Archives mensuelles : décembre 2012

Mélenchon et les Indiens de Sarayaku (ode à la « révolution citoyenne »)

Pour Grego

Habitué aux sports de haute voltige, je vais commencer, moi qui ai conchié tant de fois Jean-Luc Mélenchon, par lui rendre hommage. Attention, c’est un saut périlleux arrière retourné, et je ne suis pas sûr de bien me rattraper. Roulement de tambour. Les paroles de Mélenchon dans Libération (ici) m’ont paru sortir du cadre habituel de la simple propagande. Cette dernière y était bien sûr, mais pour qui s’en tient aux mots, nul doute qu’il y avait là une petite musique intéressante.

En deux mots, Mélenchon y affirme que le tournant de son Parti de Gauche vers l’écologie n’a rien de tactique. Il s’agirait d’une conversion profonde et sincère. L’avenir, bien que présenté d’une manière nébuleuse, appartiendrait à la « règle verte », à la « planification écologique ». Certaines formules prêtent tout de même à sourire, comme : « Il faut cesser de produire et d’échanger dans des conditions telles que la capacité de renouvellement de l’écosystème n’y répond plus. C’est simple, ça se chiffre et ça se planifie ». Mais au total, allez, une mention passable. Inutile d’insister, à ce stade, sur le but à peine caché de faire disparaître, à terme, le parti EELV. Au reste, je m’en fous bien.

Où sont passés les textes de 1992 ?

Pour être honnête ou tenter de, signalons les 18 thèses pour l’écosocialisme proposées au débat dans le Parti de Gauche (ici, puis chercher un peu). J’ai lu, ce qui ne doit pas être le cas de tout le monde. Si je veux être (très) gentil, je dirai que c’est rempli de proclamations et de bonnes intentions. Un peu comme le programme du parti socialiste d’avant 1981, que défendait d’ailleurs, à l’époque, Mélenchon. On a vu. Les programmes de partis sont comme des promesses. Des mirages. Et si j’essaie d’être franc, j’ajouterai qu’il s’agit de vieilleries assez consternantes. Le mot écosocialiste, désolé de faire de la peine aux mélenchonistes, a été employé à de nombreuses reprises dans le passé, et a même été défendu avec clarté par la Ligue communiste révolutionnaire il y a de longues années.

Le pire n’est pas là : il n’y a aucune analyse de la situation réelle du monde. De la dislocation déjà entamée de nombreuses sociétés sous le coup de la crise écologique. On se croirait en 1970. On y est, d’ailleurs. La crise diabolique du climat, la crise sans limites apparentes de la biodiversité, la crise mortelle des océans, la crise planétaire des sols fertiles ne sont pas au tableau. En somme, les questions politiques les plus essentielles ne font pas partie de la discussion publique. Quel étrange parti écosocialiste.

Retour à Mélenchon. Il est important de savoir ce que ce politicien pense. Non pour lui, je l’avoue, mais à cause des gens, souvent d’excellentes personnes, qui croient en lui. Mélenchon, dans l’article de Libération évoqué, se vante de textes qu’il aurait écrits sur l’écologie dès 1992. Qu’il les publie donc, que l’on puisse rire un peu ! Ne remontons pas à Mathusalem, seulement au 22 octobre 2012. Ce jour-là, l’agence chinoise Xinhua publie une dépêche (ici, en français) qui résume un entretien que lui a accordé Mélenchon. Que dit-il ? « Je considère que le développement de la Chine est une chance pour l’humanité ». Une telle phrase, je pense, a le mérite de la clarté, mais comme elle m’a littéralement soufflé, j’ai cherché une confirmation. Les bureaucrates chinois, staliniens dans l’âme, avaient peut-être tordu le propos de notre grand Leader Écosocialiste ?

La croissance chinoise est une chance pour l’humanité

Eh bien non. Le 28 octobre 2012, Mélenchon était l’invité de Tous Politiques sur France Inter (ici), et y parlait à nouveau de la Chine (à partir de la minute 44). Il y confirme sans détour que la « croissance chinoise est une chance pour l’humanité ». Je crois pouvoir affirmer, car à la différence de Mélenchon, je sais de quoi je parle, que notre Grand Homme de poche démontre ainsi qu’il n’a strictement rien d’un écologiste. L’inculture profonde, l’ignorance abyssale ne sauraient être une excuse pour raconter de telles inepties. Car la Chine, comme je l’écris en de nombreux endroits depuis une dizaine d’années, nous menace tous, elle d’abord, d’un krach écologique à côté duquel la Grande Dépression d’après 1929 ressemblerait à une dispute pour un bout de chocolat.

Je n’ai pas le temps de détailler, mais même ici, sur Planète sans visa, il est aisé de retrouver certains textes grâce au moteur de recherche. La Chine, qui devient la plus grande économie mondiale, n’a plus d’eau, plus d’air, plus de terres agricoles capables de supporter une croissance démentielle. Et elle ruine en conséquence, pour des siècles au moins, quantité de pays d’Asie – le Cambodge et le Laos sont en haut de la liste – et désormais d’Afrique, s’emparant aussi bien du bois que du pétrole ou encore de millions d’hectares de terres destinées à produire, in fine, la viande que réclame tant sa classe moyenne.

Dire que la croissance chinoise, qui n’est que dévastation, est une chance pour tous n’est pas seulement imbécile. C’est aussi criminel. Je pèse mes mots, si. Dans la même émission d’Inter, Mélenchon se répand comme à son habitude sur la supposée vitalité des gauches latino-américaines. C’est justement de cela que je voulais vous parler, comme en atteste le titre que j’avais placé tout là-haut avant de commencer ce roman-fleuve. Le 17 février 2013, l’Équateur vote pour l’élection de ses président et vice-président de la République. Le président actuel, Rafael Correa, se représente et espère l’emporter une nouvelle fois. Qui est-il ? Un homme de gauche, à coup sûr. Est-il plus proche de la ligne Chávez que de la ligne Lula ? C’est hautement probable, et ce qui est certain, c’est que Correa est l’un des grands inspirateurs de Mélenchon. Il a notamment popularisé l’expression un brin étrange connue sous le nom de « révolution citoyenne » que le Français arrange désormais à toutes les sauces. Pendant la campagne présidentielle du printemps dernier, Correa a envoyé à Mélenchon un vibrant message de soutien, rendu public, qui commençait ainsi : « Querido Jean-Luc ». Et finissait par ce vieux slogan guévariste : «  ¡ Hasta la victoria, siempre ! ».

Les 1200 habitants de Sarayaku

Je pense que cela suffit pour établir la grande proximité entre les deux hommes. Et je poursuis. Les élections équatoriennes approchent, et surtout, ne quittez pas, car je vais (probablement) vous apprendre quelque chose. L’Équateur est un pays deux fois plus petit que le nôtre, peuplé de 15 millions d’habitants. Entre Quito, la capitale, installée sur les flancs d’un volcan, à 2850 mètres d’altitude, et l’Amazonie équatorienne, il n’y a pas grand chose en commun. Dans la forêt légendaire, des peuples indiens survivent tant bien que mal. Mal. Et parmi eux les kichwa. Et parmi eux, les 1200 habitants du village de Sarayaku (ici). Ils vivent de, ils vivent avec la forêt depuis des milliers d’années.

Mais le pétrole ne vaut-il pas mieux que tout ? Voici un court résumé, emprunté à Frontière de vie (ici) : « Afin de développer l’exploitation du pétrole amazonien, l’Etat équatorien a emprunté des milliards de dollars à l’étranger, s’endettant de façon effrayante. Cercle vicieux, l’Etat ne peut espérer rembourser ses dettes qu’en augmentant encore l’exploitation pétrolière, ce qui implique une surexploitation dépassant toutes limites. 1.500.000 hectares de forêts sont déjà en exploitation. 500 km de routes ont été construites pour permettre l’installation de 400 puits de pompage. Ces puits génèrent quotidiennement 17 millions de litres de déchets toxiques non traités. Ces déchets sont déversés dans des bassins à ciel ouvert qui débordent lors des pluies tropicales et se répandent dans la forêt. Dans certaines rivières, toute vie a disparu ».

Un grand désastre, donc, synonyme de « développement », cette parole maudite qui réunit les droites comme les gauches. Mais Sarayaku résiste aux compagnies pétrolières depuis 25 ans. Surtout depuis qu’en 2003, ces frères humains ont réussi à foutre dehors des ouvriers payés par un pétrolier, défendus par 400 militaires, venus pour de premiers travaux. Il est impossible de seulement évoquer les principaux événements de cette saga. Elle fait des habitants de Sarayaku des héros de l’humanité. Et ils tiennent. Encore et toujours. Greg m’envoie de Colombie un article du quotidien de Bogotá El Espectador (ici, en espagnol). J’y apprends que Los hijos del jaguar, les fils du jaguar comme ils se nomment, sont au cœur du débat de la présidentielle en cours. Correa, ce fier combattant de la « révolution citoyenne » entend ouvrir un peu plus aux pétroliers l’Amazonie équatorienne,. D’un mot, l’Équateur est l’une des zones les plus riches en biodiversité de notre planète. Peut-être la plus riche. Sans doute. On y a recensé environ 1 600 espèces d’oiseaux, 4 000 d’orchidées, 382 de mammifères.

 Les Indiens vendus par Correa aux transnationales

Je lis une dépêche en espagnol de l’agence chinoise – décidément – Xinhua, en date du 29 novembre 2012 : « El gobierno de Ecuador convocó hoy a la XI Ronda Petrolera de Licitación 13 campos del suroriente del país para la exploración y explotación de crudo, en medio de la resistencia de comunidades indígenas de la Amazonía ». Le gouvernement de Quito vient de lancer des enchères pour l’exploitation de 13 champs pétrolifères au beau milieu de la résistance de communautés indiennes de l’Amazonie. Voici les propres mots du querido compañero de Mélenchon, Correa soi-même : « Bienvenidos todos los inversionistas que buscan esa rentabilidad razonable, pero con altísima responsabilidad ambiental ». Bienvenue à tous les investisseurs qui cherchent une rentabilité raisonnable, mais avec un haut sentiment de responsabilité environnementale : on croirait du Total dans le texte. Mélenchonistes éventuels, qui me lisez, épargnez-moi vos leçons : Correa vend son pétrole et les Indiens qui sont au-dessus aux transnationales.  Point final. Et tant pis pour le climat, et tant pis pour la biodiversité, et tant pis pour ces extraordinaires cultures indiennes qui sont pourtant, razonablemente, une partie de notre avenir possible.

Alors, désolé, je ne marche pas. L’écosocialisme vérolé que Mélenchon tente de fourguer en France à des crédules – chaque génération a les siens -, non merci. À moins, amis mélenchonistes, que je ne me trompe ? À moins que The Great Leader Chairman ne vole publiquement au secours des Indiens de Sarayaku, et désavoue son cher ami Rafael Correa ? Ce serait, pour le coup, une vraie nouvelle, susceptible de me faire changer d’avis sur ce que je tiens pour une pure foutaise. Tenez, il y a même un rendez-vous : en avril 2013, Correa prévoit l’organisation à Quito d’un forum mondial de sa soi-disant « révolution citoyenne ». Mélenchon a, je crois, prévu d’y aller. C’est le moment, camarade écosocialiste, de prouver que les mots et proclamations ont un sens.

Le délire de Notre-Dame-du-Littoral (à La Réunion)

Où va le pognon ? Une route de 12 kilomètres pourrait coûter près de 3 milliards d’euros. Ça se passe sur l’île de la Réunion, et comme à l’habitude, il va vous falloir attendre un peu. Où va le pognon ? Si je parais insister, c’est qu’en vérité, la France n’a jamais été aussi riche qu’en cette fin d’année 2012. Disons pour être exact qu’elle n’a jamais autant produit de merdes à l’obsolescence programmée pour relancer sans fin, et surtout sans but discernable, la machine industrielle. Les chiffres sont désespérément têtus. Leurs chiffres, vous aurez rectifié, car les miens tentent d’inclure, ce qui est impossible, la mesure de la destruction de la vie. Et cela change quelque peu la perspective d’ensemble.

Donc, leurs chiffres sont sans appel (ici). De 2000 à 2011, le PIB a grimpé chez nous, selon les ans, entre 2,5 % et 5,3 % (en valeur). Seule l’année 2009, après le choc de la crise financière, a vu une contraction de  -2,5 %, suivie aussitôt d’une augmentation de 2,7 % en 2010 et 3,1 % en 2011. Dans le même temps, le taux de croissance démographique – l’expression n’est pas de moi, juré ! – a oscillé entre 0,38 % – en 2000- et 0,59 % – en 2007 -, ne dépassant pas 0,5 % en 2011 et (certainement) 0,5 % en 2012.

Or donc, qu’on arrête de nous servir toujours la même soupe froide. Nous sommes d’une richesse stupéfiante, qui ne saurait d’ailleurs durer, et les seules questions qui vaillent sont celles-ci : que produisons-nous; pour qui; comment; avec quelles conséquences pour les équilibres de la vie. Je constate comme vous que ces interrogations pourtant évidentes ne font pas partie du débat national, dominé et même écrasé par des discours qui, de l’extrême gauche à l’extrême droite, parlent d’autre chose. C’est-à-dire, eu égard aux enjeux, de rien. Je reviendrai, sous peu je l’espère, sur le cas Mélenchon, car cet homme que j’ai tant attaqué ici, flambe désormais pour un « écosocialisme » qui mérite le commentaire.

Et voilà, après ce si long préambule, le sujet du jour. Notre-Dame-du-Littoral. Comme des Landes, mais en bordure de l’océan Indien. Ou plutôt dessus l’océan Indien. Nous sommes à la Réunion, une île sublime où l’homme n’est apparemment arrivé – pour y rester – qu’au milieu du XVIIème siècle. C’est un endroit sublime – je connais -, mais surpeuplé. L’île n’est jamais qu’un volcan dont les flancs plongent dans la mer, et les 840 000 habitants se concentrent pour l’essentiel sur le littoral.  340 habitants au kilomètre carré, c’est déjà énorme, mais ce n’est qu’une moyenne qui ne dit pas l’extrême densité le long des côtes. J’ajoute que les peuples de la Réunion – petits Blancs, gros Blancs, Noirs de toutes nuances, Tamouls de la côte de Malabar, zarabs venus de l’actuel Gujarat indien, Chinois, z’oreils de la métropole, et métis de ce grand maëlstrom – arrivent à peu près à vivre ensemble. J’ai beaucoup, beaucoup aimé ce lieu si singulier.

Revenons-en à Notre-Dame-du-Littoral. Le conseil régional de la Réunion est dirigé par un politicien local de l’UMP. À moins qu’il n’ait rejoint le RUMP de François Fillon ? En tout cas, son nom est Didier Robert (ici), et il entend, tel un Jean-Marc Ayrault des Tropiques, marquer de sa belle empreinte le territoire qui l’aura oublié demain. Que veut Robert ? Une route phénoménale de 12 kilomètres permettant de mieux relier les villes côtières de Saint-Denis et Possession. Pour l’heure, cela ne convient pas à cette excellente personne. Une route avait été inaugurée en 1963, mais les ingénieurs, ces distraits, n’avaient pas remarqué, juste au-dessus d’elle, une fabuleuse falaise de basalte. Fabuleuse par une biodiversité très remarquable, qui n’a évidemment rien à voir ici. Les pierres tombaient régulièrement sur la route, et parfois sur les bagnoles. Il fallait bien faire quelque chose, non ?

En 1976, nouvelle route, un peu plus loin de la falaise. Les pierres ne l’atteignent plus que rarement, mais les travaux de sécurisation ont coûté bonbon. On en était là lorsque la droite locale et le puissant lobby BTP du coin ont décidé de se changer en roi Pharaon. En proposant une route directement sur la mer, avec digue géante, et travaux jusqu’en 2020. Au nom de la sécurité, du tourisme à venir et du « développement » de l’île, blabla, blablabla. Si vous avez beaucoup de temps, allez télécharger l’imbitable document de présentation officiel (ici). Mais pour ma part, j’en resterai ici à deux photos, elles aussi officielles, qui en disent long.

Sur la première, ci-dessous, la première réunion publique consacrée à la « Nouvelle route du littoral ». À votre avis, combien de participants, compte tenu des chaises vides et malgré l’art consommé du photographe ?  Je dirais entre 20 et 30. Peut-être moins. Et combien qui ne soient pas blancs de peau ?

Sur cette deuxième photo, on voit à quoi ressemblerait leur affaire. Vous voyez qu’il y a la mer de part et d’autre de l’ouvrage. Sécurisé, cela va de soi. On en reparlera – plutôt, on en reparlerait – au moment des typhons et des vents à 200 km/heure.

Seulement, les amis, la critique est jolie, mais après ? Le plus dingue de ce projet, c’est sans doute qu’il a enterré une autre idée, certes en sommeil, mais qui consistait en un tram-train. Je vous recommande vivement la lecture d’un article de l’excellent site Carfree (ici). Jusqu’en 2007, on envisageait, avec le soutien de l’État, la construction d’une ligne qui, à terme, aurait relié Saint-Denis à Saint-Paul, en passant par La Possession. Comme la nouvelle route. Située bien sûr sur terre, elle aurait été le premier transport ferroviaire régulier de l’île depuis la disparition – pour cause de nouvelle route ! – de l’ancienne ligne de chemin de fer. Et ce tram-train n’aurait pas été du luxe dans ce pays où un habitant sur trois n’a pas de bagnole. Et où les transports collectifs – bus et taxis-, qui assuraient il y a vingt ans environ 30 % des déplacements, n’en permettent plus, aujourd’hui que 6 %. En somme, et au passage, ce projet délirant est une expression de la guerre de classe paisible qui oppose là-bas ceux qui roulent et ceux qui sont roulés. Ajoutons que la Réunion est l’un des départements français les plus pauvres et les plus endettés. Ajoutons que 30 % de la population est au chômage, mais 60 % des jeunes actifs de 15 à 24 ans.

Que vous dire de plus ? Ayrault, notre teigneux Ayrault de Notre-Dame-des-Landes, vient de confirmer le soutien de l’État à cette route de Notre-Dame-du-Littoral. La région UMP – ou RUMP ? – envisage le début des travaux en 2013. Il y a sur place un petit groupe d’opposants, menés par le militant EELV Jean-Pierre Marchau. J’ai beau avoir tant de fois moqué son parti, je sais reconnaître, fût-ce de loin, la vaillance (ici). Marchau est un vaillant, et je le salue. Dites, les braves de Notre-Dame-des-Landes, quand envoyez-vous messages et messagers à la Réunion ?

En attendant, on ne lâche rien. Ni ici, ni ailleurs.

Un colloque sur la biologie de synthèse

Je reproduis ci-dessous un tract relayé par le groupe grenoblois Pièces et Main-d’œuvre (PMO). Il a été distribué ce matin à Paris, au Cnam (Conservatoire national des arts et métiers, 292 rue Saint-Martin), qui accueille jusqu’à 18 heures un colloque consacré à la biologie de synthèse, ouvert par notre sinistre ministre de l’Enseignement supérieur, Geneviève Fioraso (ici). Faut-il insister ? Non.

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« Avec la biologie de synthèse, vous avez un avantage,
c’est que le grand public pour le moment ne connaît pas. »

D. Raoul, Sénateur, Vice-président de l’Office Parlementaire d’Evaluation des Choix Scientifiques et Techniques
Annexe au Rapport de février 2012, Les enjeux de la biologie de synthèse

« LA BIOLOGIE DE SYNTHÈSE ENTRE SCIENCES ET SOCIÉTÉ »

Préparer l’acceptabilité des « OGM de demain », dès aujourd’hui au CNAM

Aujourd’hui, 4 décembre 2012, se tient au CNAM une conférence organisée par le Génopole®, centre de recherche en génomique qui vise à « favoriser l’essort des biotechnologies », et l’Institut Francilien Recherche Innovation Société (IFRIS), qui réunit plus de 1000 chercheurs en sciences sociales qui étudient les sciences, les technologies et leur contestation.

Cette bande de tristes lurons passera la journée à mijoter le prochain ravage bio-industriel : la biologie de synthèse. Ce mariage transgénique entre monde biotech et sciences sociales profitera du soutien de Geneviève Furioso, « Miss(nistre) Dollars »[1] de la recherche. La pasionaria du nucléaire et des nanotechnologies ajoutera toute son ardeur personnelle à ces cogitations de synthèse qu’ils nous régurgiteront d’ici peu. Mais, à 120 euros l’entrée, la recette est encore bien gardée.

« Biologie de synthèse », de quoi s’agit-il ?

On sait qu’avec les OGM, l’industrie a appris à intervenir sur le code génétique d’un organisme existant pour le doter d’une fonctionnalité donnée – rendre un maïs résistant à un pesticide par exemple. On sait qu’avec les développements conjoints de l’informatique et des nanotechnologies, elle se dote de moyens toujours plus puissants pour agencer la matière, construire des objets et traiter des informations à l’échelle du nanomètre. La suite logique, pour aller vite, c’est la biologie de synthèse, soit rien de moins que ce que son nom indique : par croisement de l’ingénierie génétique, des nanotechnologies et de l’informatique, ingénieurs et techniciens peuvent maintenant synthétiser ex-nihilo un code génétique entièrement nouveau.

Autrement dit : programmer un ordinateur pour donner vie à des choses artificielles, des organismes vivants qui n’ont rien à voir avec ce que crée la nature. Et puisqu’ils le peuvent, ils le font. Oublions la référence romantique au monstre de Frankenstein. Ceux du XXIe siècle seront innombrables et minuscules, et sans doute bien plus réels : virus synthétiques, bactéries-machines, nano-robots à hélice d’ADN[2]. Avec les promesses d’un « progrès » techno-écolo, les profits seront juteux et les ravages certains. Arrivent les nouveaux OGM et la privatisation du vivant, les bactéries génétiquement modifiées relâchées dans la nature comme pseudo-solution environnementale aux saccages industriels, et le tout avec des codes ADN nouveaux pour nous assurer que ces organismes-machines ne se mélangeront pas avec les autres êtres vivants.

« Et si ça se mélange quand même ? », demandez-vous. Oui, ça fait peur. Mais, comprenez la logique : les dégâts, c’est la ressource du progrès de demain. Vous ne connaissez pas encore la biologie de synthèse ? C’est normal, ses promoteurs nous y préparent très en avance. N’ayez crainte, ils sont quelques dizaines réunis aujourd’hui à veiller à votre ignorance. Car si ces machines-vivantes n’ont pas encore envahi nos vies biologiques et politiques, les sociologues de l’IFRIS préparent déjà leur acceptabilité sociale. Parce qu’ils ont échoué avec les OGM, cafouillé avec les nanos, il serait terrible pour nos techno-furieux de reculer à nouveau sur la biologie de synthèse. Et, c’est bien pourquoi le gratin techno-scientifique se réunit aujourd’hui : l’anticipation facilite l’acceptation, affaiblit les résistances et prépare l’invasion de la dernière innovation dont nous n’avons ni besoin, ni envie.

Cette canaille interdisciplinaire étudie les précédentes oppositions aux technologies, afin de repérer leurs failles et de les exploiter pour nous faire avaler le poison. Ils nous préparent une fois de plus des pseudo-débats publics dans le seul but de nous acclimater à la biologie de synthèse. Ils nous diront évidemment qu’il n’y a pas de risque-zéro (mais, bien sûr, « sans risque, pas de progrès ») et nous barbouilleront d’éthique. Avec un peu de chance, ils nous offriront même un atelier de « biologie de garage » : des bactéries synthétiques ludiques et participatives pour nous faire oublier que demain, c’est celles de Monsanto qui nous seront imposées.

Vous, là-dedans ! Nous n’avons ni question, ni incertitude. Notre position est déjà figée : nous n’acceptons pas.

John Kaltenbrunner

Paris, 4 décembre 2012

[1] La ministre confiait au Journal des Entreprises en octobre 2009 : « À un moment, ils m’appelaient Miss dollar, s’amuse-t-elle. C’est vrai. Ça ne sert à rien de chercher à faire le top du top si on ne le vend pas ». http://www.lejournaldesentreprises.com/editions/38/actualite/rencontre/genevieve-fioraso-la-star-de-la-mise-en-reseau-02-10-2009-78224.php

[2]  Je tire cette présentation d’un texte récent de Frédéric Gaillard, à lire pour qui voudrait en savoir plus : « Innovation scientifreak : La biologie de synthèse ». http://www.piecesetmaindoeuvre.com/spip.php?page=resume&id_article=395