Le gouffre du nucléaire (sur le fric)

Ce qui suit est un article paru le 11 janvier dans Charlie-Hebdo. Mais en tout cas, il est de moi, et mon petit doigt me dit que tous les lecteurs de Planète sans visa ne lisent pas cet hebdo. Mon papier a été écrit – et même publié – avant celui de La Tribune, hier. Le quotidien économique révélait l’essentiel d’un rapport de la Cour des Comptes, à paraître fin janvier. En résumé, l’opacité est reine. On ne sait rien de sérieux sur le coût du démantèlement des vieilles centrales. On n’en sait pas davantage sur le prix qu’il faudra payer pour « sécuriser » les milliers de tonnes de déchets nucléaires. Bref, mais vous le savez déjà, les imbéciles ingénieurs et les odieux politiques qui nous ont plongés dans ce désastre sont bien imbéciles et odieux. Je vous laisse avec mon papier de Charlie.

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La bonne blague de la semaine passée : l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) demande des travaux lourds dans les centrales nucléaires, exigeant des « investissements massifs » dans notre parc de 58 réacteurs. Combien de fric  ? L’ASN n’a pas osé chiffrer, de peur d’embêter EDF. Laquelle a aussitôt perdu pied en Bourse, avant de présenter une addition de 10 milliards d’euros, évidemment sous-évaluée. Ce qui est déjà énorme, car la note s’ajoute aux 40 milliards d’euros nécessaires pour pousser la durée de vie des centrales nucléaires à 60 ans, alors qu’elles étaient conçues pour 30. Soit 50 milliards, juste pour continuer comme avant. Commentaire avisé de Lacoste, patron de l’ASN : « Je n’imagine pas que les milliards d’euros nécessaires pour augmenter la sécurité du parc de centrales d’EDF n’aient pas une traduction sur son prix de revient ».

En somme comme en résumé, le cochon de payant verra sa facture d’électricité exploser pour les beaux yeux de Proglio, le copain que Sarko a mis à la tête d’EDF. Au fait, pourquoi l’ASN sort-elle un rapport ? À cause de Fukushima, pardi. Une partie des nucléocrates admet désormais sans détour qu’une cata monstre est parfaitement possible chez nous. Benjamin Dessus et son compère Bernard Laponche, excellents connaisseurs du dossier et néanmoins antinucléaires, aiment à rappeler ce constat imparable (1) : le calcul de probabilité officiel n’imaginait que 0,014 accident grave au cours des trente dernières années. Or de l’Ukraine au Japon, quatre réacteurs ont pourtant pété, soit 286 fois plus que ce que les servants de l’atome juraient sur la tête de leurs pauvres gosses. Les mêmes assuraient au bon peuple que la qualité française interdisait toute mauvaise surprise.

Le nucléaire est donc bien le royaume du mensonge obligatoire. Cette cruelle vérité ne doit pas faire oublier le reste,. Qui est donc André-Claude Lacoste, le chef de l’ASN ? Un type du sérail, évidemment, puisque le nucléaire ne connaît que cela. Ingénieur des Mines, comme l’ont été les grands pontes de l’atome français, de Guillaumat à Giraud, il a fait toute sa carrière au ministère de l’Industrie, haut lieu de la révolte et de l’incandescence comme on sait. En 1993, Eurêka, Lacoste prend la direction de la Sûreté nucléaire. La majuscule s’impose, car bien sûr, la structure est indépendante. La preuve par DSK, qui le nomme à ce poste juste avant de quitter sa place de ministre de l’Industrie et devenir lobbyiste pronucléaire, payé par EDF (2).

Morale de l’affaire : si un anarchiste de la trempe de Lacoste réclame tant de mesures de sûreté, c’est que ça craint.  Si un homme élevé au biberon nucléaire admet la possibilité du drame, et exige des milliards, peut-être des dizaines de milliards d’euros d’investissements, c’est parce que le feu est au lac. Et pendant ce temps perdu, l’Allemagne.

Tout le monde – ou presque – s’extasie sur les performances économiques du voisin outre rhénan, mais personne – ou presque – ne semble voir ce qui se prépare. Or pendant que Sarko, Proglio and co claquent notre argent commun dans une aventure du passé, Berlin prépare hardiment le seul avenir concevable. En investissant massivement dans les énergies éolienne et solaire. Il est de bon ton en France de nier la puissance à venir de ces nouvelles énergies, mais les Allemands s’en foutent, et ils ont bien raison.

En renonçant au nucléaire, la mère Merkel n’a pas oublié de chouchouter ses industries de demain. À elles seules, les éoliennes ont produit là-bas 7,5 % de l’électricité au cours du premier semestre 2011 et le soleil 3,5 %, soit déjà 11 %. À comparer aux grandioses chiffres français au même moment :  2,2 % pour le vent et 0,1 % pour le solaire. Les Allemands misent d’ores et déjà sur 35 % d’électricité renouvelable en 2020, dans huit ans, quand nous ne saurons toujours pas payer le démantèlement du monstre Superphénix ni traiter les montagnes de déchets radioactifs. Et carrément 100 % en 2050, quand Proglio aura été oublié depuis des lustres.

Autre anodine différence entre la France et l’Allemagne. Cette dernière a vu sa consommation d’énergie globale diminuer de 4,6 % en 2011, ce qui s’appelle faire plus avec moins. En France, en 2010, la consommation d’électricité a augmenté de 5,5 %. Certes, l’électricité n’est qu’une partie de l’énergie, mais la leçon reste claire : EDF doit à tout prix fourguer son électricité nucléaire, fût-ce sous la forme d’un imbécile chauffage qui achève de ruiner les pauvres. Le serpent se mord la queue, et même le reste.

(1) Voir notamment : http://www.global-chance.org/spip.php?article250

(2) Charlie n’invente rien. DSK a bien été payé par EDF pour vanter les mérites du nucléaire, notamment chez ses copains allemands du SPD.

16 réflexions sur « Le gouffre du nucléaire (sur le fric) »

  1. Merci Fabrice de remettre régulièrement les pendules à l’heure sur le nucléaire.
    Le temps que nous mettrons à démanteler les centrales est lui-même difficile à déterminer actuellement. Et quant à la pollution et à la gestion des déchets… Qui peut penser raisonnablement que nos descendants gèreront durant des décennies (et avec quels moyens techniques ?) ces beaux cadeaux que nous leur laisseront 🙁

    L’Allemagne est en avance, c’est indéniable, mais elle est loin d’être un modèle de vertu avec ses centrales à charbon.
    En Suède, on chauffe les appartements grâce au recyclage des déchets ménagers (et des toilettes !). Je ne sais plus quelle ville fonctionne ainsi, Stockholm ou une autre.

    Le génie humain est capable du meilleur pourvu qu’il fasse les bons choix sur du long terme. Ce qui n’est pas le cas du nucléaire.

  2. Je ne suis pas spécialiste dans ce domaine, mais je trouve que « les imbéciles ingénieurs et les odieux politiques » sont aussi particulièrement discrets sur le fait qu’avec le réchauffement climatique (températures de l’air plus élevées et débits d’étiages plus faibles), la température des eaux des rivières augmente aussi, jusqu’à atteindre des niveaux estivaux incompatibles avec la vie des espèces aquatiques sensibles. Or les eaux prélevées pour refroidir les centrales sont réchauffées (pollution thermique) avant de retourner dans les rivières. Quel est donc, avec le réchauffement climatique, l’avenir d’une filière nucléaire utilisant les eaux de rivières dans son système de refroidissement ? Pourra-t-on réellement arrêter la plupart des réacteurs pendant les périodes caniculaires pour respecter les normes de rejet, alors qu’on installe des climatiseurs partout (il y a déjà eu des « dérogations » par exemple en 2003 et on ne peut pas de toute façon arrêter complètement le refroidissement de ces réacteurs)? Aurait-on délibérément prévu de sacrifier la biodiversité et les équilibres des écosystèmes aquatiques au profit de cette forme d’énergie ? Cf l’exemple concret de Golfech : « La Garonne et le Tarn du côté de Golfech : évolution inquiétante de la température de l’eau depuis 1971″(http://eau-evolution.fr/doc/articles.php?lien=eau_temperature_riviere_garonne_tarn_golfech_climat)

  3. N’idéalisons peut-être pas trop l’Allemagne. Entre les objectifs affichés et les résultats réels, nous verrons la différence. Mais c’est vrai que c’est un (bon) premier pas.

  4. On se fait beaucoup d’illusions sur les énergies dites renouvelables. Remplacer une source d’énergie par d’autres sources d’énergie pour continuer à consommer est-ce la solution? Rien ne pourra se régler à l’intérieur du système techno-scientiste. D’ailleurs ces « nouivelles sources » sont aussi sophistiquées technologiquement et demande une industrie complexe et concentré dans les mains du système capitaliste industriel utilisant des « terres raras » et des métaux rares don t l’extraction dévaste les régions où ils sont exploités…Et couvrir notre chère planète d’éoliennes et de panneaux solaires quels beaux paysages, quel environnement reposant aurons-nous!!!!La seule solution vivre autrement avec peu d’énergie artificielle!

  5. Guy a raison ! Une « centrale solaire » de 1,6GW est potentiellement aussi absurde qu’une centrale nucléaire de la même puissance. On peut vivre en essayant de remplacer une partie de notre énergie par de l’intelligence. Je me souviens, il y a déjà 10 ans, le gars d’EdF qui relève les compteurs avait demande combien de personnes vivaient chez nous en permanence, dans le 93, et avait demandé l’autorisation de voir a l’intérieur de notre appart. Apres la visite, il a vu qu’il n’y avait ni télé, ni micro-onde, ni four ou bouilloire électrique ou grille-pain, ni lampes halogènes, que des ampoules fluo-compactes, et que le frigo était débranché (c’était l’hiver, le lait et le fromage étaient dans une petite caisse sur le rebord de la fenêtre – Il y avait ça a Paris dans le temps – des « garde-manger »!). Alors il a dit: « Ah, d’accord, je comprends maintenant! Bon pas de problème, au revoir »

  6. Bonjour,
    Une soirée film-débat sur le thème du puçage par puces RFID (Radio fréquency Identification) – leur impact environnemental, sur nos vies, sur nos libertés individuelles – aura lieu bientôt à Valence, à deux pas du Pôle traçabilité.

    http://www.nanomonde.org/Soiree-contre-le-pucage-des

    Les paysans sont les premiers témoins et victimes résolument modernes de cette mise au pas technique.

    En effet, le puçage électronique de leur cheptel ovin et caprin leur a été imposé depuis le 1er juillet 2010. Et petit à petit ces contraintes s’étendent à la société toute entière (*).

    -Les organisateurs sont les confédérations paysannes de l’Ardèche et de la Drôme.

    -Pièces et Main d’Oeuvre ( http://www.piecesetmaindoeuvre.com ) sera présent pour introduire et commenter la diffusion de leur film RFID – La police totale. (30 min)

    -Le rendez-vous est le suivant :
    Amphi Galilée – Site Briffaut
    38, rue Barthélémy de Laffemas
    Valence
    à 20h00.

    Ici l’affiche – TOUS MOUTONS, TOUS PUCÉS – que je vous invite à imprimer et à diffuser le plus largement possible en espérant votre présence à cette soirée.

    Lionel,
    pour Opposition Valentinoise aux Nanotechnologies Iniques
    – La science expliquée aux scientifiques par ceux qui en subissent les conséquences –

    (*) : carte oùRA avec laquelle il est techniquement possible de reconstituer tous les déplacements de n’importe qui, carte d’identité électronique bientôt obligatoire, planète « intelligente » -traduisez moucharde- d’IBM est son web d’objets qui veut nous prendre dans ses mailles, géolocalisation forcenée et ubiquitaire, etc.

  7. Un gouffre pour le citoyen mais une manne pour les bouygues, vinci, and co qui n’ont aucun lien avec les décideurs politiques et les organisations telles le corps des mines.

  8. Le seul et déjà présent exemple de Brennilis montre la même chose (il y a eu au moins un article du Canard là dessus en 2010) : on ne sait pas faire, on ne sait pas combien ça coûtera. Tout cela va dégénérer.

  9. Voici une annonce diffusée par l’amicale des foreurs :

    Recherche

    INGÉNIEUR TRAVAUX SANS TRANCHÉES ET FORAGES

    Dans le cadre du projet de Centre industriel de stockage géologique (Cigéo) pour les déchets radioactifs de haute et moyenne activité et à vie longue, l’Andra recherche un ingénieur « travaux sans tranchées et forages ».

    Le poste couvre deux missions. La première mission consiste à piloter la conception technique et à coordonner le programme d’essais technologiques des alvéoles HA. Il s’agit de développer des techniques pour réaliser à 500 m de profondeur des ouvrages horizontaux tubés, de 70 cm de diamètre et de plusieurs dizaines de mètres de longueur. Les techniques de réalisation peuvent combiner le carottage (trou pilote), le forage horizontal dirigé et le microtunnelier. La seconde mission consiste à définir les programmes techniques des forages du projet Cigéo, qu’il s’agisse de forages de reconnaissance ou de forages opérationnels pour les installations.

    Le poste est basé au siège de l’Andra, à Châtenay-Malabry (92), et suppose des déplacements fréquents sur le laboratoire souterrain de Meuse (55) / Haute-Marne (52).

    D’une formation d’ingénieur, vous avez une expérience professionnelle d’au moins 15 ans en entreprise de forage ou de travaux sans tranchée. Vous maîtrisez au moins deux des trois disciplines suivantes : le forage horizontal dirigé (HDD), le microtunnelier avec « pousse-tube » ou le forage profond.

    Comment mettre les miettes (euphémisme) sous le tapis

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