Archives mensuelles : septembre 2009

Sur le dérèglement climatique (à Dominique Guillet et tous autres)

Plusieurs lecteurs, dans leurs derniers commentaires, font des allusions plus ou moins directes au dérèglement climatique en cours. Hacène, par exemple, pour qui j’ai l’amitié qu’il sait, est clairement sceptique sur le phénomène, et nous avons déjà eu, lui et moi, plusieurs échanges sur la question. Mais il n’est pas le seul, et loin de là. Depuis l’Amérique où il réside, Dominique Guillet m’a envoyé un texte qui pèse bon poids.

Dominique Guillet est le créateur de la merveilleuse association appelée Kokopelli (ici). Je crois pouvoir dire que nous nous aimons bien. N’est-ce pas, Dominique ? Il n’empêche que son long papier titré : Les Caniculs-bénis (une nouvelle hystérie religieuse au service de l’Ordre mondial, ici) m’a plongé dans une réflexion douloureuse, que vous pourrez lire – ou non – ci-dessous.

Dans l’affaire du climat, les choses sont à la fois terriblement simples et horriblement complexes. Ce qui est simple, c’est qu’une communauté mondiale de chercheurs est arrivée – une première dans l’histoire de la science en si peu de temps – à un consensus. Sur la base de séries climatiques de très longue durée – plusieurs centaines de milliers d’années « d’archives » cachées dans la glace de l’Antarctique -, ils ont constaté une corrélation très significative entre la concentration de CO2 dans l’atmosphère et la température moyenne. Ce qu’on appelle l’effet de serre.

Autre constat : il y a « forçage radiatif » depuis les débuts de la révolution industrielle. Les activités humaines ont fait brusquement augmenter la concentration en CO2. Enfin, fort logiquement, on peut constater une augmentation en cours de la température moyenne, nette depuis au moins un siècle. Si quelqu’un n’est pas d’accord avec ces trois points, qu’il veuille bien expliquer une bonne fois pour toutes en quoi. Et pourquoi. De manière simple, car je crois l’avoir été.

En tout cas, jusqu’à ce point de l’histoire, on y voit à peu près clair. C’est ensuite que tout s’emballe, car la question quitte le champ de la science pour entrer dans le domaine social, politique, et même psychologique. La science n’a rien de parfait. Elle se trompe, elle fait machine arrière, elle tâtonne. Et c’est pourquoi, bien que d’une manière brinquebalante et bien entendu discutable, elle obtient des résultats.

Dans le domaine du climat, les incertitudes et les erreurs sont FATALEMENT au rendez-vous. Et elles sont d’autant plus nombreuses que le sujet est d’une complexité qui dépasse l’esprit humain. Oui, qui le dépasse. Aucun cerveau, sur cette planète, ne sait ce qu’est le climat. Comment il évolue et évoluera. Quels rapports il entretient avec les autres éléments constitutifs de la biosphère. C’est ainsi.

Ce que le GIEC – un organisme scientifique international créé par l’ONU en 1988 – exprime au fond, c’est à la fois notre petitesse et notre grandeur, mêlées d’une façon indissoluble. La recherche, dans cet regroupement de cerveaux, est souvent peureuse, bureaucratisée, influencée sans l’ombre d’un doute par des considérations politiques et même économiques. Et alors ? Quel cénacle de cette taille et de cette importance réussirait à s’abstraire des rapports de forces sociaux  ?

Il faut donc faire avec les défauts de cette institution. Parce que c’est une institution. Et considérer que le GIEC est l’instrument imparfait dont nous disposons pour faire face à une menace parfaitement inédite. Faut-il l’améliorer ? Oui. Faut-il le critiquer ? Sans cesse. Peut-on s’en passer ? Non. Dans l’hypothèse, qui court ces jours-ci, où nous entrerions dans une phase de refroidissement de quelques décennies, cela ne changerait rien à rien. À notre échelle, c’est considérable. À celle de la vie, qui se compte en milliards d’années, ce n’est pas même un souffle. La question qui restera posée demain est la même qu’aujourd’hui : peut-on laisser augmenter la concentration de CO2 – et autres gaz à effet de serre – sans courir le risque d’une déstabilisation du climat, ouvrant la voie au chaos ?

Je crois que ceux qui se poussent du coude d’un air entendu, prétendant à demi-mot qu’on les mène en bateau, expriment à leur insu une peur terrible, une terreur même de l’avenir. Je les comprends, notez-le bien, car en effet, les perspectives sont angoissantes. Mais ce n’est pas une raison pour nous ressortir les vieilles lunes d’une sorte de conspiration mondiale. Or c’est bien ce que font la plupart des « objecteurs du réchauffement climatique ». Profitant des nombreuses zones d’ombre d’un dossier extraordinaire, qui cache encore d’innombrables surprises, ils tentent de (se) rassurer en accusant les porteurs de mauvaises nouvelles. En l’occurrence, et prioritairement, le GIEC.

Je ne vais pas vous imposer un traité sur l’histoire du complot mondial tout au long du siècle dernier. Ce serait intéressant. Mais je ne veux pas, car ce serait au passage disqualifier ceux qui, de bonne foi, s’interrogent. Et ils sont nombreux. Moi, je leur dis d’homme à homme, d’homme à femme : quelle est donc votre explication ? Cessez un instant de tourner autour du pot et videz votre sac. Quelle explication ? La seule qui vaille ressortit à la théorie du complot, qu’on le veuille ou non. De mystérieux liens uniraient des centaines de scientifiques du monde entier, qui ne se sont jamais rencontrés pour la plupart. Tous se tromperaient, ou tous tromperaient, à l’exception de quelques valeureux, trimant dans leurs pauvres laboratoires délaissés, et qui seraient bien entendu ostracisés par leurs pairs.

Cette chansonnette est connue depuis des lustres. On veut nous rejouer l’affaire Galilée, et démontrer au passage que l’on a été plus clairvoyant que les petits copains. Mais merde, à la fin ! Dans le système en place, que je critique jusqu’à plus soif ici, un scientifique sérieux peut publier dans une revue sérieuse. Les intérêts d’État, les intérêts industriels, aussi puissants qu’ils soient quelquefois, ne sont pas en mesure d’empêcher les informations vérifiables de circuler. Si ?

On peut certes dérouter, mentir, gagner du temps. Mais le plus drôle, dans cette affaire de climat, c’est que les seules manœuvres de désinformation connues, établies, certaines, sont venues de la grande industrie, au travers de comités ad hoc, dès avant Kyoto. Encore ne s’est-il agi que d’actions de retardement, qui n’ont pu empêcher la connaissance – toute relative, toute provisoire – de se faire jour. Toute l’histoire des hommes est pleine de ceux qui jamais ne se résolurent à croire Cassandre. Je le rappelle pour ceux qui ont la mémoire courte, plus Cassandre disait vrai, moins on l’entendait. La vérité – la guerre de Troie, l’usage du fameux cheval pour entrer dans la ville et la ruiner – , trop affreuse pour être seulement considérée, se transformait à chaque fois en fatalité.

J’irai plus loin encore. Si même, et ce n’est assurément pas le cas, le réchauffement était un mythe, il faudrait alors parler de mythe fondateur. Car aucun problème, à ma connaissance, n’aura à ce point soudé la communauté humaine autour de sa destinée. Aucune affaire du passé n’aura permis de penser ensemble, de discuter ensemble, d’avancer ensemble, fût-ce de manière millimétrique. J’en reviens donc à mon interrogation. Que cherchent donc ceux qui mettent en doute le dérèglement climatique en cours ? Que veulent-ils réellement, et le savent-ils seulement ? Ce n’est pas au GIEC de s’expliquer. Ce n’est pas aux écologistes engagés dans la plus grande bataille de tous les temps. C’est à eux.

Sébastien Genest a-t-il un rapport avec le Liberia ? (Acte 2)

Pour bien comprendre cet article-ci, et j’en suis navré, il faut lire le précédent. Le Liberia vient de vendre pour 25 ans des droits d’exploitation forestière, dans des conditions troubles. À au moins deux prête-noms de la transnationale Samling, accusée dans le monde entier d’exploitation illégale de bois et de violation du droit des peuples forestiers. Tapez sur Google : Samling illegal log, et vous serez édifié si vous parlez anglais. Mais vous pouvez essayer également avec : Samling exploitation illégale de bois. Je vous recommande pour ma part un document (1) qui décrit la lutte du peuple Penan contre la Samling et la certification MTTC, qui lui permet de vendre son bois comme s’il était exploité de manière durable.

MTTC, c’est un label malaisien dont j’ai déjà parlé (ici). Le Malaysian Timber Council Certi?cation (MTTC, ou Conseil malaisien de certi?cation du bois) est un organisme aux ambitions immenses. Qui entend être « recognised as the leading timber certification organisation for tropical forests ». C’est-à-dire reconnue comme l’organisation-phare dans le domaine de la certification du bois tropical. Je pense qu’ils y arriveront, car ces messieurs-dames ont l’esprit large, réellement très large. Preuve en est qu’ils ont accordé en 2005 un quitus général à l’entreprise Samling en lui donnant un label très précieux sur le plan commercial. Je vous invite à consulter le document en français appelé Certification d’une concession privée en Malaisie (2), qui vous fera mieux comprendre les formidables enjeux cachés de la certification.

Résumons : MTTC offre un cadeau royal à la Samling, qui dévaste les forêts du monde, et s’attaque aujourd’hui à celles du Liberia. Mais que serait MTCC sans PEFC ? Rien. Pardonnez-moi ce jargon, qui ne vient pas de moi. PEFC est LE grand certificateur de bois dit durable dans le monde. Qui dispose du tampon est le roi des affaires. Or PEFC a certifié MTTC, opérateur « régional », lui donnant ainsi sa caution planétaire. L’affaire s’est conclue le 1er mai 2009 (ici), tranquillement, discrètement. Une poupée russe, telle est l’image qui s’impose. La Samling. Puis MTTC. Puis PEFC. Et enfin Sébastien Genest.

Ne l’oublions pas. Genest, qui ne sait rien, RIEN, RIEN, RIEN, des forêts tropicales, a accepté, malgré de nombreux avertissements, de siéger au bureau international de PEFC, lui donnant ainsi une caution «écologiste» inespérée. France Nature Environnement est la seule association AU MONDE à accepter de siéger dans ce machin (ici). Scandaleux ? Le mot est faible. Comme je veux malgré tour détendre l’atmosphère, je vous invite à aller ricaner sur le site de PEFC France (ici). Vous y lirez un morceau d’anthologie concernant l’Australie, où des entreprises certifiées PEFC se sont attaquées à des forêts primaires au napalm, au moins jusqu’en 2007. Commentaire désopilant de PEFC France : « Pour FNE, deux points doivent encore être améliorés : la conversion des petites surfaces et les coupes rases sur les forêts primaires ». Oui, pour FNE, il faut améliorer les coupes rases sur les forêts primaires. J’allais le suggérer.

Que répondent Genest et le petit groupe autour de lui ? Là encore, faute de mieux, rions. Dans le bulletin de mai 2009 de FNE, qui s’appelle La lettre du hérisson, on trouve cette grandiose introduction : « Le schéma australien reconnu par PEFC a été l’objet de critiques virulentes de la part de nombreuses ONG, quant aux pratiques sylvicoles controversées qu’il présentait. Même si des progrès ont été constatées ces dernières années, FNE a voulu profiter de l’assemblée générale de PEFC à Canberra (Australie) pour aller sur le terrain et statuer par elle-même. La situation complexe mérite d’être prise avec nuance ».

Grand, réellement. Genest part à Canberra faire la leçon aux autochtones. Car ce n’est bien entendu pas fini. « Les représentants des entreprises rencontrées nous ont fait part de manière insistante de leur volonté de rencontrer the Wilderness Society et Australia Conservation qui sont des ONG importantes en Australie. FNE considère que ces ONG devraient saisir l’opportunité de peser de tout leur poids dans la révision des standards australiens afin de pouvoir faire évoluer les pratiques sylvicoles ». C’est diplomatique, mais c’est net. FNE ose reprocher aux écologistes australiens de ne pas participer au lancer de napalm. Officiellement, il est vrai, cette bombe incendiaire amie des hommes et des bois n’est plus utilisée. Mais il reste le monofluoroacetate de sodium, un épouvantable toxique. Sublime, FNE constate : « Aux dires de Forestry Tasmania, le monofluoroacétate de sodium (ou 1080) n’est plus utilisé depuis décembre 2005. S’il l’est toujours sur les domaines privés, son utilisation globale a chuté de 15kg/ha en 1999 à moins de 0.7 kg/ha en 2007 ». Notez avec moi, je vous prie. Forestry Tasmania est l’organisme gouvernemental en charge des forêts de cette île si belle. L’organisme qui a couvert la destruction d’au moins 140 000 hectares de forêts primaires depuis 1997. Et cet excellent témoin affirme donc que le poison appelé 1080 est moins, je répète, moins utilisé. Et FNE le croit.

Mais comme elle a un sens critique inouï, FNE n’a pas voté en faveur du renouvellement du label PEFC en faveur des exploitants forestiers australiens. Na ! Tout en restant bien entendu au bureau international. Ce qui est quand même réconfortant, c’est que les amis français de Genest, ceux de PEFC-France, admirent ses contorsions. Commentant le refus de vote de FNE, ils notent sur leur site : « PEFC accueille ces remarques avec bienveillance et salue l’implication de FNE dans PEFC depuis sa création en 1999 ». Défense de se moquer de Genest. Dans le même bulletin, FNE s’explique avec autant de grâce sur la Malaisie. Ô pauvre mère ! Je vous jure, avec la meilleure volonté du monde, que c’est incompréhensible. Tant pis, j’essaie.

FNE reconnaît que la Samling est, je cite « responsable de la destruction de 80% de la réserve de biosphère sur le territoire du peuple Penang, de mauvais traitements sur ce peuple ainsi que de crimes ciblés ». Ce n’est pas tout à fait rien. Il y aurait deux types de certification. Ceux de 2001, accordés à la Samling. Et ceux de 2002, qui lui seraient, en tout cas pour le moment, refusés. Et du coup, fier comme Artaban, FNE clame : « Nous sommes intervenus auprès du consultant externe chargé d’évaluer les standards et les processus d’élaboration (…) Nous nous sommes de plus assurés qu’aucune pratique controversées n’étaient en cours sous la houlette des nouveaux standards MC&I (2002). Une fois toutes ces assurances obtenues, nous avons accepté la reconnaissance du schéma malaisien ».

Je vous avais prévenu. Ce n’est pas du malais, c’est du chinois. Reste une chose fondamentale dont ne peut guère se vanter Genest, pour cause. La Samling, cette entreprise coupable de « crimes ciblés », dispose bel et bien d’un label MTTC, et MTTC a bel et bien été labellisé par PEFC, où siège le président de France Nature Environnement. En toute légalité, la Samling peut donc vendre son bois en prouvant qu’il est certifié durable. On reparlera du Liberia. Et de la Samling. Pesant le sens des mots, je prétends que la présence de Sébastien Genest au bureau international de PEFC est un déshonneur. Je sais que ce mot n’a plus guère de sens. Moi, j’y vois l’essentiel.

PS : Pourquoi, oui pourquoi les associations fédérées à FNE se taisent-elles ? Et toutes les autres ? Il est visiblement plus facile de voir la paille que la poutre. Je pense que vous connaissez la parabole.

(1) www.bmf.ch/en/pdf/selaan-linaureport.pdf 

(2) www.itto.int/direct/topics/topics_pdf_download/topics_id=9330000&no=2

Sébastien Genest a-t-il un rapport avec le Liberia ? (Acte 1)

Les forêts tropicales, c’est loin, n’est-ce pas ? Elles brûlent, on les découpe en rondelles, on en fait des allumettes ou des porte-fenêtres ou des pistes de danse. C’est loin. Et du même coup, comme il est facile de s’indigner ! Haro sur ces vilains et méchants qui font tant de mal à la biodiversité ! Tiens, je vais faire un communiqué de protestation qui ira se perdre dans le cyberespace, autre nom du trou du cul du monde.

Je vous raconte cela pour la raison que les écologistes de salon me rendent malade. À de rares exceptions près, rien n’est jamais tenté en France contre les entreprises qui importent chez nous du teck, de l’acajou, du movingui, de l’ipé. Vous voulez en acheter sur le net ? Voyez donc cette toute petite boîte bolivienne qui exploite 175 espèces d’arbres (ici). Je serais étonné que vous ne trouviez pas ce que vous cherchez. Et ces prix ! Cessons de rire tout de même : la société française, par indifférence, intérêt, plaisir, est massivement complice de la destruction des forêts lointaines. Un jour prochain, les larmes de crocodile ennoieront le monde entier, mais ce sera trop tard. L’évidence du crime planétaire s’impose de jour en jour.

Venons-en à celui qui doit se prendre pour une tête de Turc. Ma tête de Turc à moi. J’ai nommé Sébastien Genest, que j’ai secoué comme un prunier il y a quelques mois (ici). Sébastien Genest est le président en titre de France Nature Environnement (FNE), qui assure regrouper 3 000 associations locales et régionales de protection de la nature en France. Je n’ai pas vérifié, mais FNE est sans conteste le poids lourds de ce milieu associatif. Il ne le croira pas, mais je n’ai rien de personnel contre lui. Je ne le connais pas. Et ceux qui le fréquentent et m’en parlent lui trouvent des qualités. Le problème n’est donc pas personnel, il est beaucoup plus grave.

Exceptionnellement, ce papier sera découpé en deux parties. Non par goût du suspense – encore que -, mais parce que les choses sont un peu compliquées pour tout avaler d’une seule bouchée. Si tout se passe bien, la seconde viendra demain. Mais voici la première, qui concerne un pays africain nommé Liberia. Comme Liberté. Des anciens esclaves noirs revenus des États-Unis ont fondé en Afrique de l’Ouest, en 1847, une petite république indépendante. Il y aurait à dire. Quoi qu’il en soit, entre 1989 et 2003, une guerre civile d’une rare sauvagerie a tué là-bas 150 000 personnes, essentiellement civiles. Le Liberia a été le pays des enfants-soldats, comme la Sierra Leone voisine, entraînée elle aussi dans une guerre civile atroce, intimement liée à la première.

La forêt tropicale a joué un rôle essentiel de refuge pour les combattants, leurs machettes, leurs fusils d’assaut. Mais aussi de moyen de financement clé, par le biais d’une surexploitation folle d’un écosystème d’une rare richesse. Le Liberia abrite aujourd’hui encore le désormais si rare hippopotame pygmée et l’une des dernières populations d’éléphants des forêts en Afrique de l’Ouest. Massivement aidé après la fin de la guerre civile par des fonds internationaux, le Liberia avait entrepris une mise à plat de son système d’exploitation forestière, et les plus confiants imaginaient déjà que ce pays martyr deviendrait un exemple international de bonne gestion. Raté.

Oh oui, raté ! L’ONG Global Witness (ici) rapporte des cas de pillage des ressources naturelles, partout dans le monde. Il y à faire. Or, le 15 juillet dernier (ici), elle dénonçait la décision du Liberia d’accorder « to timber pirates » – à des pirates du bois –  des permis d’exploitation portant sur 25 ans. Global Witness vise deux entreprises servant de prête-noms à la Samling, cette transnationale dont le nom même effraie d’un bout à l’autre de la terre. Citation de Natalie Ashworth, de Global Witness :« Étant donné le rôle de combustible de la guerre civile au Liberia qu’a pu jouer l’industrie du bois, donner cette dernière à des entreprises parmi les plus prédatrices au monde pourrait se révéler désastreux. Samling est le genre d’opérateur qui ne devrait être autorisé nulle part près des forêts du Liberia. Encore moins en lui offrant leur contrôle pour des décennies ».

Je résume : Samling, transnationale, est dénoncée par des peuples forestiers du monde entier. À cause des destructions irréparables auxquelles elle se livre. À cause des innombrables violations des droits de l’homme que sa présence implique. Mais. Mais la Samling vend tout de même son bois dans le monde entier, sans apparemment rencontrer le moindre problème. Y a quelque chose qui cloche là-dedans, j’y retourne immédiatement. À demain, si vous le voulez bien.

Le voleur et le fourgue (Lula, Sarkozy, 36 Rafale)

Je ne devrais pas me vautrer dans l’autopromotion, mais je suis ainsi fait. Et voici donc un conseil on ne peut plus désintéressé : lisez-moi plus souvent. Il y a presque un an, dans un papier intitulé Isto é o Brasil ! (Lula en plein délire), j’annonçais la vente prochaine d’avions Rafale au Brésil (ici). Je notais au passage cette cruelle évidence : « Lula est donc comme ces lamentables politiciens que nous connaissons tous. Son rêve de bas étage consiste à changer le destin du pays qui l’a élu. De le faire entrer dans le club des cinq ou six pays les plus puissants de la planète. Et d’entrer du même coup dans les livres d’histoire. Sans se demander s’il y aura encore, à l’avenir, des livres d’histoire. Sans se demander s’il y aura encore une histoire ».

Vous le savez donc désormais comme moi : la France de Dassault, celle que je déteste plus qu’aucune autre, vient d’engranger un contrat qui pourrait atteindre 5 milliards d’euros pour 36 Rafale. Le Rafale, ce formidable avion que nul ne nous envie, était jusqu’ici réservé à nos glorieuses armées, celles qui sautent sur les mines des chemins d’Afghanistan. Comme cet avion était indispensable ! Et comme Lula a eu raison de ponctionner ainsi le trésor national brésilien !

À ce stade, je vous l’avoue, j’aimerais qu’une fée aux yeux bleus m’emmène avec elle au pays des elfes. Je marcherais avec délice dans des prés rouges aux fleurs noires, j’embrasserais mes douces voisines, toutes belles à pleurer, et j’irais me baigner nu dans le grand fleuve violine où disparaissent péchés et souffrance. Au lieu de quoi je vous entretiens d’un brigandage de plus, dans cette liste qui n’a évidemment aucune fin.

Brigandage. Bien sûr. Piquer 5 milliards d’euros à l’avenir, aux paysans sans terre, à la forêt amazonienne, aux colibris, aux jaguars, aux tapirs, c’est un vol manifeste. Lula est donc un voleur, et Sarkozy un receleur qui devrait comme il se doit finir en taule. Car qu’est donc un receleur ? Un type – une fille, plus rarement – qui soustrait à la justice des biens qui ont été dérobés. Qui pourrait nier que les Rafale de M. Dassault ont dérobé des ressources destinées au peuple français ? Qui pourrait nier que l’argent public englouti dans ce fiasco gigantesque aurait été mieux utilisé ailleurs ? Mais le droit, et ce n’est pas la première fois que cela lui arrive – ici, rire préenregistré – est en retard sur la marche du monde. Le crime écologique n’est pas punissable.

Comme ma fée aux yeux bleus et mes belles voisines tardent à arriver – espero, j’attends et j’espère -, je me sens obligé de vous délivrer une moins mauvaise nouvelle que l’annonce de la vente de Rafale par Sarkozy-le-fourgue. Sachez-le si vous l’ignorez, ce grand crétin de Lula ne peut se présenter une troisième fois aux élections présidentielles. Or les prochaines auront lieu en octobre 2010. Lula étant sur la touche, il a intronisé – il ne faut surtout pas se gêner – Dilma Rousseff comme successeur. Une femme, qui ferait exactement la même politique.

Ce qui ne serait pas le cas, du moins peut-on l’espérer, de Marina da Silva, ancienne ministre de l’Environnement de Lula. Non seulement elle a quitté son poste avec éclat, mettant en cause notamment la politique officielle vis-à-vis des sans-terre et de la grande forêt, mais elle vient d’annoncer son ralliement au petit parti écologiste. Tout n’est pas fait, mais elle pourrait bien défier Rousseff dans un an (ici). Elle n’a pas que des qualités, comme en témoignent ses graves ambiguïtés sur le darwinisme et ses liens – qui expliquent tout – avec les mouvements évangélistes d’origine protestante.

Elle n’a pas que des qualités, mais à l’inverse de Rousseff, elle n’a pas que des défauts. En conséquence, moi qui ne vote (presque) jamais en France, je me demande quelles démarches accomplir pour voter l’an prochain là-bas. Mais je vois approcher ma bonne fée, et même quelques délicieuses voisines, et je me propose de leur poser la question. À moins qu’elles ne m’en laissent pas le temps. Je les connais, c’est possible.

À une autre armée de connards (sur la bagnole)

Vous savez quoi ? Peut-être bien que non. « Édité par le groupe ETAI, Auto Infos est, depuis 1945, LE magazine de référence sur l’actualité de la distribution, de la réparation et des services automobiles ». C’est une citation, vous pensez bien que je n’écrirais pas des choses pareilles de moi-même (ici). En tout cas, ce magazine m’aura appris une chose si fantastique que je vous en fais profiter aussitôt. Ne suis-je pas, au fond, un homme serviable ?

Le 28 août dernier, Auto Infos a publié un article dont voici le titre : « L’industrie automobile serait à la veille d’une phase de croissance massive » (ici). Bien entendu, la tête farcie des annonces apocalyptiques – pour elle – venues de l’industrie de la bagnole, j’ai eu la tentation de poursuivre. Bien m’en a pris. L’article est génial, admirable dans sa loufoquerie, et plein d’un sens de la pédagogie certes involontaire, mais impressionnant tout de même. Que dit-il ? Par lui-même, pas grand chose. Mais il cite une étude d’un grand cabinet de conseil américain, Booz & Company.

Je mentirais en disant que j’ai lu ce travail dans sa version originale anglaise, mais vous pouvez le faire sans moi (1). Le résumé qu’en fait l’illustre Auto Infos m’aura suffi. Et voici : la crise de l’automobile est imaginaire, car les plus belles années de la bagnole individuelle sont devant nous. Pour une raison imparable : les ventes devraient augmenter de 600 % dans les pays « émergents» d’ici 2018. Il existe sur terre la bagatelle de 672 millions d’autos, mais elles seront – seraient, d’après  Booz & Company – 1,1 milliard en 2013, puis 1,5 milliard en 2018. Or donc, dans moins d’une dizaine d’années, deux fois plus de voitures sur terre qu’aujourd’hui.

Le groupe dit BRIC (Brésil, Russie, Inde et Chine) assurerait une bonne part de ce qu’il faut bien appeler une révolution. Une révolution totale et définitive. Il est possible, bien que très peu probable, qu’un tel événement survienne. Il en adviendra d’autres. En tout cas, aucun des imbéciles qui croient en ces âneries n’imagine une seconde ce que signifierait vraiment un déferlement aussi massif. Les ponctions invraisemblables qu’il faudrait consentir dans le budget des particuliers et des États pour acheter ces merdes et fabriquer les routes et parkings à elles dédiés. Ces budgets pharamineux ne seraient évidemment pas employés pour l’agriculture vivrière, la restauration des écosystèmes naturels, l’éducation, l’assainissement de l’eau, etc.

Aucune de ces andouilles n’a entendu parler de limites physiques, de crise climatique, de thrombose des principales villes du monde, de manque in fine des matières premières indispensables à la construction d’une telle flotte et à son entretien. Pas un, pas une ne comprend qu’une semblable évolution serait de facto une guerre civile mondiale entre qui ceux roulent et ceux qui marchent. Pas un, pas une n’imagine jusqu’à quels drames sociaux, politiques, écologiques bien sûr, conduirait la fabrication de plus de 800 millions de véhicules en acier et plastique en seulement neuf années. 800 millions en admettant qu’on garde ceux qui existent, ce qui ne sera pas le cas. Disons un milliard.

Bref. Mais l’industrie, que ces gens servent de leurs petites mains ingénieuses ? Mais GM, Renault, PSA, Toyota, Volkswagen ? À votre avis, comment les  « décideurs » de l’univers mécanique de la bagnole prennent-ils ce genre de bobards ? Pensez-vous que M. Carlos Goshn, notre patron chéri de Renault-Nissan, rigole un bon coup, et part boire un verre avec des amis ? Franchement, je doute. L’industrie est par nature amorale, et ne cherche d’autre but que sa perpétuation et la satisfaction financière de ses maîtres. À coup certain, elle ne peut que saliver en face de telles perspectives.

Nos vertueux constructeurs automobiles sont donc en train di mostrare i denti – montrer les dents -, de retrousser aussi leurs manches avant de se lancer dans l’immense bagarre planétaire qui s’annonce. Oubliées, les fumeuses envolées sur la pseudo voiture verte ! Cela fait trente-cinq ans que la bagnole promet d’être plus économe en essence, en puissance, en émissions de gaz. Trente-cinq ans de foutage de gueule intégral. Je rappelle que l’usage de la clim’, imposé en France il y a quelques années sur les voitures neuves, augmente la consommation de combustible de 15 % ! Et je ne parle pas de tous les rajouts commerciaux qui ont systématiquement aggravé les choses. À quoi bon ? L’industrie ne pense pas, ce n’est pas son rôle. L’industrie mord à la gorge, et avance. La bagnole, vous l’aurez sans doute reconnue, n’est autre que le chien des Baskerville. Un monstre, certes, mais qui appartient tout de même à quelqu’un.

Concluez avec moi, ce ne sera pas difficile, que la voiture est l’ennemie du genre humain. L’ennemie directe de villes vivables, de sociétés équilibrées, d’hommes en bonne santé. L’adversaire mortelle de tout projet d’autonomie et de paix entre égaux. Je ne vois quel compromis nous pourrions passer avec une telle folie. Ou ce sera elle, et le chaos général que les fantasmatiques projets de Booz & Company annoncent. Ou ce sera autre chose. Mais les deux en même temps, je ne pense pas. Et vous ?

(1) Il s’agit d’un PDF que vous devez charger à l’adresse suivante : www.strategy-business.com/media/file/enews-07-29-09.pdf