Archives mensuelles : décembre 2008

Les biocarburants sont au pouvoir (le sacre d’Obama)

Vite, vite, je suis désolé de devoir foncer. Le MAG Cultures est un magazine envoyé chaque mois à 110 000 grandes exploitations céréalières françaises (144 ha en moyenne). Une ode perpétuelle à l’agriculture intensive. On ne saurait mieux faire dans ce domaine. Or je viens de lire un article fort intéressant que je propose en priorité aux adorateurs de Barack Obama (ici).Certains d’entre vous savent déjà comment je vois l’élection d’Obama à la présidence des États-Unis d’Amérique (ici). Mais ils ignorent probablement ce que révèle l’article de MAG Cultures, dont j’isole cet extrait lumineux :

« Pour le Farm Bill, pas d’illusions à se faire : il a été adopté sous pression démocrate, malgré le veto de Bush, et le sénateur Obama a voté pour. “Le nouveau président a une approche pragmatique plutôt que dogmatique de la libéralisation. Ce n’est pas forcément une bonne nouvelle pour nous. Sur l’agriculture, j’ai le sentiment qu’il veillera aux intérêts de ses farmers, comme il l’a fait en affirmant son soutien aux biocarburants qui sont un levier puissant pour assurer un revenu aux agriculteurs ”, explique Christian Liegeard. C’était l’un de ses principaux points de désaccord avec le candidat républicain. Obama s’engage à prendre la suite du plan Bush pour l’éthanol. Il ne changera rien, et ça change tout pour le marché mondial du maïs ».

Je n’ai pas même envie de faire le moindre commentaire. Le plan éthanol. Le maïs changé en carburant. La faim qui déferle et détruit des vies par centaines de millions. Pas de commentaire. Ainsi.

Cette autre information que je ne commente pas non plus. C’est une dépêche de l’AFP, datée du 5 décembre 2008, destinée à ceux qui croient – ils sont nombreux, même chez les soi-disant altermondialistes – que l’industrie des biocarburants a été déjà battue, sans le moindre combat. Oyez, naïfs confondants :

« PARIS (AFP) — Les betteraviers français vont augmenter leurs surfaces de culture pour la fabrication d’éthanol alors que les agrocarburants font l’objet d’une polémique en raison de leur impact sur les prix agricoles, a annoncé vendredi la Confédération générale des planteurs de betteraves (CGB).
Entre la campagne actuelle (2008-2009) et la prochaine (2009-2010), la surface totale de culture va passer de 349.000 à 360.000 hectares, soit une augmentation de 3 à 4%, a indiqué la CGB, branche spécialisée de la FNSEA, lors d’un point de presse. La surface consacrée au sucre reste identique à 245.000 hectares. Pour l’éthanol, elle augmente de 50.000 à 60.000 hectares. Pour l’alcool et les autres usages, les surfaces baissent de 60.000 à 55.000 hectares.
La production d’éthanol en France devrait dépasser 9 millions hl en 2008, dont 50 % pour la betterave et le reste en blé.
Pour 2010, la CGB mise sur une production de 5 millions d’hl à partir de la betterave ».

Qu’au moins personne n’ose dire dans dix ans qu’il ne savait pas. Qu’au moins ceux qui n’agissent pas aujourd’hui – France Nature Environnement, WWF, Greenpeace – ne versent pas plus tard des larmes de crocodile. Qu’au moins ils continuent de se taire et se contentent des réunions au sommet avec Borloo and co. Le champagne est si doux.

Grenelle et bagnole (un grand silence assourdissant)

Je continue à manquer de temps, mais comment laisser passer ? La bagnole. Cette sacro-sainte bagnole qui justifie jusqu’au crime des biocarburants. Sarkozy donne donc 1 000 euros de prime à la casse (ici) à qui achètera une voiture neuve et jettera au rebut une vieille de plus de dix ans. Il y a une autre condition : que la nouvelle n’émette pas plus de 160 grammes de CO2 par kilomètre parcouru. Cela, c’est une bouffonnerie.

Pourquoi ? Mais parce qu’une directive européenne – une loi – en cours d’examen envisage de fixer la limite à 130 grammes par kilomètre. Autrement dit, Sarkozy relance l’industrie automobile française avec des objectifs très en deça de ce que souhaite l’Europe. Laquelle, je le précise pour éviter tout malentendu, ne mène aucune vraie bataille contre la crise climatique.

Mais baste, Sarkozy ridiculise le Grenelle de l’Environnement d’octobre 2007 et les écologistes qui ont accepté le deal passé alors, fondé sur une légitimation croisée et réciproque. Et comme cela ne suffisait pas, notre excellent Premier ministre Fillon annonce le déblocage de grands travaux routiers : l’A63, pour relier Bordeaux et la frontière espagnole; l’A150 entre Rouen et Le Havre; l’A355 (autour de Strasbourg). Coût direct pour nous : 800 millions d’euros, qui seront certainement dépassés.

Dans un monde où les écologistes seraient des écologistes, nous aurions entendu aussitôt France Nature Environnement, le WWF, Greenpeace et la fondation Hulot ruer dans les brancards. Et dénoncer cette évidence que la relance économique se contrefout et se contrefoutra – sauf à la marge – de la question écologique. Au lieu de quoi, des murmures (ici). Ce n’est pas très difficile à comprendre. Les associations officielles se sont ligotées elles-mêmes en échange d’un plat de lentilles. Elles ne peuvent en aucun cas annoncer que le roi est nu, car ce serait reconnaître qu’elles-mêmes sont à poil.

Dépourvues de stratégie, elles se sont vu offrir une situation, avec joli strapontin rembourré dans les journaux télévisés. Dénoncer Sarkozy pour ce qu’il est – un destructeur de plus, dans une liste interminable – commanderait de discuter enfin de la meilleure manière de combattre le cours des choses. C’est trop leur demander. Dernier point : personne ne sait ce que donnera finalement la mesure de Sarkozy en faveur de l’automobile. Personne ne semble se donner la peine de calculer, fût-ce à la louche, les émissions supplémentaires de gaz à effet de serre qu’elle entraînera fatalement.

J’en suis bien incapable, pensez. Mais je sais que c’est considérable. On va détruire des bagnoles qui marchent et en jeter des neuves sur le marché. L’acier, les plastiques et caoutchoucs, l’électronique qui seront engloutis dans les nouveaux modèles ne sont comptabilisés nulle part. Or il faut mobiliser d’énormes ressources fossiles pour obtenir ces précieux matériaux. Lesquelles émettent des gaz, sans que nul n’y puisse rien.

Au-delà, personne ne semble réfléchir à l’essentiel : nous repartons pour au moins quinze années de civilisation automobile inchangée. Malgré le désastre climatique en cours. Malgré la propagande contenue dans le moindre discours de Jean-Louis Borloo. Ce moment de crise était pourtant idéal pour au moins mettre en discussion le modèle. Mais tout vrai débat est proscrit. Mais il est au vrai impossible. Amis du Grenelle de l’Environnement, vous avez bien oeuvré pour PSA et Renault. Et bien mérité de la patrie.

PS : Quelle est la différence entre l’action et la communication ? Jetez un oeil ici et faites-vous votre idée.

Point d’orgue sur Robert Lion (et sur Greenpeace)

Le papier publié ici précédemment a provoqué de nombreuses réactions, ce dont je me félicite. Et je me permets de remercier tous ceux qui y ont participé. Tous, y compris donc Pascal Husting, le directeur de Greenpeace en France. Ce n’est pas formel, c’est sincère. Nous avons infiniment besoin de confrontation, de contradiction, de désaccords.

Dans ce domaine, il est vrai, je suis servi. Je ne reviens pas ici sur ce qui m’oppose frontalement à Greenpeace. La nomination de Robert Lion à sa présidence est d’une logique d’airain. Il était à peu près fatal qu’une association de cette sorte, lancée sur une trajectoire de cette nature, rencontre tôt ou tard un personnage comme Robert Lion. Tout est donc dans un certain ordre.

Si j’interviens à nouveau ce matin, c’est que je suis frappé. Par l’incapacité à dialoguer vraiment avec qui vous critique. Cela, c’est tragique, ni plus ni moins. J’ai proposé à Pascal Husting, et je récidive, que Greenpeace aide à organiser des états généraux du mouvement écologiste. De manière à tirer ensemble, fût-ce de manière contradictoire, le bilan des quarante années écoulées.

Je le rappelle, il y a quarante ans, une pétition recueillait en France près de deux millions de signatures. Les autorités de l’époque – Robert Lion en faisait partie – voulaient rogner une partie du parc national de la Vanoise, créé en 1963. La pétition, précédée par force d’une mobilisation de terrain, permit de lancer en France le mouvement moderne de protection de la nature. C’est glorieux, cela sent la naphtaline et le cimetière. En quarante ans, nous sommes passés de menaces localisées – que l’on croyait localisées – à des disjonctions planétaires, lourdes de menaces pour la structure même des sociétés humaines.

Il est donc manifeste que les formes inventées il y a des décennies n’ont pas pu contenir le flot de la destruction. C’est un simple fait, que tout le monde peut constater. Il me semble donc indispensable, élémentaire, de réunir le mouvement auquel je m’honore d’appartenir, de façon qu’il puisse éventuellement repartir sur des bases nouvelles. N’est-ce pas du simple bon sens ?

Ayant proposé cela à Pascal Husting, je m’attendais de sa part à une réponse, qui viendra peut-être. Je l’espère en tout cas. Mais j’ose un commentaire général, qui ne le vise pas personnellement. Je crois et je crains que les multiples microbureaucraties qui sont aujourd’hui installées à la tête du mouvement écologiste ne veuillent d’aucune façon discuter librement. Car la liberté serait nécessairement la remise en cause des pouvoirs en place. La liberté serait sans aucun doute l’expression de fortes divergences, susceptibles de faire vaciller les trônes miniatures sur lesquels tant sont désormais assis. Et je pense donc qu’il faudra passer par-dessus la tête des monarques. J’avoue que cela ne me déplaît pas.

En attendant, selon moi du moins, le système est bloqué. Cela arrive, ce n’est pas un crime, je ne désigne pas à la vindicte tel ou tel. Le système est bloqué, qui concourt toujours plus au compromis, et nous demandera demain d’applaudir la compromission. Je me répète encore : je trouve salutaire que des gens qui ne sont pas des écologistes – tel Robert Lion – se mettent en marche. C’est une excellente nouvelle. Mais j’ajoute que le monde – le monde entier – a besoin d’un mouvement écologiste réel, sûr de lui et de ses idées, cohérent, conquérant, attachant. Il ne s’agit pas d’espérer demain conquérir 51 % des voix – qu’en ferait-on ? -, plutôt d’ouvrir des voies difficiles, comme en montagne. D’être un lumignon au  cœur de la nuit. D’incarner sans détour un autre avenir possible. Et désirable.

Des questions sur Robert Lion (et sur Greenpeace)

Le désordre est grand. Le désordre est général. C’est de l’humour, je vous assure. Robert Lion vient d’être nommé président de Greenpeace-France. J’ai fait partie quelques années du Conseil statutaire de cette association, sans même savoir ce que cela voulait dire. Je participais une à deux fois par an à des sortes d’assemblées qui ne servaient pas à grand-chose. Mais c’était ma manière d’être au côté des activistes de Greenpeace. Les héritiers des charmants cinglés de 1971.

J’avais une autre raison d’en être. Katia Kanas est l’un des piliers de Greenpeace en France, ONG qu’elle a créée chez nous, avec Jacky Bonnemains notamment, vers 1977. J’ai pour elle une affection indéfectible. C’est une véritable écologiste dans l’âme et c’est aussi une belle personne. Mon Dieu, que demander de plus ?

J’ai donc soutenu à l’occasion ce groupe, sans m’illusionner sur ses limites, sans fermer les yeux sur ses dérives, car elles existent, à n’en pas douter. Et puis est venu Robert Lion. Je vous le présente, car qui le fera sinon ? Cet homme de 74 ans a une carrière bien remplie. Dès 1966, cet énarque est conseiller technique au cabinet du ministre de l’Équipement d’alors, Edgard Pisani. L’Équipement, en 1966. C’est simplement inimaginable. Ce ministère et ses ingénieurs des Ponts et Chaussées sont au cœur, précisément au cœur du désastre où nous sommes.

Ces gens ont pensé une France ravagée par la bagnole, les autoroutes, les zones industrielles, les panneaux publicitaires. Et ils l’ont faite. En 1968, quand d’autres de son âge se colletaient avec les policiers, Lion était chargé de mission à la direction de la politique industrielle du ministère de l’Industrie. En 1969, il fit la même chose, cette fois au ministère de l’Équipement et du Logement. Il fut même directeur de la Construction de 1969 à 1974. Il aura tout fait, et tout couvert.

Il serait cruel, mais intéressant, de glisser ici une incidente sur ce qu’on appela le « gaullisme immobilier ». Ses tours géantes. Ses quartiers maudits. Ses promoteurs vertueux et leurs comptes en banque numérotés, aux îles Caïman. Robert Lion, ami de la nature et des grands équilibres.

Et puis ? Et puis le monde stupéfait a découvert que Robert Lion, le bâtisseur de restoroutes, était de gauche. Mais vous vous en doutiez, non ? En 1981, il dirige le cabinet de Pierre Mauroy, Premier ministre socialiste. Nationalisations et violon. En 1982, le voilà bombardé à la tête de la Caisse des dépôts et consignations, où il reste jusqu’en 1992. Attention les yeux, ce poste fait de lui le financier le plus puissant de France. Quand il quitte la direction de cette Caisse publique, celle-ci gère la bagatelle de 1 600 milliards de francs (valeur 1992) d’actifs.

A-t-il orienté si peu que ce soit les choix du pays en faveur de la nature et des écosystèmes ? Je prends cette question pour une galéjade, car tel est bien le cas. Rien, non rien de rien. Interrogé au moment de son départ sur son bilan par le journal L’Expansion, Lion ne dit pas un mot sur l’écologie, dont il se contrefout évidemment. Il s’approche tout de même des soixante ans, ce qui n’est pas le jeune âge. Citation : « La France a mûri : elle comprend mieux l’économie et s’intéresse à ses entreprises. Elle s’est un peu décentralisée. Elle a, à portée de main, le plus beau projet du siècle : construire l’Europe ».

Ensuite, changement de décor. Pas de pièce. De décor. Lion crée une ONG, Energy 21, et c’est sous cette noble bannière qu’il se rend en 1997 à la conférence de Kyoto sur le climat. Est-il enfin devenu écologiste, alors qu’il dépasse les 63 ans ? Eh bien, difficile de se montrer trop affirmatif. Car dans un article écrit à ce moment (ici), il commente d’une curieuse manière la situation de la planète : « Des entreprises anticipent l’inéluctable succès des défenseurs du climat – à Kyoto et au long des décennies qui viennent. Ce succès leur ouvrira des marchés : nouvelles générations d’automobiles et d’appareils domestiques, nouvelles technologies énergétiques, produits et process industriels moins énergivores. Le champion mondial de ces attitudes intelligentes pourrait bien être… Shell, ou Toyota, ou Dupont de Nemours ».

Hum, comment dire ? Shell, Toyota, DuPont de Nemours présentés comme modèles ? Sans doute aura-t-on mal renseigné notre héros, car pour un peu, on prendrait son envolée pour un manifeste en faveur du capitalisme vert. Que tout change pour que rien ne bouge ! Le reste n’a que peu d’intérêt : Lion préside depuis cette date quantité de machins, dont Agrisud International et donne des conseils à tous ceux qui le souhaitent.

C’est donc cet homme que Greenpeace vient de nommer à sa présidence. Est-ce une bonne nouvelle ? Cela pourrait l’être, malgré ce que je viens d’écrire. Notre monde a en effet besoin, désespérément besoin de mouvement, de changement, de ruptures mentales. Mais Lion a-t-il opéré le moindre retour sur lui-même ? Cela, je le conteste, sans aucune hésitation. Car il n’a pas un mot pour ce passé purement détestable, pour cette carrière tout entière vouée à la destruction du monde. Soyez certains que je ne lui demande aucun acte de contrition. Nous n’en sommes pas là. Nul n’a dans ce domaine beaucoup de droits. Mais comment agir pour la sauvegarde avec la pensée qui a conduit les sociétés humaines au bord de l’abîme ?

Autant vous dire que j’en veux puissamment à Greenpeace. Oh oui ! Accueillant avec une joie débordante son nouveau président, le directeur de Greenpeace en France, Pascal Husting, a déclaré sans état d’âme : « Face à l’ampleur et à l’urgence des défis environnementaux auxquels nous faisons face, l’expérience de Robert Lion, sa grande connaissance des institutions et des entreprises et son choix de servir une cause militante seront d’une grande valeur ajoutée dans le combat de Greenpeace pour trouver des réponses à la crise écologique »

Dieu du ciel, quel ton entrepreneurial ! Une grande valeur ajoutée. On croirait un communiqué de Nestlé. Ou de Nissan. Greenpeace, qui fut un véritable aiguillon, est devenue une petite institution chargée de chercher et de trouver des solutions réalistes (ici). Tout cela s’appelle en bon français du greenwashing (ici). Une tentative de sauver les meubles en les peinturlurant en vert. Ce sera sans moi.