Archives mensuelles : novembre 2009

Énième avis général concernant la crise climatique

Nous sommes le 24 novembre 2009, et j’ai écrit tout à l’heure un commentaire à la suite d’une ribambelle à laquelle vous pourrez éventuellement vous rapporter (ici). Ils concernaient un texte que j’avais titré : Sur le dérèglement climatique (à Dominique Guillet et tous autres). À la réflexion, je me décide à le mettre en circulation sous la forme d’un article, bien qu’il n’ait pas été pensé comme tel. Je partage l’avis de l’éditorialiste du Guardian, George Monbiot. Quelle que soit la force des négateurs de la crise climatique, les recherches sérieuses, accumulées depuis vingt ans, restent de loin les plus fortes (ici). À propos de Monbiot, je ne saurais trop conseiller à ceux qui lisent l’anglais de se jeter sur son papier du Guardian, ou mieux encore de se rapporter à son site (ici).

George – j’espère qu’il me pardonnera cette familiarité – a monté un canular de première force. Et à l’heure qu’il est, plus de 1100 commentaires s’empilent sur l’édition électronique du Guardian, qui n’ont pas encore compris dans quel piège ils étaient tombés. En deux mots : Monbiot a inventé un courriel délirant d’un soi-disant scientifique du GIEC, qui démontrerait l’existence d’un vaste complot mené par les Chevaliers carboniques. C’est hilarant de bout en bout, et CELA MARCHE ! Cette blague géante, dont on reparlera sûrement, démontre sans détour que nombre de négateurs de la crise climatique ne lisent pas. Et qu’ils ne réfléchissent pas davantage. Je sens des dents se crisser, dont les miennes. Mais moi, pardonnez, c’est de rigolade franche.

Et voici donc le petit texte que j’avais mis en commentaire.

À TOUS

Je sais qu’il ne faut pas hésiter à se répéter, aussi lassant que cela soit. Tous les passants de ce blog ne s’arrêtent pas au même endroit, je le sais bien. Je n’avais pas vu passer le texte mis en ligne par Bernard plus haut, qui me consterne. Je rappelle, et je crains que cela ne soit pas la dernière fois, que je REFUSE que Planète sans visa devienne un lieu d’échanges où les négateurs de la crise climatique, quelle que soit leur bonne foi éventuelle, viendraient en goguette. Pour moi, c’est NON. Il y a d’autres lieux, et chacun peut faire ce que je fais moi-même en écrivant ici des articles.

Je sais qu’il existe d’innombrables incertitudes concernant la forme que prendra cette crise climatique. Mais, pour avoir suivi la difficultueuse mise en place du GIEC depuis maintenant vingt ans, je redis que je n’ai pour ma part aucun doute sur la réalité d’un changement déclenché par les activités industrielles humaines.

Chacun a le droit de penser autrement, et je ne perdrai pas mon temps à chercher à convaincre quiconque. Ma vérité à moi est approximative, empirique et pragmatique. Ce qui la rend assez solide pour que je ne me laisse pas distraire par tous ceux qui fantasment sur le grand complot universel.

Il arrivera fatalement un moment où je censurerai ceux qui ne comprendraient pas ce que j’ai écrit plus haut. Car, rappelons-le, Planète sans visa a été créé par moi, et n’est alimenté que par mon travail, lui-même totalement et heureusement bénévole. Je ne suis pas un service public. Nul ne me verse la moindre taxe. Je suis libre de refuser chez moi ceux qui refuseraient les règles de savoir-vivre qui ont cours sur mon territoire. Le cyberespace est assez vaste pour qu’on m’oublie d’un simple clic.

Hugo Chávez est un salaud (3)

Je ne sais si vous connaissez l’Acrimed, autrement dit Action-Critique-Médias (ici). Née après les grandes grèves de 1995, cette association altermondialiste de la gauche radicale observe d’un œil attentif le fonctionnement de la presse. Et ne manque pas de distribuer des mauvais points à ceux qui faillissent aux règles de l’honnêteté. J’ai eu l’occasion, il y a quelques années, d’échanger avec Henri Maler, l’un des créateurs de l’Acrimed, des courriels au sujet du président vénézuélien Hugo Chávez. Je ne connaissais pas Maler, et ne le connais toujours pas. Mais des amis m’avaient dit qu’il n’était pas aussi fermé que la plupart de ses proches à l’Acrimed. Et moi, je voulais que des vérités sortent sur ce salaud de Chávez (ici et ).

J’ai perdu mes échanges avec Maler, qui au reste n’ont mené nulle part. Et l’Acrimed, au lieu que d’enquêter à fond sur les liens pourtant avérés entre Chávez et le fasciste argentin Ceresole, a comme il était écrit, attaqué le journal Libération, accusé d’avoir présenté Chávez comme un antisémite, ce qu’il est (ici). Eh bien, quoi de neuf sur le front ? Avant de répondre, je précise une nouvelle fois que je parle de ce salopard pour la raison qu’il détourne de combats bien plus importants une masse de jeunes qui voient en lui un révolutionnaire à la manière de. L’écologie, l’épuisante bagarre contre la crise écologique perdent des combattants qui préfèrent passer leur temps à disserter sur les mérites supposés de ce bas caudillisme qu’est le chavisme.

Et maintenant, le neuf. Pouah !  Chávez vient de clamer son amour de cette ignoble crapule de Carlos, poussah terroriste vénézuélien emprisonné en France. Je n’ai ni le temps ni l’envie de rappeler qui est Carlos, à quoi ressemble son lamentable itinéraire. Ou vous le savez, ou vous le saurez bien sans moi. Mais ce n’est pas tout. Incapable de s’arrêter en si bon chemin, Chávez a pratiquement réhabilité feu le dictateur ougandais Idi Amin Dada. Pas si mal, non ? Et qualifié le satrape Robert Mugabe, qui condamne son pays, le Zimbabwe, à la famine et à la terreur, de « frère » (ici). Mugabe le raciste, qui a ruiné l’agriculture de son pays, qui était jadis l’un des greniers à blé de l’Afrique australe. Mugabe, qui a truandé massivement les présidentielles et les législatives de 2008, comme l’a fait à Téhéran cet autre frère de Chávez – raciste, lui aussi – qu’est le tyran Ahmadinejad.

Sûr, sûr, sûr que l’Acrimed, Le Monde Diplomatique et Daniel Mermet vont rouvrir le dossier Chávez. Sûr, sûr, sûr qu’ils vont nous dire pourquoi ils se sont à ce point trompés, une fois encore. Pourquoi ils ont à ce point trompé leur monde. Sûr, sûr, sûr.

Henri Proglio, EDF, les neuneus, la Chine, le Laos et moi

Je vais faire semblant d’être immensément complaisant avec la doxa écologiste en place. La doxa, c’est cet ensemble hétérogène d’opinions molles qui finit par former un cadre d’airain dont personne n’ose sortir. Cette doxa, c’est celle par exemple des tenants du Grenelle de l’Environnement. De tous ces gens, plus ou moins de bonne foi, qui ont accepté de jouer le rôle de faire-valoir écologiste du maître provisoire des lieux, Nicolas Sarkozy. Pour eux, il serait concevable de parler de la crise écologique à l’échelle de la France. Aux dimensions strictement politiciennes que lui prête notre président. Ce pourrait être seulement bête. C’est aussi une très grave perte de temps.

Mais passons, car j’ai décidé donc de faire semblant. En France, tout irait vers le mieux. On discuterait enfin sérieusement de déchets, de biodiversité, de qualité des eaux, de niveau acceptable de pesticides. Les rôles de composition ne me vont guère, mais on s’en contentera. Or donc, notre pays serait en pleine effervescence écologique, bouillonnant de projets magnifiques, ouvrant la porte en grand aux énergies renouvelables. Si. Admettons, car c’est pour rire. Je vais vous dire, sans trop vous surprendre : et alors ?

Car toute cette fantaisie ignore par ailleurs ce qu’est l’économie mondialisée. Notre petite France a un besoin vital et constant de ces grands marchés émergents où l’on parvient encore – pour combien de temps ? – à fourguer réacteurs nucléaires, bagnoles, turbines, champagne et parfums. Ce n’est pas très compliqué : sans la Chine, par exemple, nous coulons au milieu du grand bain. Notre mode comme notre niveau de vie criminels ne se maintiennent qu’à la condition expresse de la destruction d’écosystèmes uniques, qui ne reviendront jamais. Jamais.

Je suis un poil énervé, car je viens de lire un papier en anglais du journaliste Daniel Allen, correspondant à Pékin du magazine Asia Times Online (ici). Que nous apprend Allen ? Que la Chine est en train de transformer le Laos en une colonie, surtout le nord du pays, qui est assurément l’un des hotspots – points chauds – de biodiversité majeure de la planète. On trouve dans ce petit pays des tigres, des muntjac à grand bois – un cerf -, des Doucs (des singes qui n’habitent que le Laos et le Vietnam), des éléphants d’Asie. On y découvre encore des animaux aussi fantastiques que le saola, un bovidé sauvage. Bref. Bref. Le Laos est unique.

Et les Chinois sont pressés d’être aussi cons, gras et gorgés de télévision que nous autres. Ils ont ouvert une autoroute qui relie Kunming, la grande ville du Yunnan, et Boten, un village du nord Laos qu’ils ont annexé et transformé en une sorte de bordel géant de la marchandise. Boten est désormais chinois. On y vit à l’heure de Pékin, l’électricité et le téléphone sont reliés au réseau chinois, on y paie en yuan, y compris les nombreuses putes qui ont immanquablement fait leur apparition. Boten est un Disneyland, et les paysans sont comme à chaque fois expulsés, ou parqués. La faune est massacrée comme jamais dans l’histoire, les routes sont pleines de cages où croupissent des ours noirs et des singes qui attendent acquéreurs. Il n’y aura bientôt plus rien à vendre, car le bois tropical est lui aussi abattu, pour être fourgué en Chine ou chez nous.

Une étude de Science complète le tableau (ici) : des centaines de milliers d’hectares de forêt se changent en monocultures d’hévéas pour la satisfaction du marché chinois du caoutchouc, bagnole en tête. Je pourrais m’arrêter ici, car en vérité, peu importe que les massacreurs soient Chinois ou Pétaouchnokais. Ils massacrent parce que l’économie mondialisée dont la France est l’un des hérauts le commande. Ils massacrent à notre place. Il arrive même que nous n’ayons pas besoin de prête-nom. Haut de 39 mètres sur 436 de long, le barrage de Nam Theun 2 (NT2) est Français. EDF achève en ce moment la construction de cette honte nationale, au beau milieu du Laos, sur un affluent du Mekong.

Cocorico ! Oui, cocorico. Le barrage aura nécessité 70 millions d’heures de travail, contre 3,5 pour le viaduc de Millau, en France. Avez-vous entendu dire qu’il menaçait de mort une population de 300 éléphants d’Asie, devenus rarissimes ? Je note cette phrase, qui date de 2005, prononcée par Robert Steinmetz, biologiste à l’antenne thaïlandaise du WWF : « Il s’agit de l’un des deux derniers groupes importants d’éléphants d’Asie du Sud-Est. L’inondation de cette région, c’est comme une balle dans le cœur de la zone fréquentée par les éléphants ».

Qu’ont foutu pendant ce temps-là nos écologistes enrubannés ? Je veux dire, à part trinquer avec les officiels ? À part s’autocongratuler ? À part s’admirer dans la glace dans le rôle de sauveurs de la planète ? Mais à quoi bon se faire du mal, quand tous crient en chœur que tout va bien ? Pour les écologistes officiels et de cour, tout va bien. La France, leur France de sous-préfecture et de confetti de réserves naturelles se porte bien. Pour Henri Proglio, qui dirige désormais et Veolia Environnement et le monstre EDF, artisan du barrage au Laos, tout va bien aussi. Tout va même de mieux en mieux. Entre eux et moi, c’est irréconciliable. Je ne peux même pas écrire ce que je pense réellement. Oui, il vaut mieux que je me censure.

Encore un mot sur Lévi-Strauss

La façon dont tant de cuistres auront rendu hommage à Claude Lévi-Strauss ne passe toujours pas. J’ai violemment attaqué ici, il y a quelques jours, le fondateur du Nouvel Obs, Jean Daniel, et le directeur général de l’hebdomadaire, Denis Olivennes. Et, décidément, leurs affreux louanges et ceux de tant de flatteurs qui ne savent ni ne sauront jamais qui était Lévi-Strauss, me chavirent toujours autant. Je relis ces jours-ci quelques ouvrages du maître disparu. Et il ne faut pas chercher loin la pénétration d’un esprit qui voyait là où les aveugles ne savent où poser le regard.

Tenez, juste quelques phrases extraites du célébrissime Tristes tropiques, un livre qui date de…1955

« Aujourd’hui où des îles polynésiennes noyées de béton sont transformées en porte-avions pesamment ancrés au fond des mers du sud, où l’Asie tout entière prend le visage d’une zone maladive, où les bidonvilles rongent l’Afrique, où l’aviation commerciale et militaire flétrit la candeur de la forêt américaine ou mélanésienne avant même d’en pouvoir détruire la virginité, comment la prétendue évasion du voyage pourrait-elle réussir autre chose que nous confronter aux formes les plus malheureuses de notre existence historique ? ».

« L’humanité s’installe dans la monoculture : elle s’apprête à produire la civilisation en masse, comme la betterave. Son ordinaire ne comportera plus que ce plat ».

Il serait aisé de rapporter cent autres exemples, qui tous démontrent que la cohorte porte le deuil d’un homme qu’elle souhaitait mort et qui ne fut jamais vivant pour elle. Moi, je pense à lui.

L’Inde est en guerre contre l’homme (ne fuyez pas !)

J’aimerais croire au naxalisme. Oh oui ! Mais il va de soi que je déteste définitivement ces oripeaux maoïstes jetés sur une guerre de classe inimaginable pour nous, les petits-bourgeois du monde. Le mieux est de vous expliquer. Cette affaire commence le 3 mars 1967, il y a donc bientôt 43 ans. Nous sommes dans un village au nord du Bengale occidental, près de la frontière avec le Népal. Cet État a pour capitale Calcutta, qu’il faut désormais appeler Kolkata. Et le village a pour nom, lui, Naxalbari.

Ce 3 mars, 150 militants d’un des partis communistes de l’Inde, en l’occurrence ceux du  Communist Party of India (Marxist), ou Parti communiste d’Inde (marxiste) – faut suivre, excusez – s’attaquent à des greniers à riz et à leurs propriétaires. Ils se font vite exclure de leur parti, qui est parlementaire, et pour tout dire installé dans le système. Ceux de Naxalbari, qu’on nommera les Naxalites, créent dès le 1er mai suivant le Communist Party of India (Marxist Leninist) ou Parti communiste d’Inde (Marxiste-Léniniste). Je vous l’avais dit, il faut suivre. Ce nouveau parti est furieusement maoïste, illégaliste, militaire.

Commence une gigantesque bataille de l’ombre dont l’Occident n’a jamais rien su. Un affrontement terrible, qui n’est pas sans rappeler ces fameux « événements d’Algérie » que les pouvoirs de droite et de gauche, en France,  refusèrent toujours d’appeler une guerre. Une guerre, donc, utilisant la violence étatique « légitime » contre des guerilleros et des villageois perdus dans l’immensité rurale indienne. Car l’Inde, que vous ne connaissez peut-être pas, ce n’est pas Kolkata et Mumbai, autrement dit Bombay. L’Inde, c’est un trou du cul géant du monde que jamais personne ne vient visiter. Au bout de chemins défoncés, loin de tout dispensaire, sans école, sans eau potable, sans électricité. Personne. Sauf les Naxalites.

Les militaires indiens ont été formés à la guerre contre-insurrectionnelle par les Britanniques, qui l’avaient apprise sur le terrain, à leurs dépens, pendant la période coloniale, surtout dans la première moitié du XXème siècle. Cela signifie de la casse, beaucoup de casse et de tortures, des rapts, des viols, des meurtres. Cela va de soi. Autre élément très frappant : l’éparpillement délirant, pendant des décennies, du mouvement naxalite, séparé en une bonne vingtaine de factions s’opposant sur la syntaxe de certaines phrases ou le nom de la cousine du voisin. Je peux me tromper et j’avoue n’avoir fait aucune enquête sur le sujet. Mais une telle sottise sent l’action de services spécialisés, hautement spécialisés dans l’infiltration, le retournement et l’affaiblissement subséquent d’une opposition jugée redoutable.

Car les Naxalites sont redoutables. Cons et maoïstes, mais redoutables. Depuis dix ans, ils n’ont cessé d’unifier ce qui pouvait l’être,  forgeant une petite armée de 20 000 hommes peut-être, qui opère dans 200 des 800 districts ruraux de l’Inde, ce qui est gigantesque. Ils ne font pas de cadeaux aux flics, aux agents de l’État, aux agioteurs, ce qui veut dire en clair qu’ils flinguent. J’expliquerai plus loin pourquoi je les comprends sans qu’on me fasse un dessin. Oui diable, je comprends aisément cette violence armée.

En septembre dernier, le Premier ministre indien Manmohan Singh a déclaré que l’extrémisme de gauche – on utilise l’euphémisme left wing extremism pour désigner les Naxalites – est « peut-être la plus grave menace interne à laquelle l’Inde doit faire face », ajoutant que le « niveau de violence dans les États affectés continue à croître ». Tu parles, Manmohan ! 65 000 hommes des troupes spéciales sont sur le pied de guerre, appuyées par des milices armées recrutées dans les villages, qui y font régner leur loi abjecte. L’un de ces groupes, appelé Salwa Judum, contrôle de fait le Chhattisgarh, un État créé en 2000, et les organisations locales de défense des droits de l’homme ne cessent de décrire ses exactions. Comme dans tant d’autres conflits du même genre, ces supplétifs sont à peu près hors de contrôle. Ce qui veut dire qu’ils servent si bien le pouvoir central qu’ils ont toute liberté sur place.

Où va-t-on ? Vers le pire. Qui va gagner ? Sur le papier, les Naxalites n’ont pas une chance de vaincre un tel molosse. Dans la réalité, qui sait ? La plupart des révoltés « sont des tribaux et des dalits [les hors-castes, appelés aussi intouchables] qui luttent pour leur survie et leurs droits fondamentaux. La chercheuse et militante Bela Bhatia a rencontré dans l’Etat du Bihar un ouvrier enrôlé chez les naxalites. “Vous pouvez m’appeler naxalite ou tout ce que vous voudrez, lui a-t-il dit. J’ai pris les armes pour avoir mes 3 kilos de maïs.” Toute la question est de savoir si l’Etat indien doit déclarer la guerre aux plus démunis. “Avons-nous créé un système si atroce que la mort devient plus attrayante que les privations et les humiliations que produit ce système ? Si tel est le cas, pourquoi devrions-nous défendre un tel système ?” se demande Himanshu Kumar, seul militant des droits de l’homme présent dans le lointain district de Dantewada, au Chhattisgarh (ici, la suite) ».

On l’aura compris, les insurgés s’appuient sur deux catégories d’Indiens de seconde zone : les dalits ou intouchables, et les tribus autochtones.  Ces dernières, venues pour l’essentiel d’Asie centrale par les passages du nord-ouest de l’Inde il y a des milliers d’années, compteraient au total plus de 80 millions de personnes, confinées dans les montagnes, les jungles, les déserts du sous-continent. Le « développement » capitaliste venu des villes et du monde s’attaque à leurs fleuves et rivières, à leurs forêts sacrées, à leurs terres ancestrales. Aux écosystèmes sans lesquels ils seraient morts. En échange, le système marchand qui s’étend en Inde au moins aussi vite qu’en Chine, leur offre une clochardisation de première classe.

Si je comprends si bien les Naxalites, c’est sans doute parce qu’il m’a été donné le privilège – oui, privilège – de connaître et sentir de près l’humiliation et la domination. Bien entendu, le maoïsme est un totalitarisme qui ne produirait, dans l’hypothèse d’une victoire de la guerilla, que du totalitarisme. Et donc, non. Mais je lisais tout à l’heure un article démentiel, je pense que l’adjectif convient, sur l’Inde officielle (ici). On y apprend que dans ce pays de 1 milliard et cent cinquante millions d’habitants, les 100 plus riches possèdent 276 milliards de dollars, soit le quart (25%) du PIB annuel de l’Inde. Le pays comptait 52 milliardaires en dollars en 2008. Alors, et je sais que je me répète, mais oui, je comprends de toute mon âme les Naxalites.

Aucun rapport avec les bords de Seine ? Si. J’ai ici même attaqué durement l’un de nos écologistes officiels, Pierre Radanne (lire), qui vantait les mérites de l’industriel Tata, concepteur d’une immonde bagnole à moins de 2000 euros, la Nano. Oui, il y a les écologistes de salon. Et puis les autres. Assurément. La Nano sera un désastre écologique global pour l’Inde, comme l’a d’ailleurs dit le directeur du Giec Rajendra Pachauri, ajoutant que cette voiture lui donnait des cauchemars (ici et).Tata et son groupe industriel sont évidemment au centre même de la guerre sociale entre Naxalites et destruction du monde.

Et moi là-dedans, qui ne suis qu’un neutron perdu sous un bombardement atomique ? Ce que j’écris n’aura pas la moindre importance. Mais une force que je ne maîtrise pas m’oblige pourtant à le faire. Je ne saurais soutenir un mouvement totalitaire. Mais je ne puis davantage oublier qui je suis, d’où je viens et ce que j’ai vu. Permettez-moi donc de vous dire que je suis pour la défense inconditionnelle des peuples paysans et autochtones de l’Inde. Et contre le processus criminel autant qu’absurde que les bureaucraties et les entreprises de ce pays tentent d’imposer à une civilisation magnifique. Comme si souvent, il n’existe aucun bon choix. Mais le pire serait encore de ne pas écrire que l’Inde officielle des bureaux climatisés est lancée dans un combat mortel contre l’idée même d’humanité. Car tel est bien le cas.