. Les optimistes font par ailleurs valoir que 500 000 hectares de systèmes “agrivoltaïques” en France représenteraient la totalité de la production d’électricité nucléaire. Sur 2% de la surface agricole utile. L’agriculteur reçoit aujourd’hui, en louant ainsi ses terres à l’industrie photovoltaïque, entre 1500 et 2000 euros par an. Parfois bien moins. Parfois bien plus.

Si je vous parle de ce sujet que je ne connais pas, c’est parce que je compte sur vous pour m’éclairer. Intuitivement, j’ai le sentiment que naît sous nos yeux un nouveau lobby industriel, comme il y a un peu plus de quinze ans celui des bionécrocarburants, détournant avec la complicité de la FNSEA une production alimentaire au profit de la sacrosainte bagnole. Mais j’avoue ne pas avoir assez creusé. Un indice cependant : la composition des membres de France Agrivoltaïsme, où l’on retrouve les chambres d’agriculture et les SAFER, la FNSEA, la Compagnie nationale du Rhône (CNR) – terrible destructeur des écosystèmes -, Iberdrola – l’industrie multinationale.

Je ne vais pas plus loin ce jour. Sincèrement, éclairez-moi. Avec des bougies si nécessaire.

Mais où s’est donc planqué le mouvement antinucléaire ?

Je sais être, à ma manière, un vieux con. Pas la peine de se bercer d’illusions. J’étais présent – non physiquement, mais en esprit – à la première manif antinucléaire de l’histoire, en juillet 1971. Je n’avais pas 16 ans. Charlie, Charlie-Hebdo, qui devait longtemps après être décimé, soutenait – et organisait – de toutes ses forces le rassemblement. Grâce à Fournier, qui y travaillait, et qui fut l’un des tout premiers. La reproduction ci-dessous, pour une raison que j’ignore, est en noir et blanc. Le vert a disparu.

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J’ai ensuite été, je crois, de tous les combats importants. À Malville – 1977 -, à Plogoff – 1980 -. J’ai toujours su pourquoi je refusais cette sinistre aventure. Pour des raisons complexes, dont l’action discrète mais certaine de services policiers et militaires d’État, le mouvement antinucléaire s’est étiolé. Pas de malentendu : ses faiblesses intrinsèques l’auraient empêché, de toute façon, de l’emporter.

D’ailleurs, le mal était fait, après la funeste décision, en 1974, de lancer le programme électronucléaire. Lisons ensemble cette bluette de propagande : « Le 6 mars 1974, à vingt heures, Jean-Marie Cavada, journaliste et, par la suite, homme politique français, s’entretient avec Pierre Messmer. Le Premier ministre présente son plan énergétique qui vise à limiter la dépendance au pétrole à travers la construction d’un parc nucléaire d’une part, et une série de mesures de sobriété énergétique d’autre part, une véritable politique écologique avant l’heure ».

Il n’empêche que je m’interroge sur la tragique incapacité du mouvement actuel à tirer, devant la société française, le bilan de cinquante années de mensonges et de faillites en chaîne. N’oubliez jamais que tant de crétins, parfaits polytechniciens pourtant, ou supposées Grandes Intelligences – par exemple l’ancien président Giscard d’Estaing – juraient que l’électricité nucléaire finirait par être gratuite, ou presque. Surtout avec l’apparition du monstre Superphénix, projet abandonné en 1997.

Le chiffrage total, soigneusement dissimulé, est impossible à faire. Mais il suffira ici de quelques indications. En janvier 2012, la cour des comptes estime que le nucléaire a coûté 228 milliards d’euros depuis les années 50, auxquels il faut ajouter 55 milliards d’euros de recherches. Pas mal. Mais on n’inclut pas le prix du démantèlement des vieilles centrales, qui se chiffrera lui aussi en dizaines de milliards d’euros (voir l’article en annexe, publié l’an passé). La faillite est si somptueuse que l’État français, ultralibéral pourtant, renationalise aujourd’hui EDF, dilapidant ainsi 10 milliards d’euros de plus. EDF est une ruine infernale, qui a perdu 5,3 milliards d’euros au premier semestre 2022. Et sa dette approcherait les 50 milliards d’euros, alors que les essais d’EPR – les réacteurs de nouvelle génération – sont un puits sans fond, tant à Flamanville (Normandie) qu’en Finlande. Ne parlons pas du coût de l’enfouissement, des huit milliards – au moins – de subventions accordées à Areva-Orano, des 100 milliards de travaux de sécurité sur les vieux réacteurs.

L’argent n’existe pas pour toutes ces factures-là. Mais que s’en fout le Macron ? Il veut lancer, dans une sinistre fuite en avant, la construction de six EPR en France, pour un coût compris au départ – selon lui – entre 52 et 56 milliards d’euros. Voilà en quelques mots l’état des lieux. Et voici venue l’heure de me faire des amis supplémentaires. Que fait donc le réseau Sortir du Nucléaire, qui annonce regrouper 893 associations et 62661 personnes signataires de sa Charte ? Que fait Stéphane Lhomme, dont je connais la vaillance ? N’y a-t-il pas lieu de réunir tout ce qui peut l’être pour acculer enfin ceux qui nous ont plongés dans cette folie ? Et ces vieux briscards, comme Pierre Péguin, des Cévennes ? N’en-ont ils pas un peu marre de radoter sans jamais marquer des points ? Je ne suis pas en train de juger, malgré les apparences. Ce que je souhaite de toutes mes forces, c’est le rassemblement et le renouveau. Il y a là un alignement de planètes. Il y a là, avec la crise énergétique, une occasion historique de mettre en cause sur le fond les décisions prises contre nous et contre l’avenir commun. Alors oublions ce qui doit l’être, ¡ y adelante !

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Ci-dessous, en annexe, un mien article publié l’an passé


La grandiose histoire du démantèlement (nucléaire)

Paru le 4 août 2021

Brennilis ! En 1962, les amis si chers du Commissariat à l’énergie atomique (CEA) bâtissent en pionniers une centrale nucléaire 100 % française, au cœur des monts d’Arrée, en Bretagne. En 1985, on en commence le démantèlement. Coût prévu : 19,4 millions d’euros. Hi, hi ! Dans un rapport de 2005, la Cour des comptes relève le montant final à 480 millions d’euros, soit 25 fois plus.

Mais ce n’était rien. Le 15 juillet 2021, le département du Finistère crache une nouvelle estimation : ce sera 850 millions d’euros. Pourquoi pas le milliard ? Allons, ce sera pour la Noël. Et la fin des travaux est annoncée pour 2040, soit cinquante-cinq ans après leur début. On se moque, certes, mais le moyen de faire autrement ? À l’autre bout de la France, l’ancien réacteur Superphénix, qui promettait la lune, le soleil et cinq tonnes de caviar par habitant. Arrêté en 1997 sur ordre de Jospin, dans le cadre d’un accord Verts-PS, il est lui aussi en plein démantèlement.

Au moment de l’euphorie – 1976 –, nos grands experts parlaient d’un coût de 4 milliards de francs de l’époque. À l’arrivée, on s’approchait à petits pas de 30 milliards. À l’arrivée ? En 1998, le Sénat écrivait dans un rapport injustement oublié : « Le coût de construction et de fonctionnement de Superphénix a dépassé les estimations initiales. Dans son rapport de janvier 1997, la Cour des comptes l’a évalué à 60 milliards de francs. » Sans la déconstruction, cela va de soi.

14 tonnes de plutonium et 38 000 blocs de béton au sodium

Ah vacherie ! On parle au début, pour cette dernière, de 2,5 milliards d’euros (16,5 milliards de francs) et d’une fin de chantier en 2023. Mais en 2007, ce sera 2027. Faut les comprendre, les hommes de l’art : il reste alors dans l’engin 14 tonnes de plutonium et 38 000 blocs de béton au sodium.

Des centaines de prolos et de techniciens démontent, dévissent, déconnectent, déchargent du combustible irradié dans une saine ambiance : des inspections officielles montrent que le personnel, sur place, n’est pas formé aux situations d’urgence, et que l’organisation du chantier ne permet pas une intervention efficace des secours. EDF sifflote et promet.

En 2019, et c’est formidable, on s’intéresse à la cuve, qu’il s’agit de découper. Le couteau à beurre n’étant pas disponible, on envoie au front des robots, dont un certain Rodin. Damien Bilbault, directeur du site : « La cuve de Superphénix est la plus grande du monde. Les 20 cuves des réacteurs de 1 300 MW du parc français pourraient y entrer en volume. »

Et il ne faut quand même pas oublier, concernant la grande cuve, qu’il y avait deux bouchons à faire sauter. Croix de bois, croix de fer, tout sera achevé en 2030, mais pour plus de sûreté, on fait valoir qu’il existe une autorisation d’exploiter un site nucléaire qui court jusqu’en 2035. En juin 2021 – hourra la France ! –, on a réussi à retirer l’un des deux bouchons. Encore une poignée d’années, et la cuve sera entièrement débouchée. ­Champagne.

Combien faudra-t-il provisionner encore pour démanteler à peu près le site de Superphénix ? Secret d’État, mais Charlie révèle ici que cela coûtera bonbon. Or, et bien que la presse docile ne le dise presque jamais, le nucléaire est en faillite parce qu’il est une faillite. EDF a une dette estimée à 42 milliards d’euros – plus ? – et s’est trouvée obligée de réclamer une durée de vie de quarante ans pour ses vieilles centrales, au lieu de trente. Puis cinquante.

Il n’est qu’un avenir possible : les nouveaux réacteurs EPR. Mais les prototypes sont des gouffres sans fond, de la Finlande jusqu’à la Normandie, et ceux installés dans le paradis totalitaire chinois ont de sérieux soucis, bien planqués par la police d’État. Il va de soi que si le nucléaire était privé, il aurait déposé son bilan depuis de longues années. Mais comme le nucléaire est, depuis les origines, une entreprise publique, financée par la société, il va falloir songer à se cotiser. Roubles d’avant 1917, s’abstenir. ●

Pourquoi la France est-elle à ce point-là de droite ?

Je viens de lire un papier de l’hebdo libéral Le Point. C’est pas bien ? Aucun journal ne me convient, aucun ne me convainc, aucun ne provoque en moi l’une de ces étincelles qui, autrefois, révolutionnaient mon quotidien. J’apprenais qu’un coup d’État – juillet 1971 – avait eu lieu au Soudan, et j’étais triste pour la journée. Ou qu’un commando tupamaro, s’était emparé d’une ville entière d’Uruguay, avant de repartir sans une anicroche, et j’en étais heureux.

C’est le passé. Le Point, donc. Un papier comme tant d’autres de Sophie Coignard, qui note : « Toutes les enquêtes le prouvent, la France est à droite comme jamais dans son histoire ». Est-ce vrai ? Évidemment ! La Nupes, dont je rappelle qu’elle rassemble toute la gauche traditionnelle, n’aura obtenu qu’environ 12% des Français en âge de voter. Soit 88% qui n’ont pas choisi ses candidats. Si cela vous embête, trop, admettons qu’un quart des votants au premier tour des législatives ont voté pour la gauche. Ça change quelque chose ?

Pourquoi ? Oui, pourquoi cette embardée à droite, et à l’extrême-droite ? Il n’existe que des hypothèses, et le plus que probable est que de multiples phénomènes combinés expliquent tant bien que mal ce qui se passe sous nos yeux. On me permettra d’ajouter mon grain de sel. Je crois profondément que l’opinion française est travaillée comme jamais par l’angoisse. Une angoisse aussi diffuse que multiforme, dont je serais bien en peine de définir le cadre et ses limites.

Il n’empêche. Les générations d’avant étaient installées – de gré ou de force – et maintenues dans une société de classe. Avant la guerre en tout cas, peu de gosses d’ouvriers ou de paysans échappaient à un sort promis par celui de leurs parents. Les Trente Glorieuses – disons à partir de 1950 – ont créé un tourbillon social inédit. Le fameux ascenseur social a permis à des centaines de milliers de gosses pauvres de radicalement changer de direction. De devenir ce que je vomissais, moi, dans mon jeune temps de fils de prolo. C’est-à-dire des cadres de la société que j’appelais bourgeoise. Des collabos de la domination.

La crise a en bonne part ruiné l’édifice. Ils sont bien rares, les parents qui rêvent encore d’un meilleur avenir pour leurs enfants. Vous savez quand a commencé le chômage de masse ? En 1974, à l’époque où un Giscard d’Estaing président préférait parler d’un simple trou d’air. La disparition de millions d’emplois et l’installation de tant de gens dans une sorte de retraite plus ou moins définitive, ont rompu les os de notre société. Aujourd’hui, au fil des décennies, se sont ajoutées des questions apparemment sans solution : l’insécurité, le djihadisme, la numérisation du monde, l’immigration.

L’insécurité. Ce n’est pas une invention de la droite. Dans l’immeuble HLM de mon enfance, la porte restait ouverte jour et nuit toute l’année. Qui diable aurait pensé fermer ? Et celle qui donnait sur la cour, puis la rue, n’avait de toute façon pas de clé. Ce n’est pas une expérience isolée. Tous les gens d’un certain âge le savent. Le sentiment d’insécurité est aussi une grande insécurité. Qu’il soit fondé sur le roc ou plus fragile n’y change rien. Quand on ferme sa porte, on referme plus d’une serrure mentale. Juste un mot sur le terrorisme djihadiste, que des médias irresponsables ont contribué à mettre en scène. Non pas qu’il serait inexistant. Mais sa kalachnikov passe désormais avant tout autre information. C’est du délire. Mais ça compte dans la déréliction de tant d’esprits.

La numérisation du monde est une folie globale, mais ce n’est pas de ça que je souhaite parler. Non, je souhaite écrire que ce phénomène fulgurant laisse sur les bords de sa route des millions de naufragés. Des millions en France. Qui ne savent pas. Ne comprennent pas. Ou mal. Et qui n’osent en parler tant règne un discours univoque sur le “progrès” si manifeste qu’est Internet. Ils souffrent sans disposer du moindre relais d’opinion.

L’immigration. Faut-il rappeler que je suis depuis toujours un antiraciste incandescent ? Cela n’interdit pas d’écrire que l’immigration sème dans l’esprit de millions de Français un sentiment de peur, voire d’angoisse, voire de panique. Nul n’avait rien prévu quand des patrons sont allés faire leur marché de main-d’œuvre en Algérie, au Maroc, en Tunisie au début des années 60. Nul n’a rien prévu depuis. Et par exemple le fait évident que la numérisation a fait disparaître tant d’emplois peu qualifiés. Occupés jadis par les laissés pour compte. Une partie de la jeunesse immigrée – même si elle est parfois française – reste seule avec la drogue et ce fantasme de la richesse immédiate, alimentée en boucle par la télé, les réseaux sociaux et le net.

Toutes ces questions si mal appréhendées se mélangent, Dieu sait. Et font des ravages, Dieu sait. Mais il faut y ajouter désormais ce qu’on nomme l’éco-anxiété. Je rappelle un sondage – paru dans la revue The Lancet Planetary Health, une garantie – portant sur les jeunes de 10 pays du monde : Australie, Brésil, Etats-Unis, Finlande, France, Inde, Nigeria, Philippines, Portugal et Royaume-Uni. Eh bien, voici le résultat : « Les trois quarts des 16-25 ans dans dix pays, du Nord comme du Sud, jugent le futur « effrayant ». Vous avez bien lu : effrayant. Au Nord comme au Sud. Avant tout face à cette crise climatique qui ne fait que commencer.

Mon hypothèse principale est que cette terreur-là, ajoutée aux autres, travaille comme jamais la psyché humaine. Et qu’elle produit entre autres un désir d’ordre, ou au moins de sécurité. La droite est dans ce domaine imbattable, en tout cas pour le moment. Bien sûr, elle est incapable de régler quelque question que ce soit, mais elle peut au moins faire semblant. La gauche reste aux oubliettes, dans ce domaine comme dans tant d’autres.

Où veux-je en venir ? À cette antienne : il faut inventer des formes politiques nouvelles et abandonner sans remords toutes les autres. Mélenchon et ses amis-concurrents des Verts sont de très vielles personnes, à grand-peine peinturlurées. Ils me font penser, mutatis mutandis aux groupes d’extrême-gauche de l’après-68, qui ont totalement loupé la critique si féconde pourtant de la production d’objets, de leur consommation aliénée, du fric. Ils en tenaient pour des “héros” à peine sortis de leurs catafalques : Lénine, Trotski, Mao, Guevara.

C’est une règle sociale que bien des problèmes pourtant urgents soient considérés avec les yeux du passé. C’est ce qui se passe selon moi avec la Nupes, mais on n’est pas obligé de me croire. En tout cas, si l’on veut espérer faire bouger la société française dans la bonne direction – la société réelle, pas son fantôme mélenchonnien -, eh bien, cherchons ensemble comment l’assurer et la rassurer. Je sais à quel point notre temps est tragique, mais justement. Traçons des lignes, projetons-nous dans un avenir humain, malgré l’avancée apparemment irrésistible de la barbarie. Imaginons. Créons. Ouvrons sur une autre aventure, avec pour viatique et seul viatique ces deux mots : espoir et coopération.

Y a-t-il plus fou que la NUPES ?

! Qué me duele la cabeza ¡ Oui, que la tête me fait mal. Alors que le monde s’enfonce dans un chaos climatique sans issue apparente, ceux qui devraient être au premier rang avec moi préfèrent Der Rattenfänger von Hameln. C’est-à-dire, selon le célèbre conte des frères Grimm, le joueur de flûte qui conduisit à la rivière, où ils se noyèrent, les milliers de rats qui infestaient la vie quotidienne de la ville de Hameln.

On le sait, plus sûrement on l’a oublié, mais les habitants de Hameln refusèrent de payer la somme promise au musicien, et les conséquences en furent terribles. Je vois que les gens de la NUPES, ce rassemblement de gauche – PS, PCF, Verts – autour de LFI de M.Mélenchon, ne croient pas à la sagesse des histoires anciennes.

Deux mots suffiront ce soir. Un, la France est profondément de droite, et toutes les arguties mélenchonniennes n’y changeront rien. Rappel tout proche de nos mémoires : au premier tour de la présidentielle de 2022, Mélenchon a obtenu 7 712 520 voix sur 48 747 876 inscrits. J’y ajoute volontiers deux millions de Français en âge de voter qui ne votent pas, ou plus. Soit au total près de 51 millions de potentiels électeurs. Résultat : Mélenchon obtient un peu plus de 14% de la totalité, ce qui signifie tout de même que 86% des Français en âge de voter, malgré une campagne électorale vive et bien relayée par les télés, ne l’ont pas choisi. Et le calcul est à peu près le même pour la NUPES des élections législatives. Mélenchon nie ce qui est pourtant une évidence, car autrement, il serait contraint au retour dans le bac à sable, et il n’a plus le temps de jouer. C’est maintenant, ou jamais. Il lui faut contester le réel.

Deux, on ne peut être davantage à côté de la plaque. Le fol dérèglement climatique oblige, obligerait en tout cas à tout revoir. Et à mettre en cause la prolifération d’objets matériels et cette profonde aliénation par eux qui fait tenir le tout. Le problème est plus compliqué que dans les périodes précédentes, car le front de cette guerre décisive passe à l’intérieur de nous-mêmes, smicards compris. Or, et parce qu’il est l’homme d’un désespérant passé, Mélenchon et ses amis préparent une marche « contre la vie chère », au cours de laquelle on réclamera comme de juste plus de pouvoir d’achat, de manière à aggraver encore le dérèglement climatique. Si nous avions du temps devant nous, je me contenterais sûrement de commisération. Mais en ces temps si graves pour tous, je dois confesser que je les maudis. Que je maudis leur contribution nette – et elle est élevée – au désastre en cours.

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Un article mien publié en mai 2022

Comment parler aux smicards ?

Puisque c’est comme cela, parlons des législatives. Je me dois de préciser un point pour éviter des lettres pénibles de lecteurs. Je suis pour la distribution radicale des richesses, et il m’arrive de rêver encore d’un monde sans Dieu, ni César, ni tribun. Je me souviens très bien de ma mère, gagnant seule, pour elle et ses cinq enfants, quelque chose comme 800 francs par mois au début de 1968. Si donc quelqu’un a envie de me (mal)traiter, qu’il tienne compte de ces mots.

Et maintenant, voyons ensemble cette revendication de la gauche désormais unie : 1400 euros nets pour le smic mensuel. Qui pourrait être assez salaud pour écrire que c’est trop ? Hélas, le problème n’est pas celui-là. Du tout. D’abord, la question de la justice est universelle. Elle concerne aussi bien le sous-prolétariat français que les milliards de gueux de la planète, dont cette gauche ne parle jamais. Jamais. D’un point de vue planisphérique, les pauvres de chez nous sont les riches du monde. Ça embête, mais c’est un fait qui n’est pas près de disparaître. Que quantité d’immondes aient beaucoup, beaucoup plus, n’y change rien.

Donc, dès le premier pas, considérer le monde réel, et pas notre France picrocholine. Ensuite, réfléchir à cette notion largement utilisée dans les années 70, et malheureusement disparue : l’aliénation. Par les objets. Par la possession frénétique d’objets matériels qui déstructure l’esprit, rompt les liens de coopération, enchaîne dans une recherche jamais comblée de choses. Lorsque je tente de voir les êtres et leurs biens avec mes yeux d’enfant, je me dis fatalement que « nos » pauvres disposent de béquilles dont nous n’aurions jamais osé rêver : des bagnoles, des ordinateurs, des téléphones portables. Moins que d’autres ? Certes. Mais cette route n’en finira jamais.

À quoi sert de distribuer de l’argent dans une société comme la nôtre ? Même si cela heurte de le voir écrit, une bonne part de ce fric irait à des objets ou consommations détestables, qui renforcent le camp de la destruction et du commerce mondial. Qui aggravent si peu que ce soit le dérèglement climatique. Je crois qu’on devrait proposer tout autre chose. Un gouvernement écologiste, pour l’heure chimérique, s’engagerait bien sûr auprès des smicards.

Il s’engagerait aussitôt, mais en lançant un vaste plan vertueux. On créerait un fonds abondé sur le coût pour tous des émissions de gaz à effet de serre. L’industrie paierait, mais aussi le reste de la société, à hauteur des moyens financiers, bien sûr. Ce fonds garantirait à tous les smicards – et donc à leurs enfants – l’accès permanent à une alimentation de qualité, bio, locale autant que c’est possible. À un prix décent, c’est-à-dire bas.

Ce serait un merveilleux changement. La santé publique en serait sans l’ombre d’un doute améliorée. L’obésité, cette épidémie si grave, régresserait fatalement, ainsi que le diabète et tant d’allergies. Quant à l’industrie agroalimentaire, elle prendrait enfin un coup sérieux. Au passage, une telle volonté finirait par créer des filières économiques solides et durables. Car à l’autre bout se trouveraient des paysans. De vrais paysans enfin fiers de leur si beau métier. À eux aussi, on garantirait un avenir.

Parmi les questions les plus graves de l’heure, s’impose celle de la production alimentaire. Tout indique que les sols épuisés de la terre ne suffiront pas longtemps à (mal) nourrir le monde. La France, qui fut un très grand pays agricole, se doit d’installer de nouveaux paysans dans nos campagnes dévastées par la chimie de synthèse et les gros engins. Combien ? Disons 1 million. Ou plus. Le temps d’un quinquennat. C’est ainsi, et pas autrement qu’on aidera à faire face à ce qui vient et qui est déjà là. Le dérèglement climatique est une révolution totale.

Pour en revenir aux smicards, qui souffrent je le sais bien, sortons ensemble des vieux schémas. Inventons ! Faisons-les rentrer en fanfare dans cette société qu’ils n’auraient jamais dû quitter. Mais pas au son de la frustration et des sonneries de portables.