Archives mensuelles : avril 2012

S’il va à Rio (le cas Schmidheiny) DEUXIÈME PARTIE

C’est une suite de l’article précédent, qui prend la forme d’une pétition mondiale, adressée au secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-Moon. Je vous conseille donc de commencer par le premier texte, qui explique en détail. Je ne raffole pas des pétitions, mais celle-là a un sens très particulier. Lancée et soutenue par des structures du monde entier, qui luttent pour l’interdiction de l’amiante, elle me va droit au cœur. Eh oui, l’interdiction de l’amiante n’est pas mondiale, de loin ! Comme les industriels du tabac, ceux de l’amiante font de la résistance, et disposent d’outils de lobbying considérables.

Bref, cette pétition (ici) réclame le strict minimum : que cette crapule de Schmidheiny soit déclarée persona non grata à Rio, en juin prochain. Moi, je signerais bien volontiers pour des mesures infiniment plus radicales, mais chaque chose en son temps. Peut-être. Voici le texte :

APPEL SOLENNEL AU SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DES NATIONS UNIES, BAN KI-MOON

signez ici

Nous, signataires du présent appel, prions instamment les Nations unies, les autorités internationales, les chefs d’Etats et de gouvernements, et la présidente du Brésil, Dilma Roussef, de déclarer Mr. Stephan Schmidheiny “persona non grata” lors du Sommet de la Terre  RIO+20, qui aura lieu du  20 au 22 Juin, à Rio de Janeiro, Brésil. Criminel  condamné  pour avoir causé un désastre environemental, Mr. Schmidheiny n’a pas le droit de participer  à cette importante réunion  qui va traiter de la planification et de la protection du futur de notre planète Terre.

Mr. Schmidheiny est en même temps le fondateur et président honoraire  du Conseil des Affaires pour le Développement Durable (World Business Council for Sustainable Development – WBCSD) et l’ancien propriétaire du groupe multinational Eternit, producteur de ciment-amiante, et également le fondateur “philanthrope” de la Fondation Avina, qui soutient des actions sociales et environnementales en Amérique Latine.

Le 13 Février 2012  à Turin, en Italie, Mr. Schmidheiny a été condamné à 16 années de prison  pour avoir causé “un désastre  environnemental intentionnel permanent” et omis intentionnellement « d’installer des réglements de sureté et de santé (mesures préventives)” qui auraient  protégé ses employés et la population en général  des risques mortels de l’exposition à l´amiante, reconnus de longue date. L’ amiante est un minéral cancérigène, qui cause la mort de plus de 107 000 personnes par an, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

Compte-tenu de la sentence décrétée en Italie, et des dommages pour l´environnement dont Mr. Schmidheiny a été directement le responsable, nous prions instamment les Nations unies et la présidente du Brésil, Dilma Roussef, de déclarer Mr. Stephan Schmidheiny “persona non grata”  et de lui interdire de participer  à la Conférence  Rio+20.

Pour plus d´informations  et pour obtenir cette pétition traduite en d´autres langues veuillez vous connecter à l´adresse suivante:  http://bit.ly/IDB2Lb

S’il va à Rio (le cas Schmidheiny) PREMIÈRE PARTIE

Insupportable est un bien faible mot. Stephan Schmidheiny est l’héritier d’une famille suisse, parmi les plus riches. La transnationale Eternit était dans les souliers du Père Noël. Née en 1901, cette dernière fera fortune, immense fortune grâce à l’amiante (ici). 1901, c’est très proche de 1906, date à laquelle l’inspecteur du travail Denis Auribault écrit une note admirable (ici) sur la dangerosité de l’amiante. À Condé-sur-Noireau (Calvados), dans ce qui deviendrait bien plus tard, et pour cause, la Vallée de la mort, il a constaté une véritable décimation chez les travailleurs d’une usine de tissage de l’amiante. Seul, en notant, en comparant, en examinant, il a tout compris.

Eternit a compris autre chose. Le « magic mineral », comme on nommera longtemps le poison, est idéal pour le profit. L’entreprise prospère, les années puis les décennies passent. Stephan, né en 1947, finit par prendre les rênes. Et l’argent continue de remplir les caisses de la dynastie. Je passe, car je pourrais continuer ainsi encore des pages et des pages. En Italie, grâce à l’existence d’un procureur d’exception, Raffaele Guariniello, la justice a attrapé au colback les dirigeants d’Eternit-Italie. Deux, en fait, dont Stephan Schmidheiny. La bagatelle de 3 000 prolos italiens – la liste ne sera jamais complète – sont assurément morts d’avoir respiré l’amiante des Schmidheiny. Le procès de Turin, commencé en 2009, s’est achevé le 13 février 2012. Et Stephan a pris seize années de prison, comme un simple criminel. Comme le pur et simple criminel qu’il est.

Vous pensez bien qu’il n’est pas venu recevoir son prix. En près de trois ans de procès, il n’a jamais pointé le nez en Italie, à fortiori à Turin. Il faut dire que Schmidheiny a refait sa vie d’une admirable façon, loin des yeux, loin des morts, en Amérique latine. Depuis une vingtaine d’années, l’homme a décidé d’être une sorte de philanthrope écolo, créant fondations et pseudo ONG, sans jamais oublier, car on ne se refait pas, le business. J’ai beaucoup écrit sur le sujet, et mon ami Patrick Herman a consacré un portrait au monsieur dans la revue XXI. Mais je dois constater que nos efforts n’ont jamais convaincu le moindre journal important de s’intéresser à cette vaste opération de chirurgie esthétique (lire notamment ici).

La chose paraîtra incroyable aux Bisounours de l’écologie officielle, mais Schmidheiny a été le bras droit de Maurice Strong dans l’organisation du premier Sommet de la Terre de Rio, en 1992. Sous l’auguste couvert des Nations unies, deux hommes de l’industrie transnationale – Strong a passé la moitié de sa vie au service des industries pétrolière et nucléaire – ont préparé ce funeste Sommet où tout le monde s’est embrassé à la manière de Folleville, dans le vaudeville de Labiche. Les ONG, abruties par le spectacle de leur propre image, ont bradé tout esprit de résistance à la destruction, tandis que les ennemis de la Terre triomphaient. Au fait, puisqu’il y a des Amis de la Terre, pourquoi ne désignerait-on pas ses Ennemis ?

Bref. Une pantomime. Et un pandémonium. Schmidheiny ne s’est pas arrêté là, ce qui aurait été dommage. Constatant que tout est possible – et comment lui donner tort ? -, il crée dans la foulée de Rio-92 le fantastique Conseil mondial des affaires pour le développement durable. En anglais, seule langue dans laquelle il est connu, le World Business Council for Sustainable Development, ou WBCSD. Ce WBCSD (ici) est une entreprise planétaire de désinformation, de storytelling (ici), et compte parmi ses membres le pire de l’industrie. L’agrobusiness – Syngenta, Bayer, BASF -, le nucléaire – Areva -, le pétrole – Shell -, le militaire – Dassault systèmes -, l’agroalimentaire, Coca-Cola soi-même. La liste complète compte 190 entreprises.

Schmidheiny, le criminel de Turin, s’est depuis placé dans l’ombre. On le comprend, il n’est plus présentable. Créateur je l’ai dit du machin, il n’en est plus que président honoraire. Mais la manœuvre continue de plus belle. En juin prochain aura lieu à Rio un nouveau Sommet de la Terre, 20 ans après le premier. Les Nations unies ont été contraintes, les pauvrettes, de renoncer cette fois à Maurice Strong, car il commence – il est né en 1929 – à se faire vieux. L’organisateur officiel, comme j’ai eu le loisir de le dénoncer dans un silence assourdissant, n’est autre que Brice Lalonde. Cet ancien écologiste de salon après 1968, ci-devant membre du PSU, est désormais un ultralibéral ami de l’ancien ministre Alain Madelin.

Comme cela tombe bien ! Si vous avez l’occasion d’aller sur le site officiel de Rio 2012 (ici), vous ne manquerez pas de tomber sur un « coordinateur officiel » du Sommet, appelé Business Action for Sustainable Development (BASD). Le suspense est-il soutenable, lui aussi ? Allez, inutile de le faire durer. Derrière ce BASD se cache bel et bien le WBCSD. Donc Schmidheiny. Les Nations unies et Brice Lalonde font affaire avec un homme condamné à seize années de prison pour la mort de 3 000 ouvriers italiens.

Il y a une suite, sous la forme d’un Appel à l’action, qui apparaîtra sous peu, chers amis lecteurs, sur Planète sans visa. Réservez vos places !

PS auquel je ne résiste pas : pourquoi diable les écologistes officiels, dont Europe-Écologie-Les Verts, ne s’emparent-ils pas de cette stupéfiante affaire ? Elle est connue, essentiellement par moi il est vrai. J’ai écrit et alerté différentes personnes, dont je ne cite pas le nom, de peur de les gêner dans d’éventuels efforts auxquels je ne crois plus guère. Qu’attentent Qu’attendent [Merci à Marc] donc les Verts ? Et Greenpeace ? Et Hulot ? Et les autres ? Quant au Parti de Gauche de mes chers amis mélenchonistes, tiens, ils ne foutent rien non plus.

Mélenchon et la mer (un naufrage)

J’avais pourtant dit que je ne ferais plus d’article sur Sa Sainteté Laïcarde. Et je ne me dédis pas vraiment, car ce ne sera pas un article. Jetez un œil sur le lien que je vous propose (ici). Tel est l’avis détaillé de M.Mélenchon sur les mers de la planète. Pas un mot sur la dévastation générale qui les frappe. Je parie que M.Mélenchon n’en sait rien, et s’en fout. Pas un mot sur leur acidification. Pas un mot sur la pêche industrielle, et donc les risques d’extinction pesant sur tant d’espèces, dont certains requins. Pas un mot sur le Great Pacific Garbage Patch et ses semblables, ces incroyables amas de déchets en plein océan, de la taille d’un continent. Pas un mot sur ces dead zones – des zones mortes – touchées par l’anoxie, c’est-à-dire la quasi-disparition de l’oxygène. Pas un mot sur les colossales diminutions de plancton constatées partout. Aucun mot sur rien.

Si, un bas discours scientiste, digne d’un Science et Vie des années 50 du siècle écoulé, où le Grand Homme invoque la recherche, la science et la technique, les sous-marins. Les mers ne sont pour lui qu’un objet de plus entre les mains de l’homme. De conquête. De main-mise. Bourrée de ressources capables de faire tourner la machine industrielle qui aura toujours été son idole. Oh, ne venez pas me dire une fois de plus que ce type est un écologiste. Épargnez-vous cette perte de temps !

Ce rajout du 15 avril, grâce à Anne, que je remercie. Chez Mélenchon, il n’y a pas que la mer. Il y a les eaux douces. La sinistre fantasmagorie est la même. Dans un somptueux texte du parti de gauche, et qui l’engage tout entier (ici), on peut lire ce qui suit, sous l’accroche : « L’imagination au pouvoir ». Elle l’est, au pouvoir.

Cela donne, rigoureusement texto, mais le gras est de moi :

« • le meilleur, c’est notre système de planification globale des ressources en eau, système copié dans le monde entier par plus de 50 pays qui l’ont mis en œuvre, ou sont en train de le faire.

Cette planification est réalisée par les « Comités de bassin », véritables Parlements de l’Eau composés de tous les acteurs (associations, élus, industriels, agriculteurs, Etat), qui décident ensemble des priorités d’action sur leur bassin, et ont les moyens financiers de les mettre en œuvre : 2,2 milliards par an, financés par une taxe pollueur-payeur. Grâce à leur action, la qualité des cours d’eau s’améliore depuis 30 ans, alors même que la population et la production industrielle et agricole augmentent ! Un seul exemple : la Seine, où l’on peut maintenant observer 21 espèces de poissons en plein Paris, contre 3 dans les années 70 ».

J’avoue en être éberlué. Les comités de bassin, des Parlements de l’eau ? La qualité de l’eau qui s’améliore ? PENDANT que les bienfaiteurs de l’humanité que sont les membres des comités de bassin palabraient – je reste poli, je ne souhaite pas m’attirer un procès inutile -, la contamination des eaux devenait générale, presque TOTALE. De mémoire, 91 % des rivières et près des trois quarts des nappes phréatiques sont empoisonnées par des pesticides. Et je ne parle pas du reste ! Non, franchement, c’est dégueulasse. Cela me fait penser à André Stil.

Qui était André Stil ? Un écrivain stalinien français. Envoyé par l’Humanité, ce journal du crime et du mensonge, à Budapest, en novembre 1956, il s’y déshonore un peu plus qu’à l’habitude. La capitale de la Hongrie vient d’être hachée menue par les troupes soviétiques. Les combats de rue ont fait des milliers de morts. Bientôt, des centaines de milliers d’opposants prendront le chemin de l’exil. André Stil, dans l’Humanité du 6 novembre 1956 : « Budapest recommence à sourire à travers ses blessures ».

Aucun rapport avec le texte du parti de gauche sur l’eau ? J’estime avoir le droit, ici en tout cas, de faire tous les rapprochements qui me passent par la tête. Et celui-ci s’impose à moi. Qui veut croire croit.

Ce déshonneur si général (à propos de deux sondages)

Je ne reviens pas sur Mélenchon. Si je dis ça pour commencer, c’est pour ne pas décourager tout à fait les mélenchonistes qui viennent jeter un œil sur Planète sans visa. Je ne parle pas de lui, mais de tous. Et sous l’angle que je vais préciser, tous se valent certainement. Or donc, cette funeste campagne électorale. Rien d’important n’y aura été dit. Les années passent, les élections défilent, les pathétiques associations  « écologistes » officielles – celles du Grenelle de l’Environnement – poursuivent leurs filandreuses manœuvres, les tenants de « l’écologie politique » se ridiculisent et nous offensent, la crise écologique s’apprête à engloutir un monde inerte, indifférent, lâche, stérile.

Je ne sais, et personne d’ailleurs ne sait, ce qui nous attend. Tout ne ne s’écroulera pas de sitôt, ni d’un bloc. L’ingéniosité technologique des humains est telle que les plus puissants – nous – gagneront sans doute quelques années, et peut-être même des décennies. À notre échelle dérisoire, cela peut suffire à tous les corniauds de notre connaissance. À celle des équilibres écosystémiques, on peut au moins être convaincu que le coup est parti. Aucune force ne peut plus empêcher le dérèglement climatique, la folle désorganisation des océans et de leur vie jadis si extraordinaire, l’amenuisement délirant des forêts tropicales, la disparition de milliers, de dizaines de milliers, de centaines de milliers d’espèces pour la plupart inconnues.

Rien n’y fera plus. La voie qui nous reste consiste à faire face, à restaurer sur le plan écologique ce qui peut l’être, à unir les hommes les plus valeureux autour d’un programme essentiel, respectueux de la vie et des êtres. Au risque de surprendre mes lecteurs les plus distraits, je suis en effet pour l’union. Une union très large, même, qui se moquerait des oppositions contingentes d’aujourd’hui. Mais la condition en est drastique, car je parle là d’un rassemblement de tous ceux qui se déclarent conscients du basculement en cours.

Et ce basculement n’a évidemment rien à voir avec les picrocholines querelles dont nos candidats – je me répète : tous nos candidats – font leurs délices quotidiens. Tenez, je viens de découvrir deux sondages. Oui, je sais ce que cela vaut, ne me cherchez pas sur ce terrain. Il demeure qu’ils peuvent nous servir à réfléchir à ce qui se passe derrière le rideau de cette si vieille scène publique. Le premier a été commandé par le quotidien La Croix, où je tiens par ailleurs chronique toutes les six semaines depuis 2003. Que dit cet étonnant sondage ? Que 82 % des Français ont une image négative de la mondialisation (ici). Et que près des trois quarts seraient en faveur de mesures protectionnistes. L’autre sondage, commandé par la Fondation de Nicolas Hulot, assure que 84 % des Français sont inquiets de la crise écologique. Et que 55 % mettent sur le même plan cette crise et cette autre pourtant omniprésente dans les médias qu’on appelle économique (ici).

Eh bien ? D’abord, pas de niaiseries : je sais que les craintes par rapport à la mondialisation – cet immense désordre planétaire, de toute façon condamné – concernent avant tout la situation française. On ne veut pas de la concurrence chinoise, mais on serait probablement ravi de pouvoir fourguer à Pékin nos turbines, nos trains et nos centrales nucléaires. N’empêche. Visiblement, une grande partie de notre peuple ne croit pas une seconde à ces invraisemblables conneries répétées ad nauseam depuis trente ans par la coterie autodésignée sous le nom de « cercle de la raison » (ici). Une pique concernant Martine Aubry, que tant d’écologistes officiels auraient voulu à la place de François Hollande. La dame – je précise que je ne vois aucune différence entre elle et tout autre de son clan – demeure, en ce printemps 2012, une grande amie du sarkozyste Alain Minc, inventeur de l’expression « cercle de la raison ». Je ferme le ban.

Je le ferme et j’en viens au second sondage. À nouveau, il ne saurait être question de le prendre au pied de la lettre. Je serais stupéfait de découvrir que la crise écologique – la vraie, celle dont je ne cesse de parler ici – ait des contours clairs et véridiques dans la tête du peuple français. De nouveau, n’empêche. Aussi floue qu’elle soit, cette crise évidente inquiète beaucoup. Et une majorité, apparemment, souhaite qu’on consacre autant d’énergie à la contenir qu’à scruter le sort de l’Italie, de l’Espagne et du Portugal.

C’est simplement extraordinaire. Le peuple est disponible. Le peuple serait disponible pour un discours sincère sur l’état du monde. Qui dise quelques vérités, qui appelle au sursaut, qui indique le chemin à prendre et les sacrifices – inévitables – à consentir pour vivre dans un monde plus sûr. Et capable d’accueillir encore nos enfants et nos petits-enfants. Mais les politiciens que nous avons acceptés sur scène, ceux que nous tolérons avec tant d’insouciance, ces politiciens s’en contrefoutent. Désolé, M.Mélenchon comme tous autres. Ils forment une caste aussi ignorante du réel que l’était la camarilla des chefs militaires français de 1935. Ceux-là même qui nous menèrent au grand désastre de mai-juin 1940, sur fond de ligne Maginot.

La politique, quand elle est une œuvre d’art – autant dire que ce n’est presque jamais le cas -, est une pédagogie. Elle élève, elle éduque, elle rend meilleure une société, elle en fait une vaste intelligence collective, capable alors de prodiges. Nos politiciens sont des ânes bâtés, qui n’ont jamais lu un livre sérieux sur ces événements cruciaux qui déferlent comme autant de tsunamis. Et puis, quelle franchouillardise ! C’est à pleurer. Où est l’Europe pour commencer ? Où est le monde ? Où sont les animaux nos frères ? Où est l’océan dont nous venons pourtant ? Où sont l’air et le vent ? Où est l’eau ?

Je vous demande à l’avance de me pardonner, mais tant de désolante connerie m’accable vraiment. Cette campagne électorale dérisoire, affreuse et dérisoire, me fait songer au nuage de Tchernobyl, que nos douaniers avaient si vaillamment arrêté à nos frontières, de leurs petits bras bleu-blanc-rouge. Oui, je pense à cela. Le débat prétend d’évidence, sans l’avouer jamais, que nos problèmes pourraient être pensés, et peut-être résolus, dans le cadre de notre défunte nation. Je n’insiste pas sur qui vous savez, qui proclame la patrie dans 9 discours sur 10. Oui, je veux bien parler de l’homme de la fumeuse et fumiste « planification écologique ».

J’ai déjà eu l’occasion de parler de cette scène d’anthologie, qui date de la Toussaint 1938. Daladier, ce si pénible garçon, est allé se déculotter à Munich devant Hitler. Il a notamment abandonné la Tchécoslovaquie aux appétits fascistes. Quand il revient, son avion survole la piste du Bourget, et notre grand homme devine une foule immense qui l’attend. Il croit qu’on veut le lyncher pour sa lâcheté. Il est acclamé, car les manifestants présents croient, veulent croire, font croire que Daladier aurait sauvé la paix de l’Europe.

Commentaire de Churchill : « Vous aviez le choix entre la guerre et le déshonneur. Vous avez choisi le déshonneur, et vous aurez la guerre ». Ceux qui jouent le jeu de cette élection sans honneur sont les Munichois de 2012. Cela pourrait bien ne pas me rendre très populaire auprès de tant d’entre vous. Mais j’ai décidé il y a longtemps de dire ce que je pense. Et j’essaie.

Sur le cancer made in France (une suite)

Il y a une suite au texte précédent, toujours signée par le groupe de Grenoble Pièces et main d’œuvre (PMO). Merci à Serge de me l’avoir envoyée. Vous trouverez cet échange ci-dessous, mais j’ajouterai pour ma part un commentaire. Le syndicaliste CGT qui s’en prend à PMO, je le connais. Je veux dire que j’en ai connu des dizaines dans le cours de ma vie. Il est probablement – mais non sûrement – une bonne personne. Seulement, le ton qu’il utilise pour s’adresser aux critiques de ce monde me donne de véritables envies de gerber.

Ce qu’oublie notamment ce « lutteur de classes » estampillé, c’est l’arrière-plan de l’histoire qu’il prétend nous raconter. Moi, je la connais. Moi, l’écologiste qui se fout des pauvres et des ouvriers – une antienne, chez ces mélenchonistes qui viennent m’asticoter jusqu’ici -, j’ai contribué à la création de l’Association Henri-Pézerat (ici). Henri était un homme très cher à mon cœur (ici), sans lequel l’incroyable scandale de l’amiante n’aurait pas éclaté de cette manière en France.

Oui, je sais quantité de choses sur la mort au travail, les maladies professionnelles si évidemment sous-estimées, le drame dans tant de familles. J’en sais bien plus que ces phraseurs de gauche, et j’assume ma part du grand combat contre l’exploitation criminelle de la force de travail. Je n’espère pas clouer le bec à ceux qui m’envoient aux pelotes avec délices, mais au moins je dis. Et je dis que, dans le cas de l’amiante, le mouvement syndical français a été le COMPLICE du crime de masse.

D’abord pour la raison évidente que, pendant des décennies, il n’a pas été capable d’empêcher la contamination. Qui passait on s’en doute par l’interdiction de l’amiante. Mais aussi, mais surtout pour la raison que la CGT et la CFDT ont siégé dans les années 80 et 90 du siècle passé, ès qualités, dans l’infâme Comité permanent amiante (CPA), création du lobby de l’amiante dans le seul but de gagner du temps. Et donc de multiplier les morts (ici). Lançons l’idée d’un tribunal international des crimes du travail, mais sans en exclure ces syndicalistes qui ont accepté de donner la main aux assassins !

Et d’ailleurs, pourquoi l’ont-ils fait ? Ont-ils reçu de l’argent ? Leurs confédérations ont-elles été circonvenues, et en ce cas, de quelle manière ? Nul n’a jamais osé ouvrir ce dossier terrifiant. Circulez ! Ceci explique cela, et nul doute que si les syndicats français ont jeté le voile sur cette affaire, c’est parce qu’elle dynamite une partie de leur légitimité. Quoi ? Des syndicats qui acceptent et accompagnent la mort organisée de leurs mandants ? Mais c’est une honte, n’est-ce pas ? Une honte historique, pour dire le moins. On comprend mieux, dans ce cas, pourquoi M.Mélenchon et ses amis soutiennent ceux d’Arkema et la production du chlorure de vinyle, qui est une merde totale et définitive.

Bon, assez causé. Voici le texte de PMO. La suite du premier.

Défense du cancer français

Séquelles

Vendredi 6 avril 2012, nous avons publié un texte intitulé « « Réindustrialisons » : quand « Là-bas si j’y suis » défend le cancer français ».1 Celui-ci pointait l’angle mort d’un reportage consacré à la cession du pôle vinylique d’Arkema à un « vautour » américain : l’absence de toute mention du caractère homicide de la production de ce pôle. Cette lacune étant évidemment liée aux positions politiques du producteur, du journaliste et des intervenants de cette émission, qu’on n’insultera pas en disant que, syndicalistes, militants du Front de gauche ou journalistes engagés, ils font actuellement la campagne présidentielle de Jean-Luc Mélenchon. On n’étonnera non plus personne – ni eux-mêmes – en rappelant que le Parti communiste, le Parti de gauche, la CGT et Là-bas si j’y suis soutiennent le parti de l’industrie et de l’emploi à tout prix.

De toutes les réactions suscitées par notre texte, nous avons choisi de répondre à celle qui nous paraissait la plus poignante et la plus instructive, celle peut-être qui permet pour une fois d’aller au vif du sujet. Ce message d’un syndicaliste ouvrier nous est parvenu indirectement, via une liste de discussion du Front de gauche. Nous préservons l’anonymat de son auteur.

« Aux libertaires et luddites qui écrivent « Mais pour les syndicalistes comme pour les partisans du Front de Gauche et Là-bas si j’y suis, « l’essentiel, c’est l’emploi », autrement dit : « Nos emplois valent plus que nos vies ». Je suis syndicaliste CGT mais avant tout un homme et j’ai envie de vous hurler à la figure les 52 morts de la polymérisation du CVM (et pas du PVC soyez précis !!!), les dizaines de morts du rein et de la vessie, les morts de l’amiante de l’usine Atofina Brignoud que ces camarades ont bien été assassinés non pas au nom de l’emploi mais au nom du seul profit capitaliste vous hurler que  les salariés qui sont en 1° ligne ne sont pas des kamikazes … ils ont été gazés par des patrons qui savaient le danger vous hurler qu’une  fibre d’amiante suffit qu’un seul ppm de gaz suffit pour  donner la mort !!!
vous hurler que l’amiante comme la polymérisation du CVM tuent à retardement 30 à 40 ans après l’exposition alors comment pouvez vous reprocher à ceux qui meurent aujourd’hui, 30 ans après leur exposition, d’avoir feint d’ignorer le danger afin de préserver leur emploi.

Savez vous seulement libertaires et luddites notre impuissance non pas à sauver nos emplois mais notre combat pour  faire reconnaître nos expositions, classer nos sites, et que nos veuves et enfants aient une juste compensation connaissez vous  seulement la peur qui plane sur nos têtes à chaque visite médicale savez vous  seulement la peur de l’annonce de la maladie (amiante ou cancer du foie), la peur de mourir asphixié (amiante), la peur de mourir en pourrissant de l’intérieur (angiosarcome du foie) savez vous  seulement, bien penseur de PMO ce qu’est mourir du cancer du CVM, de l’amiante et autres saloperies que nous avons respiré savez vous  seulement la gifle que nous ressentons lorsqu’un de nos camarades est touché ….le dernier….Jacques …….est parti il y a 15 jours !!

Que connais tu de nos souffrances et de celles de nos familles devant notre agonie à vous libertaires et luddites je dis faîtes vous connaître prenez une part active dans notre combat pour la vie et luttez pour que nos usines continuent à produire en préservant la santé de ses salariés  et des populations
environnantes. Nos vies comme les vôtres dépendent du succès de nos luttes actuelles

Aidez nous à briser les conditions de travail qui produisent les cancers

Aidez nous dans notre lutte devant le Tribunal Administratif de Grenoble pour qu’enfin le site d’Atofina
Brignoud soit classé Amiante

Aidez nous  devant les tribunaux à chaque comparution de famille  d’Atofina Brignoud réclamant justice ou bien  Respectez nous !! »

La réponse de PMO

Si ce message apporte une confirmation, c’est bien que le PVC (même nommé chlorure de vinyle monomère) tue. Il tue même plus encore que ce que nous avions écrit, à l’usine Atofina de Brignoud (aujourd’hui Arkema), dans la cuvette grenobloise. Il tue atrocement. Et il est aussi assassin que nombre de produits dont nous gratifient les 19 sites Seveso de l’agglomération, et l’industrie en général. Qu’elle soit chimique, nucléaire, automobile, agro-alimentaire ou électronique. Ces assassinats concluant d’ailleurs des existences entières privées de vie, dans l’enfermement de l’usine.

Aux chiffres que fournit notre interlocuteur concernant les travailleurs, il faut ajouter les morts invisibles, jamais additionnées, des riverains et de toutes les victimes d’un environnement empoisonné (eau, air, sols, alimentation). Ceux-là ne sont pas même payés, tout juste ont-ils la satisfaction de contribuer à l’augmentation du PIB et de la croissance.

Soyons précis, comme dit notre syndicaliste : on sait depuis 1906 que l’amiante est dangereuse. Celle-ci a été totalement interdite en France en 1996. Neuf décennies d’assassinat industriel. Les patrons n’étaient pas les seuls à savoir le danger. Si les ouvriers de 1906 l’ignoraient, ceux de 1976 et de 1986 le savaient. C’étaient « les risques du métier ». Comme la silicose des mineurs ou les cancers des intérimaires du nucléaire. Comme aujourd’hui la maladie de Parkinson des paysans qui continuent de répandre des pesticides. Qui défend le monstrueux chantier du TGV Lyon-Turin, avec ses millions de mètres cubes d’amiante et de poussières radioactives à extraire de la montagne, sinon la CGT ? Puisque c’est bon pour l’emploi.

Ce n’est pas le seul profit capitaliste qui a assassiné des générations d’ouvriers, mais la société industrielle, et le parti industriel – scientifiques, patrons, ouvriers et techniciens confondus. Un parti qui s’enkyste dans le déni, y compris face à la réalité la plus brutale. Voyez les travailleurs de Fessenheim applaudissant aux promesses de Sarkozy de prolonger leur centrale, un an après la catastrophe de Fukushima.

À toi, syndicaliste, nous disons : encore un effort dans le combat pour la vie. Vous, qui mourez en première ligne, encore un effort de cohérence pour tirer les conséquences de ce que vous savez. Le chlorure de vinyle tue ? Supprimons-le. Même communiste, autogéré, verdi, responsable, durable et citoyen, il n’y a pas de PVC propre et il ne peut pas y en avoir. Parce que nous sommes cohérents et que nous tirons des conséquences, nous refusons le PVC, quels que soient ses usages : le prix à payer est trop cher. Et ce qui vaut pour le PVC vaut pour toutes les saloperies industrielles et nuisibles.

Justement parce qu’on vous respecte, on trouve indigne de vous voir réclamer « une juste compensation » à ce qui n’a pas de prix, la vie d’un homme. Respectez-vous vous-mêmes. Savez-vous seulement à quoi ont renoncé ceux qui depuis des décennies font la grève perpétuelle ? Ceux qui ont refusé de plier, d’entrer en usine ou au bureau, de prendre des crédits, de faire 2,1 enfants, d’acheter un pavillon, une bagnole, une télé, des téléphones portables, de revendiquer du « pouvoir d’achat ». Ceux que vous nommez « marginaux », qui subissent les diktats du parti industriel et qui tâchent, à la mesure de leur faiblesse et de leur imagination, de ménager le peu de vivant que vous n’avez pas encore détruit.

Ceux que vous n’avez pas eu le cran d’imiter, parce que, tout de même, une vie entière volontairement sous le seuil de pauvreté, c’était pas votre choix. Pour nous, luddites, il y a plus de décence à tâcher d’être maîtres de son existence et de son travail – quitte à vivre de peu – qu’à se soumettre à la machine destructrice et à mendier des conditions d’esclavage supportables. En fin de compte, une société luddite lèguerait aux fameuses « générations futures » une Terre en meilleur état que la société industrielle. Mais bien sûr, cela irait contre « le sens de l’Histoire ».

Pour finir, syndicaliste, tu es bien hardi de nous croire ignorants du cancer et de ses horreurs. Grâce à ton activité et à celle de tes collègues, c’est en réalité aujourd’hui l’une des choses du monde les mieux partagées.

Pièces et main d’œuvre
Grenoble, le 10 avril 2012