Archives mensuelles : août 2014

Le Loup, cet Arabe des montagnes

Cet article a été publié le 30 juillet 2014, sous un autre titre, par Charlie Hebdo

Ségolène Royal a décidé de tout flinguer. Les loups, les ours, en attendant les flamants roses demain. En faisant cadeau sur cadeau aux chasseurs et à la FNSEA, elle met à bas quarante ans de bagarres pour la beauté.

Ségolène Royal déconne à plein tube, sous les applaudissements des chasseurs et des beaufs. Rappelons, car ce serait facile à oublier, qu’elle est ministre de l’Écologie. Le 7 juillet, à l’Assemblée, elle déclare sans trembloter à propos des loups : « le nombre d’individus recensés dépasse désormais celui qui avait été fixé ». Revenus naturellement par l’Italie il y a vingt-cinq ans – après complète extermination -, ils seraient 300, contre 3000 en Espagne. Le Loup, ce Rom.

Encouragé par la bonne dame, le parc national des Écrins organise le 10 juillet une battue en son cœur, en théorie zone de protection maximale pour les animaux. L’objectif est de virer un loup qui s’y serait réfugié, de manière que des clampins à fusil le butent à la sortie du parc. On admire l’élégance : pas de tir dans un parc national, puisqu’on y protège, mais à la porte d’entrée, oui. Le Loup, cet Arabe.

Le 19 juillet, Royal est dans les Pyrénées et annonce qu’il n’y aura pas de réintroduction d’ours dans les zones de pastoralisme, c’est-à-dire partout. L’ours, le légendaire Moussu – le Monsieur – des montagnes pyrénéennes peut aller se faire foutre. Après avoir régné pendant des dizaines de millénaires, il n’a cessé de décliner, surtout au siècle dernier, pour cause de poison et de flingot. Il y en avait une centaine avant-guerre, 70 en 1954, 30, puis une poignée, puis un seul, mâtiné de gênes slovènes.

Slovène ? Pendant que disparaissaient les autochtones un  à un, des fêlés réussissaient in extremis à obtenir une réintroduction d’ours venus de Slovénie, à partir de 1996. Au total, ils seraient aujourd’hui 24 dans le massif, quand toutes les études scientifiques clament qu’il y a de la place pour au moins 250 animaux. Mais Royal n’en a évidemment rien à secouer : en abattant d’un coup 30 ans d’efforts associatifs en faveur des ours, elle est devenue la chouchoute des archi-beaufs locaux, qui ne parlent jamais que d’ours « importés » de Slovénie, Ce pays barbare, 30 fois plus petit que la France, abrite la bagatelle de 400 ours.

Mais ce n’est pas tout. Ce même 19 juillet, Royal lâche un mot sur les vautours : « On regarde ce qu’on peut faire ». Avec cette précision loufoque : « Il y a eu des attaques, non contre des animaux vivants, mais fatigués ». Cette sublime sottise donne raison aux grands délirants – les mêmes dégueulent sur les ours « étrangers » – qui prétendent que les vautours, stricts nécrophages depuis l’Éternité, attaquent depuis peu des animaux vivants, comme des vaches en train de vêler.

Ailleurs, pareil. En baie de Somme, les pauvres pêcheurs réclament la peau des phoques, accusés de se servir en poissons dans leurs filets. Les blaireaux, chargés de tous les vices et de toutes les maladies, font l’objet un peu partout de plans d’éradication, par exemple à l’aide de chloropicrine, un gaz de combat. Dans le massif du Bargy (Haute-Savoie), des centaines de bouquetins ont été abattus sous un grossier prétexte sanitaire, provoquant une pétition de près de 50 000 personnes (1).
Même les riziculteurs de Camargue entrent dans la danse. Certains de ces charmants garçons ont été épinglés pour un usage massif de pesticides interdits, et les étangs de la région sont tous gravement pollués, mais les voilà qui réclament des mesures contre les flamants roses, qui boulotteraient leurs saines récoltes. Alain Grossi, chef riziculteur (La Provence du 27 juin) : « Il y a une distorsion de traitement criante entre le loup et le flamant, entre les éleveurs et les producteurs ». Les gros durs de là-bas réclament des tirs contre les flamants, comme font les pisciculteurs avec les cormorans.

La morale est simple : un cycle historique s’achève. En 1971, la droite pompidolienne créait le ministère de l’Environnement. En 1976, la droite giscardienne faisait voter la « Loi n° 76-629 relative à la protection de la nature », qui avait fait absurdement lever des espoirs. La gauche de 2014 offre aux plus cons ce que la Nature a fait de plus beau. C’est le progrès.

(1) http://sauvonslesbouquetins.over-blog.com/tag/bouquetins%20du%20bargy