Je pense bien à vous, qui souffrez tant du manque d’eau. Je pense à toi, Petite Bergère – Anne -, pourtant installée près de la Grande Brière, supposée zone humide. Je souffre avec vous, incomparablement moins, mais sans hypocrisie, de cette terrible sécheresse. Vous ne le savez pas, mais quand l’eau vient à manquer dans mon petit pays du Sud, j’en suis malade. Toute l’année, je tanne mon ami Patrick au téléphone pour savoir s’il a plu. En septembre, en novembre, en mars, en mai. Il en rigole, il me moque. N’empêche : je ressens d’une manière inexplicable l’absence de ce qui nous constitue, à 70 % au cas où vous l’auriez oublié. Nous sommes avant tout de l’eau. Et c’est merveille.
Cette année maudite devrait, pourrait être l’occasion de repenser enfin nos rapports avec cette immense déesse toujours en mouvement. Il n’y a qu’une seule voie : dire et redire et convaincre et se convaincre que l’eau est sacrée. Qu’aucun droit humain ne peut autoriser à la souiller, à la polluer, à la fabriquer comme le font les marchands – Veolia, Suez -, la changeant en un grand malade perclus de molécules dangereuses. Mais nous n’en sommes pas là, n’est-ce pas ? Et il y a le Sud, n’est-ce pas ? Oui, il y a ce Sud où l’on rêve d’eau potable. Où un milliard d’affamés chroniques cherchent leur pitance jusqu’au milieu de l’immondice. Il est vrai. Je ne peux que vous conseiller la lecture d’un rapport parfait de l’association internationale Oxfam, que je salue bien volontiers (le rapport, en français, est ici).
Inutile de paraphraser. Oxfam présente ainsi ce travail intitulé Cultiver un avenir meilleur : « Ce rapport décrit une nouvelle période de crises : flambée des prix des denrées alimentaires et du pétrole, phénomènes météorologiques dévastateurs, récessions financières et contagion mondiale. Derrière chacun de ces chocs, des crises sous-jacentes continuent de couver : un changement climatique rampant et insidieux, des inégalités croissantes, une vulnérabilité et une faim chroniques, l’érosion de nos ressources naturelles ». Oh ! je ne prétends pas que c’est gai. C’est infiniment triste. Au passage, je précise qu’Oxfam s’en tient à des explications politiques que je juge bien au-dessous de la vérité. Car selon moi, ce qui se passe n’est rien d’autre qu’une guerre sociale d’une ampleur jamais vue dans l’histoire des hommes. Mais, oserai-je l’écrire ? En la circonstance, ce n’est pas le principal.
Voici un autre extrait de la présentation, qui cible des responsables :
- En Inde : bien que la croissance économique indienne ait plus que doublé entre 1990 et 2005, le nombre de personnes souffrant de la faim dans ce pays a augmenté de 65 millions, soit plus que l’ensemble de la population française. Un développement économique et des systèmes de sécurité sociale excluant les populations pauvres en milieu rural en sont les principales causes. Aujourd’hui, une personne sur quatre souffrant de la faim dans le monde vit en Inde.
- Aux États-Unis : les politiques menées par les États-Unis font que 15% des quantités mondiales de maïs sont utilisées comme carburant, même en période de forte crise alimentaire. La quantité de céréales nécessaire pour faire le plein d’un véhicule de type 4×4 ou SUV avec des agrocarburants permettrait de nourrir une personne pendant un an.
- Les entreprises : quatre multinationales tiennent entre leurs mains le pouvoir de décisions relatives au système alimentaire mondial. Trois entreprises seulement – Archer Daniels Midland, Bunge et Cargill – contrôlent environ 90% du commerce mondial de céréales. Leurs activités entraînent la volatilité des prix alimentaires, ce dont elles profitent. Lors du premier trimestre de 2008, en pleine hausse mondiale des prix alimentaires, les profits de Cargill avaient augmenté de 86%. Et l’entreprise connaît des profits record cette année grâce à des ruptures d’approvisionnements au niveau mondial.
Je reprends le clavier pour vous rappeler que j’ai écrit voici quatre ans, en septembre 2007, chez Fayard un pamphlet contre les biocarburants (je préfère ce terme immonde, qui est celui des marchands). Dans La faim, la bagnole, le blé et nous, j’annonçais sans disposer pour autant d’une boule de cristal l’imminence de famines, liées au boom sur les biocarburants, et elles se sont produites au printemps 2008. Elles menacent à nouveau, sur fond de déferlement croissant de cette infamie. Je dénonçais le lobby français qui pousse au développement d’une filière criminelle, financée sur fonds publics. Et il a prospéré. Aucune association écologiste, pourtant dûment informée par mes soins, ne m’a suivi. Cette inertie a beaucoup compté au moment où j’ai décidé d’écrire Qui a tué l’écologie ?, paru le 16 mars dernier.
Aujourd’hui, comme nul n’a bougé, les autres ont avancé et même cavalcadé. Le gros céréalier de Beauce Xavier Beulin est devenu en décembre dernier, dans l’indifférence générale, le président du syndicat de l’agriculture industrielle, la FNSEA. Or Beulin est aussi le président de Sofiprotéol, un groupe agro-industriel spécialisé dans les biocarburants. Chiffre d’affaires 2009 : 5,5 milliards d’euros. Le lobby a donc gagné pendant que nous regardions je ne sais où, mais visiblement pas dans la bonne direction. Autre front actif en France, du côté de Port-la-Nouvelle, dans l’Aude, où un notable « frêchiste » – ancien partisan de Georges Frêche – souhaite financer par notre propre argent une usine de biocarburants. J’ai signé avec d’autres une lettre ouverte à ce brave garçon (lire ici).
Dernier point, de nouveau pour toi, Petite Bergère. Crois-tu que les amis de Xavier Beulin, ces céréaliers gorgés de subventions, et qui vendent à prix d’or leur blé sur le marché international, aideront les éleveurs qui ne peuvent ou ne pourront bientôt plus payer leur foin et leur paille ? Je sais que tu connais la réponse tout comme moi. Oui, ce dimanche, je suis triste.