Archives mensuelles : mai 2012

Robin des Bois n’aime pas les couleuvres

Je connais Jacky Bonnemains, fondateur de Robin des Bois, depuis près d’un quart de siècle. C’est un homme bien singulier. Remarquable à de nombreux égards. Pénible quelquefois. Malgré au moins une grave engueulade avec lui au sujet du porte-avions Clemenceau, bourré d’amiante, qu’il acceptait de voir démantelé en Asie, je lui conserve une amitié lointaine, mais sincère. Voici son dernier communiqué, qui me semble juste. Le site de Robin des Bois : http://www.robindesbois.org/.

Les anguilles avalent les couleuvres

Les anguilles sont en voie de disparition dans les océans mais se maintiennent dans les eaux politiques françaises.

Après leur campagne des élections présidentielles qui a précipité l’écologie dans les annexes des priorités, les Verts revendiquent quelques ministères. C’est une habitude chez eux de se réveiller à l’approche des festins, quitte à avaler des couleuvres. Leur appétit est insatiable. Les Verts sont les capitalistes de l’écologie.

Par abus de langage, ils disent s’exprimer au nom de tous les écologistes ; c’est faux, il y a beaucoup plus que 2,3 % des électeurs en France ouverts à l’écologie et inquiets des dégradations infligées à la Terre et à la mer par les activités humaines et les dérèglements de l’économie mondiale.

L’ONG Robin des Bois souhaite que le Ministère d’Etat en charge de l’Ecologie, quels que soient son nom et son périmètre, soit attentif à la diversité des revendications, des réflexions et des solutions susceptibles de préserver la biodiversité, le bien-être des populations et les fonctions vitales de la Planète.

Tâchons de (nous) regarder en face

Tentons une seconde d’être sérieux. Bien entendu, je ne peux qu’être soulagé par la défaite de Nicolas Sarkozy. Cet homme m’était insupportable, comme aucun autre président avant lui. Je croyais en avoir détesté plusieurs. Mais il me faudrait trouver des mots nouveaux pour évoquer la personne du vaincu d’hier.

Pour le reste, je souhaite rester bref. La crise écologique planétaire est-elle une forme inédite de menace sur la vie ? Y a-t-il eu, au long de l’aventure humaine, quoi que ce soit de comparable ? Les écosystèmes les plus essentiels, le cycle de l’eau, le climat risquent-ils – ou non – de connaître des effondrements brutaux ? Les réponses ne sont-elles pas évidentes pour toute personne moyennement informée ?

Question annexe : pour quelle énigmatique raison notre espèce détruit-elle son habitat, et de plus en plus vite ?

Toute politique devrait s’atteler, en priorité absolue, à ces gigantesques chantiers de l’esprit humain. J’ai écouté d’une oreille, hier au soir, notre nouveau président, François Hollande. Il est évident qu’il est à des années-lumière de la moindre interrogation vraie. Et cela ne changera pas. Il n’est plus temps d’ergoter, de supputer, de se mentir : les socialistes et tous leurs alliés, Verts compris, ne feront rien qui garderait un sens au regard de la situation. J’entends bien que cela sonne comme un désespoir. Tel n’est pourtant pas mon sentiment. Il faut agir, assurément. Et faire de la politique, bien sûr. Mais en ayant des idées claires sur les impasses définitives du jeu officiel. Il faut rompre, voilà le chemin. Tout le reste est, tout le reste demeurera insignifiance.

Quand l’Amérique nous donne une véritable leçon (de morale)

C’est le Premier mai, et je vais manifester en compagnie des syndicalistes, moi. Je le dis en confidence à ceux qui maudissent mes critiques, je suis délégué du personnel depuis seize années. Et je me souviens d’avoir créé des sections syndicales dans des boîtes où il n’y en avait pas. Étonnant, non ?

Connaissez-vous John Muir ? Moi, j’ai lu de cet homme un, peut-être deux livres. Le premier, c’est sûr : il s’agit du magnifique Un été dans la sierra (chez Hoëbeke). On peut y trouver ce genre de phrases : « Aussi longtemps que je vivrai, j’entendrai les chutes d’eau, le chant des oiseaux et du vent, j’apprendrai le langage des roches, le grondement des orages et des avalanches et je resterai aussi près que possible du cœur du monde. Et qu’importe la faim, le froid, les travaux difficiles, la pauvreté ! ». Dites-moi, mais ce type est donc un frère, ne vous paraît-il pas ?

Nous sommes dans la Yosemite Valley, au cœur de la Sierra Nevada de Californie, en 1869. Muir a 31 ans, et il cherche encore sa voie dans cette wilderness à peu près intacte de l’ouest des Etats-Unis. Il découvre la vallée de Yosemite. « Aucun temple construit de la main de l’homme ne peut être comparé à Yosemite », écrira-t-il. Un rancher du nom de Pat Delaney lui offre un boulot en or : conduire un troupeau de moutons en haut de la vallée. Chemin faisant, il notera à peu près tout ce qu’il voit. Et nous donnera donc Un été dans la sierra. Le second livre, si lointain dans mon esprit que je ne l’ai peut-être que parcouru, s’appelle Voyages en Alaska (réédité dans la petite collection Payot, en 1995).

Pourquoi parler aujourd’hui de Muir ? À cause du Sierra Club. Cette association de protection de la nature est l’une des plus anciennes du monde. Peut-être la plus vieille ? J’avoue mon ignorance. En tout cas, le Sierra Club a été fondé en 1892, à San Francisco, par maître John Muir en personne. Et il compte aujourd’hui près d’1,5 million de membres. Je ne défendrai pas en bloc l’histoire du Sierra Club, et de bien loin. En plus d’un siècle, l’association a connu des dérives, notamment par rapport à la brûlante question démographique. Il est manifeste que, voici une quarantaine d’années, certains responsables n’étaient pas loin de vouloir imposer des lois contre l’immigration, accusée de participer au grand désordre écologique en cours.

Au total, et bien que je ne croie aucunement au postulat du Sierra Club – influencer le système de l’intérieur, jusqu’à le changer -, je dois constater que ce mouvement garde un peu de la fraîcheur du Commandeur, le grand John Muir. J’en veux pour preuve l’histoire suivante, qui semble appartenir à la science-fiction. Le 2 février 2012, le directeur exécutif du Sierra Club, Michael Brune, annonce qu’il va rembourser 26 millions de dollars (ici, en anglais). Mais à qui, Dieu du ciel ? À la grande industrie, lecteurs incrédules. En l’occurrence, à Chesapeake Energy, très gros producteur de gaz naturel aux États-Unis. Je résume le propos de Brune : arrivé en mars 2010 à la tête du Sierra Club, il découvre ces dons gigantesques, qui datent de 2007, et se rapportent à une situation plus ancienne encore. Je n’entends rien justifier – vous le savez -, mais je rappelle que dans le cadre de la lutte contre le dérèglement climatique, beaucoup pointent les risques évidents du charbon, estimant que le gaz naturel pourrait servir d’énergie de transition. Le Sierra Club est ainsi très actif, aux Amériques, dans la campagne appelée Au-delà du charbon (ici), qui a marqué des points, dérisoires à mon sens, mais réels.

Brune découvre donc l’importance de subventions cachées de l’industrie du gaz, qui a tant intérêt à contrarier celle du charbon tout en masquant ses turpitudes. Et Brune décide alors – pas à la seconde, certes – qu’il faut retrouver une véritable cohérence. Cet argent, c’est un fil à la patte, un énorme câble empêchant de réclamer ce qui doit l’être. « It’s time to stop thinking of natural gas as a « kinder, gentler » energy source », note Michael Brune. C’est-à-dire : « Arrêtons de penser que le gaz naturel est une gentillette source d’énergie, plus douce que les autres ». Quand il pense gaz naturel, il y inclut fort logiquement le gaz de schiste, celui contre lequel se sont levés tant de gens en France. Car il s’agit bel et bien d’un gaz naturel. Lequel, aux États-Unis, a conduit à percer environ 600 000 puits, changeant des régions entières en dépôts de derricks et décharges géantes de produits chimiques. Je n’insiste pas sur la pollution des nappes, la destruction des paysages, ni même sur l’explosion inévitable des gaz à effet de serre liée à l’extraction et à l’usage.

Michael Brune estime en conséquence : « Exempting the natural gas industry from environmental protections was a terrible idea ». Eh oui, il est facile de comprendre pourquoi l’Amérique d’Obama n’a pas souhaité entourer l’industrie du gaz de règles et lois protégeant les écosystèmes. Car cette Amérique, comme Obama d’ailleurs, se moque éperdument de ces questions. Ce qui compte, c’est leur géostratégie de pacotille, leur soi-disant indépendance énergétique, la grandeur éternelle du Vieux pays. Mais je m’égare. Dans sa conclusion, Brune écrit : « Ultimately, the only safe, smart, and responsible way to address our nation’s energy needs is to look beyond coal, oil, and gas, and focus on clean, efficient energy sources such as wind, solar, and geothermal ». Soit : « En fin de compte, le seul moyen sûr, intelligent, responsable de faire face aux besoins en énergie de notre pays, est d’aller voir au-delà du charbon, du pétrole et du gaz, et de se concentrer sur des sources d’énergie propres et efficaces. Le vent, le soleil, la géothermie ».

Sommes-nous bien d’accord ? Une association plus que centenaire, percluse donc de rhumatismes, vient de faire la preuve de sa liberté, et de son courage. Je note qu’il n’est pas équivalent de refuser un don et de le rembourser. Brune aurait pu fermer le robinet. Mais non, il mise sur le sens, le symbole, la force du renouveau. Vous comprendrez, dans ces conditions, que je le salue avec sincérité. Et que j’ajoute quelques mots concernant la France.

Quand le WWF français remboursera-t-il les dizaines de millions d’euros que l’industrie lui a donnés depuis sa création ?

Quand France Nature Environnement (FNE) remboursera-t-elle les subventions que lui a accordées la transnationale du gaz et de l’eau, Suez ?

Quand Yann Arthus-Bertrand remboursera-t-il les plantureuses aides que la BNP, Suez ou Air-France octroient à Good Planet, sa fondation ?

 Rajout le 2 mai, sur les conseils avisés d’Olivier, que je salue. Quand donc la Fondation Hulot remboursera-t-elle les sommes que lui ont attribuées les sympathiques sponsors que sont ou furent EDF ou Rhône-Poulenc ?