Archives mensuelles : mai 2010

Socialisme et peau de lapin (sur DSK, bis repetita)

On va me traiter de feignant, ça ne saurait tarder. C’est le second texte que je publie ici pour la deuxième fois, à la suite. Celui-ci concerne Dominique Strauss-Kahn, DSK pour ses nombreux intimes. Je crois qu’il faut savoir dire les choses. Moi, ma voie est nette. Je ne vote pratiquement pas, pour des raisons de fond dont j’ai déjà souvent parlé. Mais DSK est un cas. Et moi qui déteste tant Sarkozy, je vous le dis dès maintenant : si le choix des élections de 2012 devait se limiter à voter DSK ou Sarkozy, je les enverrais tous deux se faire rhabiller chez plumeau. Je sais que la haine ne se porte plus. Je sais qu’il faut désormais se montrer présentable en toute circonstance. Mais moi, que voulez-vous ? je hais pour de bon DSK, l’homme du Fonds Monétaire International (FMI). Pas tant lui, du reste, que l’institution criminelle qu’il dirige, et qui saigne les peuples et les pauvres.

Je souhaite, de toute mon âme, qu’un tel homme, s’il osait se présenter, soit aplati comme il le mérite. DSK, mais c’est Millerand ! Mais c’est Noske ! Mais c’est l’ennemi de toujours ! Je viens de lire (ici) ce que cet imbécile pense de la question des retraites dans Le Figaro. Dieu du ciel ! Il a notamment déclaré : «On vit 100 ans, on ne va pas continuer à avoir la retraite à 60 ans». Voilà ce qu’un homme de sa taille fait d’une question aussi essentielle que celle du droit historique à la retraite. On vit 100 ans ? Bien sûr, c’est faux. Puis, dans quel état réel sont ceux qui passent les 80 ans ? Combien d’Alzheimer ? Combien de Parkinson ? Combien de maladies neurodégénératives, de cancers, de hanches pourries, de dos pliés ? Combien, monsieur le richissime ?

Je n’ai ni le temps ni l’envie de détailler son parcours scolaire, qui me semble plus ridicule que bien d’autres. Pour aller vite, et comme des milliers de son genre, il aura obtenu un doctorat en économie, qui le fera aussi aveugle sur la marche des événements que n’importe lequel de ses clones. Il faut croire qu’il aura déployé d’autres talents pour devenir ce qu’il est. Avez-vous entendu dire une seule fois que DSK se serait montré plus futé, plus conscient, plus prescient ? Vous souvenez-vous avec quelle morgue il traitait ceux de la taxe Tobin, qui entendaient il y dix ans et plus imposer le capital ?

En attendant, voici ce texte qui date des tout débuts de Planète sans visa. Il a paru le 29 septembre 2007. Toutes ses dents.

On ne descendra pas beaucoup plus bas. Et c’est déjà cela. La nomination de Dominique Strauss-Kahn à la tête du Fonds Monétaire International (FMI) restera, quoi qu’il advienne, le sommet inversé de la fin d’une époque, celle de la gauche. Ce mot ancien, ce mot de cimetière, ce mort-vivant éclaire comme le font les étoiles disparues.

L’affaire est certes entendue depuis des lustres, mais je dois avouer qu’une telle clarté de cristal éblouit les yeux. D’abord, quelques mots sur ce monsieur DSK. Il est avant tout l’ami de l’industrie, nationale ou transnationale. Avocat d’affaires, il a conduit un grand nombre de deals – ces gens aiment l’anglais – pour de très puissantes entreprises. J’oublie, car ne n’est que détail, sa mise en examen mouvementée dans l’affaire de la mutuelle des étudiants, la MNEF.

Sachez, ou rappelez-vous, que DSK a présidé entre 1993 et 1997 un lobby appelé le Cercle de l’Industrie, regroupant une sorte de gotha des (grandes) affaires. Dans le but exclusif de favoriser ses clients auprès de la Commission européenne, à Bruxelles. Mais quel beau métier, vraiment ! En 1994, car l’appétit vient en mangeant, DSK devient un lobbyiste appointé du nucléaire. Il signe un contrat avec EDF, et puis s’en va faire son travail occulte chez ses amis du SPD allemand, qu’il travaille au corps. Sa mission consiste à convaincre Siemens de rejoindre Framatome et EDF dans le vaste chantier de l’EPR, le nouveau réacteur nucléaire français. C’est beau, la gauche.

Après avoir ainsi copiné, DSK n’hésite pas une seconde quand le devoir l’appelle au gouvernement de la France, en 1997. Taper sur le ventre de Vivendi, Renault et Areva durant tant d’années, puis devenir ministre de l’Économie et retrouver les mêmes en face de soi, avec pouvoir d’État en sus, cela s’appelle la classe. La classe internationale.

DSK a-t-il la moindre idée réelle de ce qu’est la pauvreté ? Non, bien sûr. Quand il était le maire de Sarcelles, sa voiture avec chauffeur le ramenait chaque soir dans son bel appartement parisien. Connaît-il la misère ? Bien sûr que non. Du Sud, il ne connaît que son riad de Marrakech. Une superbe maison traditionnelle, dans un quartier de superbes maisons traditionnelles où il peut recevoir dignement ses superbes clients traditionnels.

Non, DSK ne sait rien du monde réel, et je crains qu’il ne veuille guère en entendre parler. Il vient en tout cas d’être nommé patron du FMI, institution majeure de la destruction du monde et de la dévastation écologique. Tout va bien. Ses amis socialistes, de Pierre Moscovici à Jean-Christophe Cambadelis – défense de rire – applaudissent. Le FMI. Les plans d’ajustement structurel. Les pressions sur les grouvernements mafieux, pour qu’ils serrent davantage la gorge de leurs peuples. La faillite organisée de l’Argentine, en décembre 2001. La fin programmée des forêts, des agricultures, des paysans. Le FMI.

Je me rassure comme je peux. Je n’ai rien, RIEN à voir avec ces gens-là, ces socialistes en peau de lapin. Les mêmes qui beuglaient Nach Berlin en septembre 1914, après avoir promis d’empêcher la guerre. Les mêmes qui lâchèrent la République espagnole aux abois, en 1936. Les mêmes qui menèrent l’ignoble guerre algérienne, au son du canon et de la gégène. Je me rassure. RIEN. RIEN.

Ma tata Thérèse à moi (le livre tant attendu)

Il se trouve que ma tata Thérèse (rien qu’)à moi a un fan club parmi vous. Cinq membres, huit ? À distance, c’est difficile à évaluer. J’ai glissé ici même au fil des mois des histoires concernant ma tante, telle que je la voyais quand j’avais entre six et douze ans. Je l’aimais ! Ô comme j’aimais cette vieille folle ! J’ai donc raconté quelques souvenirs on ne peut plus véridiques, qui rapportent cette passion sans limites de ma tata pour les animaux. C’est destiné aux enfants, et jusqu’aux archi-vieillards dans mon genre. Si je vous colle ci-dessous une des aventures de ma tata, déjà publiée sur Planète sans visa, c’est que ce matin même, j’ai topé pour en faire un livre, qui devrait paraître aux éditions Sarbacane, où j’ai déjà publié deux bouquins pour les gosses.

J’ai topé. Avec Emmanuelle et Fred, les patrons de Sarbacane, des gens délicieux. Et puis avec une dessinatrice dont je ne donne pas le nom, parce que je ne lui ai pas demandé la permission. Sachez qu’elle est fameuse, excellente, et qu’elle saura faire revivre ma chérie de tante. Bon. C’est tout. Je crois que je n’oublie rien. Le texte ci-dessous est pour ceux qui l’auraient loupé la première fois. Qu’on se le dise, le livre contiendra plein d’inédits. Et voilà.

Thérèse et le perroquet

Ma tante Thérèse pensait à chaque seconde aux animaux. Ceux qu’elle avait, ceux qu’elle aurait, ceux qui étaient vivants, ceux qu’elle guérirait, ceux qui étaient morts, ceux qu’elle ressusciterait, ceux qu’elle arracherait pour finir aux griffes des affreux et des méchants. Comme tu le sais peut-être, ces deux dernières catégories sont assez nombreuses. Un jour, en se mettant à la fenêtre d’une des deux minuscules chambres, qui donnait sur la cour des immeubles de la rue Larrey, Thérèse a vu un perroquet qui volait, en liberté. Elle savait bien qu’il allait mourir, tôt ou tard. De froid ou de faim. Car un perroquet du Gabon ne mange pas des croûtes de pain de Paris, ou alors seulement en apéritif.

Alors Thérèse s’est mise à la fenêtre et elle a commencé à parler à l’oiseau. Au début avec sa voix à elle, comme un roucoulement grave de biquette qui se terminait neuf fois sur dix par une explosion de rire. Le perroquet paraissait se moquer d’elle, tu ne peux même pas imaginer. Il volait, disparaissait vers la Grande Mosquée, revenait, et repartait. Je crois qu’il avait décidé de la faire mariner. Mariner comme les sardines au fond de leur boîte pleine d’huile.

Alors ma tante a décidé d’utiliser les grands moyens. Elle a commencé à siffler comme un pinson, puis à parler du nez, un peu je dois dire comme un perroquet enrhumé. Rien à faire. L’oiseau échappé continuait à voler. Et cela a duré un jour, une nuit, un jour. Libre à toi de ne pas me croire. Je ne dis pas que Thérèse ne dormait pas, je jure qu’elle ne dormait presque plus. Elle veillait l’animal. Et le troisième jour, elle a choisi d’appeler le perroquet, tout simplement. En utilisant le prénom de son fils, Coco, ce qui tombait bien, non ? “ Coco ! Coco ! rentre à la maison ! ”. Comme ça. Cent fois. Deux cents fois. “ Allez, mon Coco ! viens voir maman ! tu vas attraper froid ! ”. Deux cents fois, trois cents fois. Si je peux me permettre, les voisins en avaient assez, tu peux en être sûr et même certain.

Dans l’après-midi du troisième jour, Thérèse piquait du nez contre le rebord de sa fenêtre, et elle ne savait plus où elle habitait. Elle continuait de temps en temps à lancer ses appels dans le vide, avec de moins en moins de conviction. C’est sans doute parce qu’il avait bon cœur que vers les cinq heures, sans s’annoncer, le perroquet a fait son entrée triomphale chez ma tante Thérèse. En une seconde fatale, il était entré dans la chambre, passant au-dessus de sa tête. Pour un peu, il serait reparti aussi vite. Mais ma tata savait être rapide comme l’éclair. À croire qu’elle faisait semblant de sommeiller, pour mieux l’amadouer : d’un coup, elle s’est relevée, et a fermé la fenêtre. Toc ! Coco venait d’entrer dans la grande famille de la rue Larrey.

Coco et le bruit de la banane

Le perroquet Coco s’était enfui de chez son ancien propriétaire, qui était un grand patriote. Ma tata Thérèse l’a compris le jour où il a commencé à siffler la Marseillaise, hélas en faisant des fautes terribles au passage. Le début était splendide, tonitruant, et j’accompagnais avec un vif plaisir l’animal. À pleins poumons, je hurlais sans aucune hésitation : “ Le jour de gloi-oi-r’ est arrivé ! ”. Mais cela se gâtait aux environs de : “ Entendez-vous, dans nos campagnes, mugir ces féroces soldats ? ”. Coco sautait carrément deux notes, et toute la chanson dérapait.

La Marseillaise devenait la Paimpolaise, ou pire encore, on ne reconnaissait plus rien. Autour de cette grave question, il y avait deux interprétations. Certains jours, Thérèse défendait bec et ongles le Coco. Pour elle, le perroquet avait appris la chanson sur un disque, qui était rayé, car à l’époque, mais oui, les disques pouvaient être rayés et radoter comme des petits vieux. Mais quand elle était furieuse contre sa ménagerie personnelle, ou pire encore contre Coco, l’infâme, l’insupportable Coco, elle disait que l’oiseau perdait la tête. La boule. Qu’il n’avait aucune mémoire.

Et là, je suis bien obligé de faire un commentaire, car c’est faux. Coco avait une mémoire d’éléphant, ce qui n’est pas si fréquent chez les volatiles. Un jour, j’étais assis à la table de la salle de séjour de tata Thérèse, et j’ai entendu dans mon dos un petit bruit que je n’ai pas reconnu tout de suite. Avant même que je me retourne, ma tante m’avait dit : “ Tiens, je t’ai épluché une banane ”.

Là, j’étais plutôt content, car j’aime bien les bananes, et j’avais justement reconnu le bruit étrange et délicat d’une peau qu’on casse avec le pouce avant de tirer sur les fines lanières pour manger le fruit. Avant de continuer à lire, pense à ce bruit dans ta tête, juste une seconde : tu casses la banane à la tête, et tu tires sur les rubans de sa peau. Tu y es ? Bon, on continue : je me suis donc retourné, et je n’ai pas vu de banane. Car il n’y en avait pas. En revanche, la tante Thérèse était là, elle, avec un rire de hyène tachetée qui barrait son visage. Il faut dire qu’elle imitait très bien ce carnassier, dans ses grands jours.

Thérèse a ricané, au moins trois ou quatre fois, vraiment très fort, et elle a dit : “ Et alors, elle est où, la banane ? ”. Moi, qui avais sept ou huit ans, pas plus, je ne savais absolument pas quoi lui répondre. Il n’y avait rien sur la table. Rien. Thérèse s’est tournée vers la cage de Coco – oui, elle lui avait trouvé une cage – et elle a annoncé, comme si elle présentait un artiste sur la scène : “ La banane, c’est lui ”. Et le plus incroyable, c’est que c’était vrai. Le bruit de la banane qu’on épluche, c’est Coco qui le faisait. À la perfection. Ce bruit phénoménal, je l’ai entendu des dizaines ou des centaines de fois. Et à chaque fois, j’ai aussitôt vu une banane dans mon imagination. Coco, lui aussi, était un magicien. D’ailleurs, je n’étais pas le seul à être trompé par lui. Quand l’envie lui prenait, il imitait la voix de ma tante Thérèse, sans trembler. Ce perroquet n’avait pas froid aux yeux, pour un perroquet. Et celui qui tombait dans le panneau, c’était un minuscule chien appelé Riri qui traînait toujours dans les pattes de ma tante, surtout dans la cuisine.

Voilà comme les choses se déroulaient. Ma tante préparait à manger dans la cuisine réservée aux fennecs et aux chats. Le chien Riri se frottait là-bas à ses jambes, car il adorait Tata. Pendant ce temps, j’étais assis à la table de la salle de séjour en train de lire les aventures de Blek le Roc, le grand héros de mon enfance. Entre les deux pièces, je te le rappelle, il n’y avait qu’un couloir. Eh bien, sans prévenir, avec exactement la voix de ma tante, Coco faisait : “ Riri, viens voir le susucre ”. Et aussitôt le chien arrivait en frétillant de la queue et tournicotait pendant trois minutes en attendant que tata lui donne une friandise.

Allez, je recommence pour ceux qui n’ont pas bien suivi. Le chien était dans la cuisine avec ma tante. Et donc, si la voix de Thérèse l’appelait dans la salle de séjour, c’est qu’elle avait trouvé le moyen de se couper en deux morceaux, l’un pour la cuisine, et l’autre pour la salle de séjour. Ou bien que le chien Riri n’avait qu’un tout petit pois dans la tête. Qu’il était bête comme un pou. Réellement couillon sur les bords. Mais ça, jamais je ne le penserai, car il ne faut pas dire du mal des morts, et Riri, qui m’aura tant fait rire, n’est plus de ce monde. Qu’il repose en paix !

Un autre trou de mémoire (sur l’eau et l’aluminium)

Il est temps que je vous prévienne, vous les bouffeurs de curés. Je suis chroniqueur au quotidien La Croix depuis 2003, et j’en suis très heureux. J’y écris dans le supplément du mardi, Science et éthique, au rythme d’une fois toutes les six semaines, ce qui n’est pas harassant. Un grand nombre d’entre vous semble avoir regardé le documentaire Du poison dans l’eau du robinet ?, qui vient de passer sur France 3. Cela m’a rappelé quelques souvenirs. Dont la chronique qui suit, et que j’avais écrite dans La Croix du mardi 28 septembre 2004. La voici, cash.

On arrive un peu tard, après la bataille, après en tout cas l’annonce d’un vaste plan ministériel contre la maladie d’Alzheimer, cette terreur moderne. On arrive un peu tard, mais peut-être bien trop tôt quand même. Pour mieux se faire comprendre, il faut évoquer l’itinéraire saisissant d’un homme rare autant que précieux, Henri Pézerat. Qui est-il ? Un toxicologue, directeur de recherche honoraire au CNRS. Au milieu des années 1970, lorsqu’il travaillait à l’université de Jussieu, il mena un combat acharné, avec quelques autres, contre le flocage par l’amiante des bâtiments, et de proche en proche, pour l’interdiction de son usage.

Nul ne fit davantage que lui pour parvenir à ce résultat, obtenu en 1997, alors qu’on connaissait les dangers du matériau depuis des dizaines d’années. Plusieurs milliers d’hommes et de femmes continuent de mourir chaque année en France d’avoir été exposés à ce poison au cours de leur vie.Pézerat est une sorte de Juste, un homme qui a été bousculé, tout au long de sa vie, par les pouvoirs et les institutions. Et qui le leur a bien rendu. Depuis qu’il est à la retraite, il est à lui tout seul un service public. On le questionne, on le sollicite d’un peu partout. Ici – à Commentry, dans l’Allier -, un syndicat lui demande d’éclairer le mystère de 10 ouvriers d’un même atelier atteints d’un cancer rare. Là – à Vincennes – des mères de famille vivant au-dessus d’un ancien site industriel cherchent à comprendre pourquoi plusieurs enfants, parfois très jeunes, sont atteints d’affections exceptionnelles. Il répond, quand il peut, quand il sait, avec prudence, sans jamais oublier qu’il est un scientifique.

Alzheimer, donc : 800 000 personnes touchées, 165 000 nouveaux cas par an, un cataclysme sanitaire, social, psychologique. Qui ne peut, à court et moyen terme, que s’aggraver : d’ores et déjà, 30 % des plus de 90 ans sont atteints. Henri Pézerat n’est évidemment pas un spécialiste d’Alzheimer, mais il lit à peu près tout ce qui est publié dans le monde sur les liens entre contaminations au sens large et santé publique. En février 2004, il a rédigé une note de six pages qui a aussitôt été adressée à la Direction générale de la santé et à l’Institut de veille sanitaire. Restée sans réponse.

Que dit-il ? Surtout rien d’arrogant ou de définitif. Il se contente, si l’on ose dire, de rapporter une série d’études épidémiologiques, faites dans six pays différents, et qui concluent à une augmentation notable de l’incidence de la maladie d’Alzheimer quand l’eau de boisson, celle du robinet, contient trop d’aluminium.

Pas de malentendu : Pézerat ne prétend nullement que l’aluminium serait la cause d’Alzheimer. S’appuyant sur ces études, qui comportent des éléments de preuve, il signale que l’aluminium pourrait être l’un des cofacteurs de la maladie, ce qui serait déjà une nouvelle fracassante. Et il recommande en conséquence l’adoption d’une norme européenne fixant par exemple la concentration maximale d’aluminium dans l’eau de boisson à 50 µg (microgrammes) par litre. Telle était d’ailleurs la valeur guide retenue dans une directive européenne de 1980, jetée depuis aux oubliettes. Le retour à 50 µg d’aluminium par litre au maximum obligerait les deux industries concernées (celles de l’aluminium et celle de la distribution de l’eau) à de considérables efforts : une grande partie de l’eau distribuée en France dépasse largement cette limite toute théorique.

Que penser de ces menus événements invisibles ? D’abord se souvenir du tabac inoffensif, et du paisible amiante dont des générations de « communicateurs » nous parlaient jadis. Ensuite, se poser des questions, encore et toujours. C’est conforme à la science, c’est nécessaire à l’éthique.

Allègre et Courtillot s’aiment d’amour tendre (séquence émotion)

Faites ce que vous voulez, exactement comme Claude Allègre et son élève et adorateur Vincent Courtillot. Le premier ne se présente plus. Quant au second, il est le directeur du prestigieux Institut de physique du globe de Paris. Le premier est le gros balourd que l’on sait, qui a écrit un livre stupéfiant sur le climat, L’imposture climatique. Stupéfiant, car comme l’a décortiqué le journaliste scientifique Sylvestre Huet (ici), il est truffé d’erreurs, d’inventions, de trucages. Jusqu’ici, Allègre était le « climatosceptique » bourrin, qui écrasait tous les parterres de fleurs et d’arguments à portée de ses lourds sabots. Et Courtillot, comme dans une mauvaise série policière, jouait le bon personnage, souriant et pondéré, avec qui on pouvait aller boire un verre en terrasse sans se déshonorer.

Fini. C’est fini. Dans un portrait signé Édouard Launet, publié le 13 mai (ici), Vincent Courtillot déclare exactement ceci, qui pèse quelques milliers de tonnes : «Lui [Allègre], c’est lui et moi c’est moi. Chacun son style. Ceci dit, son livre [l’Imposture climatique, ndlr] ne me paraît contenir que des choses exactes».

Autrement dit, et il n’y a plus aucun doute, Courtillot partage les vues d’Allègre et les grossières falsifications – je m’en tiens à deux exemples – des courbes et graphiques de Grudd et Sime. Je crois pouvoir dire que c’est un moment clé du débat vicié et vicieux sur le dérèglement climatique en France. Les deux compères principaux de cette énorme manipulation se retrouvent aussi nus que l’empereur du conte d’Andersen. Pour défendre les thèses de ces braves camarades qui s’aiment tant, il ne reste plus guère debout que Laurent Cabrol, le présentateur météo à la retraite. Ah ! que vienne enfin la tempête.

Borloo et Gossement en pleine valse (sans hésitation)

C’est donc la fin d’une séquence, qui aura commencé en réalité voici trois ans, et qui restera sous le nom de Grenelle de l’Environnement. Il n’est pas inutile de rappeler comment les choses se sont déroulées au départ. Au départ, il y a Franck Laval. Vous ne le connaissez pas ? Dommage. Moi, j’ai la chance d’avoir rencontré cet écologiste il y a quelques années. Je vous le dis d’emblée, beaucoup de choses me séparent de lui. Il est un (très) proche de Cohn-Bendit, et n’a donc rien de l’excessif perpétuel que je suis. Il serait même libéral – à sa manière – que je n’en serais pas autrement étonné.

Je devrais donc en bonne logique l’exécrer, mais il a une fibre. La fibre, même. Il est un homme de mouvement, en mouvement, qui cherche sincèrement des voies de sortie. Puis, il ne dédaigne pas à ce point l’avis radical sur la crise écologique. Tenez ! il me prend au téléphone. Plus sérieusement, il abrite le siège français de Sea Shepherd, la vigoureuse association de Paul Watson, ce pirate qui n’hésite pas à éperonner les chalutiers japonais qui se livrent à de honteuses (sur)pêches en haute mer.

Bref, Franck Laval a eu l’idée, au printemps 2007, de suggérer aux deux principales équipes de la campagne des présidentielles – Royal et Sarkozy – de reprendre en l’adaptant l’idée du Grenelle de 1968. Jeunes, ne tremblez pas ! C’est vieux, mais instructif. Je rappelle que le mouvement historique – 9 à 10 millions de grévistes pendant des semaines – du joli mois de mai s’est achevé autour d’une table. Ronde. Comprenant l’État, les patrons et les syndicats ouvriers. Fut-ce une bonne initiative? Certains le croient. D’autres le réfutent absolument. Le fait est que l’on fracassa ainsi le rêve.

Franck Laval, quarante années plus tard, a donc suggéré de réunir tous les acteurs français concernés par les problèmes écologiques, ce qui fait du monde. L’État et ses services. Les industriels. Les professionnels et les syndicats qui les représentent, comme la FNSEA chez les paysans. Les associations de protection de la nature enfin. Du monde. Des deux contactés – Royal et Sarkozy – c’est le deuxième qui a réagi le premier et s’est emparé de l’étendard. Bien joué, sacré Sarko ! Évidemment, ÉVIDEMMENT, il ne pouvait s’agir que d’un coup de pub. Du pur ripolinage. Une manière de prétendre s’intéresser à un domaine, l’écologie, dont il ne savait ni ne sait toujours rien. Ce que Sarkozy savait au printemps 2007 du sujet, vous pouvez le retrouver dans un petit film authentique (ici). Attention, c’est du lourd (de rigolade).

Le Grenelle a été de bout en bout un moment du faux. Des compères, dont tous n’étaient quand même pas complices, ont imaginé un storytelling, cet art de raconter des histoires. La France entrait dans une prodigieuse révolution écologique, et l’on verrait ce que l’on verrait. D’un côté, les associations écologistes officielles, qui gagnaient enfin de la respectabilité, une légitimité qu’on leur avait toujours contestée, et un espace public et politique neuf. Pas si mal. De l’autre, un histrion de la politique qui ne marche qu’aux sondages du jour, obsédé par lui-même, et qui pensait déjà, en tacticien fieffé qu’il est – il est par chance un désastreux stratège – aux élections de 2012. Vous ne le croyez pas ? Libre à vous. J’affirme que Sarkozy, en enfermant Greenpeace, le WWF, Hulot, FNE dans une discussion médiatique, préparait dans sa tête le premier tour de 2012. Ou comment fixer un électorat « écolo » susceptible de se rabattre sur lui au second tour.

Il fallait, pour cette tambouille, un chef cuistot, et ce fut Borloo. Tout le monde a oublié l’époque ancienne où « l’ami Jean-Louis »,  avocat d’affaires, copinait à fond avec Tapie. L’époque où les deux achetaient pour le franc symbolique des boîtes jugées pourries, qu’ils revendaient après menues réparations. On les appelait, allez savoir pourquoi, « les pilleurs d’épaves ». L’esprit bateleur, il n’y a rien de mieux, je vous l’assure. On tutoie tout le monde, on boit des coups, on s’épanche entre deux portes du ministère, on se tape dans le dos. Borloo est un bateleur, il n’y a pas de sot métier. Je ne reprendrai qu’un exemple, mais il y en a quantité d’autres : la maison magique. Alors ministre de la cohésion sociale, Borloo annonce le 25 octobre 2005 la construction de 20 000 à 30 000 « maisons à 100 000 euros » par an. Télés, radios, journaux, fanfare.

Deux ans plus tard, on ne parle plus que de 800 maisons par an, pour 120 000 euros chaque. Ni télés, ni radios, ni journaux, ni fanfares. En avril 2009, un article du Parisien (ici) montre ce qui se passe à Nogent, où des gogos floués se voient proposer des « maisons à 100 000 euros » qui valent en réalité 200 000 euros. Bah ! où est la différence, hein ? Tout Borloo est là. Et je vous gage que lorsque le bilan réel du Grenelle sera tiré – dans dix ans, dans quinze ? -, chacun pourra constater, de même, que le très peu qui aura traversé la mitraille des amendements parlementaires de la semaine passée aura été réduit à de lilliputiennes mesures. Mais qui s’en soucie ? Borloo sait comment marche le système. Et ce qu’il visait avec cette mise en scène est connu : Matignon. Le poste de Premier ministre. Il est probable qu’un deal – entre hommes, quoi – a été conclu entre Sarkozy et Borloo. Quel deal ? Tu fais émerger un vote écolo de droite, et je te nomme Premier ministre à la suite de Fillon. Genre.

Attention, ce n’est pas terminé. Le Grenelle étant achevé, reste à mettre en orbite la candidature Borloo aux présidentielles. Certes, bien des rouages peuvent se gripper d’ici là, mais à la date d’aujourd’hui, il est certain que Sarkozy cherche à propulser Borloo. Qui représenterait donc, en 2012, un soi-disant pôle écolo qui mordrait à la fois sur les Verts et Bayrou. Avant que d’aider Sarkozy à vaincre une seconde fois. Le reste n’existe pas. Le reste n’est que vaste embrouille, jeu de bonneteau, prestidigitation de seconde zone. Mais ça marche. Oh oui ! ça marche. Il me reste à évoquer le cas tragicomique de monsieur Arnaud Gossement, déjà évoqué, déjà étrillé.

Ce jeune monsieur est avocat. Point barre. Pas de sot métier, je l’ai dit. Avocat. Comme le fut Borloo, d’ailleurs, mais tel n’est pas mon propos. Cet homme n’a aucune légitimité pour parler au nom de l’écologie, mais France Nature Environnement (FNE), qui tire ses subsides de la sébile qu’elle tend aux services de l’État, l’a gardé comme porte-parole jusqu’au début de 2010. Ses faits d’arme dans le combat écologiste ? Zéro plus zéro égale la tête à toto. Il n’y a rien à dire, car il n’y a rien à voir. Moyennant quoi, le monsieur n’aura cessé de passer à la télé et sur les radios. Comme Borloo ? Un peu.

Et voilà que, la semaine passée, les députés envoient aux pelotes les miséreuses promesses du Grenelle concernant les pesticides. Commentaire indigné de mon ami François Veillerette, président du Mouvement pour les Droits et le Respect des Générations Futures (MDRGF) : « Le gouvernement vient de se couvrir de honte en cédant aux lobbies agrochimiques des dispositions qui vont permettre le maintien sur le marché de pesticides dangereux ». J’ajoute pour ceux qui ne le savent pas que le MDRGF est l’association majeure concernant les pesticides. Elle mène depuis de longues années un travail en tout point remarquable, et elle au reste permis que le sujet soit sur la table du Grenelle plutôt qu’être abandonné comme a pu l’être le nucléaire, ou même la cruciale question de l’eau.

Quand le MDRGF dit que le gouvernement s’est couché, c’est argumenté, sérieux, surtout après près de trois ans de discussions auxquelles l’association a pris part. Car n’oublions pas qu’elle a fait partie dès le départ – à mon grand dam – de la farce du Grenelle. Bref. François se fâche. Et tous les écologistes sincères devraient alors le rejoindre dans son coup de gueule. Mais voilà que surgit des coulisses Arnaud Gossement, ci-devant porte-parole de FNE. Et que dit-il ? Je vous le donne en mille : « Il n’y a pas de recul. On ne pourra pas refuser un retrait au motif que ça coûterait trop cher. La jurisprudence européenne montre qu’on ne peut mettre en balance les intérêts économiques et la santé ».

¡ Puta madre ! comme je disais – je me suis amendé – dans ma lointaine jeunesse. Comment un gommeux de l’espèce de Gossement ose ainsi voler au secours du gouvernement et contredire avec une telle grossièreté un personnage aussi indiscutable que François Veillerette ? Oui, comment diable ? Ce type ne sait à peu près rien des pesticides, mais il s’autorise pourtant à intervenir dans un débat de fond. Aux côtés de Borloo et de son maître. Oh, cela donne le tournis, non ? On pourra ratiociner à l’infini, mais je crois que nous entrons ici sur le territoire des renvois d’ascenseur à répétition. Question : Gossement veut-il être député ? Sous-ministre ? Ministre ? Davantage ? Qui sait ? Un tel connaisseur des règles d’or n’est pas près de s’arrêter. On en reparlera.