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Mes si chers amis d’ici et d’ailleurs

(à propos de la tuerie du 7 janvier dans les locaux de Charlie Hebdo)

Je vais aussi bien que possible dans une telle situation. Après une grosse perte de sang, deux transfusions et une opération longue, retour au calme. J’ai reçu des balles dans chacune de mes jambes, j’ai une plaie à la hanche et une autre à l’épaule. Et pas mal d’éclats dans le corps, qui n’en repartiront pas. Ils rejoignent ainsi l’éclat d’une bombe fichée dans mon pied gauche depuis le 29 mars 1985. Ce jour-là – fatalitas ! -, j’ai été victime d’un attentat au cinéma parisien le Rivoli-Beaubourg.

Retour au présent : à la vérité, je n’ai vraiment recommencé à écrire un peu que ce 15 janvier 2015. Et je n’ai pu parcourir mes mails que ce même jeudi, huit jours après la Grande Tuerie. J’ai reçu pour l’heure près d’un millier de messages par toutes les sources possibles, et le bien que m’ont fait  ceux que j’ai pu lire – une cinquantaine – défie déjà tout commentaire. Je vous le demande sans fausse honte : continuez ! Oh oui, continuez ! La quasi-totalité expriment une chaleur et une amitié dont j’ai désormais un besoin quotidien.

Je n’ose penser

Coupé de l’extérieur – sans journaux, longtemps sans télé ni téléphone -, je ne sais que les très grandes lignes de ce qui s’est passé. Ce qui suit pourrait donc tomber à plat, mais dans ce cas, vous me pardonnerez. Première évidence : la réaction si spectaculaire de la société française est évidemment un puissant baume pour les blessures du corps et de l’âme. Je n’ose penser à mon état si les manifestations de solidarité n’avaient rassemblé que quelques milliers de personnes.

Bien entendu, à cette hauteur de mobilisation, le malentendu est partout. Des gauchistes antisionistes ont défilé avec des Juifs à Kippa, des pieux musulmans avec des cathos anti-mariage gay, des sarkozystes et des zemmouristes avec des mélenchonistes. Et c’est vraiment ce qui pouvait arriver de mieux. Un tel déferlement crée nécessairement un substrat, au sens agricole, un compost sur lequel pousseront les réponses que nous saurons formuler ensemble.

Nul ne peut connaître le résultat de tels ébranlements, qui touchent à l’intime des cœurs. Mais on peut du moins dire que sans ces fondations, sans cette fondation, rien n’aurait pu germer demain sur la terre dévastée de ce si petit pays de France. Nous sommes désormais face à une possibilité. Ce qui fait peu, mais surtout beaucoup.

Les contours du Grand Partage

Vous le savez, je tiens la crise écologique, si dramatique, comme le cadre neuf dans lequel penser notre avenir commun, aussi compromis qu’il puisse paraître. Sous ma plume, il ne s’agit pas d’une formule, mais d’une conviction définitive. Elle implique, et je ne vais pas plus avant sur ce terrain instable, une politique révolutionnaire.

Et démocratique, cela va de soi. Il faut définir les contours du Grand Partage. Partage de l’espace et des ressources, évidemment. Mais à condition d’y inclure nos frères les animaux, dont le sort maudit ne cesse d’aggraver celui de la psyché humaine. Hors ce cadre-là, selon moi, il ne peut y avoir que ravage, destruction du monde, mortels affrontements.

Depuis que je suis hospitalisé, et dès que j’ai pu m’adresser à mes soignants, je me suis mis à parler. Ceux qui me connaissent savent qu’il s’agit chez moi d’une maladie chronique, qui ne disparaîtra qu’à ma mort. La plupart, depuis les aides-soignants jusqu’aux chirurgiens, passant par les infirmières – et infirmiers – m’ont paru admirables. Écrivant cela, je ne veux pas les désigner comme des êtres hors du commun. Ils ne le sont pas.

Le bonheur des nuits d’insomnie

Mais leur comportement réel, dans le quotidien sinistre des services de réanimation, montre qu’il est possible de vivre comme des hommes, dans le respect de ces valeurs essentielles sans lesquelles la vie perd à jamais ses repères. J’ai été heureux, au milieu des nuits de l’insomnie, de parler de la campagne d’avant du côté de Monpazier (Périgord), du sort des cités oubliées dans tant de villes détruites, de mes copains d’enfance et d’adolescence – Arabes, Juifs, Portugais ou Blacks – de Villemomble, Montfermeil, Noisy-le-Sec, Gagny, Bondy. La Seine-Saint-Denis de jadis annonçait la suite, sans que nous en ayons la moindre conscience.

Mais j’ai aussi suivi comme un cours accéléré d’écologie, au sens que je donne à ce mot transformateur. À propos du crime global qu’est l’agriculture industrielle, des folies de l’agroalimentaire, des délires de la chimie de synthèse, de ces maladies créés par l’exposition à tant de toxiques, du terrifiant problème posé par le stress hydrique – une raréfaction des ressources en eau -, du climat.

Le monde inquiet des questions angoissées

Je vous le jure : j’ai davantage écouté que parlé. Car ce sont eux qui racontaient, montrant à quel point la société française sait être loin des misérables clichés déversés chaque jour par ses « élites » politiques et médiatiques. Il existe un espace inexploré, considérable, où de  nouvelles questions, centrales, pourraient enfin être débattues. En somme, ces quelques urgentistes rencontrés ici m’ont paru comme les représentants d’un monde inquiet, qui cherche des réponses à des angoisses désormais évidentes.

Et c’est bien pourquoi je vomis notre classe politique. Aucun de ses membres ne saura se mettre au service de notre peuple et de l’humanité. Chacun joue sa partition attendue. Hollande prend la voix grave, espérant regagner quelques points de popularité, ce qui est d’ores et déjà acquis. Sarkozy, fidèle d’entre les fidèles à lui-même, essaie de se placer sur la photo. Valls peaufine son personnage bien connu de Clemenceau.

La plus merveilleuse des nouvelles

Et pourtant, l’espace existe. Il n’y a aucun doute qu’un politicien qui romprait avec l’ancien crèverait le plafond, et l’écran. Je vous parlais à l’instant de compost. Le soulèvement moral de notre peuple – pas tout le peuple, ne délirons pas – est la plus merveilleuse des nouvelles. Ce mouvement des profondeurs ne saurait disparaître tout à fait, et il ne pourra, en toute hypothèse, conserver des formes aussi belles. Considérons que s’est ouverte une fenêtre, que des forces hostiles tenteront de refermer au plus vite. Ce serait donc l’heure idéale du tournant, mais je redoute que l’occasion historique d’avancer dans la seule direction possible – la fin de la tragédie écologique – ne soit encore gâchée par la petitesse des idées et des caractères.

Malgré cela, avançons, mes si chers amis. Premier impératif catégorique : luttons contre toutes les formes de régression, au premier rang desquelles le racisme, qui trouvera là de primordiales raisons de flamber. Sur ce terrain si difficile, parlons à tout le monde, sans exclusive, car le feu est aux portes. Cela signifie pour moi rechercher l’unité la plus large, y compris – par définition – avec des groupes et personnes éloignés du combat pour la vie.

Et nous fûmes 100 000 en arrivant aux portes

Parallèlement – et en même temps –, considérons avec ceux qui le souhaitent la stupéfiante gravité de la crise écologique mondiale. Dans ce cadre très général, il faudra tout à la fois ouvrir en grand nos yeux, nos oreilles et notre cœur. Jamais la situation n’a été aussi favorable à notre cause, et il me semble possible de réunir à terme, dans un réseau dense, 100 000 d’entre nous. Ce serait un véritable tsunami. Une telle masse critique pourrait entraîner dans une autre direction la société tout entière. Vous n’y croyez pas ? Moi, si.

Franchement, qui aurait pu imaginer cette « insurrection des consciences » réclamée depuis si longtemps par mon cher grand ami Pierre Rabhi ? Qui ? Personne. Nul ne savait qu’il existe encore dans ce pays une société vivante et fraternelle. Amorphe en apparence, gorgée de pub et de télé, se battant à l’occasion pour un téléphone portable, obsédée par les écrans plats et les bagnoles dernier cri, la France vient de montrer le visage du bonheur commun. À la stupéfaction générale. La tragédie qui nous a frappés a réussi l’impossible : créer de l’harmonie avec les gestes et les mots de millions de personnes anonymes. Le grand fleuve rentrera dans son lit, mais on se souviendra que la crue régénératrice n’est jamais loin de l’étiage.

La meilleure part de nous vient de montrer ce qu’était la beauté. Ce qu’était la Beauté.

PS :  Comme vous l’imaginez, j’enterre mes morts. Cela me prendra bien des mois. J’aimais personnellement certains des assassinés. Je clame à toutes les familles de tous les disparus que je les serre contre ce qui me reste de cœur.

Mais j’oubliais le Loup

Eh oui, absurdement, j’ai oublié de compter notre Loup parmi les grands combats de cette année 2015. Un combat très difficile, qui ne trouvera guère d’alliés sur la route. Mais que vous dire ? Cette grande bataille est belle, somptueuse même, et grandira tous ceux qui y participeront du bon côté de la barricade. Car il y a barricade. Et les autres vieilliront, et mourront avec une photo de loup braconné au-dessus de leur lit de subclaquant. Une autre manière de vous dire que défendre la présence de loups en France, 100 ans après leur extermination barbare, c’est être heureux. Et vivant encore.

Une certaine année 2015

Je serai bref : le meilleur. Le meilleur pour vous et les vôtres, même si je n’ai pas la possibilité d’exaucer de pareils vœux. Et que cette année soit de victoires. Il n’y a aucun doute que les mois qui suivent seront décisifs pour Notre-Dame-des-Landes – ce foutu projet d’aéroport – et quantité d’autres stupidités, dont le barrage de Sivens et le Centers Park de Roybon, en Isère.

Si même nous gagnions, il ne s’agirait certes que d’un sauvetage dérisoire. Celui d’une fraction infime de ce que la machine détruit chaque jour. Mais si nous devions perdre, ce serait le signal, pour tous les barbares, qu’il n’existe plus de barrière à leur appétit de mort. Nous n’avons donc pas le choix : il faut se battre.

Un grand salut à tous, d’amitié et d’affection.

Absent pour quelques jours

Je m’en va. Je ne suis déjà plus derrière mon écran pour quelques jours. Si je ne peux écrire d’ici là, je vous souhaite évidemment un bon Noël. J’avais envisagé l’an passé de me déguiser en qui vous savez, avec houppelande et compagnie, et puis j’ai renoncé. Cela dit, il me reste encore quelques jours pour trouver un traîneau. Je vous tiens au courant.

Pendant mon absence, les commentaires ne pourront évidemment pas apparaître seuls. Mais je m’en occuperai dès que possible. Salut et fraternité.