Archives mensuelles : mars 2009

En hommage à Anil Agarwal (sur une grande idée)

J’ai eu la chance de croiser la route de l’écologiste indien Anil Agarwal. Cet homme, né en 1947, est mort en 2002 d »un cancer rare qui lui aura dévoré le cerveau et les yeux. Mon Dieu ! Il avait été ingénieur mécanicien, avant de devenir correspondant scientifique du journal Hindustan Times.

Mais c’est en 1980 que sa vie a basculé. Il a 33 ans – l’âge d’un autre -, et décide de fonder le Centre for Science and Environment (CSE), qui deviendra célèbre dans le monde entier. Cette structure lance dans la foulée le quinzomadaire Down to earth. Moi, j’ai toujours traduit le titre de ce journal par : Les pieds sur terre. Je m’y suis abonné sur le conseil avisé d’Alain Le Sann, de Lorient, que je salue au passage. Et je ne l’ai pas regretté.

Anil Agarwal, dans la tradition de Gandhi, était passionnément proche de son peuple de pauvres et de paysans. Mais il était également écologiste, et bien entendu, cela compliquait les choses. À ma connaissance, il a été l’un des premiers à penser, à proclamer que les gueux devaient s’emparer de la crise écologique, et chercher leurs propres remèdes. J’ai sous les yeux un petit livre qu’Anil avait écrit avec sa chère amie Sunita Narain, Quand reverdiront les villages (1992 pour la traduction française). On y lit des témoignages fabuleux sur le rôle que peuvent jouer des structures communautaires plus ou moins anciennes dans la restauration des équilibres naturels. Par exemple Chipko. Par exemple les Pani Panchayats. Par exemple l’Association pour la gestion des ressources des collines, dans les villages de Sukhomajri et Nada.

Bref. J’ai rencontré cet homme il y a une vingtaine d’années, et je me souviens de son rire et de ses yeux. Ce qui est déjà beaucoup. Nous avions discuté une paire d’heures, et il avait évoqué devant moi une idée que je n’ai jamais oubliée. Il souhaitait la création d’un salaire minimum mondial. Je dois avouer à ma grande honte que je ne me souviens plus très bien du reste. Mais cette idée a germé, et ne m’a plus quitté.

Il y a un peu plus d’un an, j’ai écrit ici, coup sur coup, deux textes qui comptent davantage que d’autres à mes yeux (ici et ici). Je les reprends en quelques phrases. Pour commencer, je crois qu’il n’y a pas pire désordre moral et même mental que le racornissement de l’Occident sur ses biens matériels. C’est bien sûr une infamie, mais c’est aussi une rare stupidité. Car rien n’arrêtera le flot des réfugiés écologiques. Nous y perdrons ce qui reste de notre âme, nous y perdrons aussi le reste.

Il n’y a rien de plus urgent que de trouver les moyens d’un vrai discours universel, qui relie de façon solide, authentique et sincère, le sort de qui meurt de faim à celui de qui meurt de voracité. Si nous y parvenons, des portes s’ouvriront devant nous. Si nous en restons au cadre de la France, si nous continuons nos défilés Bastille-Nation pour sauver la télévision à écran plasma, nous échouerons, et ce sera le sang rouge des pires batailles.

Donc, un véritable discours universel. Depuis le temps que je pense à cela, j’ai eu le temps d’assembler quelques pièces du puzzle. En voici trois, qui sont majeures. Un, l’économie de casino qui nous plonge en ce moment dans la crise qu’on sait, cette économie a produit des milliers de milliards de dollars qui ne savent où s’investir. Sur cette planète pourtant dévastée. Deux, il existe dans le monde une force de travail colossale qui n’est pas employée. Combien d’humains au chômage ou en situation de sous-emploi ? Plus d’un milliard, j’en jurerais, bien que ne disposant d’aucune statistique précise. Trois, les écosystèmes naturels sont tous menacés d’effondrement à plus ou moins long terme. Sans eux, ni avenir ni société. Pas même de téléphone portable.

Je propose donc de réfléchir au lancement d’un nouveau mouvement. Neuf. Audacieux. Utopiste. Fou. Révolutionnaire ô combien. Ce mouvement proclamera l’unité irréfragable du genre humain. Et créera une coordination planétaire entre groupes du Nord et du Sud. Dont le but premier sera de s’emparer, en s’inspirant des méthodes radicales et non-violentes de Gandhi, d’une fraction des richesses financières de la planète. Moi, je n’ai jamais eu peur de l’expropriation. S’il faut dépouiller un Bill Gates de l’argent qu’un système criminel lui a octroyé, je n’y vois pas l’ombre d’un inconvénient. Et des Bill Gates, il y en a des milliers.

Un mouvement planétaire. Si fort qu’il permettrait la création d’un Fonds mondial, doté de 500 milliards de dollars pour commencer. Juste pour commencer. Cet argent serait bien entendu dévolu, pour l’essentiel, aux communautés locales et paysannes du Sud. Pas pour nous faire plaisir. Pas pour nous rassurer. Pas pour leur faire acheter notre bimbeloterie.

Non, pas pour cela. Pour que ceux qui n’ont ni travail ni pitance puissent être payés dignement afin de restaurer les écosystèmes dont dépendent si directement leurs vies. Ici une rivière. Là un coteau, une forêt, une mangrove, un banc de corail. Ailleurs une barrière végétale contre l’érosion, la diffusion de connaissances agro-biologiques, ou des travaux de génie écologique.

Un tel mouvement uni du Nord au Sud changerait, dès ses premiers pas concrets, la face du monde et de la crise écologique. Car il secouerait de fond en comble les pouvoirs corrompus du Sud. Car il redonnerait de l’espoir. Car il montrerait le chemin. Car il nous élèverait tous au-dessus de nous-mêmes. Il n’y a aucun doute que la constitution d’une telle force nous aiderait, lentement mais sûrement, pas après pas,  à susciter de nouveaux enthousiasmes, de nouveaux engagements. La jeunesse du monde, tellement désabusée, y trouverait matière à redresser la tête, et à avancer enfin.

Voilà. Ce que je dois à Anil Agarwal. Cette idée un peu vague de salaire minimum mondial me poursuit depuis vingt ans. Et elle m’a conduit au point que je viens de décrire. Aussi bien, je peux vous l’avouer : Anil était l’un de mes frères. Et il l’est encore.

L’adresse de Down to earth : ici

L’adresse du  Centre for Science and Environment : ici

Une idée de printemps (ou presque)

Assez de vilenies pour un moment. Je vous tiendrai au courant de la suite des événements concernant France Nature Environnement (FNE). Mais pour l’heure, je préfère vous parler d’une idée. Il m’est arrivé de l’exprimer sous une forme ou une autre ici-même, mais la crise économique qui déferle d’un bout à l’autre de la planète me pousse à récidiver, d’une manière plus nette.

Nous les humains devons imaginer une révolution sans précédent. Non, ce n’est pas cela l’idée, car celle-là, tout le monde la connaît. Je pense, je souhaite, je suis sûr que le bouleversement à venir passera par une Déclaration universelle des devoirs de l’homme. Elle serait le pendant de cette Déclaration universelle des droits de l’homme, proclamée en 1948 et largement inspirée par celle de 1789, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. L’article 1 de 1948 stipule : « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité ».

C’est beau, c’est grand, mais c’est bancal. Car il y manque le chapitre des devoirs, sans lesquels la destruction continuera sans fin. En y réfléchissant bien, ne peut-on voir dans ces textes le prolongement laïque de ces visions religieuses qui font de l’homme une créature divine, au cœur de la création ? Car que fait-on des autres, en ce cas ? Que fait-on des autres espèces que nous-mêmes ? Et de ce vivant qui meurt ?

Non, je vous le dis, il faut accepter la responsabilité qui est la nôtre. Nous sommes les plus forts, nous détruisons sans trêve, mais nous devons également arrêter. Il faut au plus vite imposer aux hommes le devoir de protéger tout ce qui vit à côté de lui. Le devoir impérieux. Le devoir légal, aussi, qui implique un changement radical des catégories de droit. Qui nécessite un code pénal et un code civil adaptés à la tragédie dans laquelle nous sommes plongés.

On ne pourra pas proclamer la Déclaration universelle des devoirs de l’homme à froid. C’est impossible. Celle de 89 est liée à la Révolution française. Celle de 1948 à la guerre. Celle dont nous avons tant besoin attendra un événement historique susceptible de vaincre tous les conservatismes. Mais au moins, soyons prêts. Oui, soyons prêts. Répétons, radotons jusqu’à plus soif. L’homme a conquis des droits qui se révèlent absurdes, puisqu’ils se retournent contre lui et tous les autres. Il lui faut de toute urgence admettre que la vie est sacrée et que les atteintes au vivant sont une offense sans excuse au mystère le plus profond qui soit. Sacrée ? Sacrée. Je n’ai pas peur du mot. Vous, peut-être ?

Demain ou après-demain, je vous parlerai de l’Indien Anil Agarwal que j’ai eu la chance de rencontrer il y a une vingtaine d’années. Au cours de l’entretien que j’ai eu avec lui, il a évoqué une grande idée, loufoque en apparence, mais qui a fait son chemin dans ma tête. Ce qui veut dire qu’elle s’est transformée, qu’elle a mûri, qu’elle est devenue grande et majeure. En tout cas, à mes yeux. Je crois que cela vaut la peine d’y réfléchir ensemble. À tout bientôt, donc.

Un message de Marc Giraud (sur la chasse et FNE)

Marc est un ami, mais aussi un esprit indépendant. Je dois confesser que j’aime beaucoup ce gars. C’est un naturaliste de terrain comme il est peu, et il est également écrivain. Pas écrivant. Écrivain. Son dernier bouquin, où il donne la parole aux animaux pour raconter Darwin et ses découvertes (Darwin, c’est tout bête, Robert Laffont), est un délice dont je me pourlèche encore les babines.

Bon, la suite. Il a suivi ici la polémique autour de France Nature Environnement (FNE) et m’envoie donc une lettre que je qualifierai de soutien. Et qui me touche. Moi, je suis effaré du silence de FNE sur les sujets graves que j’ai évoqués. Je vois bien la tactique à l’œuvre, qui est celle des bureaucrates de tous les pays et de tous les temps. On se tait, car on pense, car on espère que tout sera tôt oublié. Peut-être ont-ils raison. Peut-être auront-ils tort. On verra bien. Mais dans tous les cas, alors que flambe la planète, ce jeu lilliputien est indigne.

Je passe donc la parole à Marc Giraud, que je remercie. Un dernier point : Marc est le vice-président de l’Association pour la protection des animaux sauvages (Aspas). Qui n’est pas membre de France Nature Environnement. Bien à vous tous.

La lettre de Marc Giraud

Merci Fabrice Nicolino ! En cette heureuse période de victoire (et elle est belle, mais attendez la suite !), merci à celui qui énonce simplement ce que tant d’autres n’osent pas dire, on ne sait même plus pourquoi.

Tentons d’analyser. En tant que bénévole de longue date dans plusieurs associations, dont l’Aspas, je me suis toujours gardé de donner dans la « querelle de clocher », car les adhérents détestent ça, et je suis comme eux. Même quand on sait des vérités gênantes, on évite donc de les sortir, par délicatesse pour « son camp », ou pour ne pas donner des arguments au « camp adverse » qui en serait trop content, alors qu’on ne se bat que pour la vérité. Justement. La vérité ne peut pas éternellement se censurer par diplomatie. Depuis le « Grosnul de l’Environnement » bien des choses se sont révélées. Ce Grosnul fut en réalité la fête de l’éco-business, mais sur ce qui touche la « nature naturelle », le non rentable financièrement, on attendra encore longtemps…

Les soupçons que nous portions à l’égard de quelques responsables du Roc et de FNE se sont non seulement confirmés, mais ils sont allés au-delà de nos désespérances. Aujourd’hui, de nombreuses associations sœurs demandent des comptes aux responsables de la fédé, et elles ont raison. Nous communiquons entre nous et nous le savons : des Frapna, le Cora, la Capen et bien d’autres, qui attendent les décisions de leur conseil d’administration avant de les annoncer, se réunissent actuellement pour trancher sur leur réadhésion ou non à FNE.

On en est là. Lamentable ? Oui, mais pas définitif. Des collectifs efficaces se forment sur des actions ponctuelles, la protection de la nature n’est pas morte car elle ne repose par sur une ou deux têtes. Elle est juste en train de se réorganiser.

Et voilà la bonne nouvelle : pour la première fois, après 30 ans de non respect de la directive oiseaux, le col de l’Escrinet a vu passer les migrateurs sans les coups de feu des braconniers. Ceux-là même qui n’avaient pas hésité à séquestrer des garde-chasse, qui se croyaient tout permis, qui bravaient les lois, qui cassaient le matériel et menaçaient de mort les ornithologues à coups d’opérations musclées.

Fini, fini, fini ! Grâce aux responsables de FNE ? Bien sûr que non. Grâce à des militants indépendants, tenaces et dévoués, soucieux de démocratie et de protection de la nature. Bravo au Collectif Escrinet col libre qui a tant œuvré (entre autres à son président Pierre Athanaze), et à tous ceux là et ailleurs qui maintiennent le cap, quitte à prendre des risques. Car oui, la grande majorité des bénévoles et des salariés, de quelle association qu’ils soient, n’ont pas perdu le Nord. Loin des lambris dorés et des compromis pourris, ils continuent de bosser. Entre autres, ils balaient devant leur porte.

Marc Giraud, Écrivain naturaliste

Una giornata al mare (une halte)

Je m’en vais voir la mer, ce qui me fera des vacances après cette série éprouvante sur France Nature Environnement (FNE). Ne croyez pas que la critique soit pour moi un tel plaisir. J’aurais préféré ne pas avoir à écrire ce que j’ai écrit. Je sais que beaucoup me penseront hypocrite, mais je suis le seul à habiter ma tête et à savoir ce qu’elle contient.

J’aime la nature et la vie avec une force qui continue à me surprendre moi-même. J’aime marcher, nager, j’aime la solitude, la neige, les rivières, les vallons perdus, j’aime tous les animaux, l’air que je respire, l’horizon et ses vents, j’aime le soleil de mars et d’avril et de mai et de juin et de chaque mois qui passe. Mais je déteste les barbares qui s’attaquent au monde, et supporte de plus en plus mal ceux qui composent avec la destruction.

Il n’y a donc aucun mystère dans ce que j’écris. Je pars jusqu’à lundi, avec dans la tête cette chanson ancienne – 1974 – qui raconte une journée à la mer. Un type qui n’a que 1 000 lire en poche, disons rien, et qui se demande de quoi une vie est faite. Car elle ne contient que quelques heures, n’est-ce pas ? Heureusement, il y a le risate delle donne, le rire des femmes. L’éclat de leur rire. Je vais donc voir l’océan, et je n’en suis pas malheureux. Oh non !

Notez, parce qu’on ne se refait pas, un mot sur le « Grenelle de la mer », le nouveau truc de messieurs Sarkozy et Borloo. Le Canard Enchaîné de cette semaine se moque du dossier de presse que le ministère de l’Écologie a mis en ligne sur le sujet. Il s’ouvre sur cinq pages consacrées au départ en « mission » d’un bateau, La Boudeuse. Mais rien sur l’état réel des océans. Je vous invite, avant de partir, à  jeter un oeil à cet entretien avec Daniel Pauly, grand spécialiste mondial des pêches (ici). Que dit-il ? Cette vérité insupportable que tous les grands équilibres sont désormais rompus.

FNE (mille excuses d’y revenir) prépare déjà ce rendez-vous, pour lequel le tapis rouge a été déplié par le ministère de l’Écologie. Borloo mise gros sur la présence massive de structures liées à FNE, de manière à faire croire que le « Grenelle de la mer » marquera son temps. Il ne s’agit en fait que d’une farce, mais cette fois, mon petit doigt me dit que les choses ne se passeront pas aussi simplement qu’en octobre 2007, au moment du « Grenelle de l’Environnement »

En attendant, et juste avant de partir, una giornata al mare.

Solo e con mille lire/sono venuto a vedere/quest’ acqua e la gente che c’è/il sole che splende più forte/il frastuono del mondo cos’è/cerco ragioni e motivi di questa vita/ma l’epoca mia sembra fatta di poche ore/cadono sulla mia testa le risate delle signore.

Je vous salue tous.

PS : Pendant mes trois jours d’absence, des commentaires peuvent rester bloqués, dont je m’occuperai à mon retour.

Les amitiés particulières de France Nature Environnement (Acte 4)

À DIFFUSER SANS MODÉRATION DANS TOUS LES RÉSEAUX

À propos de la forêt dans le monde (un scandale authentique)

Donc, France Nature Environnement (FNE) copine avec l’industrie du bois de manière à octroyer un label commercial, en France, aux monocultures de pins et de Douglas (voir l’article précédent). C’est lamentable, assurément, mais cela ne touche pas aux joyaux de notre Couronne planétaire. Au moins, du moins, les forêts tropicales et boréales ne sont pas concernées. Sauf que si. Elles le sont. Exactement de la même manière. Ou plutôt d’une façon beaucoup plus grave, avec la pleine, entière et consciente coopération de quelques responsables de FNE. Car ils sont au courant, pour l’essentiel, depuis longtemps. Comme je ne sais l’expliquer vraiment, je me contenterai provisoirement de dire qu’ils ont perdu la tête. Mais voici l’histoire.

Le label PEFC est international. Il délivre aussi des certificats de bonne conduite pour les forêts boréales et tropicales. Et cela donne des résultats inouïs. Avant de détailler, je dois nommer une fois encore Sébastien Genest, le président de FNE. Je ne lui cherche pas noise, je lui demande seulement d’assumer publiquement ses positions publiques. Et en voici une, de taille.

C’est lui – il est forestier – qui a poussé FNE à soutenir le label PEFC. Et il est aujourd’hui membre de son bureau international (ici). Regardez donc ces têtes satisfaites d’elles-mêmes, et ces titres ! Chairman, Vice Chairman, Board Member. Oh, il n’y a pas besoin de longues études pour comprendre comment marche un tel système. Quoi qu’il en soit, Sébastien Genest est au bureau international, où il sert de caution mondiale à un label qui se situe pourtant aux antipodes de l’écologie. Et il est le seul ! Le SEUL ! Aucune autre association écologiste n’a osé apposer son nom au bas des tracts PEFC, ce qui est tout de même rassurant. Mais aussi très inquiétant. Au nom de quoi FNE, qui ne dispose d’aucune expertise, d’aucun relais, d’aucun engagement dans les pays-clés de la biodiversité, ose-t-elle parler au nom de tous ? Au nom de quoi ose-t-elle prétendre que le label PEFC est bon dans les lointaines contrées boréales et tropicales ? Ce serait farce, en d’autres circonstances.

Aux États-Unis, un autre label existe depuis des lustres, American Tree Farm System (ATFS). Comme il a le même but que PEFC – vendre du bois -, il était logique que les deux s’épaulent. De rapprochement en rapprochement, un accord est conclu en 2007, mais qui doit être avalisé par un audit rigoureux. Pensez, ces gens sont sérieux. Or donc, PEFC donne mission à un organisme indépendant, ITS, basé en Australie, de certifier le certificateur qu’est ATFS. Le choses deviennent alors passionnantes.

Car il s’agit d’une rencontre entre deux adversaires assumés de l’écologie. ATFS, le label américain, est de son côté sponsorisé par le géant de l’agochimie BASF ! Si vous voulez souffrir, allez voir comment les deux larrons accordent des récompenses ensemble (ici). C’est simplement effarant. Et quant à l’organisme indépendant censé garantir l’engagement d’ATFS, il s’agit de la société International Trade Strategies Pty Ltd, dont le propriétaire s’appelle Alan Oxley (ici).

Oxley ! Nous n’habitons pas en Australie, et c’est dommage, car cet homme y est connu là-bas pour ce qu’il est. Je vous résume. Oxley a été l’ambassadeur de l’Australie aux négociations du Gatt – l’ancêtre de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) – il y a plus d’une vingtaine d’années. Peu d’hommes de son pays auront fait davantage pour la mondialisation de l’économie, synonyme de destruction de la vie. Vraiment peu. Mais il faut ajouter qu’Oxley est un lobbyiste acharné au service de l’industrie transnationale et qu’il est éditorialiste d’un site internet très marqué à droite, TCS Daily (ici). J’ajoute que lorsqu’Oxley a commencé à y écrire, ce site était soutenu, entre autres, par l’entreprise pétrolière Exxon Mobil.

Et c’est logique, terriblement logique, car Oxley a été au cœur des manœuvres pour retarder la prise de conscience du dérèglement climatique en cours. Selon des sources dignes de foi, il ferait partie d’un groupe qui a tenté et tente probablement encore d’influencer les journaux et les décideurs en faveur du scepticisme climatique. En somme, il serait un Claude Allègre, rémunéré pour ses services, à la différence de l’autre.

Dans ces conditions, M. Oxley était-il l’homme désigné pour certifier que le bois labellisé ATFS est durable ? C’est en tout cas ce qu’il a fait. Le 7 août 2008, le label ami de BASF, adoubé par le lobbyiste Oxley, entrait dans la grande famille PEFC,  sous les applaudissements du bureau international dont fait partie Sébastien Genest, président de FNE.

Dingue ? Je vous laisse le soin de juger. Et m’apprête à clore cet éprouvant chapitre par un événement bien plus inouï encore. La Tasmanie, île proche de l’Australie, compte quelques forêts primaires parmi les plus belles du monde. Des arbres hauts de plus de 100 mètres et vieux de quatre siècles protègent un monde auquel nous devons tout. Le dernier des écologistes devrait être prêt à l’action la plus vive pour les préserver.

Des entreprises forestières se sont pourtant attaquées, ces dernières années, à cet héritage sacré. Après tronçonnage des arbres-cathédrales, passage d’hélicos et largage de napalm – comme au Vietnam – pour cramer les souches et laisser la place à des plantations d’eucalyptus à croissance rapide. Comme avec les Douglas du Morvan, napalm en moins. Pour que les bestioles qui auraient survécu ne puissent boulotter les tendres pousses d’eucalyptus, du poison neurotoxique a comme de juste été épandu autour des plants. Le tout pour fabriquer du papier. Du papier à chiottes, par exemple.

Et ce saccage dégueulasse a reçu le label PEFC. Oui. D’après The Wilderness Society, plus de 140 000 hectares de forêts primaires de Tasmanie auraient été convertis en plantations depuis 1997. Mais cette manière de tout détruire serait durable ! En Australie, l’affaire a fait un raffut du diable, à l’initiative de nombreuses véritables associations écologistes Si vous voulez en savoir plus, reportez-vous au copieux dossier réuni par les Amis de la Terre, impeccable en la circonstance (ici). Le gouvernement australien a promis 50 000 dollars pour aider PEFC à contrer la campagne écologiste de protestation. L’ambassade australienne à Paris assure que l’argent n’a pas été versé. Dans tous les cas, se rend-on bien compte, ici, de ce que cela signifie ?

Depuis 2007, la conversion des forêts primaires aurait pris fin, du moins à grande échelle. Car les coupes rases de forêts primaires continuent, suivies de « nettoyage » au napalm. La conversion en eucalyptus serait limitée à des blocs de dix hectares, lesquels peuvent évidemment, quand on les additionne, représenter des surfaces géantes. Le label PEFC ne compte pas s’arrêter en si bon chemin. Non pas. Le prochain objectif est d’une importance majeure, car il s’agit de la Malaisie, pays d’Asie du sud-est où subsistent, dans la partie malaisienne de Bornéo, d’exceptionnelles forêts primaires.

Mais il y a – elle n’est pas la seule, de loin ! – la compagnie Samling Global Limited, fondée en 1963 en Malaisie. Enregistrée aux Bermudes, son chiffre d’affaires approchait 400 millions de dollars en 2006. Elle exploite des concessions forestières en Malaisie, au Guyana – Amérique du Sud – et en Nouvelle-Zélande, sur environ 4 millions d’hectares. Comme je n’écris pas un livre, je ne peux détailler ici tous les conflits déclenchés cette compagnie avec les populations locales. Au Sarawak, les Penan chers au cœur du Suisse Bruno Manser – disparu dans de troubles circonstances – se battent contre la Samling depuis des décennies.

Un autre peuple de Bornéo, les Kenyah, sont mobilisés en ce moment même contre la compagnie. L’an passé,  les Kenyah ont dressé des barricades pour empêcher les camions de la Samling d’emporter des arbres de leur forêt du haut Sungai Sebua, du Sungai Jekitan et du Sungai Moh. Sur leurs dérisoires pancartes, on pouvait lire : « Samling, ne volez pas les richesses des terres des pauvres pour les donner aux riches de la ville ».

Je pense que cela suffit comme cela. La Samling est donc dirigée par de très braves gens. Lesquels ont obtenu en 2005 une certification forestière appelée Malaysian Timber Council Certi?cation (MTTC, ou Conseil malaisien de certi?cation du bois). Exactement comme les Américains d’ATFS. Restait, et reste au moment où j’écris, à réussir la dernière partie de l’opération, qui consiste à faire reconnaître le label malaisien MTTC par PEFC, ce joli machin cautionné par Sébastien Genest et FNE.

Car, je vous le rappelle, tout n’est que commercial et industriel. Si vous avez le label PEFC sur votre bois, fût-il celui des Kenyah, il pourra être vendu dans le monde entier. Et sinon, vous devrez trouver une autre combine. En ce début du mois de mars 2009, où en sommes-nous ? Selon mes informations, l’affaire avance à grand pas. Un processus de reconnaissance du label malaisien MTCC par PEFC est en cours. Au terme de ce « travail » (ici), la Samling devrait donc pouvoir disposer du sésame sur toutes ses grumes, le mot qui ouvre tous les marchés, PEFC. Bien entendu, toutes les associations écologistes malaisiennes dénoncent cette imposture. Mais que sont-elles, face à la clairvoyance de FNE ?

Oh, j’allais oublier. France Nature Environnement a bien de la chance. Oui, bien de la chance. Car dans la discrétion qui sied à ce genre de pratiques, le ministère de l’Agriculture français prend en charge le salaire de certains de ses chargés de mission. Au moins d’un, qui occupe une partie de ses journées à travailler sur le cas malais.

Dans ces conditions, je me permets de proposer à Sébastien Genest un débat contradictoire. Où il voudra. Quand il voudra. De la manière qui lui conviendra le mieux. Je ne poserai qu’une condition : venir accompagné de deux témoins. Et je suggère que nous discutions sans agressivité ni complaisance de cette certification PEFC. Moi en tout cas, je n’ai rien à redouter. Et l’enjeu concerne la totalité du mouvement écologiste. FNE, à mes yeux, doit se reprendre et quitter le bureau international de PEFC. Nous devons, tous ensemble, empêcher la certification en cours de l’entreprise Samling. Pour commencer. Pour recommencer.