Archives mensuelles : novembre 2013

Faut-il vraiment rire de la Banque mondiale ?

Je suis comme vous, du moins j’espère que vous êtes comme moi, sur un point au moins. Et c’est que j’aime rire. Comme je ne raconte pas mes Mémoires, je ne peux vous dire quand tout cela a commencé, mais c’était il y a fort longtemps. Le drame était chez moi plutôt quotidien, et si je n’avais pas souvent explosé de rire en face d’événements d’une rare tristesse, je n’aurais pas survécu. Nul n’est contraint de me croire, c’est pourtant la simple vérité.

Je ris, donc, en lisant la nouvelle suivante : un monsieur Makhtar Diop, vice-président de la Banque mondiale pour l’Afrique, a des idées merveilleuses pour sortir le Sahel de sa dépendance aux fantaisies de la pluie. Mais avant de continuer, deux éclairages. Le premier sur le Sahel, cette bande de terre au sud du Sahara, qui court de l’Atlantique à la mer Rouge, sur environ 5500 kilomètres de longueur et 400 à 500 kilomètres de largeur. Il y pleut, du nord au sud, entre 100 et 500 mm d’eau par an, mais d’une manière affreusement irrégulière. Les orages peuvent ainsi être dévastateurs, en plus d’être imprévisibles. Il y aurait autour de 80 millions d’habitants, répartis en dizaines, voire en centaines de groupes ethniques, et selon les calculs entre 10 et 14 États, tous très pauvres bien sûr.

Quant à la Banque mondiale (ici), que vous dire ? C’est une infernale saloperie, dont seule la disparition pourrait sembler un pas en avant. Et revenons au cas de ce monsieur Makhtar Diop. Il vient de déclarer au cours d’un colloque tenu au Sénégal, pays sahélien, que l’avenir était à…l’irrigation de l’agriculture. Pas là où il pleut, non pas. Au Sahel. Citation : « Dans notre sous-région du Sahel, nous sommes véritablement en face d’un défi de la généralisation de la maîtrise de l’eau pour l’agriculture sahélienne. (…) Aujourd’hui, peu ou prou, le Sahel compte 400.000 hectares irrigués. Faire passer ce nombre à 1 million d’hectares en 2020, c’est le défi que je nous lance à tous ». Et il ajoute – le mantra est obligatoire – que telle est la voie de la croissance. La croissance, telle que vue par la Banque mondiale, au Sahel.

Cela n’arrivera évidemment pas. L’irrigation je veux dire. Le fric mobilisé dans les années 70 pour soi-disant réaliser la même chose a disparu dans des poches anonymes, et celui qu’on trouvera peut-être finira dans des poches similaires. Bien au-delà, ces propos absurdes d’un homme ignorant nient toutes les réalités agricoles et humaines de la région. Et tournent le dos au seul avenir concevable, autour de l’agroécologie. Je n’y insiste pas.

Je souhaite en revanche dire deux mots au sujet de l’eau. De la situation réelle des ressources en eau dans tant de pays de la planète. Une parfaite occasion m’est donnée à la lecture d’une info publiée par un institut américain dont je garantis le sérieux, le World Resources Institute (WRI). Selon l’une de ses dernières études (ici), le quart de la production agricole mondiale vient de zones soumises à un stress hydrique élevé. Le stress hydrique est un indicateur signifiant le déséquilibre entre la ressource en eau disponible et la demande. Or donc, le quart de la production agricole dans des régions qui s’approchent à grand pas de la pénurie. Et dans le même temps, note le WRI, 40 % de cette même production vient de l’irrigation, dont les dégâts – c’est moi qui précise – sur la qualité et la quantité de l’eau sont l’une des causes du vaste pandémonium planétaire où nous sommes rendus.

Bref. Ce monsieur Makhtar Diop, vraisemblablement diplômé des meilleures écoles d’Occident, est un ignorant total, qui propose, sous les vivats des politiques à sa botte, une direction simplement criminelle. Arrivé à ce stade, je crois devoir formuler la question qui se trouve dans le titre : faut-il vraiment rire de la Banque mondiale ? J’avoue, malgré la forte et saine tendance qui est mienne, que j’ai quelque mal.