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Pourquoi Europe Écologie a échoué

Entretien publié dans Charlie Hebdo du 20 mars 2013

Le texte qui suit a quelque chose d’historique. Non, je ne blague pas. Presque pas. On y découvre la réalité du mouvement Europe Écologie Les Verts (EELV), et cette réalité est consternante. La vérité provisoire est que ce parti est moralement corrompu, et que personne n’y trouve rien à redire. Deux des vrais responsables de la poussée des Européennes de 2009, puis des Régionales de 2010 – Besset et Cohn-Bendit – racontent ci-dessous ce qui s’est passé. Et rien. Pas un mot, pas un souffle, pas une explication des Blandin, Cochet, Hascoët, Voynet.

Je cite ces quatre-là car ce sont tout de même des historiques, qui répètent depuis des décennies que leur engagement impose de « faire de la politique autrement ». Or le parti qu’ils ont tant aimé est devenu une foire d’empoigne où se déchaînent de vaines ambitions, sous le regard et le contrôle d’une camarilla, autour d’un chef cynique. Je n’écris pas cela de gaieté de cœur : malgré de remarquables individualités, EELV ne sert à rien d’autre qu’à assurer des carrières.

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L’article

Les papys ont le blues. Daniel Cohn-Bendit – 67 ans – et Jean-Paul Besset – 66 -, voulaient un autre mouvement écologiste. Tous deux députés européens d’Europe Écologie Les Verts, ils expliquent à Charlie pourquoi et comment ils se sont fait bananer par Cécile Duflot et Jean-Vincent Placé.

Propos recueillis au Parlement européen de Strasbourg par Fabrice Nicolino

Un petit résumé s’impose. Les Verts sont nés en 1984, et dans un premier temps, les affaires électorales ont flambé. On l’oublie, mais Antoine-la-moumoute Waechter avait obtenu 10,59 % des voix aux élections européennes de 1989, provoquant en réponse la création de Génération Écologie, un truc mis en scène par Brice Lalonde. Mais après les régionales de 1992 et malgré l’élection de la Verte Marie Blandin à la présidence de la région Nord-Pas-de-Calais, la traversée du désert commence. Voynet, qui s’est imposée à la tête des Verts, entraînant le départ de Waechter, se ramasse une gamelle à l’élection présidentielle de 1995 : 3,32 % des voix. Malgré ou peut-être à cause de l’échec, les Verts dealent avec les socialos et obtiennent le poste de ministre de l’Environnement après 1997 dans les gouvernements Jospin. Le groupuscule se tient comme il faut à table.

Arrive Cohn-Bendit qui permet aux Verts de remonter à 9,72 % des voix aux Européennes de 1999. Feu de paille. Les apparatchiks du parti écolo reprennent le manche, et tout se barre en noix. En 2002, Mamère sauve les meubles à la présidentielle – 5,2 % -, mais Voynet se prend une veste historique à celle de  2007, avec 1,57 % des voix. C’est la merde, car à ce niveau ridicule, un parti n’existe que sous la forme d’une trace. Deux personnages vont émerger des décombres, dans un étroit tandem : Cécile Duflot et Jean-Vincent Placé. Et ils vont envoyer aux pelotes Besset, Cohn-Bendit et une poignée d’autres qui voulaient un autre mouvement écologiste.

Charlie : Vous venez tous les deux de mai 68. Dany, tu as été anar, en France puis en Allemagne, où tu as adhéré aux Verts, en 1984. Jean-Paul, tu as été un dirigeant de la Ligue communiste dans les années 70. Journaliste, tu es devenu écologiste – sans carte – vers 1989, avant d’écrire la biographie de René Dumont. Bon, a priori, on ne vous la fait pas. Vous avez dû en voir de belles question magouilles et bureaucratie naissante. Non ?

Jean-Paul Besset : Non, sincèrement non. À la Ligue communiste que j’ai connue, je dois dire que la parole était libre, et que je n’y ai pas rencontré la soif et l’accaparement du pouvoir. Je n’ai pas vu cela, non.

Dany Cohn-Bendit (1) : Moi non plus, mais le mouvement libertaire auquel j’appartenais n’avait pas compris le rôle et l’importance des institutions dans une société démocratique. Nous nous retrouvions tous sur ce mot d’ordre : « Élections piège à cons ! ».

JPB : Plus de quarante ans ont passé, et la création d’Europe Écologie, en 2009, a été pensée en écho à ces vieux débats. Nous voulions dépasser la forme-parti, nous voulions rompre enfin avec toute idée de parti-guide, de parti ayant réponse à toutes les questions.

DCB : Il a raison ! Quand on écoute les Verts d’aujourd’hui, il n’y aurait pas plus démocratiques qu’eux. Et c’est vrai qu’il y a des votes sans fin, une proportionnelle interne, et que chacun trouve une place. Seulement, on passe sa vie dans les enjeux intérieurs, sans se soucier de ceux qu’on mobilise à l’extérieur, par exemple au moment des campagnes électorales. Les électeurs des Européennes de 2009, par exemple [16,28 % des voix], qui venaient à nous en disant ; “Europe Écologie, c’est formidable”, ont de fait été exclus de toute participation aux décisions.

Charlie : Bon. En 2009, vous parvenez à imposer aux Verts français le logo Europe Écologie, ce qui vaudra au mouvement de talonner le parti socialiste aux élections européennes de juin. Comment avez-vous lancé cet ovni ?

DCB : Les Verts français étaient en panne, et bon nombre de militants se demandaient comment relancer le mouvement. À la présidentielle de 2007, Dominique Voynet – je redis qu’elle n’a pas fait une mauvaise campagne – avait fait autour d’1,5 % des voix. Un jour de 2008, un commando est venu me voir chez moi, à Bruxelles.

JPB : Hé ! Un commando de deux personnes. En fait, Pascal Durand [actuel secrétaire national d’EELV] et moi.

DCB : D’accord, deux. Toi et Pascal. Ils ramenaient dans leurs filets un certain Nicolas Hulot, et ils proposaient de lancer une initiative pour sortir de l’impasse. Mais les choses ont traîné, et Nicolas Hulot, finalement, a refusé de s’engager. Il fallait trouver autre chose.

JPB : On avait mis Yannick Jadot dans le coup, mais nous restions un tout petit groupe. L’idée était de créer un rassemblement, sans passer nécessairement par la structure des Verts. Et nous décidons de lancer le projet aux Journées d’été des Verts, en août 2008. L’annonce en a été faite un vendredi, et je crois bien que je m’en souviendrai toujours. Au début de la réunion, on demande un volontaire pour expliquer notre projet, et je monte à la tribune. Mais quand j’ai annoncé, moi qui n’avais pas la carte des Verts : « Nous avons décidé de créer un grand rassemblement. Rejoignez-nous ! », j’ai été hué.

DCB : Deux heures plus tard, à la même tribune, on a renversé le courant. Et le lendemain, on a fait un tabac, en compagnie cette fois de José Bové et Dominique Voynet. Entre-temps, le parti démocratique-bureaucratique, qui se souvenait de mes 9,72 % de 1999, avait compris qu’il tenait une perspective. Nous étions contents, car tout le monde pensait que quelque chose de neuf était né autour du duo Cohn-Bendit Bové. L’un ayant voté oui au référendum européen de 2005, et l’autre non.

JPB : Cécile Duflot a eu l’intelligence politique de reprendre à son compte notre projet Europe Écologie. Elle l’a même présenté comme une volonté des Verts de s’ouvrir à la société civile, en travaillant avec des compagnons de route. Mais surtout pas comme la création d’une force nouvelle.

Charlie : Un sacré malentendu ! Et au moins deux logiques.

DCB : Oh, il n’y a pas eu malentendu. On se comprenait sans difficulté. Mais il y avait bien deux logiques. Nous voulions dépasser les Verts en les faisant exploser, et Cécile Duflot voulait récupérer notre mouvement pour renforcer son parti. Le face-à-face était inégal : nous étions dix face à un parti, une structure, des professionnels de la politique. Si on a pu lancer Europe Écologie, c’est que les Verts savaient qu’en nous disant Niet, ils partiraient à la bataille avec leur 1,5 % de voix de la présidentielle. On l’a donc emporté.

Charlie : Oui, mais de la même manière ambiguë que Pyrrhus. Car vous aviez en fait perdu.

DCB : La campagne des Européennes de 2009 a été bien étrange :  à part Cécile Duflot, aucun responsable Vert ne s’est montré ! Les autres ont volé au secours de la victoire quand les sondages ont été favorables. C’est après que nous avons déconné : le moment clé se situe aux journées d’été des Verts en août 2009 à Nîmes. On avait décidé de proposer une adhésion directe à Europe Écologie. Le blocage a été total. Les Verts ont refusé.

JPB : On appelait les électeurs de juin à nous rejoindre directement, sans passer par la case du vieux parti.

Charlie :  C’était donc bien un dépassement complet des Verts.

JP : Mais oui !

DCB : Mais oui ! À Nîmes, j’ai hurlé comme jamais, mais on n’a pas osé rompre, on avait peur de briser une dynamique. Mais c’est là que ma rupture avec les Verts français a commencé.

JPB : Si on n’est pas allés à la bataille, ce n’est pas par lâcheté, c’est parce que tout était allé très vite, et que nous n’avions ni structure, ni chef, ni même une stratégie claire. Au moment où il aurait fallu mener une bataille au couteau, il était clair que nous ne voulions pas lutter pour le pouvoir. On n’était pas fait pour ça.

Charlie : Rebelote en novembre 2010, à Lyon. Toi, Jean-Paul, tu croyais encore que la fusion prévue entre Europe Écologie et les Verts pourrait conduire à un parti réellement neuf.

JPB : J’y ai cru, au point d’écrire le manifeste qui en était le corps idéologique, voté d’ailleurs à 90%. Mais dès que le nom nouveau a été connu [Europe Écologie Les Verts], j’ai compris. Ce n’était plus une fusion-dépassement, car on mettait au même niveau l’appareil ancien et le renouveau. En fait, on revenait en arrière.

Charlie : Vous étiez donc refaits. Mais par qui, dites-moi ?

DCB : Par  le bureau exécutif des Verts. L’appareil.

Charlie : Mais encore ? En dehors de Jean-Vincent Placé et de Cécile Duflot, on ne connaît personne.

DCB : Ce n’est pas parce que personne ne les connaît qu’ils n’existent pas. Ils ont la mainmise sur les Verts. Disons que Placé et quelques autres avaient la mainmise sur l’appareil national, mais aussi régional, par l’intermédiaire des bureaux exécutifs régionaux.

JPB : Qui ? Le bureau exécutif, avec à sa tête Cécile Duflot, dont le bras droit s’appelle aujourd’hui encore Jean-Vincent Placé. Au total, cela doit représenter moins de cinquante personnes.

Charlie : Mais qui est donc Jean-Vincent Placé ?

DCB : Je dirais volontiers qu’il est l’apparatchik qui nous a manqué. Personne, parmi nous, ne pouvait jouer ce rôle-là, car il est d’un cynisme absolu. Il se dit de gauche, mais tous ses comportements sociaux font penser qu’il est tout sauf de gauche. Par exemple, la manière dont il se comporte avec les autres. Dont il s’habille. Dont il va au restaurant. Et son cynisme est à l’œuvre jusque dans le contenu politique. Il voulait aller au gouvernement, bien sûr, mais s’il avait été ministre, il aurait tout défendu sans état d’âme, y compris le pacte budgétaire européen. Mais comme il n’a pas réussi, son message aux socialistes est aujourd’hui de dire : « Vous allez me le payer ». Placé peut vendre n’importe quel positionnement d’Europe Écologie Les Verts.

Charlie : Distribue-t-il, comme on le dit, des postes ?

JPB : Oui. Des postes de sénateurs, de députés, de conseillers régionaux. Bien sûr ! Nous avons autour de 250 conseillers régionaux, plus de 50 conseillers généraux. Mais bien au-delà de sa personne, Placé représente une face de l’engagement politique. Il ne s’agit plus pour lui et ses proches d’aider à la transformation sociale.  Il s’agit d’une affaire de gestion des élus et des postes. Ces gens-là, qui ont construit un univers clos, ne vivent plus que de la politique politicienne depuis des années. Comme ils sont toujours là, à la différence des simples militants, ils finissent par l’emporter. L’objectif final n’existe pas. Il faut conquérir toujours plus de parts de marché, ou en tout cas ne pas en perdre. Un type comme Dany n’a pas sa place là-dedans, car cela lui arrive de lire un livre, de s’occuper de son fils, d’aller au stade voir un match de foot (rires).  Placé y va aussi, au stade, mais dans la tribune des VIP. Pour s’y faire voir, pour nouer des contacts, pour activer des liens. L’écologie n’est pas davantage leur problème. La grande affaire, c’est de gérer la boutique, de négocier des places, d’avoir du pouvoir.

DCB : Oui, je suis d’accord, il y a beaucoup de postes à offrir. Les postes d’élus, mais aussi les postes à l’intérieur du parti. Ça, Placé sait très bien le faire. Et il sait mettre en réseau ses fidèles. Cécile, de son côté, sait se rendre attachante. Elle noue des liens forts avec les gens, qui sont de nature émotionnelle. Et leurs deux univers se complètent parfaitement.

Charlie : Compte tenu de ce que vous racontez, franchement, étiez-vous de taille ? Quelle était votre organisation en face de celle de Placé et de ses obligés ?

JPB : On n’en avait pas. Nous ne faisions même pas de réunions formelles. On ne faisait que des bouffes, ou bien on regardait des matchs de foot ensemble, mais c’est bien tout ce qu’on faisait (rires nerveux).

Charlie : Mille excuses, mais on a la solide impression qu’Europe Écologie était un plan foireux. Vous n’arriviez même pas à vous voir pour parler de la situation politique que vous aviez créée ?

DCB : Ta pique est tout à fait juste. Il y avait une structure organisée, petite et efficace, celle des Verts. Et nous n’avons pas réussi à nous mettre autour d’une table pour continuer dans la direction que nous avions ébauchée en 2009. La présidentielle de 2012 a marqué publiquement la fin de notre projet. Il doit y avoir un moyen de relancer ce que nous avons tenté, mais il faudrait pour cela trouver des militants, et des porte-parole. Pour moi, c’est terminé.

JPB : Oui, c’est fini pour moi aussi. Mais si on croit comme moi à la profondeur de la crise écologique, il faudra bien que quelque chose de neuf finisse par naître. Nous rêvions de fédérer des énergies convergentes, et pas de doute, nous avons échoué.

Charlie : Un mot encore. Vous ressentez quoi ? De l’amertume, de la douleur ?

JPB : Je n’éprouve aucune amertume, mais de la douleur, oui.

DCB : Le bilan est douloureux, c’est certain. J’ai le sentiment d’un vaste gâchis, dont nous sommes tous comptables, et coupables.

(1) Daniel Cohn-Bendit vient de publier Pour supprimer les partis politiques !? réflexions d’un apatride sans parti, éditions Indigène.