Archives mensuelles : novembre 2008

Sarkozy dans le rôle du pétomane (suite)

Je vous ai déjà fait le coup en septembre (ici) : Sarkozy, dans le rôle de réformateur du capitalisme financier, est digne grand comique Joseph Pujol, mort en 1945. Celui qu’on appelait le Pétomane savait jouer du flutiau en contractant ses intestins. Essayez, si vous croyez cela facile.

Sarkozy est digne du héros, j’y insiste. Je lis ce jeudi, dans Le Canard Enchaîné, un papier magnifique sur deux amis de notre président chéri, Albert Frère et Paul Desmarais. Le premier est Belge, le second Canadien, et les deux sont richissimes. C’est-à-dire, je précise pour les sourds et les malentendants, pleins de fric, tellement pleins de fric qu’ils ne savent plus quoi en faire.

Mais, bien sûr, je galèje. Car ces gens-là savent toujours. La preuve par Frère et Desmarais. Profitant de l’état pâlichon de la Bourse parisienne, nos deux braves entrepreneurs achètent à tour de bras des actions dévaluées. Ils ont aujourd’hui 22,1 % de Lafarge – pensez aux dunes de Gâvres (ici) ! -, 6,8 % de Total – pensez à l’Érika ! -, 7,1 % de Suez Environnement – pensez aux incinérateurs géants – et 5,2 % du chimiste Arkema, spécialiste des pesticides, PVC et autres plaisantes babioles.

Il ne m’est pas désagréable d’écrire ici que notre bon maître à tous se moque ouvertement de nous. Non, ce n’est pas si désagréable.

Écran plat et tête creuse (sur la télé)

Ce sera très vite envoyé. Soit un projet européen appelé Remodece (Residential Monitoring to Decrease Energy Use and Carbon Emissions in Europe). Soit une étude menée dans le cadre de ce projet (ici, et ici).

Elle révèle, au milieu d’autres réjouissances, que notre main droite, comme de juste, ignore tout de ce que fait notre main gauche. D’un côté les proclamations, les bons sentiments, les Grenelle de l’Environnement, les blagues à deux balles sur la « révolution écologique » en marche, etc. Et de l’autre, la réalité.

La réalité, mes pauvres et chers amis, c’est qu’entre 1995 et 2007, la consommation électrique moyenne d’un téléviseur est passée de 140 kwh/an à 307 kwh/an. Cela fait 119 % de plus en douze années. À ce rythme, calculez, je vous prie, le moment où nous considérerons avec sérieux la crise climatique. 1995, c’était deux ans avant le grand raout de Kyoto, où les démocrates américains chers au cœur de certains sabotèrent le (si) peu qui fut envisagé. 1995, c’est l’année de l’élection de notre grand écologiste intergalactique, Jacques Chirac. Deux ans avant la nomination de Jospin au poste de Premier ministre.

Et ainsi de suite, ad nauseam. L’écran à cristaux liquides  (ou LCD pour liquid crystal display) est un ennemi de l’homme et même de la vie, mais il est si joli dans le salon que l’on ne va tout de même pas y renoncer. Si ? Non. « La consommation d’un téléviseur ordinaire est en moyenne de 160 kWh par an. Avec les plasma ou les dalles LCD, on grimpe à 650 kWh/an. Donc ces nouveaux téléviseurs consomment 4 fois plus »  (Olivier Sidler ici).

J’ajouterai bien volontiers que la télévision rend affreusement con. Je sais de quoi je parle, car j’ai tété cette saloperie au biberon intensif pendant tant d’années que j’en suis encore malade à l’heure où je vous écris. Pour ce qui me concerne, c’est simple : pas de ça chez moi. Jamais plus !

Quand Laurent Joffrin déconne à pleins tubes

Attention, les mots qui suivent n’ont rien à voir avec la crise écologique, objet plus qu’essentiel de ce rendez-vous. Ce n’est qu’un coup de gueule, un cri de rage contre Laurent Joffrin, directeur du journal Libération.

Je lis avec vous la une de Libé du mercredi 12 novembre 2008. Surtitre : Sabotages du réseau TGV. Titre : L’ultra gauche déraille. Et c’est à cet instant précis que mon titre prend son sens : oui, Laurent Joffrin déconne, et à plein tubes. Je ne le connais ni ne l’ai même jamais vu. Et j’ajoute que je le vise là en tant que responsable du journal. Il est bien possible qu’il n’ait joué aucun rôle dans cette insupportable désinformation. Peut-être était-il à l’étranger ou au lit ou au restaurant.

Il n’importe. Son journal a donc accusé un courant politique sur la foi des seules affirmations policières, aussi solides, on le sait, que le béton des fers utilisés contre les lignes du TGV. Je ne suis pas d’ultra gauche, certes non. Et ceux qui ont jeté des plaques sur les voies, au risque de faire dérailler un train, sont de sinistres brutes. Mais cela n’excuse pas Joffrin.

Ce Libération-là a été bouclé hier vers 22 heures, quand la plus extrême prudence s’imposait évidemment. Ce mercredi soir, vers 19 heures, le site de l’Express publiait au reste un papier au titre limpide : Prudence judiciaire dans l’enquête sur les sabotages à la SNCF (ici). Mais qu’en a donc à faire le grand journal de gauche que plus personne ne nous envie ?

PS1 qui n’a pratiquement rien à voir : en février 1984, Antenne 2 – son nom, je n’y peux rien – proposait une grande émission entre politique et désordre mental. Sous le nom générique de Vive la crise !, on y entendait ce pauvre couillon d’Yves Montand vanter les mérites de ce qu’on appellerait plus tard le libéralisme. Le capitalisme, quoi. Et Joffrin, journaliste au service Économie de Libération – qui s’était fendu d’un hors-série Vive la crise ! pour l’occasion – avait joué un rôle central dans la mise en boîte de l’émission. Interrogé d’ailleurs par Joffrin et July pour ce hors-série, Montand déclarait tout de go qu’il était « de gauche tendance Reagan » et qu’il attendait un « capitalisme libéral ». Être de gauche, pour ces excellentes personnes-là, c’était soutenir Tapie et briser les reins des pauvres. Ce qui fut d’ailleurs réalisé.

Il n’est pas exagéré d’écrire que cette émission de merde est une butte-témoin. Comme le tournant dit de la rigueur en 1983. La fin d’une illusion. Le début des folles années de la spéculation, de la Bourse, du déchaînement de la destruction. Dans un éditorial, Joffrin écrivait sans gêne : «De l’Etat, encore de l’Etat, toujours de l’Etat. Relance, nationalisations, impôts nouveaux, plans industriels : tout allait à l’Etat, tout y revenait. Mais tout a raté, ou presque. Dans les douze mois qui ont suivi cette année illusoire [ 1981], il a fallu brûler à la sauvette ce qu’on avait adoré ».

Cela n’a rien à voir avec le titre de ce matin ? P’t-êt’ ben qu’oui, p’t-êt’ ben qu’non. On fait comme on veut.

PS 2 : Je vous donne l’adresse où l’on peut lire la prose d’un type en cabane depuis des mois. Assurément un partisan de cette ultra gauche que Libération vomit, bien que ce journal soit né des pires sornettes de cette Gauche Prolétarienne où Serge July pourfendait sans état d’âme le notaire (désolé pour les non-initiés). Je ne connais pas Juan, mais il a le droit à la parole, ce me semble : ici.

La réponse est oui (sur la famine, sur l’Afrique, sur Bill Gates)

Vous le savez peut-être, et même probablement : la crise alimentaire mondiale a fait passer le nombre (officiel) des affamés de 854 à 923 millions. Mais ces chiffres sont vieux comme la mort elle-même. La Banque mondiale prévoit pour cette année 44 millions de ventres creux supplémentaires. On en sera donc à 967 millions.

Et pourtant, elle tourne ? Oui, mais dans le mauvais sens. Rien n’effacera jamais l’infamie des derniers mois. Rien. Quand la crise financière n’avait pas encore vidé le bas de laine de ceux du Nord – nous -, nos sociétés faisaient la sourde oreille au cri des gueux. La France aura accordé autour de 900 millions d’euros d’aides fiscales à la criminelle industrie des biocarburants, pour la seule année 2008. Vous le savez si vous me connaissez un peu : qui soutient l’usage de plantes alimentaires pour faire tourner un moteur est un salaud. Un pur salaud.

Comparons ces 900 millions d’euros – pour la seule France – avec les promesses de toute l’Union européenne (UE), faites en avril 2008. En ce printemps maudit, les émeutes de la faim explosaient d’un bout à l’autre de la planète, et il fallait bien montrer son humanisme, n’est-ce pas ? L’UE avait en sa grande générosité débloqué en urgence 182,21 millions de dollars, qui s’ajoutaient aux 258 millions de dollars déjà promis. L’Europe démocratique envisageait donc de « donner » un peu plus de 440 millions de dollars à la misère du monde. Une misère, certes.

En juillet, la crise alimentaire s’aggravant chaque jour, l’UE portait son engagement à un milliard d’euros, à peine plus que les seules aides française aux biocarburants, qui ont été l’allumette jetée dans le baril de poudre. Mais même cela, elle ne l’aura pas fait. Avant-hier, lundi 10 novembre 2008 (ici), le commissaire européen au Développement a simplement dénoncé les subterfuges des bureaucrates qui nous représentent à Bruxelles. Des ruses pour ne pas payer. « Ce petit milliard d’euros est confronté à toutes sortes de prétextes institutionnels », a-t-il notamment déclaré.

Un milliard d’euros pour 27 États de l’Union, qui ne vient pas. Et 360 milliards d’euros pour la seule France, destinés à sauver de sa propre gabegie le système bancaire et ses parachutes dorés, qui seront eux trouvés. L’histoire de ce jour pourrait s’arrêter là, mais je viens de lire un article écrit depuis Shanghai (Chine) par deux journalistes du Washington Post, Ariana Eunjung Cha et Stephanie McCrummen (ici, en anglais).

Il est vraiment remarquable, car il raconte ce qui se passe, chose devenue rare dans les journaux. Je ne peux le résumer, sauf sur un point clé. La baisse des prix alimentaires, liée en partie à la crise financière – et aux bonnes récoltes annoncées en 2008 – ne règle rien. Au contraire ? Peut-être. Les deux journalistes relient par un fil précieux la politique chinoise et le sort du paysan kényan.

Pour protéger ses intérêts menacés par l’effondrement boursier, la Chine a commencé de prendre de fortes mesures protectionnistes. Elle qui exportait massivement des engrais dans les pays du Sud, vient d’imposer des taxes sur les ventes à l’étranger qui vont de 150 % à 185 % du prix de départ. Les engrais ne sortiront donc plus. Et le Washington Post constate les effets de cette décision au Kenya, où les paysans réduisent massivement leurs plantations. Le sac d’engrais est passé à 38 euros en quelques semaines.

Ce n’est qu’un élément d’un puzzle planétaire dont personne ne voit la totalité. Et qui me fait penser à l’indigence intellectuelle – et intrinsèque – des humains, de tous les humains. Quand la morue a disparu de Terre-Neuve pour cause de surexploitation manifeste, les autorités canadiennes ont décrété un moratoire, en 1993. Et ont attendu que les populations se reforment gentiment. Nous sommes en 2008 et la morue n’est pas revenue, car la totalité des écosystèmes sous-marins de la zone ont été bouleversés par la disparition d’un animal haut placé dans la chaîne alimentaire. Les niches écologiques libérées ont été occupées, et la situation qui prévalait ne reviendra pas.

De même pour le climat, ce diable sorti de sa boîte, et qui n’y retournera pas de sitôt. La crise alimentaire mondiale est une illustration de plus de la facilité avec laquelle l’humanité verse dans la pensée mécanique. On a faim ? On aide, en attendant que le marché rétablisse l’équilibre. En oubliant qu’un équilibre de cette taille et de cette complexité ne se rompt pas comme on coupe une tranche de pain. Des boucles de rétroaction tous azimuts se sont déployées à la surface de la terre, pour le très grand malheur de nos frères du Sud.

Je tire les phrases suivantes d’un article du Monde, paru le 15 octobre passé : « Cette aggravation de la sous-alimentation n’est peut-être qu’un début. “Ce que nous avons vécu cette année, avec les émeutes de la faim, n’était pas une crise, mais une alarme. Si crise alimentaire d’ampleur mondiale il y a, elle est devant nous”, estime Abdolreza Abbassian, économiste à la FAO. Car les marchés agricoles restent tendus, et la crise financière risque d’aggraver la situation ».

Vous ne rêvez pas. Nous n’allons pas vers les beaux jours des ventres rebondis. Oh non ! Dans ce même Kenya où les paysans vont droit au mur, la fondation Rockefeller finance une structure appelée African crops (ici). Laquelle souhaite entre autres diffuser des « connaissances » sur l’intérêt de nouvelles variétés. Et donc, bien sûr, lutter contre la faim. Mais ce n’est pas tout, car Bill Gates a lui aussi sa fondation, plus puissante, bien plus puissante que celle de Rockefeller.

Rassurez-vous, ils s’aiment. Et les deux monstres humanitaires soutiennent l’idée superbe d’une Alliance pour une révolution verte en Afrique (Agra) dotée dans un tout premier temps de 150 millions de dollars (en français, ici). Je traîne comme un boulet ma réputation de pessimiste, mais j’assume. La crise alimentaire mondiale, le désastre en cours, le malheur universel ouvrent un boulevard à l’industrialisation de l’agriculture africaine, OGM compris. Ce n’est pas un complot, c’est une logique.

Hommage (vrai) à Nicolas Sarkozy

Il n’est pas drôle, ce jour où je félicite sincèrement Nicolas Sarkozy. Il n’est pas drôle, mais il m’engage bel et bien. Venu au fort de Douaumont ce 11 novembre 2008, notre président a rendu hommage aux morts de l’insupportable guerre qui a ravagé l’Europe entre 1914 et 1918. Ce grand massacre est le symbole même du désordre mental et spirituel qui rend la crise écologique si difficile à concevoir et à combattre.

Ce n’est pas seulement l’Europe qui a sombré il y a 90 ans, mais une certaine idée de l’homme. La guerre totale lancée en septembre 1914 a été avant tout une folie intégrale, dont nous ne sommes évidemment pas sortis. Je suis donc heureux que Sarkozy ait déclaré ce matin, à propos des 675 fusillés de la guerre, sous l’uniforme, pour cause de désertion, mutinerie ou refus d’obéissance :  « Je penserai à ces hommes dont on avait trop exigé, qu’on avait trop exposés, que parfois des fautes de commandement avaient envoyés au massacre, à ces hommes qui n’ont plus eu la force de se battre ».

Je n’oublie rien de ce que j’ai écrit de Sarkozy. Rien de ce que je pense de lui, que je juge désastreux. Rien, on s’en doute. Mais enfin, ces mots sont bienvenus.