Archives mensuelles : juin 2011

Sur la sécheresse, sur la misère, sur le biocarburants, sur la tristesse

Je pense bien à vous, qui souffrez tant du manque d’eau. Je pense à toi, Petite Bergère – Anne -, pourtant installée près de la Grande Brière, supposée zone humide. Je souffre avec vous, incomparablement moins, mais sans hypocrisie, de cette terrible sécheresse. Vous ne le savez pas, mais quand l’eau vient à manquer dans mon petit pays du Sud, j’en suis malade. Toute l’année, je tanne mon ami Patrick au téléphone pour savoir s’il a plu. En septembre, en novembre, en mars, en mai. Il en rigole, il me moque. N’empêche : je ressens d’une manière inexplicable l’absence de ce qui nous constitue, à 70 % au cas où vous l’auriez oublié. Nous sommes avant tout de l’eau. Et c’est merveille.

Cette année maudite devrait, pourrait être l’occasion de repenser enfin nos rapports avec cette immense déesse toujours en mouvement. Il n’y a qu’une seule voie : dire et redire et convaincre et se convaincre que l’eau est sacrée. Qu’aucun droit humain ne peut autoriser à la souiller, à la polluer, à la fabriquer comme le font les marchands – Veolia, Suez -, la changeant en un grand malade perclus de molécules dangereuses. Mais nous n’en sommes pas là, n’est-ce pas ? Et il y a le Sud, n’est-ce pas ? Oui, il y a ce Sud où l’on rêve d’eau potable. Où un milliard d’affamés chroniques cherchent leur pitance jusqu’au milieu de l’immondice. Il est vrai. Je ne peux que vous conseiller la lecture d’un rapport parfait de l’association internationale Oxfam, que je salue bien volontiers (le rapport, en français, est ici).

Inutile de paraphraser. Oxfam présente ainsi ce travail intitulé Cultiver un avenir meilleur : « Ce rapport décrit une nouvelle période de crises : flambée des prix des denrées alimentaires et du pétrole, phénomènes météorologiques dévastateurs, récessions financières et contagion mondiale. Derrière chacun de ces chocs, des crises sous-jacentes continuent de couver : un changement climatique rampant et insidieux, des inégalités croissantes, une vulnérabilité et une faim chroniques, l’érosion de nos ressources naturelles ». Oh ! je ne prétends pas que c’est gai. C’est infiniment triste. Au passage, je précise qu’Oxfam s’en tient à des explications politiques que je juge bien au-dessous de la vérité. Car selon moi, ce qui se passe n’est rien d’autre qu’une guerre sociale d’une ampleur jamais vue dans l’histoire des hommes. Mais, oserai-je l’écrire ? En la circonstance, ce n’est pas le principal.

Voici un autre extrait de la présentation, qui cible des responsables :

  • En Inde : bien que la croissance économique indienne ait plus que doublé entre 1990 et 2005, le nombre de personnes souffrant de la faim dans ce pays a augmenté de 65 millions, soit plus que l’ensemble de la population française. Un développement économique et des systèmes de sécurité sociale excluant les populations pauvres en milieu rural en sont les principales causes. Aujourd’hui, une personne sur quatre souffrant de la faim dans le monde vit en Inde.
  • Aux États-Unis : les politiques menées par les États-Unis font que 15% des quantités mondiales de maïs sont utilisées comme carburant, même en période de forte crise alimentaire. La quantité de céréales nécessaire pour faire le plein d’un véhicule de type 4×4 ou SUV avec des agrocarburants permettrait de nourrir une personne pendant un an.
  • Les entreprises : quatre multinationales tiennent entre leurs mains le pouvoir de décisions relatives au système alimentaire mondial. Trois entreprises seulement – Archer Daniels Midland, Bunge et Cargill – contrôlent environ 90% du commerce mondial de céréales. Leurs activités entraînent la volatilité des prix alimentaires, ce dont elles profitent. Lors du premier trimestre de 2008, en pleine hausse mondiale des prix alimentaires, les profits de Cargill avaient augmenté de 86%. Et l’entreprise connaît des profits record cette année grâce à des ruptures d’approvisionnements au niveau mondial.

Je reprends le clavier pour vous rappeler que j’ai écrit voici quatre ans, en septembre 2007,  chez Fayard un pamphlet contre les biocarburants (je préfère ce terme immonde, qui est celui des marchands). Dans La faim, la bagnole, le blé et nous, j’annonçais sans disposer pour autant d’une boule de cristal l’imminence de famines, liées au boom sur les biocarburants, et elles se sont produites au printemps 2008. Elles menacent à nouveau, sur fond de déferlement croissant de cette infamie. Je dénonçais le lobby français qui pousse au développement d’une filière criminelle, financée sur fonds publics. Et il a prospéré. Aucune association écologiste, pourtant dûment informée par mes soins, ne m’a suivi. Cette inertie a beaucoup compté au moment où j’ai décidé d’écrire Qui a tué l’écologie ?, paru le 16 mars dernier.

Aujourd’hui, comme nul n’a bougé, les autres ont avancé et même cavalcadé. Le gros céréalier de Beauce Xavier Beulin est devenu en décembre dernier, dans l’indifférence générale, le président du syndicat de l’agriculture industrielle, la FNSEA. Or Beulin est aussi le président de Sofiprotéol, un groupe agro-industriel spécialisé dans les biocarburants. Chiffre d’affaires 2009 : 5,5 milliards d’euros. Le lobby a donc gagné pendant que nous regardions je ne sais où, mais visiblement pas dans la bonne direction. Autre front actif en France, du côté de Port-la-Nouvelle, dans l’Aude, où un notable « frêchiste » – ancien partisan de Georges Frêche – souhaite financer par notre propre argent une usine de biocarburants. J’ai signé avec d’autres une lettre ouverte à ce brave garçon (lire ici).

Dernier point, de nouveau pour toi, Petite Bergère. Crois-tu que les amis de Xavier Beulin, ces céréaliers gorgés de subventions, et qui vendent à prix d’or leur blé sur le marché international, aideront les éleveurs qui ne peuvent ou ne pourront bientôt plus payer leur foin et leur paille ? Je sais que tu connais la réponse tout comme moi. Oui, ce dimanche, je suis triste.

Que pour les trous du cul (encore sur le portable)

J’ai la flemme et je n’ai pas le temps. Disons que même si j’avais le temps, je n’aurais pas le courage de me mettre à écrire un article de fond sur le téléphone portable. Vous verrez plus bas un article de Paul Benkimoun, qui résume correctement les dernières nouvelles sur la dangerosité de cette saloperie (dans Le Monde). Mais voici que je me souviens d’avoir déjà radoté sur le sujet. D’abord le 1 février 2008 (ici). Ceux qui auront le courage de cliquer auront l’explication du titre d’aujourd’hui. Et les autres se poseront des questions sur mon malheureux état.

J’ai remis le couvert le 17 mars 2010, et voici un extrait que j’aurais bien du mal à renier :

« Désolé, je me suis perdu. Je voulais parler d’une défaite, aussi évidente qu’écrasante : le téléphone portable. Épargnez-moi, je vous prie, le laïus sur les bienfaits de l’engin. S’il vous plaît. Je m’en moque éperdument. Il y a aussi certain intérêt à la bombe thermonucléaire, aussi je vous prie de garder au chaud tout ce qui vous a décidé à acquérir ce nouvel avatar de nos fantasmes d’omniprésence et d’omnipotence. Il est le symbole même de notre crise et de sa profondeur. Car tout le monde – jusqu’au fin fond du Sud miséreux – s’est jeté sur ce que j’appelle sans détour une merde, qui légitime la totalité du système et relance à merveille sa lourde machinerie. De la même façon que l’automobile a bouleversé la planète et notre façon de l’habiter, sans jamais aucun débat sur le sens de cette aventure géante, le portable modifie jusqu’à la sociabilité des êtres humains. Sans discussion. Sans interrogation. Sans nul moyen de s’y opposer ».

Je n’insiste pas. À quoi bon ? Tant que le mouvement que j’appelle de mes vœux, et qui demeure hélas dans les limbes, ne saura pas combattre en priorité la prolifération démentielle des objets matériels, il n’avancera pas. En attendant, que personne n’ose accuser encore, sempiternellement, ce maudit système qui-que-quoi. Notre aliénation, nos faiblesses, notre soif de paraître et de posséder sont largement responsables de la folie globale du portable.

Pour l’OMS, le téléphone portable peut être cancérogène

LEMONDE | 01.06.11 | 11h50

Le groupe d’experts réunis par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), qui fait partie de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), a classé comme « cancérogènes possibles » les champs électromagnétiques de radiofréquence, y compris ceux de la téléphonie mobile.

Les trente-et-un chercheurs, provenant de quatorze pays, sont parvenus à cette conclusion, mardi 31 mai, à l’issue d’une réunion commencée le 24 mai à Lyon. Cette classification marque une évolution notable, alors que le téléphone mobile compte 5 milliards d’abonnés dans le monde. A l’heure où les experts rendaient leur avis, le site de l’OMS indiquait encore qu’il « est clair que si les champs électromagnétiques ont un effet sur le cancer, une augmentation du risque ne sera qu’extrêmement petite ».Président du groupe de travail du CIRC, le docteur Jonathan Samet a précisé, lors d’une conférence de presse téléphonique, que la conclusion s’est appuyée « sur des études épidémiologiques montrant un risque accru de gliome, un type de cancer du cerveau associé à l’usage du téléphone mobile ». « Les deux études les plus larges ont montré un risque accru de gliome chez les utilisateurs les plus intensifs », a-t-il ajouté. Les preuves les plus solides proviennent de certaines études nationales menées dans le cadre de l’étude internationale Interphone, ainsi que d’une étude suédoise, a-t-il indiqué.

Les travaux menés chez l’animal ont abouti à « des preuves limitées d’un risque », a déclaré le docteur Samet. En revanche, a-t-il souligné, « il existe des lacunes et des incertitudes », ce qui impose la nécessité de poursuivre les recherches. Des scientifiques et des organisations non gouvernementales, dont l’association française Priartém, s’étaient émus de la tenue de cette réunion d’experts alors que certaines des études nationales d’Interphone et certains travaux sur les tumeurs de la tête n’ont pas encore été publiés.

RISQUE COMPARABLE À CELUI EXISTANT POUR LES PESTICIDES

Responsable au CIRC du programme des monographies consacrées au risque cancérogène d’un agent donné, le docteur Kurt Straif a précisé que « les experts avaient eu accès à toutes les études du programme de recherche Interphone, car les études encore inédites avaient été acceptées pour publication par des revues scientifiques, parfois seulement une semaine avant la réunion ». Selon le docteur Samet, « ce qui compte, c’est la publication des résultats globaux, car il continuera d’y avoir des publications à partir de ces données pendant plusieurs années ».

Les responsables du CIRC et du groupe d’experts ont précisé le cadre de leur travail. Tout d’abord, la réunion des experts n’avait pas pour objectif de quantifier le risque encouru, mais d’évaluer les arguments scientifiques en faveur de son existence ou non. « Le niveau de preuve d’une association entre l’usage de la téléphonie mobile et le risque de cancer est comparable à celui existant pour les pesticides ou les expositions professionnelles dans le cadre du nettoyage à sec », a avancé le docteur Straif.

Autre limite : les données scientifiques, en particulier dans le cas d’Interphone, datent au mieux de 2004. Elles correspondent donc à des technologies qui ont évolué depuis – avec la réduction du débit d’absorption spécifique (DAS) des téléphones mobiles, qui quantifie le niveau de radiofréquences émises vers l’usager – et à des usages qui se sont modifiés : temps passé avec le téléphone à l’oreille, augmentation spectaculaire du nombre d’usagers et utilisation par des adolescents et des enfants… Sans oublier le déploiement du WiFi.

Le docteur Samet a reconnu la nécessité pour les chercheurs de « mieux documenter les utilisations actuelles », tout en soulignant que « les technologies changeaient constamment ».

« PLUS PERSONNE NE POURRA DIRE QU’IL N’Y A AUCUN RISQUE »

En charge de la monographie sur les champs électromagnétiques de radiofréquence, le docteur Robert Baan a affirmé, pour sa part, que « les expositions dues aux antennes relais sont d’un ordre de grandeur cinq fois inférieur à celles des téléphones mobiles ».

Le document du CIRC ne se prononce pas sur les mesures que les autorités ou les individus devraient prendre. « Les monographies du CIRC visent à évaluer les preuves scientifiques, et non à formuler des recommandations fermes sur la régulation. Les pays ont parfois des philosophies différentes », a indiqué le docteur Straif avant de citer le cas de la France, qui « a émis des recommandations pour réduire l’utilisation des téléphones mobiles avant la réunion du groupe d’experts ».

Interrogé sur le problème du conflit d’intérêts – qui a provoqué le retrait d’un des experts initialement pressentis –, le docteur Straif a assuré que la question « était prise très au sérieux par le CIRC et que la décision n’avait subi aucune influence de la part des opérateurs ».

Dans un communiqué publié mardi, la Fédération française des télécoms « prend acte » de la classification « 2B » adoptée par le CIRC et relève que « cette catégorie concerne 266 autres agents, dont le café, les cornichons et autres légumes au vinaigre ».

De son côté, la présidente de Priartém, Janine Le Calvez, estime que la prise de position du CIRC était « inespérée, non pas au vu de l’état des connaissances, mais par rapport aux pressions exercées par les opérateurs », et la juge « très courageuse ». Il s’agit, à ses yeux, d’une « étape extrêmement importante, qui met chacun devant ses responsabilités : plus personne ne pourra dire qu’il n’y a aucun risque ».

Bien que le CIRC n’ait pas pour usage de rendre public le détail des votes, le président du groupe d’experts a indiqué qu’une « encourageante majorité s’était accordée sur l’évaluation finale ».

Paul Benkimoun