Nantes, cinq minutes d’arrêt (ou plus)

Publié le 26 décembre 2007

Nous sommes bien le 26 décembre 2012, mais le texte qui suit a été publié sur Planète sans visa il y a cinq ans exactement. Dieu du ciel ! comme le temps passe. En décembre 2007, j’en étais au tout début de ce rendez-vous avec vous. Et si je publie à nouveau ce texte, ne croyez pas, pour autant, que je passe ma vie à me regarder. Notez que vous n’êtes pas obligé de me croire, mais seul un voyage en train, ce 26 décembre, m’a conduit par une série de hasards à ce que vous allez – peut-être – lire.

Après ma propre lecture, quoi ? Ça se lit encore, contrairement à la quasi-totalité de ce qui s’imprime chaque jour sans qu’il y ait le moindre intérêt à y revenir. Ce constat rejoint quelque chose de plus général : qui dispose d’une vision aura toujours davantage raison que quiconque se débat dans le noir d’un avenir impénétrable. Un dernier mot : en tapant notre-dame-des-landes dans le moteur de recherche de Planète sans visa on tombe sur une quarantaine d’articles que j’ai consacrés, depuis 2007, à cette saloperie. Or donc, celui qui vient ici a des chances d’en savoir plus sur la réalité que celui qui passe son chemin. C’est dit. J’espère que vous avez passé un bon Noël.

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L’article de décembre 2007

Voler ne mène nulle part. Et je ne veux pas parler ici de l’art du voleur, qui conduit parfois – voyez le cas Darien, et son inoubliable roman – au chef-d’oeuvre. Non, je pense plutôt aux avions et au bien nommé trafic aérien. Selon les chiffres réfrigérants de la Direction générale de l’aviation civile (DGAC), ce dernier devrait doubler, au plan mondial, dans les vingt ans à venir. Encore faut-il préciser, à l’aide d’un texte quasi officiel, et en français, du gouvernement américain (http://usinfo.state.gov).

Les mouvements d’avion ont quadruplé dans le monde entre 1960 et 1970. Ils ont triplé entre 1970 et 1980, doublé entre 1980 et 1990, doublé entre 1990 et 2 000. Si l’on prend en compte le nombre de passagers transportés chaque année, le trafic aérien mondial devrait encore doubler entre 2000 et 2010 et probablement doubler une nouvelle fois entre 2010 et 2020. N’est-ce pas directement fou ?

Les deux estimations, la française et l’américaine, semblent divergentes, mais pour une raison simple : les chifres changent selon qu’on considère le trafic brut – le nombre d’avions – ou le trafic réel, basé sur le nombre de passagers. Or, comme vous le savez sans doute, la taille des avions augmente sans cesse. Notre joyau à nous, l’A380, pourra emporter, selon les configurations, entre 555 et 853 voyageurs. Sa seule (dé)raison d’être, c’est l’augmentation sans fin des rotations d’avions.

Ces derniers n’emportent plus seulement les vieillards cacochymes de New York vers la Floride. Ou nos splendides seniors à nous vers les Antilles, la Thaïlande et la Tunisie. Non pas. Le progrès est pour tout le monde. Les nouveaux riches chinois débarquent désormais à Orly et Roissy, comme tous autres clampins, en compagnie des ingénieurs high tech de Delhi et Bombay. La mondialisation heureuse, chère au coeur d’Alain Minc, donc au quotidien de référence Le Monde lui-même – Minc préside toujours son conseil de surveillance -, cette mondialisation triomphe.

Où sont les limites ? Mais vous divaguez ! Mais vous êtes un anarchiste, pis, un nihiliste ! Vade retro, Satanas ! Bon, tout ça pour vous parler du projet de nouvel aéroport appelé Notre-Dame-des-Landes, près de Nantes. Je ne vous embêterai pas avec des détails techniques ou des chiffres. Sachez que pour les édiles, de droite comme de gauche, sachez que pour la glorieuse Chambre de commerce et d’industrie (CCI) locale, c’est une question de vie ou de mort. Ou Nantes fait le choix de ce maxi-aéroport, ou elle sombre dans le déclin, à jamais probablement.

Aïe ! Quel drame ! Selon la CCI justement, l’aéroport de Nantes pourrait devoir accueillir 9 millions de personnes par an à l’horizon 2050. Contre probablement 2,7 millions en 2007. Dans ces conditions, il n’y a pas à hésiter, il faut foncer, et détruire. Des terres agricoles, du bien-être humain, du climat, des combustibles fossiles, que sais-je au juste ? Il faut détruire.

La chose infiniment plaisante, et qui résume notre monde davantage qu’aucun autre événement, c’est que l’union sacrée est déjà une réalité. l’Union sacrée, pour ceux qui ne connaissent pas, c’est le son du canon et de La Marseillaise unis à jamais. C’est la gauche appelant en septembre 1914 à bouter le Boche hors de France après avoir clamé l’unité des prolétaires d’Europe. L’Union sacrée, c’est le dégoût universel.

L’avion a reconstitué cette ligue jamais tout à fait dissoute. Dans un article du journal Le Monde précité (http://www.lemonde.fr), on apprend dans un éclat de rire morose que le maire socialiste de Nantes, le grand, l’inaltérable Jean-Marc Ayrault, flippe. Il flippe, ou plutôt flippait, car il craignait que le Grenelle de l’Environnement – ohé, valeureux de Greenpeace, du WWF, de la Fondation Hulot, de FNE – n’empêche la construction d’un nouvel aéroport à Nantes. Il est vrai que l’esprit du Grenelle, sinon tout à fait sa lettre, condamne désormais ce genre de calembredaine.

Il est vrai. Mais il est surtout faux. Notre immense ami Ayrault se sera inquiété pour rien. Un, croisant le Premier ministre François Fillon, le maire de Nantes s’est entendu répondre : « Il n’est pas question de revenir en arrière. Ce projet, on y tient, on le fera ». Deux, Dominique Bussereau, secrétaire d’État aux Transports, a confirmé tout l’intérêt que la France officielle portait au projet, assurant au passage qu’il serait réalisé.

Et nous en sommes là, précisément là. À un point de passage, qui est aussi un point de rupture. Derrière les guirlandes de Noël, le noyau dur du développement sans rivages. Certes, c’est plus ennuyeux pour les écologistes à cocardes et médailles, maintenant majoritaires, que les coupes de champagne en compagnie de madame Kosciusko-Morizet et monsieur Borloo. Je n’en disconviens pas, c’est moins plaisant.

Mais. Mais. Toutes les décisions qui sont prises aujourd’hui, en matière d’aviation, contraignent notre avenir commun pour des décennies. Et la moindre de nos lâchetés d’aujourd’hui se paiera au prix le plus fort demain, après-demain, et jusqu’à la Saint-Glin-Glin. Cette affaire ouvre la plaie, purulente à n’en pas douter, des relations entre notre mouvement et l’État. Pour être sur la photo aujourd’hui, certains renoncent d’ores et déjà à changer le cadre dans vingt ou trente ans. Ce n’est pas une anecdote, c’est un total renoncement. Je dois dire que la question de l’avion – j’y reviendrai par force – pose de façon tragique le problème de la liberté individuelle sur une planète minuscule.

Ne croyez pas, par pitié ne croyez pas, ceux qui prétendent qu’il n’y a pas d’urgence. Ceux-là – tous – seront les premiers à réclamer des mesures infâmes contre les autres, quand il sera clair que nous sommes tout au bout de l’impasse. Qui ne les connaît ? Ils sont de tout temps, de tout régime, ils sont immortels. Quand la question de la mobilité des personnes sera devenue une question politique essentielle, vous verrez qu’ils auront tous disparu. Moi, je plaide pour l’ouverture du débat. Car il est (peut-être) encore temps d’agir. Ensemble, à visage découvert, dans la lumière de la liberté et de la démocratie. Peut-être.

11 réflexions sur « Nantes, cinq minutes d’arrêt (ou plus) »

  1. Ce texte est encore plus d’actualite aujourd’hui qu’il y a 5 ans! Je souscrit entierement au dernier paragraphe particulierement! Ce n’est pas parceque les Chinois dans un premier temps, et l’Inde un peu plus tard vont bientot devenir la premiere economie mondiale en sacrifiant leur patrimoine ecologique que nous devons faire pareil. (Meme si c’est nous qui leur avons un peu appris).

  2. Bonjour a tous, beaucoup de sujets vont faire la 1 des médias en 2013, 50 ans du Parc National de la Vanoise « La charte « ,la fin du loup en france !par notre ministre de l’écologie? ,comme l’était borloo et sa con-soeur; notre NDDL, etc

  3. Il reste encore de l’espoir car il en est qui se mobilisent contre la prolifération des ailes dans les nuages. Un entrefilet dans l’édition du 27/12/2012 du quotidien Sud-Ouest:

    « Un périmètre de protection de 350 ha a été créé par arrêté préfectoral afin de protéger le gypaète barbu, rapace EN VOIE DE DISPARITION, au-dessus du village de Larrau(64). Une décision qui fait polémique chez les élus,les éleveurs et les chasseurs.Un recours gratieux a été adressé au préfet pour contester cette décision. »

    Vous voyez bien que tout espoir n’est pas mort, sauf peut-être pour le splendide gypaète.

  4. « Ne croyez pas, par pitié ne croyez pas, ceux qui prétendent qu’il n’y a pas d’urgence. Ceux-là – tous – seront les premiers à réclamer des mesures infâmes contre les autres, quand il sera clair que nous sommes tout au bout de l’impasse. Qui ne les connaît ? Ils sont de tout temps, de tout régime, ils sont immortels »
    je confirme, les C..S qui prônent le gaspillage aujourd’hui (ayroport, zones commerciales et industrielles à tout va, autoroutes, 4X4, de la viande à volonté, des nécro carburants…) seront les premiers à nous imposer des restrictions quand la pénurie sera venue.

  5. ce texte n’a pas vieilli, on croirait qu’il a été écrit hier, si les opposants gagnent contre NDDL, on pourra penser que tout espoir n’est pas perdu, sinon…
    j’habite entre Genéve et Lyon, j’ai calculé qu’il passait environ deux avions toutes les 5 mn, sans compter ceux qui viennent de décoller de Genève, sans parler des petits avions de tourisme, bref, le ciel est devenu très chargé et le bruit est presque incessant, alors si le trafic aérien augmente encore, cela va devenir infernal, en fait, la vie sur cette planète devient infernale pour les gens comme moi qui aime le silence et le chant des oiseaux !!

  6. Bonsoir,

    Merci Fabrice.

    Ahaaaa! Vous voyez? Je ne contais pas de salades quand je disais de vous: Purée! Ce type, c’est un visionnaire!

    Merci a toutes et tous.
    Merci Marie, c’est fait …

    😉

  7. Salut,

    La Communauté de Communes du coin (80km de Nantes)a supprimé, cet automne les cars scolaires pour les lycéens de mon village pour raisons « économiques », prétextant « qu’il ne faut pas habiter en campagne, car les ploucs coûtent cher » en « casant » les gamins sur d’autres itinéraires de transports scolaires déjà existants , pour une course de 1h10 le matin et 1h10 le soir, soit 2h20 par jour de car alors qu’ils ne sont qu’a 20 minutes du Lycée.Si pas d’accord, a chaque parent de se démerder en voiture individuelle…
    Et pendant ce temps, la Communauté refile deux millions d’€uros a Vinci pou la construction de cet saloperie d’aéroport.C’est dingue!
    Les parents d’élèves et les élèves révoltés ont fait le forcing et ont re-optenus des transports en communs avec itinéraire normal pour les jeunes de notre village…ouf!
    Ici, dans ce département, c’est une sorte de guerre. Rien ne sera plus jamais comme avant…je vous le dis… Il y a quelque chose de pourri au Royaume de Sir Ayrault et nous n’avons pas fini d’en faire les frais.
    Avec tout ce qui se passe ici pour les opposants et même les non opposants, c’est a dire ceux qui ne disent pas qu’ils sont opposants (car je ne connais personne, a part les élus qui soit « pour » ce projet), on se demande ou se trouve Amnesty International, nom de dieu!

  8. A ce propos, j’ai répondu à un sondage CSA par téléphone la semaine dernière. Il portait sur l’action de Nantes Métropole et les attentes de ses habitants, dont je suis, sur divers points économiques, sociaux, environnementaux (comme Nantes ville verte…).
    A la fin du questionnaire venaient les questions portant sur l’Ayrauport, puis sur les prochaines échéances municipales.
    Que se passe-t-il ?

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