En quelques heures, j’ai reçu deux traductions des huit principes proposés dans l’article précédent, dont je dois rappeler qu’ils ne sont pas les miens, mais ceux qui accompagnent le Manifeste de Dark Mountain Project (voir supra). La première traduction ci-dessous est celle de Valérie; la seconde de Darken. À tous les deux, un vif remerciement. J’ajoute que Valérie s’inquiète de la tonalité de ces principes, y trouvant un son si péremptoire qu’elle en arrive à craindre la reproduction pure et simple de tragiques impasses du passé.
Bon, chacun pourra juger. Il est évident que je n’entends pas me prosterner devant ce texte, ni devant aucun autre. Son évident mérite, à mes yeux, est qu’il dessine une frontière. Et nous avons besoin d’une frontière. Non de guérites surmontées de mitrailleuses lourdes, mais de lieux vraiment différents à partir desquels chacun puisse voyager réellement. Il apparaîtra à certains que la remise en cause la place de l’homme sur la Terre n’est pas acceptable. À mes yeux, c’est pourtant une condition élémentaire du changement nécessaire.
La traduction proposée par Valérie
Eight principles of uncivilisation
‘We must unhumanise our views a little, and become confident
As the rock and ocean that we were made from.’
Les huit principes de la décivilisation
‘Nous devons être moins centrés sur l’humain, et laisser venir avec confiance.
Comme le rocher et l’océan dont nous sommes nés »
- We live in a time of social, economic and ecological unravelling. All around us are signs that our whole way of living is already passing into history. We will face this reality honestly and learn how to live with it.
Nous vivons un temps de délitement social, économique et écologique. Autour de nous se lit l’évidence : notre mode de vie est dès à présent en train de devenir obsolète. Nous affronterons sans détours cette évidence, et apprendrons à vivre avec.
- We reject the faith which holds that the converging crises of our times can be reduced to a set of ‘problems’ in need of technological or political ‘solutions’.
Nous rejetons la croyance selon laquelle toutes les crises convergentes de notre temps sont réductibles à une série de « problèmes » dont il s’agirait simplement de trouver les « solutions » politiques ou technologiques.
- We believe that the roots of these crises lie in the stories we have been telling ourselves. We intend to challenge the stories which underpin our civilisation: the myth of progress, the myth of human centrality, and the myth of our separation from ‘nature’. These myths are more dangerous for the fact that we have forgotten they are myths.
Nous pensons que ces crises prennent racine dans les récits dont nous n’avons cessé de nous bercer. Nous voulons remettre en question ces récits, sur lesquels repose notre civilisation actuelle : le mythe du progrès, celui de la place centrale de l’humain, et celui de notre séparation d’avec la « nature ». Ces mythes sont d’autant plus dangereux que nous avons oublié qu’ils sont des mythes.
- We will reassert the role of storytelling as more than mere entertainment. It is through stories that we weave reality.
Nous chercherons à rendre à la fiction son rôle, qui va bien au-delà du simple divertissement. C’est à travers les récits et la fiction que nous appréhendons la réalité.
- Humans are not the point and purpose of the planet. Our art will begin with the attempt to step outside the human bubble. By careful attention, we will reengage with the non-human world.
Les êtres humains ne sont pas la raison d’être de la planète. L’art, tel que nous le concevons, s’efforcera de s’extraire de la bulle humaine. C’est en devenant attentifs et attentionnés à son égard que nous renouerons avec le monde non-humain.
- We will celebrate writing and art which is grounded in a sense of place and of time. Our literature has been dominated for too long by those who inhabit the cosmopolitan citadels.
Nos faveurs iront à la littérature et aux arts qui s’enracinent dans l’espace et le temps. Il y a trop longtemps que notre littérature est dominée par ceux qui habitent les citadelles urbaines globalisées.
- We will not lose ourselves in the elaboration of theories or ideologies. Our words will be elemental. We write with dirt under our fingernails.
Nous ne perdrons pas notre temps et nous-mêmes dans l’élaboration de théories et d’idéologies. Nos mots seront à l’état brut. Nous écrivons avec de la terre sous les ongles.
- The end of the world as we know it is not the end of the world full stop. Together, we will find the hope beyond hope, the paths which lead to the unknown world ahead of us.
La fin du monde tel que nous le connaissons n’est pas la fin du monde. Ensemble, nous trouverons l’espoir qui vient après l’espoir, les chemins qui mènent au monde encore inconnu qui nous attend.
La traduction proposée par Darken
1) Nous vivons une époque de décomposition sociale, économique et écologique. Autour de nous, des indices nous montrent que notre mode de vie tout entier bascule déjà dans l’Histoire. Nous ferons face à cette réalité avec honnêteté et nous apprendrons à vivre avec.
2) Nous rejetons cette foi selon laquelle les crises convergentes peuvent être réduites à une série de “problèmes” qui attendent chacun des “solutions” techniciennes ou politiques.
3) Nous croyons que les racines de ces crises reposent dans des récits que nous nous sommes contés à nous-mêmes. Nous avons l’intention de défier ces mythes qui sous-tendent notre civilisation : le mythe du progrès, le mythe de la centralité humaine, le mythe qui nous sépare de “la nature”. Ce mythes sont dangereux car nous avons oublié que ce sont des mythes.
4) Nous réaffirmons que le rôle de ces récits va au-delà du simple divertissement. C’est à travers ces mythes que nous percevons la réalité.
5) Les humains ne sont pas l’alpha et l’oméga de cette planète. Notre art débutera par la tentative de se tenir au-dehors de la bulle humaine. Par une attention renouvelée, nous relierons le monde non-humain.
6) Nous célébrerons l’écriture et l’art qui se fondent sur un sentiment d’appartenance spatial et temporel. Notre littérature a été trop longtemps dominée par ceux qui habitent des tours d’ivoire cosmopolites.
7) Nous ne nous perdrons pas dans l’élaboration de théories et d’idéologies. Nos mots seront basiques. Nous écrirons les ongles noircis.
8) La fin du monde tel que nous le connaissons n’est pas la fin du monde. Ensemble, nous trouverons l’espoir au-delà de l’espoir, ces chemins qui nous mènent vers ce monde inconnu qui nous attend.