Archives mensuelles : novembre 2008

For President (et vivement ce soir qu’on se couche)

Alors, heureux ? Même si je fumais des Marlboro au lit, j’aurais du mal à répondre oui. Il va de soi, réellement de soi, que la défaite en rase campagne de McCain – l’homme des bombardements sur les civils de Hanoï – et de Palin – ennemie mortelle de la nature et de la vie – est une bonne nouvelle. J’aurais eu le plus grand mal à supporter leur élection.

Mais pour le reste, non, je ne suis pas heureux. Obama, sympathique,  talentueux, et même Noir si je ne me trompe, est évidemment l’homme du système. Où pensez-vous qu’il aura récolté les 650 millions de dollars réunis depuis janvier 2007 ? Cette somme énorme vient en grande partie de fonds privés, car Obama a refusé, comme la loi le lui permet, toute aide publique. De la sorte, il est libre de recevoir ce qu’il veut, autant qu’il veut.

Je vous le dis sans détour : on ne trouve pas 650 millions de dollars en faisant la manche dans le métro. Seule l’industrie peut engager de tels frais, qui appellent à coup certain un retour sur investissement. On en reparlera, mais gardez cela dans un coin de votre tête. Pour le reste, je ne vais pas détailler la vision qu’a Obama de la crise écologique. Ce serait d’ailleurs vite fait, car à ses yeux, elle n’existe pas. En excellent Américain qu’il est, il pense qu’il n’existe pas de vrais problèmes, seulement des solutions.

Dont les biocarburants, cette idée atroce qui consiste à utiliser des plantes alimentaires pour faire rouler des SUV, les 4X4 de monsieur Schwarzenegger. En ce domaine, Barack Obama est un militant, qui a promis de créer la première station essence permettant de transformer l’éthanol, venu du maïs, en hydrogène. Vive les énergies renouvelables ! Il est vrai que l’Illinois, État où Obama est sénateur, fait partie de cette Corn Belt – la ceinture de maïs – où l’on produit massivement de l’éthanol.

Logique d’airain : Obama est pour le maintien des subventions fédérales aux producteurs d’éthanol de maïs et contre l’allègement des barrières douanières sur l’éthanol brésilien. On appelle cela du protectionnisme, non ? Que meurent les pauvres du Sud, et que vivent les paysans industriels qui changent le maïs en carburant ! C’est beau, aussi beau que la mort. J’ajouterai que selon le New York Times, nombre des conseillers de l’équipe Obama sont consultants ou administrateurs de l’industrie américaine de l’éthanol. Le nouveau président a même utilisé un jet privé fourni par Archer Daniels Midland, transnationale du secteur (ici, l’article en anglais).

Allez, fini. Ce n’est qu’une convention, vous vous doutez. Car le sujet, plus généralement, mériterait un livre. J’ai une claire conscience que (presque) personne n’a envie de lire les lignes qui précèdent un jour comme celui-là. Mais je dois ajouter que je m’en fous. Que chacun fasse comme il veut, comme il peut. Je conclurai par un pied de nez qui ne peut qu’aggraver mon cas. On a beaucoup rapproché Obama du Roosevelt du New Deal. Oubliant au passage l’ineptie de cette soi-disant comparaison. La crise de 29, en comparaison de ce qui vient, était un friselis à la surface d’une mare. Puis, Roosevelt a en effet pris des positions meilleures que bien d’autres à la même époque. Mais sans parvenir à empêcher le pire de se produire en Europe entre 1933 et 1945. Encore a-t-il – peut-être – eu recours à une ruse renversante, à Pearl Harbor, pour parvenir à lancer l’Amérique dans la guerre à mort contre le fascisme.

Ajoutons qu’alors, l’ennemi était désigné. Pas forcément bien analysé, mais en tout cas connu, et désigné. Tel n’est pas le cas de cette guerre écologique qui dévaste la planète. Obama n’a pas la moindre idée générale de ce qui se passe, et n’engagera donc pas les États-Unis dans l’immense combat qui nous attend. Il fera mieux que les Républicains, pensez-vous ? Et alors ? Imaginez qu’un psychopathe s’empare de cinquante otages dans une banque et les tue un à un avant que la police ne puisse intervenir. Quand elle y parvient enfin, elle flingue sans ménagement le braqueur fou. Et l’on voit au journal télévisé du soir le sénateur du coin annoncer fièrement que pas un centime n’a pu être emporté, et que le coupable a été châtié. J’espère que vous avez reconnu Obama en action.

Bienvenue au pays des paysans (Chewa, Chichewa, Malawi)

Avant de vous raconter ce qui est peut-être une formidable nouvelle, je dois évoquer en quelques mots le Chewa. Je vois que cela ne vous dit rien – pardonnez, je devine à distance – et je vais donc m’expliquer plus avant. Le Chewa, autrement appelé le Chichewa, c’est le Malawi. Et tout le monde se contrefout de ce pays d’Afrique, je vous l’accorde.

Pour commencer, il est impossible. On dirait une crotte de nez jetée entre Zambie, Tanzanie et Mozambique. On appelle cela un territoire enclavé, sans aucun accès à la mer. Pour comble, il figure un serpent long de 900 km, effilé, dont la largeur varie entre 80 et 150 km. Quelle surface ? Aux dimensions de l’Afrique, mieux vaut en rire : 118 484 km2, soit un gros cinquième de notre douce France. Et j’ajoute que le quart du territoire est constitué de lacs prodigieux, mais où il est difficile de planter sa houe. Le lac Malawi, qui court sur une grande partie de la frontière Est du Chewa, fait 580 km de long.

Sera-ce tout pour ces messieurs-dames ? Non pas. Au Malawi, on claque des dents depuis bien longtemps. Trop de gens y habitent – 11 millions en 2001, peut-être 13 aujourd’hui – et trop d’infernales sécheresses ruinent chaque fois un peu plus son agriculture. En 2005, l’eau a manqué comme jamais, et le gouvernement a été contraint d’importer en urgence 400 000 tonnes de maïs. Un coût géant pour un si petit pays.

La suite nous est racontée par une journaliste locale, Catherine Riungu (lire ici, mais en anglais). Je dois préciser, par précaution, que je n’ai aucun moyen de vérifier. Et que le Malawi est un pays étrange où la langue officielle, celle du Parlement comme celle de la justice, est l’anglais, que ne parlent qu’une partie des politiciens et des juges, et pas le peuple. Le premier président du pays, Hastings Kamuzu Banda – au pouvoir de 1966 à 1994… – ne parlait que la langue du colonisateur, et devait utiliser les services d’un interprète pour parler à ses « sujets ».

Bon, assez dénigré. Riungu. Elle raconte qu’après la sécheresse de 2005, le gouvernement local a envoyé promener ceux qu’on appelle les « bailleurs de fonds », ces institutions financières qui imposent leur loi aux pauvres, avec les résultats prodigieux qu’on commence à entrevoir. Une mention pour le FMI, dirigé par notre grand ami socialiste DSK ( pour rappel, ici).

Donc, aux pelotes. Le gouvernement de Lilongwe  – la capitale – décide de subventionner ses paysans. Une folie dans un monde où il ne faut surtout pas aider l’agriculture vivrière, qui rapporte si peu aux truands d’ici et de là-bas. N’importe : des subventions massives. Soit 53 millions d’euros sur une année, distribués, officiellement du moins, à 1,5 million de paysans sous forme d’engrais et de semences. La production de maïs double. Double. Peut-on imaginer ?

Depuis, les aides sont passées à 106 millions d’euros par an. Et 14 % du budget national seraient consacrés à l’agriculure. Si tel est le cas, le Malawi est unique en Afrique, et mérite le premier prix Nobel de la paix jamais décerné à un pays. Le président en place serait derrière ce stupéfiant défi à l’ordre du monde. Je vous donne son nom, à tout hasard : Mbingu wa Mutharika. Selon Catherine Riungu, cet homme est fier du travail accompli, et se laisse aller à des phrases dont nous ne savons plus la signification. Il a ainsi déclaré, tout récemment :  « You cannot be proud if you cannot feed your family; everybody looks at you with pity ». Et, oui, c’est l’évidence même : si l’on ne peut nourrir sa famille, on ne peut pas être fier. Et les autres vous regardent avec commisération.

J’y insiste, je ne garantis pas la teneur des informations sur cette révolution agricole. Mais une chose est certaine : des délégations venues du Kenya, de l’Ouganda, de la Tanzanie et du Swaziland se sont succédé sur place, pour essayer de percer le mystère. Mais est-ce un mystère ? Ne sommes-nous pas en face de l’oeuf de Christophe Colomb, tout simplement ?

The Dry Salvages (une rivière vive)

Je n’ai pas les yeux en face des trous. La faute au sommeil qui manque. Bon, je ne vais pas pleurer, non plus. J’ai vu, ailleurs qu’ici, deux merveilles authentiques. Avant toute chose, le prodigieux vallon de mon coeur sous la neige. Alors qu’elle tombait dru, je suis sorti, et j’ai marché dans la tourmente.

Le monde avait disparu. Le monde auquel on s’habitue tant avait sombré, et ses formes connues avaient pris des couleurs, une couleur unique qui semblait une peinture. Des flocons, par millions, étaient empalées sur les épines des buissons. J’ai vu l’orbe parfait d’une tige de ronce, dont les pointes verticales montaient droit au ciel. Elles avaient l’air de guetter les voltigeurs.

Un autre jour, je suis descendu à la rivière, et elle était devenue folle de sa puissance. Elle roulait des flots massacrants. Cinq fois plus lourde et vive qu’à l’ordinaire. Je pense qu’en ces moments de fête, plus rien ne lui résiste. Les arbres, les pierres, les animaux partent au courant. Je l’ai regardée comme on regarde un être vivant qui jamais ne mourra. Avec de l’envie, oui, je crois bien. Une telle fougue pourrait faire perdre le sens des choses communes.

Je n’entends pas jouer les esthètes, mais en écrivant trois mots sur cette déesse, j’ai pensé à un poème de T.S Eliot. Je ne suis, ni de près ni de loin, un spécialiste. Mais j’ai tout de même pensé à un texte, The Dry Salvages. Et comme je l’ai dans une édition bilingue, je peux vous en donner les premiers mots : « I do not know much about gods; but I think that the river/Is a strong brown god – sullen, untamed and intractable ». Ce qui veut dire : « Je ne sais pas grand chose des dieux, mais je crois que le fleuve/Est un puissant dieu brun – buté, sauvage et intraitable ».

Là-dessus, c’était hier, j’ai entendu quelques mots de François Hollande, responsable socialiste autant que je sache. Il définissait les cinq priorités qui seraient celle d’un gouvernement de gauche aujourd’hui. Aucune n’évoquait même la nature ou l’écologie. Pauvre petit bonhomme. Et ce matin, le choc McCain/Obama. D’un côté, je m’en fous intégralement. D’un autre, je souhaite ardemment que le couple maudit soit balayé et que Sarah Palin disparaisse de ma vue, fût-elle lointaine.

Je crois bien que j’appartiens à la race humaine. À condition d’ajouter ceci : la partie la plus profonde de moi, celle de l’âme, celle de l’animal ancien, ne joue plus le jeu. Je m’éloigne, cela ne fait aucun doute.