Archives mensuelles : mars 2014

Pourquoi je vomis la politique (et les particules fines de l’air)

Comme ils sont détestables ! Parmi les (nombreuses) raisons qui expliquent pourquoi je ne vote pas, il y a bien entendu cette terrible pollution de l’air contre laquelle aucun de nos responsables n’entend bouger. D’un côté, on sait que tantôt les particules fines, tantôt l’ozone troposphérique – au ras des poumons -, tantôt les deux, les trois, les cent tuent massivement. Par milliers chaque année en France. Et même 42 000 personnes en 2 000, selon une étude contestée mais sérieuse (ici). Je ne parle pas des vastes massacres qui adviennent en Chine et en Inde par exemple, car aujourd’hui, c’est de la France que je souhaite parler.

Donc des milliers, des dizaines de milliers de morts par an chez nous. Nos Excellences sautent dans un avion dès qu’un fait divers quelconque attire les caméras, comme autant de mouches. Trois vitrines cassées à Nantes permettent à un Valls de rouler des mécaniques dans l’espoir de toucher Matignon en prime. Mais quand il s’agit de sauver d’une mort prématurée des vieux, des faibles, des gosses, des asthmatiques, plus personne. Honte à eux !

Franck Laval, que je tiens pour un ami – Dieu sait qu’il est éloigné de moi sur divers plans – et Nadir Saïfi, de l’association Écologie sans frontière viennent de déposer plainte contre X pour mise en danger de la vie d’autrui. C’est une plainte pénale – une première – qui pourrait (très) éventuellement déboucher sur la mise en cause d’individus, tenus pour responsables. Je fais grande confiance à l’avocat François Lafforgue, qui défend victimes de l’amiante et des pesticides, pour tirer de ce dossier tout ce qui peut l’être.

En attendant, le spectacle politique est simplement lamentable. Vous lirez tout au-dessous un article de Stéphanie Senet, du Journal de l’Environnement. Il est excellent et montre comme nos ministres se défilent. Philippe Martin, en charge de l’Écologie, tenait les moyens d’imposer la circulation alternée, seul moyen disponible – hélas ! – pour faire baisser d’un coup les teneurs en particules fines de l’air. Il ne l’a pas fait. Pourquoi ? On peut espérer qu’il l’a envisagé. Mais bien entendu, dans le contexte pourri des municipales – mon Dieu, allons-nous perdre 100 villes ? – et du pacte de responsabilité – la seule bouée de secours imaginée par Hollande et son clan -, il ne pouvait en être question.

Il ne faut à aucun prix embêter l’industrie, l’automobile, risquer une baisse de la confiance et de la sacro-sainte consommation. Il faut continuer, accélérer encore, et tant pis pour les vaincus et les cadavres. Cela porte un nom : l’ignominie. Je rêve du temps, qui viendra peut-être, où ces gens qui nous gouvernent pourront être jugés pour ce que je considère comme des crimes. On n’est pas obligé d’être d’accord.

À ce compte, que dire des écologistes d’Europe Écologie-Les Verts ? Les salons et strapontins doivent décidément être confortables. Le 26 mars 2012, il y a donc deux ans, quand Sarkozy était aux manettes, madame Eva Joly, alors candidate à la présidentielle, tonnait (ici). Je la cite : « Alors que l’Ile-de-France et de nombreuses autres agglomérations traversent un nouvel épisode de pollution de l’air, il est temps de dénoncer l’inaction du gouvernement devant ce drame sanitaire ». N’est-ce pas mignon tout plein ? Hier matin, sur RTL (ici), la cheftaine du parti « écologiste », Emmanuelle Cosse, a déclaré sans rire : « Ça fait quand même une semaine qu’on sait que ça va venir. Je regrette qu’on ne soit pas capable d’anticiper. » Ces gens ne sont pas des criminels, certes non. Mais des complices, assurément.

Le pompon provisoire pour ceusses de France Nature Environnement (FNE). Je rappelle ce que j’ai tant développé dans mon livre Qui a tué l’écologie ? (LLL). FNE est un conglomérat de 3 000 – chiffre officiel – associations locales, régionales, thématiques de protection de la nature. C’est le mouvement institutionnel, historique, qui dépend très largement des subsides publics pour survivre. Une petite bureaucratie, insupportable à mes yeux, gère la boutique, et assure représenter ce mouvement associatif. Moi qui appartiens à Bretagne vivante – fédérée à FNE – depuis 1987, je peux vous assurer qu’ils ne me représentent en aucune manière. Bref.

Comme ces bureaucrates sont perpétuellement à la recherche de breloques et de sous, ils s’acoquinent régulièrement avec des industriels dans le cadre de partenariats qu’ils jugent nécessaires. J’apprends à l’instant que FNE a signé un pacte inouï (ici) avec « Keolis, opérateur de transport de voyageurs, MOBIVIA Groupe, leader européen de l’entretien et de l’équipement de véhicules, et la fondation PSA Peugeot Citroën ». Les gens de FNE sont tellement sûrs qu’on ne les attendra pas au coin de la rue, qu’ils ont publié leur communiqué scélérat le jeudi 13 mars, hier même, quand étouffaient les mioches, les vieux, les asthmatiques. La conclusion de leur texte – au fait, vous avez touché combien, les gars ? – est fantastique : « Comme d’autres modes de transport, la voiture a toute sa place dans la mobilité. Il revient aux élus de fournir les conditions pour une mobilité désormais choisie et non plus subie, adaptée aux besoins et aux environnements. »

J’ajoute, car tout de même ! que Peugeot et son ancien patron Jacques Calvet sont les responsables majeurs de ce qu’on nomme la « diésélisation » du parc automobile français. Pendant des années, les équipes de Peugeot ont fait le siège de tous les décideurs publics et ils ont GAGNÉ ! Le diesel, source majeure d’émission de particules fines, est PARTOUT. Et FNE donne quitus à Peugeot, redore son blason, efface les dettes morales si grandes du constructeur pour trois picaillons. Shame on you ! Vous êtes vraiment aux dimensions de vos pires caricatures.

Voilà comment ça marche. L’impunité d’hier efface les morts d’aujourd’hui et prépare les crimes de demain. Et voilà pourquoi j’enverrai proprement chier les bureaux de vote les 23 et 30 mars. Vous n’êtes pas obligé de me croire, mais je ne demande sûrement pas qu’on me suive. C’est seulement que j’avais grand besoin de me soulager. C’est fait.

Dessous, l’article d’actualité dont je vous parlais plus haut.

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L’air pollué a encore de beaux jours devant lui

Le 13 mars 2014 par Stéphanie Senet

Un nouveau pic de pollution aux particules fines est attendu le 14 mars

Un nouveau pic de pollution aux particules fines est attendu le 14 mars

Le seuil du niveau d’alerte (1) pour les particules fines PM10 a de nouveau été dépassé, ce 13 mars, sur la partie Nord de la France ainsi que dans la vallée du Rhône. La pollution atmosphérique voit rouge dans plus de trente départements. Face à cette situation, le ministère de l’écologie annonce la gratuité des transports en commun franciliens mais rejette la circulation alternée.

Pourquoi la circulation alternée n’est-elle pas décrétée dans les régions frappées par des pics de pollution à répétition? Le ministre de l’écologie Philippe Martin n’a pas voulu répondre à cette question lors de la conférence de presse, qu’il a organisée à la hâte, ce 13 mars à l’hôtel de Roquelaure, sept jours après le premier dépassement du seuil d’alerte aux particules fines en France.

Réclamée par les écologistes, cette mesure avait pourtant eu droit de cité, le 18 décembre dernier, au ministère. Philippe Martin avait alors annoncé vouloir la réactiver lors des pics de pollution aux particules fines et aux oxydes d’azote (NOx).

Un décret inutile

Le dossier de presse publié à l’issue du Comité interministériel de la qualité de l’air (Ciqa) précisait qu’il fallait d’abord changer la réglementation. «La circulation alternée fait partie des mesures d’urgence pouvant être prises dans les situations de dépassement du seuil d’alerte, pour limiter l’ampleur des pointes de pollution. Mais ce dispositif ne peut être déclenché à l’heure actuelle que pour les pics de pollution à l’ozone».

Le ministère remettait ainsi à 2014, «l’élaboration d’un décret en Conseil d’Etat permettant d’instaurer la circulation alternée lors de pics de pollution réglementés comme les particules PM 10 ou les oxydes d’azote».

Trois mois plus tard, la circulation alternée semble avoir disparu des écrans gouvernementaux. Mais contrairement aux arguments ministériels, il est tout à fait possible  de l’instaurer immédiatement sans prendre un nouveau décret, et cela dans tous les départements de l’Hexagone. «La loi LAURE (2) votée en 1996 permet de prendre un certain nombre de mesures de restriction de la circulation, quel que soit le type de pollution atmosphérique», confirme Corinne Lepage, qui est à l’origine de cette loi. «J’ai d’ailleurs pris soin que le texte ne renvoie à aucun décret d’application afin d’éviter des retards accidentels dans les bureaux des ministères», ajoute-t-elle.

Gratuité des transports en commun franciliens

Ce 13 mars, le ministère de l’écologie s’est donc contenté d’annoncer, aux côtés du président de la région francilienne Jean-Paul Huchon, la gratuité des transports en commun d’Ile-de-France, du 14 au 16 mars compris. Un bilan sera dressé le 15 mars au soir pour décider une éventuelle prolongation. Tous les habitants sont invités à laisser leur voiture au parking.

Pour d’autres mesures, il faudra attendre le projet de loi sur la transition énergétique, «qui comprendra un volet sur la qualité de l’air», a précisé Philippe Martin.

La pollution de l’air a été classée, le 17octobre 2013, comme cancérigène avéré (classe 1) par le Centre international de recherche sur le cancer (Circ).

L’air pollué, meilleur à vélo?

Hier, la ville de Paris avait ouvert la voie en annonçant la gratuité de la première heure d’Autolib’ et des locations de courte durée en Velib’. Mais qui veut rouler à vélo lorsque l’air est pollué? Les Parisiens ont en tout cas répondu à l’appel. Selon la municipalité, le service Autolib a enregistré, ce 13 mars, une hausse de 46% des parcours, et les locations de Velib’ ont progressé de 72% par rapport à jeudi dernier.

Dans l’attente de mesures adaptées

Le candidat écologiste à la mairie de Paris, Christophe Najdovski a dénoncé «l’inaction irresponsable des pouvoirs publics qui ont attendu les 8ème jour de pollution pour que cette mesure soit prise». Il réclame aussi de compléter le dispositif au plus vite, par la mise en place de la circulation alternée des automobilistes et par le contournement routier de Paris par les poids lourds. Un contournement que la préfecture de police aurait pu instaurer depuis 5 ans, comme le permet le plan de protection de l’atmosphère francilien, selon Claude Bascompte, président des Amis de la Terre Paris.

Plus largement, le responsable associatif réclame trois mesures importantes: «sensibiliser les citoyens sur les enjeux de la lutte contre la pollution atmosphérique par un dispositif d’information et d’alerte cohérent, renforcer les transports en commun et restreindre fortement la circulation automobile». De façon régulière, et pas seulement en cas de pic de pollution.

(1)Le seuil du niveau d’alerte s’élève à 80 µg/m3 d’air sur 24 heures pour les PM10. Le plafond du niveau d’information est égal à 50 80 µg/m3.

(2)Loi sur l’air et l’utilisation rationnelle de l’énergie (LAURE) du 30 décembre 1996 instaure notamment les plans de protection de l’atmosphère et les plans de déplacements urbains

La circulation alternée testée pendant une seule journée

La circulation alternée n’a été mise en place qu’une seule journée dans l’histoire française. Le 1er octobre 1997, alors que Dominique Voynet est ministre de l’aménagement du territoire et de l’environnement, elle est appliquée à Paris et dans 21 communes d’Ile-de-France, en raison d’un dépassement du seuil d’alerte du dioxyde d’azote. Résultat: le trafic a été réduit de 15% dans la zone de circulation alternée, de 20% à Paris et sur le boulevard périphérique et de 8% dans le reste de l’Ile-de-France. Les émissions de dioxyde d’azote ont aussi été réduites de 15% par rapport à la veille.

Transition (énergétique), mon cul

Ce papier a été publié par Charlie Hebdo le 5 mars 2014

Il faut sortir une loi sur l’énergie, mais en enfilant gentiment les écolos sans qu’ils se barrent en courant. Margerie et Proglio sont au pouvoir, mais chut, faut pas le dire.

C’est une enflade. Le mot n’existe pas dans le dictionnaire, mais il illustre bien ce qui est en train de se passer. Enflade, d’enfler, qui signifie arnaquer. Officiellement, tout ce beau gouvernement est d’accord sur la transition énergétique. En gros, cela ne peut pas durer. Le pétrole abondant et bon marché,  c’est fini. Les fossiles – pétrole encore, gaz, charbon – détruisent l’équilibre du climat. Le nucléaire, malgré les fantasmes nucléocrates, ne représente jamais que 5,7 % de l’énergie primaire mondiale, avec une tendance à la baisse.

Par ailleurs, les renouvelables : l’eau – hydro-électricité -, le bois, le soleil, le vent, réclament de grands investissements pour pleinement prendre la place. D’autres contraintes martyrisent l’horizon, à commencer par la loi Énergie de 2005, qui oblige la France à réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 80 % d’ici 2050. Il faudrait commencer maintenant.

Hollande est pour. Comme il n’est contre rien, il est pour une loi sur la transition énergétique qui préciserait enfin les contours du bouquet énergétique français dans dix, dans vingt, dans trente ans. L’emmerde c’est qu’il faut trancher, ce qu’il ne sait pas faire, et qu’il se branle de la crise écologique. En janvier 2013, le père François promet un « grand débat ouvert et citoyen » pour le printemps, suivi d’une belle synthèse en juin et d’un projet de loi devant le parlement en octobre 2013. Mais rien ne vient.

Le 11 décembre, un an après les promesses, une première réunion d’une fumeuse Commission se tient. On cause, entre soi. Le 7 février 2014, le ministre de l’Écologie Philippe Martin, qui a le sens de l’humour, déclare : « Les travaux sur la loi de transition énergétique avancent bien et les délais seront tenus ». Il est question maintenant d’une présentation au conseil des ministres ce printemps et un vote après, en juin, ou en septembre, ou à la saint Glin-Glin, ça dépendra.

Pourquoi ? Parce que dans les coulisses, où les industriels ont déjà gagné, la bataille fait rage. Il n’est pas question de les embêter si peu que ce soit. Pas au moment même où Hollande croit s’en tirer avec son pacte de responsabilité, dont la propagande dit qu’il pourrait créer 300 000 emplois. Deux grands patrons, qui font antichambre à l’Élysée, illustrent les manœuvres en cours. Christophe de Margerie, PDG de Total, a la pleine oreille de Hollande, qu’il voit régulièrement. Or il se plaint sans détour de Philippe Martin, qui est aussi, on l’oublie, ministre de l’Énergie. Pour le Christophe, l’opposition de Martin au gaz de schiste, secteur où Total est très présent hors de nos frontières, est un casus belli.

De son côté, Henri Proglio, patron d’EDF jusqu’en novembre au moins – Hollande veut le remplacer -, tente d’arracher une concession majeure : augmenter la durée de vie de nos centrales nucléaires, prévues au départ pour trente ans, jusqu’à cinquante, voire soixante ans.

Derrière les deux poids lourds, Pierre Gattaz, ennemi déclaré de toute contrainte « écologique », et le Medef avec lui. Ce n’est pas un secret d’État que Martin a failli démissionner plusieurs fois depuis le début de l’année, ce qui ferait grand désordre après le licenciement de Delphine Batho en juillet 2013. Des témoins, indirects mais fiables, rapportent des discussions à l’Élysée, au cours desquelles Martin était seul contre tous. Seul contre les productivistes du gouvernement, Montebourg bien sûr, Moscovici, Ayrault, Cazeneuve et Hollande soi-même. La morale de l’affaire est très simple : il ne fait pas le poids.

Que contiendra la loi à l’arrivée ? C’est là que cela se complique, car les braves soumis d’EELV, y compris Cécile Duflot, ont déjà annoncé qu’ils rompraient l’alliance avec le PS en cas de reniement trop visible, par exemple sur la date de fermeture de Fessenheim. Un ponte du parti écolo, moyennement charitable, raconte à Charlie : « Je ne vois pas comment ils vont s’en sortir. Ni Duflot ni Canfin ne veulent lâcher leur place, mais Hollande ne veut rien lâcher sur un dossier qu’il juge stratégique. Donc, ça devrait saigner ».

On verra. Pour l’heure, rideau de fumée sur la ligne d’horizon.

À quoi ça sert de savoir ?

Doris Lessing, dans Le Carnet d’or : « Certains livres ne sont pas lus comme ils le devraient parce qu’ils ont sauté une étape de l’opinion, qu’ils se fondent sur une cristallisation de l’information de la société qui n’a pas encore eu lieu ». En remplaçant livre par journal, on aura une idée de ce qui me tarabuste. Je viens de trouver par hasard mention d’une information capitale : 28 000 rivières de Chine, sur un total recensé de 50 000, auraient purement et simplement disparu (ici, en anglais).

Un mot sur la source, en précisant qu’il y en a d’autres. L’article que je vous invite à regarder, fût-ce rapidement, a paru dans un vieux quotidien en anglais, édité à Hong Kong depuis 1903, le South China Morning Post. Donc, ceci : la Chine a changé de visage au point que 55 % de ses rivières n’existent plus. Sur place, il y a un débat sur le sens de ce cataclysme.

Du côté des bureaucrates au pouvoir, on met en avant l’imprécision des cartes et leurs erreurs passées, ainsi que le réchauffement climatique. Les connaisseurs du dossier savent que l’explication est ailleurs. La Chine, devenue folle, pompe sans mesure aucune l’eau de ses rivières pour soutenir une expansion sans le moindre avenir. L’agriculture irriguée bien sûr, l’industrie lourde, les villes géantes consomment au point d’avoir endommagé le cycle de l’eau. Tentée par la fuite en avant, la Chine envisage depuis des années, reculant à chaque fois pour l’instant, de détourner l’eau s’écoulant du plateau tibétain pour abreuver le Nord assoiffé. Mais le passage à l’acte serait un casus belli pour l’Inde nucléaire, qui a un besoin vital de cette même eau au pied de l’Himalaya.

Je n’ai pas trouvé trace de la disparition des 28 000 rivières dans la presse française. L’information date d’un an, et même moi qui suis d’assez près le krach écologique chinois en cours, je ne l’avais pas vue passer. Mais moi, cela ne compte pas ! Penser qu’un pays de 65 millions d’habitants n’aura rien su de cela est autrement important. Pourquoi ? Oui, pourquoi une telle indifférence, une telle indigence dans la presse ? Le sujet est trop vaste pour être abordé aujourd’hui. Ce qui est sûr, c’est que tous nos politiciens, ceux du pouvoir actuel, ceux du pouvoir d’hier, et même un Mélenchon misent sur le marché chinois pour tirer ici ce qu’il appellent la croissance, quand moi je la nomme dévastation. Ont-ils jamais un mot sur le cauchemar chinois ? Jamais. Aucun. Ils s’en foutent, car ils s’en foutent.

J’ajoute un mot personnel. Vers la fin de 2004, il y a donc plus de neuf ans, j’ai proposé à un groupe de presse de lancer un journal mensuel servi sur abonnements. Un journal qui garantirait la présentation des principales informations sur la crise écologique dans le monde. Je travaillai avec deux amis, Olivier et Jean-Paul, et nous réalisâmes ce que, dans le jargon professionnel, nous appelons un numéro zéro. Un essai, quoi. Il n’y a pas eu de numéro 1, car le groupe a finalement calé, et je continue à le regretter, car nous avions réussi quelque chose de bon. Découvrant ces jours-ci l’affaire des 28 000 rivières, j’ai repensé à ce zéro, et j’ai relu ce que vous allez trouver ci-dessous.

Cela se décompose en plusieurs parties, et si vous n’avez pas le temps – ou l’envie – de tout lire, je vous conseille l’entretien avec le ministre chinois Pan Yue. Paru à l’époque dans l’hebdomadaire allemand Der Spiegel, il raconte une histoire essentielle, et déjà, aucun journal français ne l’avait reprise. Il faut dire qu’à chaque fois qu’un hebdo de chez nous consacre un dossier à la Chine, il est tellement couvert de pubs à la gloire du luxe, de la mode, des parfums et des grosses bagnoles – ce que nous exportons si bien là-bas – qu’il lui est interdit de parler de ce qui pourrait déplaire aux annonceurs. Et donc, motus.

Motus. Tel est le mot qui décrit le mieux notre monde en face des vraies informations. J’ai le sentiment d’avoir fait de Planète sans visa un lieu où circule le vrai. Est-ce que cela sert à quelque chose ?

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Les papiers écrits entre fin 2004 et début 2005 pour un journal qui n’a jamais vu le jour

La Chine menacée par un krach écologique

 

Les rapports et alertes s’accumulent. Earth Policy Institute, organisme américain réputé, prévient que la croissance chinoise menace la planète entière d’une catastrophe à court terme.

 

Côté pile, la Chine fascine. Grâce à son étonnante croissance de 2004 – + 9,5% -, le PIB mondial a augmenté, malgré la crise, de 5,1%. Elle représente aujourd’hui 4% de la richesse produite dans le monde, mais ce pourcentage explose d’année en année. Les exportations s’envolent, le gigantesque marché intérieur s’ouvre enfin aux industriels du Nord. Et même si, en retour, le « grand atelier » du monde qu’est devenu la Chine inonde la planète de ses produits, notamment textiles, nos plus grands groupes industriels et financiers, de EDF à Alstom en passant par BNP-Paribas et Andeva, investissent massivement sur place.

L’exemple le plus spectaculaire est sans doute celui de l’automobile. La Chine reste très sous-équipée selon les critères occidentaux, avec probablement moins de 10 véhicules individuels pour 1 000 habitants, contre près de 600 en France. Mais les prévisions sont fantastiques : le parc automobile – tous genres confondus – devrait atteindre 36,5 millions d’unités en 2010, 80 millions en 2015 et…176 millions en 2020.

Un tel déferlement est-il réellement possible ? De nombreux spécialistes en doutent, et le font savoir. Dernier en date, un rapport du réputé Earth Policy Institute estime que l’hyper croissance chinoise menace le monde d’une sorte de krach écologique. En maintenant une croissance annuelle de 8% en moyenne, la Chine parviendrait en 2031 à un revenu par habitant de 38 000 dollars, qui est à peu près celui des Américains aujourd’hui.

Mais elle émettrait alors, note l’institut, autant de CO2 à elle seule que le monde entier en 2005. Autre chiffre saisissant : la terre produit chaque jour 79 millions de barils de pétrole (chiffres 2003). La Chine de 2031 aurait besoin pour ses besoins de 99 millions de barils quotidiens. Une telle perspective, alors que les découvertes de nouveaux gisements se font de plus en plus rares, est inconcevable. Mêmes projections pour le charbon – la Chine brûlerait davantage que toute la production mondiale actuelle – et l’automobile, dont le parc atteindrait 1,1 milliard de véhicules en 2031 si les Chinois « rattrapaient » les Américains.

Cette politique – et économique – fiction rejoint et renforce le camp des critiques du « miracle » chinois. Le WWF-International vient de publier de son côté une copieuse étude sur le rôle de la Chine dans le marché mondial du bois. Sans surprise, les chiffres révèlent que la croissance chinoise menace ce qui reste de forêts tropicales, notamment en Asie. Non seulement le pays est devenu l’un des premiers clients de pays forestiers comme l’Indonésie, la Malaisie ou la Russie, mais il est en outre la destination préférée des exportateurs de bois illégalement coupé. Les auteurs du rapport, Zhu Chunquan, Rodney Taylor et Feng Guoqiang, constatent : «  Alors que les Chinois utilisent en moyenne 17 fois moins de bois que les Américains, les importations chinoises de bois ont connu une augmentation spectaculaire au cours des dix dernières années et vont continuer à croître pour répondre aux besoins de l’énorme population et d’une croissance  économique rapide. »

La Chine est confrontée à de redoutables phénomènes d’érosion des sols et d’inondations répétées, que les autorités de Pékin attribuent en bonne part à la déforestation massive qui accompagne le développement. Le gouvernement a lancé de vigoureuses mesures de protection des forêts encore sur pied et entrepris des plantations massives, surtout en amont des fleuves et rivières.

En conséquence, la Chine produira toujours moins de bois domestique, et le rapport du WWF estime qu’en 2010, la Chine ne couvrira que moins de la moitié de ses besoins dans ce domaine. Le plus probable est donc que la facture chinoise de bois sera, écologiquement parlant, payée par les pays qui l’entourent.

La situation de la Chine est aujourd’hui si dégradée que les officiels, poussés par une nébuleuse mal connue en France – il pourrait y avoir là-bas 2 000 ONG écologistes – manifestent en public leur grande inquiétude. On lira ci-contre l’étonnante déclaration du ministre de l’Environnement, Pan Yue (voir le verbatim). Mais les réactions ne sont pas seulement verbales : ainsi le Bureau d’État pour la protection de l’environnement (Sepa) vient-il d’annoncer que 30 grands projets d’infrastructure étaient arrêtés pour violation des lois sur l’environnement. Leurs responsables ont été condamnés à des amendes.

Autre évolution importante : les échanges entre écologues chinois et occidentaux, voire américains, deviennent monnaie courante. Le responsable du très officiel Centre pour le développement des énergies renouvelables, Ren Dongming, a adressé ce printemps une lettre de remerciements enthousiastes à l’équipe du Worldwatch Institute de Washington. Grâce à ce groupe de chercheurs, dit-il, le Centre est parvenu à faire voter une loi après deux ans d’efforts. Celle-ci, qui entrera en vigueur en janvier 2006, oblige pour la première fois les opérateurs d’électricité à se tourner vers les énergies renouvelables. Lesquelles devraient atteindre, en 2010, 10% de la production d’énergie. « Mes chers amis, écrit Dongming, vous nous avez fourni une aide précieuse grâce à vos commentaires constructifs au moment de l’élaboration de la loi. Vous nous avez donné confiance ».

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« Le miracle sera bientôt terminé », déclare Pan Yue, ministre chinois de l’Environnement

Entretien paru dans l’hebdomadaire allemand Der Spiegel le 7 mars 2005

Der Spiegel : La Chine éblouit le monde avec son boom économique et sa croissance à 9,5 % en 2004. N’êtes-vous pas content de cette performance ?

Pan Yue : Naturellement je suis satisfait des succès de l’économie chinoise. Mais en même temps je suis inquiet. Nous utilisons trop de matières premières pour soutenir cette croissance. Pour produire 10 000 dollars de marchandises, nous dépensons sept fois plus de ressources que le Japon, presque six fois plus que les Etats-Unis et même presque trois fois plus que l’Inde. Les choses ne peuvent pas continuer comme cela.

Der Spiegel : Un tel point de vue n’est pas vraiment répandu dans votre pays.

Pan Yue : Beaucoup de facteurs se combinent. Nos matières premières sont rares, nous n’avons pas assez de terre, et notre population se développe encore. Actuellement, il y a 1,3 milliard d’habitants en Chine, deux fois plus qu’il y a cinquante ans. En 2020, nous serons 1,5 milliard. Les villes se développent en même temps que le désert gagne. Les terres habitables et utilisables ont été divisées par deux au cours des 50 dernières années.

Der Spiegel : Mais pendant ce temps, chaque année, la Chine renforce sa réputation de miracle économique.

Pan Yue : Ce miracle finira bientôt parce que l’environnement ne peut plus suivre. Les pluies acides tombent sur un tiers du territoire, la moitié de l’eau de nos sept plus grands fleuves est totalement inutilisable, alors qu’un quart de nos citoyens n’a pas accès à l’eau potable. Le tiers de la population des villes respire un air pollué, et moins de 20% des déchets urbains sont traités de manière soutenable sur le plan environnemental. Pour finir, cinq des dix villes les plus polluées au monde sont chinoises.

Der Spiegel : Les effets de cette dégradation sur l’économie sont-ils perceptibles ?

Pan Yue : Ils sont massifs. La pollution de l’air et de l’eau nous fait perdre entre 8 et 15% de notre PIB. Sans compter les dépenses de santé. Et puis n’oublions pas la souffrance humaine : à Pékin, de 70 à 80% des cas de cancer sont liés à l’environnement. Le cancer du poumon est devenu la première cause de mortalité.

Der Spiegel : Comment la population réagit-elle à ces problèmes de santé ? Les gens émigrent-ils vers des parties plus sûres du territoire ?

Pan Yue : Ces zones ne peuvent pas suffire aux populations qui s’y trouvent déjà. Dans l’avenir, nous devrons réinstaller 186 millions d’habitants de 22 provinces et villes. Or les autres régions ne pourront en absorber qu’environ 33 millions. Autrement dit, la Chine devra compter avec 150 millions de « migrants écologiques ». Ou si vous préférez, de réfugiés. (…)

 Der Spiegel : Et pourtant, les fanatiques de la croissance veulent continuer comme si de rien n’était.

Pan Yue :  Ils continuent de jouer le premier rôle. Selon eux, le PIB est la seule mesure des performances gouvernementales. Mais nous commettons une autre erreur en croyant qu’une économie prospère va automatiquement de pair avec la stabilité politique. Car plus l’économie se développe rapidement, plus nous courons le risque d’une crise politique si les réformes politiques ne suivent pas.(…) Et ce n’est pas tout.

Der Spiegel : Que voulez-vous dire ?

Pan Yue : Nous pensons que la croissance nous donnera les moyens financiers de faire face aux crises sur le front de l’environnement, des matières premières, et de la croissance démographique.

Der Spiegel : Et ce n’est pas possible ?

Pan Yue : Non, car il n’y aura pas assez d’argent, et de toute façon, nous n’aurons pas assez de temps. Les pays développés le peuvent, mais pas nous. Les différentes crises, sous toutes les formes et dimensions, nous auront frappés avant. Nous ne serons pas assez forts, économiquement, pour les surmonter.

traduit par nos soins

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Qui pourra nourrir la Chine ?

« Who will feed China ? ». Qui nourrira la Chine ? En écrivant en 1995 ce livre très dérangeant, l’ancien agronome Lester Brown décrivait un paradoxe : l’augmentation du niveau de vie des Chinois, impressionnante depuis vingt ans, risque de déstabiliser le marché mondial des céréales. À l’aide d’exemples relativement simples, il insistait sur les conséquences du changement de régime alimentaire. Ainsi, produire une tonne de poulet « coûte » deux tonnes de céréales. En mangeant toujours davantage de viande, en buvant plus souvent de la bière, 1,3 milliard de Chinois voient fatalement leurs besoins en céréales exploser. En ce début des années 90, par exemple, la Chine souhaitait multiplier par deux la consommation d’œufs, c’est-à-dire passer de 100 par personne et par an à 200. Mais un tel objectif, soulignait Brown, nécessiterait d’élever près d’1,4 milliard de poules, lesquelles dévoreraient la totalité de la production de céréales d’un pays comme l’Australie. À l’horizon 2030, toujours selon Brown, la Chine se verrait contrainte d’importer entre 200 et 369 millions de tonnes de céréales chaque année. Bien plus, en toute hypothèse, que ne pourrait en offrir le marché mondial.

Il y a dix ans, au moment de sa publication, ce livre avait provoqué de vives réactions des autorités chinoises. Lesquelles ne niaient aucunement l’ampleur du problème, mais assuraient pouvoir en venir à bout grâce à la croissance et à la mise en culture de nouvelles terres. De gros efforts ont en effet été consentis, surtout dans le nord-ouest, une région semi-aride qui concentre les rares terres encore disponibles pour l’agriculture. Mais selon des sources chinoises, ce volontarisme a augmenté l’érosion de sols fragiles, sous la forme inquiétante de gigantesques vents de poussière qui atteignent régulièrement Pékin.

Où en sommes-nous en ce début 2005 ? La Chine, pour la première fois depuis des années, a dû importer massivement des produits agricoles et a fini 2004 avec un déficit de sa balance commerciale dans ce domaine de 5,5 milliards de dollars. De sont côté, Brown vient de reprendre la parole aux Etats-Unis, constatant que la production chinoise de céréales en 2004 – 382 millions de tonnes – dépasse de loin celle des Etats-Unis, 278 millions de tonnes. Dans le même temps, la consommation de viande a atteint le record de 64 millions de tonnes l’an passé côté chinois, loin devant les 38 millions de tonnes produites aux États-Unis. Si la consommation par habitant des Chinois devait rejoindre celle des Américains – 125 kilos de viande par an et par habitant -, Pékin devrait produire 181 millions de tonnes de viande chaque année. Soit les quatre cinquièmes de la production mondiale en 2004. Avec quelles céréales pour les nourrir ? Sur quels territoires ? Aucun spécialiste ne peut répondre à cette question pourtant décisive.

 

Un livre de référence

Le livre de Lester Brown, Who will feed China, paru en 1995, a été précédé d’un long article publié dans la revue bimestrielle du Worldwatch Intitute (www.worldwatch.org), World Watch Magazine, en septembre 1994.

Quand le maire de Bagnolet me cherche

Je vous explique, car je sors un peu du cadre habituel. Quoique, à bien y réfléchir, c’est moins sûr. Ce que vous lirez ci-dessous se décompose en trois morceaux. Le fichier 1, sur lequel je vous invite à cliquer (ça met une poignée de secondes à charger, car c’est lourd), est le PDF d’une double page que j’ai signée le 26 février dans Charlie-Hebdo, avec de fort beaux dessins d’Honoré pour accompagner.

Il s’agit donc, comme vous verrez peut-être, d’un reportage sur la ville de Bagnolet, qui touche Paris à l’Est. Vous jugerez. J’ajoute trois mots sur la banlieue. Ma banlieue Est à moi, que je connais si bien. J’ai habité quantité d’endroits en Seine-Saint-Denis, à Villemomble, Clichy-sous-Bois, Montfermeil – la célèbre cité des Bosquets -, Drancy, Aulnay, Noisy-le-Sec, Bondy, Pavillons, Livry-Gargan, d’autres encore.

Si je vous dis cela, c’est parce que cette terre maudite est la mienne. Et celle des miens, à commencer par mon vieux, mort depuis un bail, qui était un ouvrier communiste à l’ancienne, c’est-à-dire, je crois pouvoir l’écrire, un Juste. Je hais, le mot n’est pas trop fort, et je l’assume, je hais les salopards qui ont transformé la banlieue populaire en un champs de ruines. Ceux qui, ayant la responsabilité de loger des pauvres, n’ont eu d’autre but apparent que de les parquer, avec les résultats que l’on sait. Bien entendu, cela vise cette droite affairiste – un pléonasme – qui a régné sans partage jusqu’en 1981. Mais autant cette gauche qui lui a succédé, et qui est largement responsable du désastre humain que j’ai tant connu. Et parmi elle, ce parti stalinien répugnant qui a décidé et voulu que naissent tant de cités pourries où, croyait-il, il aurait un réservoir de voix pour l’éternité.

Ce parti stalinien – non, je n’oublie pas les autres, croyez-moi – a eu parfois près d’un siècle, comme à Bagnolet, pour montrer ce qu’il savait faire. Un vrai parti ouvrier se serait battu jusqu’au sang pour que les prolétaires soient logés dans des villes authentiques, civilisées, et disposent de vraies habitations à partir desquelles ils auraient élevé dignement leurs familles. Il n’en a rien été. Aucune lutte n’a été menée pour un urbanisme digne d’être approprié, ce qui est une preuve. Une preuve, après mille autres, que les discours n’étaient que mensonge et manipulation.

Et c’est pourquoi, même s’ils ne le croiront jamais, je suis très satisfait du tract que vous trouverez sous les noms tract-1 et tract-2, car il y a un recto et un verso. J’y suis traîné dans la sanie par le maire actuel de Bagnolet, membre du parti communiste. Ces gens-là s’y croient follement, mais ils ont grand tort. Dans ma jeunesse déjà lointaine, mais si vive dans ma mémoire, j’ai combattu, physiquement quand je le pensais nécessaire, les fascistes d’une part et les staliniens de l’autre, qui tenaient d’une manière atroce 27 villes de Seine-Saint-Denis sur 40. Je n’ai pas eu peur d’eux au beau milieu de leur fief, quand ces crapules attaquaient bassement les immigrés en 1980 (ici, des précisions). Je n’ai pas eu peur d’eux quand ils étaient forts, et ce n’est pas maintenant que ces pauvres gens peuvent espérer m’impressionner. Et donc, soyons sincère, je leur dis merde.

fichier1.pdf

tract-1.pdf

tract-2.pdf