Archives mensuelles : février 2014

La violence à Nantes (à propos de Notre-Dame-des-Landes)

Voilà. C’est l’extrême-soir de ce 22 février 2014. Une manif de plus a parcouru les rues de Nantes, en opposition au projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Que vous dire ? Que je condamne l’attaque contre un bureau de Vinci, les violences contre les CRS et les gendarmes ? Eh bien, non. Je sais que ces coups de sang seront exploités par le parti socialiste au pouvoir, de manière à nous discréditer un peu plus, mais je m’en fous bien.

La violence, c’est eux. EUX. Eux qui essaient d’imposer leurs lamentables vues sur l’avenir de ce pays, et du monde, dans une indifférence abyssale à la crise climatique qui nous menace tous. Une question, qui n’a semble-t-il rien à voir : aurait-il fallu acclamer Pétain en juin 40, au motif que les députés de la Chambre le plébiscitaient ? Fallait-il suivre le chancelier Hitler dans la destruction des valeurs humaines parce qu’il avait obtenu 44% des voix le 5 mars 1933 ? Et dites-moi, faut-il applaudir cette classe politique lamentable qui nous crie qu’il faut un nouvel aéroport à Nantes ?

Je me répète : cela n’a rien à voir. Sauf que si. Nous sommes en guerre. Une guerre non déclarée contre la vie sur Terre. Et Jean-Marc Ayrault nous somme de sortir des tranchées avant d’être hachés menu par la mitraille. Mais polope, monsieur le Premier ministre, à vous l’honneur. Montrez donc comment meurt un imbécile.

Jusqu’où ira Montebourg (sur les mines) ?

Arnaud Montebourg, aile gauche du parti au pouvoir, ministre sordide. Politicien jusqu’aux ongles, sans morale, sans parole aucune. Pendant la campagne de la présidentielle, en 2012, il écrivait sur son blog – tout a disparu, vous pensez bien -, ainsi que le rappelle le quotidien L’Humanité du 12 juillet 2013, que l’exploitation des gaz de schiste présentait des « risques écologiques démesurés » et qu’elle aurait un « impact considérable en terme de réchauffement climatique ».

Il ajoutait que l’’indépendance énergétique « ne doit pas se faire au prix de catastrophes environnementales », avant de conclure : « La France doit aujourd’hui repenser sa politique énergétique. Il ne s’agit pourtant pas de s’engager tête baissée dans des alternatives plus risquées et plus polluantes, mais de réfléchir à un véritable plan d’essor des énergies renouvelables, afin de limiter notre dépendance énergétique et d’instaurer un véritable développement durable ».

Sitôt en place, sitôt ministre, il oubliait tout, devenant chaque jour un peu plus un militant pro-gaz de schiste, jusqu’au ridicule. Il poursuit sur la même voie, et vient d’annoncer la création patriotarde d’une Compagnie nationale des mines (ici), chargée de prospecter en France au sens très large – la métropole, mais aussi des territoires volés jadis, comme la Guyane -, dans l’espoir d’y trouver de l’or, du lithium, peut-être bien du charbon, car Montebourg se contrefout bien sûr du dérèglement climatique. Ce qui compte, c’est lui.

Ainsi que le note fort justement un communiqué des Amis de la Terre, « Réouverture de mines en métropole et en outre-mer, accaparement des ressources des pays du Sud, cette compagnie nationale des mines ne sera en fait qu’un nouveau bras armé d’une politique qui est menée depuis des décennies au travers des multinationales françaises. L’État est en effet actionnaire d’Areva  et d’Eramet, dont les activités font des ravages dans le monde depuis trop longtemps ».

Je vous le dis comme je le pense, c’est abominable. Je ne vois décidément pas quel accommodement envisager avec de tels adversaires. Mais ne sont-ils pas plutôt des ennemis ?

Mais qui nous sauvera de ceux qui nous perdent ?

Je lis comme vous les informations du monde. Elles sont mauvaises. Le Nordeste brésilien s’enfonce dans une série d’affreuses sécheresses, qui transforme massivement la pauvreté en misère (ici). En Californie, on est en passe de battre un épouvantable record, vieux de cinq siècles (ici) : l’eau semble avoir disparu de l’un des greniers agricoles des États-Unis. En Australie, la température a localement dépassé 50 degrés et s’est maintenue au-dessus de 45 degrés dans des régions entières, pendant des semaines (ici). Des millions d’animaux, domestiques et sauvages, sont simplement morts de soif. On peut sans exagération parler d’Apocalypse.

Dans le même temps, inondations bibliques en Grande-Bretagne, tempêtes sans fin en Bretagne, chutes de neige dantesques au Japon, etc, etc. Bien qu’aucune preuve directe ne puisse – évidemment ! – être apportée, tout indique que le dérèglement climatique commence à faire sentir ses effets. Ce sera probablement pire demain, mais c’est déjà impressionnant. De manière cohérente, cohérente par rapport aux prévisions concernant le désastre, les phénomènes climatiques extrêmes se multiplient. Ce qui menace à l’horizon, et je suis désolé de devoir l’écrire, c’est la dislocation. La dislocation de toutes les digues sociales, morales, politiques.

Que dire dans ce cadre de nos élites politiques ? Pour une fois, je ne tenterai pas de nous accabler, nous gli uomini qualunqui, nous les hommes ordinaires. J’ai assez dit, et je maintiens, par Dieu !, que nous avons une immense responsabilité dans le lamentable état des lieux. Qui d’autre que nous s’est rué sur la télé à écran plat, la bagnole électronique, l’ordinateur, le téléphone portable ? Mais aujourd’hui, je n’entends parler que de nos dirigeants.

Pour dire les choses simplement, leur médiocrité fait peur. Celle d’Hollande est évidente, celle de Sarkozy également. Pas plus, également. Dignes héritiers tous deux de cet individualisme fou, qui confond toujours plus, depuis deux siècles, droits de l’Homme et fun personnel. Ils veulent, comme les sots accomplis qu’ils sont, le beurre et l’argent du beurre. Le pouvoir, les femmes, la reconnaissance, l’amour même. Crétins ! On serait en droit d’attendre d’eux transcendance, sacrifice, exaltation des qualités les meilleures, et l’on ne rencontre que banalité, train-train et pour tout dire imbécillité. Comment qualifier, dites-moi, le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes ou les bouffées délirantes répétées sur les gaz de schiste ?

Peu de personnalités atteignent aux dimensions de l’Histoire des humains. Encore moins sans doute seraient à l’échelle plus bouleversante de la crise en cours, qui touche la vie elle-même. Et le tout laisse peu d’espoir d’en voir surgir. Pourtant, il en suffit d’un. Voyez plutôt De Gaulle, officier supérieur de 50 ans en 1940, ayant baigné toute sa vie dans des milieux de droite souvent monarchistes et antisémites. Quand il se lève de toute sa hauteur à Londres, en juin de cette année de débâcle, il est seul. Non, il n’est pas seul : il est entouré de militants fascistes (ici). Il va pourtant sauver la République, avec des militants de gauche.

Est-ce à dire que j’attends De Gaulle ? Non pas, mais un sursaut, certainement. Je ne saurais en décrire les contours, je ne saurais dire qui sera la poule – nous ? lui ? elle ? – et que seront les œufs. Mais nous avons d’évidence besoin d’une rupture. D’une cassure du temps politique si morne dans lequel nous sommes si mal. Ma certitude, tant de fois répétée : il n’y a rien à attendre d’eux, qui nous gouvernent. Il faut chercher ailleurs, et vite.

Et pourquoi pas 250 ours (dans les Pyrénées) ?

Il est des lectures heureuses. Seulement, il ne faut pas les louper. Or j’ai failli passer à côté du rapport (ici) nommé « Expertise collective scientifique “l’Ours brun dans les Pyrénées” du Muséum National d’Histoire Naturelle ». Je dois reconnaître que le titre n’est pas engageant, mais si l’on se plonge dedans, cela devient passionnant. Si. Avant de commencer, deux mots sur l’Ours. Cet animal grandiose a été le vrai roi du territoire qu’on appelle la France pendant des centaines de milliers d’années. Et même quand les hommes ont commencé à défricher et à piéger, il demeurait une sorte de dieu sylvestre auquel les peuples présents ici rendaient d’innombrables cultes. Je renvoie à l’admirable livre de Michel Pastoureau, L’Ours, histoire d’un roi déchu (Le Seuil, 2007).

Le monde de la vitesse et de la machine pouvait-il cohabiter avec la Bête ? En tout cas, il ne l’a pas fait. Le XXe siècle a marqué la fin du monde de l’Ours. Le dernier des Alpes a été aperçu en 1937, alors qu’il en restait une grosse centaine dans nos vastes Pyrénées. Et puis probablement 70 en 1954, et puis trente, et puis quelques-uns, et puis un seul, cantonné dans l’Ouest béarnais, entre vallées d’Aspe et d’Ossau. Il ne reste donc qu’un mâle héritier de cette prodigieuse histoire, que les hommes appellent Cannelito, né en 2004. Il poursuit sa vie au Béarn, sans pour le moment rencontrer âme sœur. Côté Béarn, c’est râpé, car en tout état de cause, il n’y aura plus jamais d’ours né d’un père et d’une mère pyrénéens. Précisons que Cannelito lui-même a pour père un ours « slovène ».

Slovène ? Oui, car parallèlement, et pardonnez si je survole, l’État a accepté sous la pression de quelques braves, parmi lesquels je souhaite citer Roland Guichard et Jean-François Breittmayer – il y en a d’autres, évidemment ! -,  une timide réintroduction. À partir de 1996, quelques ours ont été prélevés en Slovénie – un pays presque 30 fois plus petit que la France qui abrite…400 ours – puis relâchés dans les Pyrénées centrales, où il n’y en avait plus aucun. Vous avez sûrement entendu parler de Ziva, Melba, Pyros. Au total, huit ours ont été relâchés et compte tenu des naissances depuis, les Pyrénées comptent au moins 22 ours en liberté.

C’est dans ce contexte que paraît en septembre l’expertise du Muséum, rédigée par des spécialistes indiscutables, dont Luigi Boitani, un biologiste de réputation mondiale que j’ai eu l’honneur de rencontrer à Rome il y a une douzaine d’années. Que dit le texte ? Des choses limpides : dès demain, nos splendides Pyrénées pourraient abriter 110 ours, car sur le plan biologique, les ressources sont là. Et même 250 si l’on prend en compte un territoire plus vaste où les ours circulent sans s’y installer. Mais la situation actuelle conduit au dépérissement et à la consanguinité. Non seulement les deux populations – Béarn et Pyrénées centrales – ne sont plus connectées, mais le pool génétique des ours « slovènes » est trop restreint. Dans le jargon des spécialistes, le statut des ours est jugé « défavorable inadéquat ».

En fait, sans réintroduction rapide dans le noyau central, la consanguinité menace à dix-quinze ans, et peut-être avant. Il faut donc agir, et la meilleure façon de le faire est de renforcer simultanément les deux populations, celle du Béarn et celle des Pyrénées centrales. C’est « de loin le meilleur plan en ce qui concerne la viabilité de l’Ours brun dans les Pyrénées ». En résumé, et pour seulement préserver les chances d’un avenir viable, il faudrait vite relâcher entre 7 et 17 ours. Pour les ennemis de la nature et de la vie sauvage, cette perspective est comme un chiffon rouge agité sous leur nez. Je crois que beaucoup d’entre vous n’imaginent pas la bassesse, l’imbécillité et la violence verbale de ceux qui réclament la mort des ours. Il faudra songer à faire un florilège de leurs délires, mais ce n’est pas le jour.

Ce jour est de gloire, car il n’y a aucun doute, et tous sont placés au pied du mur. Ou l’on trouve le courage d’avancer, sur un chemin certes difficile. Ou on laisse mourir une nouvelle fois les ours vivant dans les Pyrénées. Ce qu’on appelle une alternative. J’aimerais être sûr que tous les protecteurs de l’animal sont conscients que nous disposons d’une chance historique. Nous pouvons en effet entraîner toute une coalition en faveur de l’ours, soutenue par les plus hautes autorités scientifiques qui soient. Je sais le débat à l’intérieur du petit monde des associations, et je ne veux en la circonstance froisser personne. Chacun peut avoir son point de vue, mais je redoute une trop grande proximité avec les services officiels de l’État, peureux comme à leur habitude, et bien incapables de prendre en charge la lutte en faveur de la biodiversité. Je redoute un accord au rabais entre associations « raisonnables » et défenseurs intransigeants, dont j’estime faire partie. Pour une fois, au-delà de divergences bien réelles, et qui ne sauraient disparaître, dites-moi, vous tous amis de l’ours, ne pouvons-nous pas nous entendre ? Ne pouvons-nous pas exiger unanimement que l’impeccable avis scientifique du Muséum serve de base à toute signature et tout engagement ? Est-ce trop demander que de réclamer 17 ours de plus ?

Je rêve, je sais. Mais je rêve réellement de 250 ours dans les chênaies-hêtraies du pays magique.

Chapeaux ronds et gros sabots cloutés

Publié par Charlie Hebdo le 5 février 2013

Dessous les Bonnets rouges, des gros patrons. On le savait, mais on ignorait leur amour pour la Russie de Poutine et les hommes providentiels. L’Institut de Locarn prépare des lendemains enchanteurs.

Bien retenir ce nom : Alain Glon. On va voir défiler les Bonnets rouges, Poutine, la fin du smic et d’autres douceurs, patience. Glon, donc.  La légende publicitaire rapporte une histoire  jolie tout plein : en 1947, à Hémonstoir (Côtes d’Armor), le bon papa André découvre qu’on peut fabriquer un aliment pour animaux d’élevage en mélangeant du son et des céréales. Début d’un triomphe qui aura transformé la Bretagne en une porcherie puante, et fait de Glon-Sanders le leader français de la « nutrition animale », avec 1,8 milliard d’euros de chiffre d’affaires en 2012. Depuis un an, Alain le fils, qui avait pris la suite d’André, a lâché la boîte, devenue un département du géant Sofiprotéol, lui-même dirigé par le patron de la FNSEA, Xavier Beulin. Compliqué ? Faut pas être jaloux, tout le monde peut pas être riche.

Retraité de l’industrie – il a 72 ans -, Glon n’a jamais autant bossé, car il est le président de l’Institut de Locarn, un machin prodigieusement inquiétant qui regroupe des patrons certifiés bretons. Des petits, mais surtout des gros. Coopagri, un grand de l’agriculture industrielle – 2,3 milliards de chiffre d’affaires en 2012 – en est, de même que EDF, France Telecom, Stef, groupe agroalimentaire de 14 500 employés, etc. Une nébuleuse, dont le comité des Trente, complète la panoplie, qui ne porte pas les couleurs de la République.

Que veulent ces si braves gens ? Officiellement, parler sans langue de bois, comme les courageux entrepreneurs qu’ils sont tous. Mais la France de Dieudonné, de la manif anti-Hollande sur fond de svastika et des Bonnets rouges est malade, tout comme l’Institut de Locarn. Fin août 2010, Glon tient l’université d’été de son truc et balance tout à trac : « Notre problème, c’est la France ». Une France qui serait la victime du bloc oligarchique « ENA-Polytechnique-Saint-Cyr ». En 2012, Glon appelle à soutenir le Parti breton, créé en 2002 par l’ancien RPR Gérard Ollieric. Et puis tout s’enchaîne jusqu’à l’écotaxe et la si étrange mobilisation dite des Bonnets rouges.

Glon et ses petits copains ont joué un rôle central dans toute cette affaire, qui aura vu débarquer en Bretagne cinq équipes de journalistes de la télévision russe officielle Prorussia. Cinq ! Et à l’arrivée, un film en français qui vaut le coup d’œil (1). Pourquoi tant d’amour ? Une explication est proposée par l’éditrice Françoise Morvan dans un reportage de Charlotte Perry pour Mermet (Là bas si j’y suis, 22 janvier 2014). Selon elle, réseaux d’influence et services de propagande sont à l’œuvre : « L’Europe soutient l’Ukraine et la Russie soutient la Bretagne ».

Des liens existent en tout cas entre le régime Poutine et l’institut de Locarn. Dès le 12 décembre 2008, ce dernier organise un colloque consacré à la Russie. Invité unique : un ancien colonel du KGB, Igor Prelin, qui a été le professeur de Poutine. L’invitation précise que « c’est le moment d’envisager de nouveaux projets pour notre Bretagne ». Depuis, les liens n’ont fait que prospérer, par exemple avec Gazprom – le géant gazier -, et le 9 décembre dernier, nouvelle « Rencontre de Locarn », au titre alléchant : « La Russie ré-émergente et l’Eurasie, quelles possibilités économiques pour la Bretagne ? ». Les Grands chefs de l’Institut y ont vanté les mérites de Moscou et assuré que « l’Ukraine n’est pas un pays, et a fortiori pas un État ».

Ce serait folklorique si Glon n’était si représentatif de l’état d’esprit de nombreux industriels bretons. Ce serait distrayant s’il ne rêvait visiblement d’un homme fort comme Poutine à la tête de la France. Trois citations de Glon, pour la route. La première : « Il n’y a plus de compatibilité possible entre nous et les élus ». La deuxième : « L’agro-business breton n’a pas de futur avec la France ». La troisième, à propos d’un smic régional breton : « J’irai plus loin. Il faut rendre la liberté au travail, pour autant qu’employeurs et employés se mettent d’accord au cas par cas, entreprise par entreprise ». Le knout pour tous, comme en Russie.

(1) http://www.prorussia.tv/Journal-hebdomadaire-2-decembre-2013-Special-BonnetsRouges_v645.html