La soudaine richesse des pauvres gens de Kenguir* (un anniversaire)

In memoriam, 16 mai-26 juin 1954, mai-juin 2012

Je fête, et nous ne devons pas être si nombreux, le cinquante-huitième anniversaire de la révolte du camp de Kenguir, au Kazakhstan. Je vous préviens d’emblée que ce qui suit n’a rien à voir avec l’objet obsessionnel de Planète sans visa, c’est-à-dire la crise écologique. Mais il se trouve que, trois à quatre fois par semaine en ce moment, je pense à ceux de Kenguir. J’aimerais, où qu’ils soient, leur faire savoir qu’un être humain a allumé une bougie pour leur âme.

Nous sommes en Union soviétique, en 1954. Le Meilleur des Hommes, le Grand Camarade Staline, est mort le 5 mars 1953. Nul ne peut imaginer le deuil qui a frappé le monde. Lisez plutôt cette ode au Plus Grand Génie de Tous les Temps, signé du poète officiel Rashimov : « Ô grand Staline, Ô chef des peuples/Toi qui fais naître l’homme/Toi qui fécondes la terre/Toi qui rajeunis les siècles/Toi qui fais fleurir le printemps/Toi qui fais vibrer les cordes musicales/Toi splendeur de mon printemps,/Soleil reflété par des milliers de cœurs ». En France, L’Humanité titre en une : « Deuil pour tous les peuples qui expriment dans le plus grand recueillement leur amour pour le grand Staline ». Le siège parisien du PCF est tout enguirlandé de noir. Louis Aragon déclare : « On peut inventer des fleurs, des chèvres, des taureaux, et même des hommes, des femmes – mais notre Staline, on ne peut pas l’inventer ». Des milliers d’êtres en pleurs défilent lentement dans l’entrée de l’ambassade soviétique, pour signer un immense livre de condoléances.

Pendant ce temps, le Goulag. Des millions d’hommes y croupissent, la plupart sans avoir jamais rien fait. Ou prononcé une parole. Ou retenu une phrase. Parce qu’ils sont paysans. Ou bien Tatars. Ou encore pour avoir été prisonniers de guerre des Allemands en 1941, quand l’Armée rouge décapitée par Staline laissait entrer la Wehrmacht dans le pays comme dans du beurre. Des millions de détenus habitent des centaines de camps dispersés dans cet Archipel génialement décrit par Alexandre Issaïevitch Soljenitsyne. Les mois qui suivent la mort du Meilleur Ami de l’Homme sont très difficiles pour les glorieux kapos qui gardent les miradors.  Lavrenti Pavlovitch Beria, qui a pris la succession, saura-t-il se maintenir au pouvoir ? Non, et c’est bien triste, car un tel homme manquera fatalement au monde concentrationnaire. Arrêté l’arme au poing par le maréchal Gueorgui Konstantinovitch Joukov, qu’il voulait liquider, il est buté d’une balle dans la tête le 23 décembre 1953.

Qu’on se mette à la place de ceux qui ont assassiné tant de millions de personnes depuis 1918. Il faut comprendre que cette instabilité au sommet met leurs nerfs à rude épreuve. Et de même, les détenus qu’ils gardent commencent à se demander si le moment n’est pas venu de relever la tête, ne serait-ce que pour voir une seconde le ciel. À Kenguir, dans les premiers mois de 1954, rien ne va plus. En février, un garde guébiste – c’est-à-dire un membre de la police politique – flingue un type qui, rapporte Soljenitsyne, avait tiré un billet de dix. Autrement dit, qui avait été condamné à dix ans de camp, dont il avait fait neuf ans et neuf mois. Il se fait donc tirer comme un lapin parce qu’il a décidé de pisser à côté d’une guérite en bois. Est-il dans une zone interdite ? Non. Les flics du camp, constatant sa mort, tentent de le déposer dans ce qu’on appelle « l’avant zone », ce qui aurait constitué une infraction. Mais les zeks – les détenus – se révoltent, saisissent des pelles et des pics, avant de charger le mort sur leurs épaules et de le ramener au camp.

Une minute. Un tel fait, soit le tir sur un homme qui n’a rien fait, est évidemment ordinaire. Nous serions en 1952 que rien ne serait arrivé. Et même dans l’hypothèse d’un mouvement de zeks, ceux-ci auraient aussitôt été bastonnés, et peut-être bien tués. Mais nous sommes en février 1954, je le rappelle, et commence alors un des plus beaux moments de la liberté humaine. Le camp de Kenguir est une ville de 20 000 zeks, dont la moitié sont des Ukrainiens, et un quart des Baltes ou des Polonais. Au retour de la victime, un anonyme lâche dans le noir d’un baraquement, au moment du coucher : « Frères ! Jusques à quand allons-nous continuer de construire et de récolter des balles en échange ? Demain, nous n’allons pas au travail ! ». Cet appel héroïque à la grève est repris de dortoir en dortoir, et le lendemain, c’est la grève. Ce premier essai est brisé en deux jours.

Est-ce fini ? Bien sûr que non. La pâte lève, que nulle force ne peut plus contenir. À la veille du 1er Mai, sentant monter quelque chose d’inconnu, les bureaucrates en chef du camp font entrer 650 de ceux que le régime nomme les « socialement proches ». Il faudrait un livre pour seulement approcher cette réalité-là. Les « socialement proches » sont les truands, le plus souvent d’un individualisme et d’une violence sans limites. Dans les îles et îlots du vaste Archipel, ces voleurs ont toujours joué le jeu des assassins, en frappant, volant, tuant volontiers les 58, c’est-à-dire ceux arrêtés, selon l’article 58 du code pénal stalinien, pour « activités contre-révolutionnaires ». Le jeu des chefs du camp est limpide : ils entendent casser le mouvement grondant des zeks en faisant entrer dans les chambrées ceux qui possèdent des armes – au moins des couteaux – et ne reculent pas au moment de s’en servir.

Disons-le, c’est un excellent choix. Partout dans l’Archipel, l’usage des truands a permis de faire régner l’ordre policier. Mais à Kenguir, l’air de la liberté a commencé de souffler. Il se passe un événement inouï, sans aucun précédent : les truands fraternisent avec les politiques. Oh ! je suis bien incapable de décrire la magie complète de ces effusions. Si vous en avez la possibilité, lisez de toute urgence les pages que mon grand, mon noble, mon si cher Soljenitsyne y consacre dans le tome 3 de l’Archipel du Goulag (pages 234 à 269 de l’édition originale en français). Quel grand malheur que tant de lecteurs ne lisent pas. Ou ne sachent pas lire. La totalité de ce texte, mais ces pages-là un peu plus, sont un chant venu des profondeurs, à la gloire de la liberté. Contre l’autorité. Contre l’État. En ce sens, et je sais très bien ce que j’écris,  Alexandre Issaïevitch Soljenitsyne, le slavophile, le chrétien orthodoxe, l’anticommuniste féroce était un immense anarchiste. Un frère. Je plains ceux qui le tiennent pour fretin, quand il était si évidemment géant.

Mais revenons à Kenguir. Le 16 mai, des héros inconnus brisent le mur séparant leur camp numéro 3 de deux autres. On ne peut imaginer plus fol défi à l’ordre. Les satrapes staliniens tirent et tuent treize détenus, puis laissent faire, espérant que l’affaire prendra la forme d’un viol de masse. L’un des camps ainsi libéré est en effet peuplé de femmes. Mais nul n’en touche aucune. Pas même l’un de ces truands qui n’auraient jamais hésité en d’autre circonstances. Dans la nuit, des libérateurs filent à l’isolateur – le cachot -, et en sortent 252 prisonniers. Dans les jours suivants, la grève générale insurrectionnelle est décrétée. Les promesses commencent, aussitôt trahies par les flics du lager. Une commission vient de Moscou, repart. Les flics rebouchent le mur. La révolte s’étend, se durcit, un Comité de grève voit le jour, qui durera jusqu’à la fin. On fabrique des piques et des couteaux, on pile du verre pour retarder l’entrée des soudards, s’ils entrent. Car il n’y a plus un seul garde-chiourme dans ce territoire miraculeusement libéré.

Je vous garantis qu’en écrivant ces mots, j’ai la main qui tremble. Je vous le garantis. Soljenitsyne raconte une atmosphère de grande fête politique, qui oscille sans cesse entre espoir et cauchemar. Les révoltés ont mis la main sur les vivres, et peuvent compter sur une eau abondante. Les affiches font leur apparition. On voit sur des bouts de papier l’essentiel de ce qu’il faut oser : « Les gars, tapez sur les tchékistes ! », ou bien « Mort aux mouchards, ces larbins des tchékistes ! ». Commentaire de Soljenitsyne : « Les heures de la liberté ! Des dizaines de kilos de chaînes qui vous tombent des bras et des épaules ! Ah, certes non ! on ne regrette pas ! Un jour comme celui-ci, ça en vaut la peine ».

La suite. Incursions et tirs de la flicaille stalinienne. Les insurgés creusent des galeries sous les murs reconstruits par les sbires, façon Gaza 2012. Ils créent une commission technique, et aussitôt une rumeur voit le jour : les zeks auraient mis au point des armes secrètes, qui feront merveille en cas d’assaut. Et le camp s’organise, sans l’État policier et ses chiens. La vie continue, et elle est incomparablement plus belle. On expérimente le vol d’électricité, et même la puissance des éoliennes. On ouvre un café. On fait de la musique. Parallèlement, les généraux staliniens débarquent à la queue leu leu sur un aéroport voisin. Ils viennent, repartent, montrent leurs épaulettes, se tâtent, téléphonent, regardent à la jumelle le camp de la liberté.

Nous sommes à un moment de grâce, qui ne peut pas durer. Les tueurs moscovites sont entravés, et depuis la mort de Beria, ne savent plus sur quel pied danser. Pactiser avec cette racaille ? Pouah ! Les mitrailler et disperser leurs cendres, comme ils ont fait pendant des décennies ? Et si le vent avait tourné ? Les salauds ont peur, ils hésitent. On organise des sommets où des émissaires passent d’un bord à l’autre, drapeau blanc au poing. Ceux de Kenguir ne savent jusqu’à quel point dire ce qu’ils pensent de ce régime atroce. Certains font semblant. D’autres moins. Les policiers continuent de flageoler.

Les détenus libres construisent une montgolfière, chargée de tracts, pour informer le monde du drame en cours. Elle se perd sur les barbelés de l’enceinte. D’autres ballons réussissent à atteindre la cité ouvrière toute proche. On a écrit sur le flanc des ballons : « Sauvez des coups les femmes et les enfants ». Car il y a des femmes et des enfants, nous sommes au paradis des travailleurs, n’est-ce pas ? Les flics harcèlent, ouvrent des brèches, photographient, filment, remplissent leurs dossiers. On tient assemblée générale sur assemblée générale, pour savoir s’il faut tenir, ou capituler. Mais il n’est pas question de retourner au chenil. Il est question de se battre, ou de mourir. Cela change de nos conforts petits-bourgeois, ne trouvez-vous pas, chers lecteurs de Planète sans visa ?

À la mi-juin, des tracteurs apparaissent dans la steppe. Pourquoi ? Et que tirent-ils ? On ne sait. On s’endort auprès d’une pique digne de 1789, alors que les assassins disposent de milliers d’armes automatiques. Assez ! Assez de ce faux suspense qui me semble tout à coup insupportable.  Le 26 juin 1954, à 3 heures et demie du matin, les staliniens montrent leurs crocs. 1700 soldats, 98 chiens, cinq chars T-34 encerclent le camp, puis l’envahissent. On dit que les militaires, qui tiraient et tuaient sans discontinuer, étaient ivres. Ils étaient en toute certitude des ordures. Les chars écrasent les vivants, fichés à l’entrée de leurs baraquements. Et que peuvent des cailloux et des bâtons, fussent-ils de métal, contre les coques d’acier trempé ? Nul ne sait combien moururent ce jour-là. 500 ? Ni combien furent assassinés ensuite, après des procès truqués.

Moi, je vous le dis, les héros de Kenguir sont entrés dans mon panthéon personnel, et n’en sortiront plus jamais. En ces jours d’anniversaire, je pense à eux tous. Je verse ma larme. La bougie du souvenir brûle, lentement. Je sais ce qu’est la liberté. Je sais la reconnaître où elle apparaît. Et je sais la tyrannie, quel que soit son masque. Et il en est beaucoup.

* J’ai bien entendu pensé à ce film de Volker Schlöndorff, Der plötzliche Reichtum der armen Leute von Kombach, connu en français sous le titre : La soudaine richesse des pauvres gens de Kombach. Je l’ai vu à Paris au moment de sa sortie, en 1971 je crois. J’avais en tout cas 16 ans. J’espère que ma mémoire ne me trompe pas. Je revois des scènes en noir et blanc, dans la neige et les bois, dans le froid et la désolation de la misère. Je revois une révolte sans espoir. Mais nécessaire, mais cruciale, mais vitale. J’espère que je n’invente pas.

29 réflexions sur « La soudaine richesse des pauvres gens de Kenguir* (un anniversaire) »

  1. RIO 2012 acte de deces officiel de la Democratie.
    Le sommet de Rio enterre l’interet general titre liberation, dans son papier sur le rapport final intitule “ Ce futur que nous voulons”!!!!!!. De fait, il n’y avait rien a en esperer, meme pour ceux qui croient encore que la crise evolutive mondiale peut encore etre evitee. Tout au plus , cette enieme farce mediatique aura t’elle le merite de faire un peu plus tomber les masques. On se dit bien qu’il faut essayer de sauver les apparences….histoire de gagner encore un peu de temps avant que les hordes barbares ne deferlent. Car soyez en assures , ces representants du Monde qui sur les plages de Rio jouent a imginer “ce Futur que nous voulons!” le savent bien que c’est foutu. Pas la democratie, la pluspart n’ont jamais ete pour le Bonheur partage. Ils savent que c’est foutu, que la crise financiere fera sous peu rompre les barrages et tomber les dernieres illusions. Alors, ils se preparent ( en secret? Est ce encore un secret?) a revetir leurs beaux uniformes ( la couleur ne change rien) et appeller le bon people effraye a l’Etat d’urgence, a l’Unite nationale…ayez confiance les coupons de rationnement OGM sont déjà pres. C’est pas le futur que nous voulons, mais ca ils s’en foutent bien, c’est le futur qu’il nous impose. Alors avons nous le choix?
    Le sommet de la Terre en 92, le catastrophisme ignore; J’ai fait partie de ceux qui ont considere que la seule strategie d’action possible face a la crise telle qu’elle se presentait en 2001 avec les premiers rapports du GIEC, devait etre fondee sur les bases du “Catastrophisme eclaire” ( cf JP DUPUY). Force est de constater que ca n’a pas ete la voie choisie par la resistance majoritaire. On peut meme se demander si il y eu une reistance, tant le discours de nos heros s’apparente a de la collaboration. Et la crise n’a fait que se renforcer jusqu’en 2008 ou nous avons perdu nos derniers espoirs de voir une conscience collective suffisament determinee pour defoncer la cabine de piotage du train fou de notre civilisation….
    Rio 2012 vient en realite mettre un terme a une periode de deuil de 4 ans. La question qui se pose desormais que la democratie marchande liberale globalisee est en terre, est de savoir si nous nous laissons mourir sur son beton tombal, perdus dans de pieuses prieres, ou si nous decidons ici et maintenant de refaire notre vie…..
    En refusant plus longtemps d’admettre la mort Clinique de la democratie, en pariant sur sa resurrection nous refaisons la meme erreur que ceux qui n’ont pas voulu prendre la crise pour certaine il y a 10 ou 20 ans.
    Nous empechons pour les memes raisons qu’emerge dans la conscience collective une ligne de front objective dans cette guerre qui nous implique dans chaque acte du quotidien.
    La date de deces du sommet de Rio gravee sur la Tour tombale de cette farce de democratie, n’est pas celle qui marque la fin de l’Aventure de l’homme commencee dans les poussieres d’etoiles. La preuve nous respirons encore…..mais pour combien de temps
    Faisons de cette date , le point de depart d’un nouveau projet. D’un deuil faisons une renaissance. Le temps des preparatifs avant le grand choc tire a sa fin. Utilisons le pour egalement nous preparer.
    Qu’est ce qui nous empeche d’ouvrir une ligne de front entre ceux qui veulent encore rester dans le train malgre la chute recente de Dame Democratie et ceux qui veulent sauter a sa suite et voir comment la sauver.
    Tant que l’etat de droit subsiste ( pour ce qu’il en reste) il s’agirait non pas d’imaginer une action politique d’integration mais plus un mouvement independantiste a l’echelle de communautes ( forme associative?) reclamant:
    Le droit de vivre collectivement pour construire le futur que nous “voulons”pour nous maintenant et celui que nous voulons offrir en partage aux generations futures.
    Le droit de vivre en vraie democratie
    Le droit de vivre suivant la regle universelle de l’autosuffisance
    Le droit de vivre hors du “temps c’est de l’ argent”…..
    A completer si le Coeur vous en dit
    Bonne journee

  2. Un viel atavisme

    « Même après la réforme judiciaire de 1864, le gouverneur n’a point été dépouillé d’un privilège exorbitant, analogue à celui des anciennes « lettres de cachet » de la monarchie française: il a le droit de signaler au ministère de l’intérieur les personnes qu’il lui convient d’exiler dans les provinces lointaines de l’empire « par mesure d’ordre administratif », pour « cause d’utilité publique ».(…)En outre, la « troisième section de la chancellerie privée de sa majesté », c’est-à-dire la haute police, surveillant à la fois les fonctionnaires et leurs administrés, a le pouvoir d’interner ou d’exiler sans jugement ni preuves tous ceux qui lui paraissent suspects. Les villes du nord, Perm, Vatka, Vologa, Arkhangelsk, Mezen sont des lieux d’internement où les suspects et les condamnés politiques sont fort nombreux, et maintenant on les trouve dans tous les districts de la Sibérie, dans la Transbaïkalie et jusque dans l’île de Sakalin. Elisée Reclus Nouvelle géographie universelle T5 Europe Scandinave et Russe 1880

  3. Pylm

    Tout ce que vous dites sonne comme une évidence, et comme le chemin paraît facile à suivre quand on la partage.
    Mais tout de suite je pense aux gens du village où je vis – petite communauté à bien des égards assez idéale – et à leur stupéfaction scandalisée l’autre jour, quand ils ont découvert qu’un fou dangereux (« mais qui ? » s’interrogeaient-ils, avec effroi, tandis que leurs yeux disaient « il y a un alien parmi nous ») avait, sous le slogan de l’affiche du PS « Pour une Europe de LA CROISSANCE », ajouté « qui nous fait crever ».
    Alors, le chemin disparaît.

  4. « Je revois une révolte sans espoir. Mais nécessaire, mais cruciale, mais vitale. »

    Dans un texte ancien de l’Inde, comme l’un des plus ancestraux savoirs de l’être humain, existe quelque chose qui ressemble à cette obstination aussi détachée que profonde et inaliénable.

    Et là, en enfer, enfer contruit par d’autres humains, l’amour de la vie, de la joie presque ivre sont montés… J’ai eu la chair de poule en lisant votre texte et en découvrant ce moment historique balayé par le temps, monsieur Nicolino.

    Je n’ai pas lu Soljenitsyne que je prends pour très important, quoiqu’en disent les racoleurs du grand mensonge petit-profiteur qui oeuvrent à salir et truquer indéfiniment.
    Difficile de lire cela seul(e) aussi. Rien n’est fini.

  5. Bianca,

    Que vous dire ? L’auteur de l’article, Idilio Méndez Grimaldi, est un homme sérieux, qui a beaucoup travaillé sur les liens entre les transnationales et le crime. Il est l’auteur d’un livre dont on m’a dit du bien, sur le Paraguay d’aujourd’hui, Los herederos de Stroessner.

    Par ailleurs, j’ai consacré du temps à ce pays lorsque j’écrivais mon livre Bidoche. J’y notais la révolution totale du paysage qui s’y est produite. Le soja, inconnu en 1970, occupait 552 000 hectares en 1991, et 2 500 000 en 2006. Or le soja, c’est Monsanto. Les deux sont une puissance de feu dont on n’a pas idée ici. Plutôt, personne ne veut savoir ce qui est pourtant parfaitement documenté.

    Sur la responsabilité précise de la transnationale dans le coup d’État contre Fernando Lugo – lequel est loin d’être irréprochable -, je ne dispose d’aucune information. Voilà, en quelques mots. Bien à vous,

    Fabrice Nicolino

  6. Hors sujet (si je puis dire), pardonnez-moi.

    René, je viens (seulement) de lire l’interview indiquée par vous le 19 juin, et la fais suivre à quelques amis.
    Très claire, très simple, et malheureusement très réaliste. Meadows dit ce que dit Fabrice, mais depuis plus longtemps encore, et en quarante ans il a vu tout le monde prendre le chemin exactement opposé à celui qu’il indiquait. On serait amer à moins.
    Je retiens une formule (les formules ont leurs limites mais séduisent toujours parce qu’elles tiennent dans la poche) :

    « Il y a deux façons d’être heureux : avoir plus, ou vouloir moins ».

    Personnellement, je suis loin d’être capable d’appliquer la bonne option dans tous les domaines de la vie, mais j’y travaille…

    Bien à vous
    Valérie

  7. « C’est ce qui fait qu’en réalité 60 % du commerce mondial s’effectuent à l’intérieur des multinationales qui se sont organisées en réseau, notamment de sous-traitants souvent fictifs (en fait, ils leur appartiennent via des prête-noms). En outre les multinationales ont voulu placer au mieux leurs profits, se sont mises, elles aussi, à spéculer, ca qui fait qu’aux USA 40 % des profits émanent de leurs activités financières et non de la production. »

    Quelques détails sur les transnationales, sous l’angle des paradis fiscaux.

    http://siolgnal.unblog.fr/2012/06/21/les-paradis-fiscaux-2/

  8. merci Fabrice
    j’ai peur qu’avec la raréfaction du pétrole ou le renchérissement de ses coûts d’extraction, un peu partout les natifs soient encore plus spoliés (terres , agrotechniques locales, santé: voir les études sur les malformations neurales au Brésil et en Argentine)
    « Les veines ouvertes de l’Amérique latine  » étant encore une fois d’actualité pour transfuser un système obsolète (agrocarburants et fourniture de protéagineux pour une production intensive de protéines animales à bas prix)

  9. Bonsoir,

    Merci Fabrice. Que dire … il y a tant de bougies a allumer pour toutes les injustices.

    Merci de tout coeur pour les commentaires.
    Vous arrivez tellement bien a dire ce qui se bouscule dans ma petite tête de joli moineau.
    Je peux mourir quiète. 🙂
    Ne suis pas seule a avoir une grosse araignée au plafond.

    Le nom de l’araignée. Lucidité.

    Bises a vous toutes et tous,

  10. Il y a eu les chars du camp de Kengir, ceux de la place Tian´anmen, ceux du Pacte de Varsovie dans les rues de Prague en ce jour funeste d´août 1968, les bombes sur le palais de la Moneda, celles de la légion Condor dans le ciel espagnol, les camps d´extermination nazis, les wagons plombés, la torture, les fils barbelés, les miradors, les kapos : l´instrumentaire de la terreur commun à toutes les dictatures, à toutes les répressions sanglantes de l´aspiration à la liberté et à la dignité. Oui, il y a eu…, mais aujourd´hui, il y a toujours…, et demain, il y aura encore…, si la conscience de l´homme ne s´éveille pas, si son coeur ne s´ouvre pas à l´empathie, à ce qu´on appelle en allemand, « Mitgefühl », ou « mitfühlen », ce mot magnifique que je traduirai maladroitement par le « ressenti avec » ou « ressentir avec ». Il ne sert à rien de se faire des illusions sur la bonté naturelle du genre humain, ou de gémir sur sa capacité à faire le mal, à semer la désolation et la mort parmi tout ce qui l´entoure. Nous ne sommes ni bons, ni mauvais, mais nous opposons une force d´inertie colossale à la réflexion, nous sommes et nous voulons rester « ignorants » (au sens donné par le Bouddha historique). Notre conscience renâcle à sortir de sa gangue, de son apartheid personnel, à faire sauter ses « private » barbelés et miradors, à mettre ses chiens de garde à la retraite ! Partisan du moindre effort, l´homo si mal nommé sapiens, n´aime pas du tout avancer sur le chemin ardu de la connaissance de « soi », de ses idées, de ses motivations, des actes qui en découlent, et de leurs « CONSÉQUENCES », si souvent désastreuses. L´homme préfère l´existence en mode « automatique », cela lui évite les mauvaises surprises (il y en a aussi de belles 🙂 ) que la découverte de soi réserve immanquablement à qui s´engage sur cette voie !
    Et pourtant, y-a-t-il plus belle aventure que d´apprendre à se connaître pour ainsi comprendre la place que nous occupons sur la Terre ? Une place modeste, ni plus ni moins, que par orgueil, nous avons délaissée pour nous hisser au sommet de la pyramide du Vivant. Mais attention, « Hochmut kommt vor dem Fall » : l´arrogance précède la chute !

  11. Que se soit les agents du KGB, les les chiens de garde des goulags, les agents de la cia, les tortionnaires des prisons américaines, les tortionnaires français en Algérie, Indochine et Madagascar, et tout ces serviteurs zélés du système, trop peu, sont condamnés même s’ils ont commis les pires des saloperies.
    A nous d’être vigilants sur l’arrivée d’un nouveau totalitarisme bénéficiant de l’informatique pour le contrôle et la contrainte.

  12. Je mettrai un cierge, demain même, pour le grand Alexandre Soljénitsyne. Un peu plus de son Archipel que d’Aragon dans toutes les librairies actuelles ne serait pas pour me déplaire en passant. Vous me comprendrez. Carl Larmonier

  13. Je pourrai mettre aussi un cierge pour Varlam Chalamov. Si je devais mettre un cierge pour tous, il y auraît de quoi illuminier toutes les églises orthodoxes du monde entier et des autres planêtes. Bonne continuation et un cierge aussi pour vous, Fabrice. Carl Larmonier. ( On n’a jamais su exactement combien de morts pas vrai ? )

  14. Carl,

    Chalamov ! J’ai lu ses souvenirs de la Kolyma en 1981, édités alors par François Maspero. De mémoire, Siniavski, présentant l’auteur, disait que Chalamov écrivait comme s’il était déjà mort. Je l’ai toujours tenu pour un très grand écrivain. Et, oui, toutes les églises, et pas seulement orthodoxes. Quant au nombre, qui saura jamais ?

    Avec toutes mes salutations,

    Fabrice Nicolino

  15. Merci pour ce bel hommage, hommage aux grandes révoltes, hommage à « la plus importante révolte de l’histoire de l’Archipel du Goulag » selon Soljenitsyne lui-même, bel hommage aussi à ce dernier. Invitation à la relecture qui pour ma part m’a conduit de Soljenitsyne à l’ouvrage de Claude Lefort publié dès 1976, Un homme en trop, très forte lecture (et trop peu connue) du chef d’oeuvre de l’écrivain russe.
    A propos de la révolte de Kenguir, on peut lire ceci (p. 230 de l’édition de poche) :
    « Soljenitsyne met pleinement en évidence le sens de l’événement : une communauté devient sensible à elle-même, s’ordonne en fonction d’un dessein de résistance ou d’offensive, se réempare spontanément de l’arme propre aux opprimés dans la société moderne : la grève, et secrète des institutions clandestines ou publiques, plus ou moins développées selon les circonstances – comités de grève, organismes d’autogestion. » « Mystérieux embrasement des âmes humaines » dit quant à lui Soljenitsyne, « mystérieuse naissance des explosions collectives ».
    Mais il faudrait revenir sur les premières pages de l’ouvrage de Lefort, qui résonne étrangement aujourd’hui. A le lire, à l’entendre parler de l’énigme de l’aveuglement occidental à l’égard de la Russie totalitaire, on se dit que nous sommes dans un autre aveuglement, à bien des égards comparables, celui qui nous empêche de reconnaître vraiment les désastres écologiques majeurs de notre temps (tout en en faisant le diagnostic – comme naguère Sartre et Merleau-Ponty en 1950 établissait la réalité des camps en Russie et néanmoins ne voulait pas voir ce qu’ils avaient nommé …).

  16. Fabrice,

    Je pense que si Varlam Chalamov écrivait comme s’il était mort c’est que tous les jours il pouvaît ressentir un gout d’apres-vie ( Afterlife ). Finalement, il en est revenu avec le plus beau livre sur la survivance en l’au-dela. Une vie sur la Vie. carl Larmonier.

  17. Cela m’interesserait, Fabrice, que vous me mettiez d’autres réferences d’auteurs qui ont survécut la même chose.

    J’ai déjà lu

    « L’Archipel du Goulag » de Soljénitsyne
    « Les récits de Kolyma » de Varlam Chalamov et ceux de Guinsbourg.
    « Souvenir de la maison des morts » de Dostoievsky que je n’ai pas encore lu.
    J’ai lu, c’est d’autres endroits mais c’est toujours des camps.
     » La 25 ème heure  » de Ghiorgu ( orthographe ? )
    l’Oeuvre d’Etty Hillesum. J’ai vu que pour elle, par contre, cela prend de l’ampleur, car il n’y pas un trimestre sans un nouvel essais sur elle.
    Et camps de femmes- Ravensbruck de Bernadac ( oui, rien que le titre fait dresser les cheveux sur la tête ).
    Et  » à marche forcée  » de Slawomir Rawicz. AUx moins, ils se liberent, eux, mais faut voir à quel prix ensuite. Je n’ai pas vu l’adaptation cinématographique. Aprés ce chef-d’oeuvre, j’avais peur de rester sur ma fin.

    En attendant de vos nouvelles que je ne lirai que dans une semaine … je prends des vacances et c’est toujours sans virtuel. Avec des livres et comme musique tout Bartok.

    A Bientôt.

    Carl Larmonier

  18. Cher Fabrice Nicolino, il y a quelques mois maintenant que j’y repense.
    Je lisais le dernier tome, justement, de l’Archipel du Goulag en terrasse d’un café ( aux abords de l’église Saint-Sulpice )(Pour cause, en-dessous, la crypte, se trouve une des principale église orthodoxe roumaine de Paris en fait que je connais quand même un peu – depuis de nombreuses années, en fait )
    De plus, je buvais un bon thé russe noir fumé comme je l’aime. Voilà qu’un sombre hulurberlu m’accoste sans même se présenter et clame pour que tout le monde en profite et l’entende, il semblerait :
     » C’est pas vrai, c’est pas les vrais chiffres, c’est un pro-slave xénophobe.  »
    Le temps qu’ils reprennent ces esprits, qu’il m’explique qu’il venait tout juste d’avoir son diplome ( vigt-six ans ), qu’il faisait des recherches. Je lui dis.
    – Mais dites d’ou tenez vous vos propres chiffres et de dire qu’Alexandre Soljénitsyne pouvait mentir (et oui malheureusement au passé, maintenant et ils nous manquent déjà et il n’a pas finit ). Vous n’étiez pas en Russie au moment des déportations vers les goulags vu votre âge à ce qu’il me semble, lui dis-je. ( bien envoyé, non ? )
    – Oui mes j’ai des réferences de grands historiens américaines, qu’il réplique, pas déstabiliser un brin pour autant.
    Arrivé à ce niveau, je lui aie demandé de m’excuser, que j’avais à faire et je suis parti finir mon livre dans un parc un peu plus loin car je ne pensais qu’il était possible ou même pensable de continuer cette conversation.
    Et voilà, cher fabrice Nicolino, Alexandre Soljénitsyne gêne encore aprés sa mort ( peut-être que finalement, ce n’est pas une si mauvaise chose, au moins il est connu, tout au moins par ses ennemis ! … et ses amis aussi )

    A Bientôt

    Carl Larmonier

  19. Cher Carl Larmonier,

    J’aime beaucoup votre histoire. Et je suis bien convaincu que notre ami commun Aleksandr Isajevič Solženicyn vit encore, et pour longtemps. Votre étudiant de 26 ans court les rues, car le mensonge court les rues, car l’amnésie de même, et la vilenie et finalement le mensonge. Aleksandr me manque. Je vous salue fraternellement.

    Fabrice Nicolino

  20. Cher Fabrice Nicolino

    j’espère que toutes bonnes bibliothèques qui se respectent detiennents en leur sein, les trois tomes de l’Archipel du Goulag d’Alexandre Soljénitsyne, sinon, ce ne seraît que des australobibliothèques.

    Fraternellement, de même et cordiallement

    Carl Larmonier.

  21. « je vous garantis qu’en écrivant ces mots, j’ai la main qui tremble …  » Ouaaah !… le mec confortablement installé dans son fauteuil, devant son écran et qui se regarde écrire !…

    A. Soljenitsyne se moquait de ceux qui dans la chaleur de leur liberté se croyaient habilités à souffrir pour ceux qui mouraient vraiment !…
    Rien ne change sous le ciel des jocrisses et des philistins !…

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